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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

26 avril 2024

PRESSE FRANCOPHONE : SORTEZ VOS MOUCHOIRS

Sortez vos parapluies : la douche est de retour et l'éclaircie n'aura été que de courte durée. Alors qu'on les croyait plutôt sorties d'affaire, les ventes des quotidiens du sud de la Belgique ont, pour la plupart, replongé en 2023. La panacée du digital payant n'est apparemment pas aussi solide qu'espéré.

Ils ont mis du temps à être communiqués, cette année, les chiffres de ventes des journaux déclarés par les éditeurs. Alors que le CIM les présente comme des données publiées en mars 2024 (pour l'année 2023), ils viennent tout juste d'être sortis du four et mis en ligne. Ce n'est pas qu'au dehors des logis que le temps, cette année, ne se radoucit pas. Les coups de bourrasque dans le monde de la presse sont même cette fois si forts que  l'ordre d'importance des quotidiens en fonction du total de leurs ventes subit une modification de taille : Le Soir, qui avait repris le leadership, se voit en 2023 ramené à la deuxième place qu'il occupait jadis. Et c'est L'Avenir qui devient, certes de peu, le titre le plus vendu dans le sud du pays (que ce soit sous forme papier, mixte ou digitale).

 

La raison de cette inversion de tendance est simple : entre 2022 et 2023, les ventes de la plupart des titres se sont, sinon effondrées, au moins pas mal effritées. Mis à part pour les plus petits titres du marché, tout le monde est passé à la casserole. Mais L'avenir, fort d'un lectorat solide et habitué, a mieux résisté que tous ses compagnons d'infortune. Sale affaire alors que, depuis les années covid, l'air était plutôt à l'optimisme : après des décennies de dégringolade, la plupart des quotidiens avaient fièrement redressé la tête. Le fond de la piscine avait été touché, et l'heure était à la remontée à la surface. Sauf que, en 2023, l'optimisme a manqué un peu d'oxygène.

LA BULLE COVID

Afin de comprendre le pourquoi du comment, un petit flash-back s'impose, retour dans le passé que nous ne ferons remonter (pour des raisons de simplicité) qu'à la dernière année d'avant covid, c'est-à-dire 2019. Cette année-là, comme c'était déjà le cas auparavant, les journaux ne sont pas à la fête. Chaque nouvelle publication de chiffres de ventes confirme leur essoufflement progressif. Les titres ont certes bien commencé à promotionner leurs abonnements digitaux, mais l'affaire n'est pas (encore) gagnée.

Alors arrive l'épidémie. 2020 sera une belle année pour la plupart des titres de presse, notamment grâce aux ventes en ligne. Pour quelques quotidiens, la deuxième salve du covid, en 2021, confirmera les bons chiffres de 2020 : le public est entré dans l'ère du digital payant, et l'issue de la crise de la presse se profile. 2022 s'inscrira dans la même perspective. Plusieurs journaux voient leurs ventes se stabiliser, ou ne diminuer que quelque peu. Dame, on ne peut pas faire des scores de pandémie quand celle-ci se volatilise… Dans la perspective de cette dynamique, 2023 devait confirmer (ou infirmer) le maintien de la tendance. 
 
PATATRAS !
 
Et puis, voilà, cela ne s'est pas tout à fait produit dans le sens espéré.
Les titres à avoir le plus souffert de cette éphémère embellie sont incontestablement les deux quotidiens de qualité (quality papers) de Belgique francophone, et en particulier Le Soir qui avait vu ses ventes s'envoler lors des années covid (notamment grâce à de belles promotions commerciales), mais n'avait pas retrouvé le même souffle en 2022 et confirme cette chute l'an passé. Tous types de ventes confondus, le grand journal de la rue Royale n'est plus très très loin de retrouver en 2023 son niveau de ventes de 2019… 
 
Même phénomène, mais à plus faible échelle, pour La Libre, dont les ventes s'érodent et reviennent ± l'an dernier à leur score d'avant covid. On a toujours affirmé que le lectorat digital était volatile. La démonstration de ce théorème est désormais chose faite. Les deux autres perdants de ces dernières années se situent du côté des quotidiens populaires (popular newspapers), pour lesquels le covid n'avait pas été une aubaine, mais qui n'ont jamais cessé de perdre des acheteurs depuis la décennie 2010. Pour eux, 2023 confirme la tendance antérieure. 
 
 
Face à tous ces dégâts, L'Avenir tire son épingle du jeu. Il faut dire que le régional namurois n'avait pas bénéficié de l'effet covid (peut-être même avait-il alors perdu davantage d'abonnés que les autres titres, vu l'âge de son lectorat). Mais, depuis 2020, la diffusion du titre affiche une relative stabilité que lui envient sans doute ses concurrents… et qui lui permet de redevenir en 2023 le titre le plus vendu. En bas de tableau, crises ou pas, L'Echo continue son petit bonhomme de chemin de hausse, alors que la clientèle du Grenz Echo reste, bon an mal an, à peu près pareil à elle-même.
 
BROUILLAGE DE CARTES

On aimerait pouvoir en dire plus sur les causes  à long terme de ces changements mais, l'an dernier, les éditeurs de presse ont, sûrement sans vouloir à mal, brouillé les cartes en modifiant les catégories dans lesquelles le CIM range les ventes qu'ils opèrent, en en créant une nouvelle, destinée à comptabiliser les abonnements "en alternance" dont une partie de la semaine se fait en numérique et l'autre (souvent un ou deux jours seulement) en papier. Une bonne idée, assurément, mais qui rend très difficile de comparer les ventes "papier" et "numérique" d'avant 2022 avec celle de cette année-là (voir à ce propos nos posts de l'an dernier).
 
A toute chose malheur étant bon, en 2023, la classification de 2022 a été poursuivie. On peut donc cette fois comparer les données sur les deux années, et cela ne manque pas d'intérêt. 
 
Bien évidemment, les chiffres confirment la poursuite de la diminution des ventes papier. Mais, contrairement à ce que les oracles annoncent depuis belle lurette, celles-ci ne s'effondrent toujours pas d'un coup. Le papier représente toujours près de 50.000 exemplaires vendus par jour pour L'Avenir et un peu moins de 40.000 pour Sud Info.
Ces deux titres sont ceux où la chute est significativement la plus représentative.

C'est pour La Dernière Heure que cette baisse des ventes papier est proportionnellement la plus importante, alors qu'elle représente environ 10% de leurs ventes papier de 2022 pour plusieurs autres titres.
 
MIXTURE PAS MAGIQUE
 
Les clients qui ont quitté l'achat papier ont-ils alors choisi d'opter pour la formule mixte mêlant papier et digital, qui semble être un bon moyen de faire doucement et sans heurt basculer le (vieux) lecteur récalcitrant de sa gazette matinale vers le smartphone ou la tablette ? A voir. L'idée a sans doute eu ce but, mais il semble qu'elle ne convainc pas grand monde. Et même de moins en moins.
Le nombre d'abonnés ayant opté pour cette formule est relativement faible. Mais surtout, en 2023, il s'affiche, pour tous les titres sauf L'Echo (et à la marge pour La Libre) inférieur à celui de 2022. L'Echo, qui joue sur sa formule du samedi, a sans doute réussi à convaincre davantage de clients de mixer le digital en semaine et une lecture magazine sur papier le week-end. Mais pas ailleurs dans la presse. La constatation est intéressante : soit une offre mix n'est pas une bonne solution, soit elle n'est que transitoire, et atteint son objectif quand les abonnés passent au digital (si tant est que ce soit une bonne idée de ne pas partager sa lecture sur deux supports).

ABONNÉS ABSENTS

Mais, alors, justement, qu'en est-il du digital ? N'est-ce pas là aussi que s'explique l'épineuse situation de 2023 ? Assurément, car tant Le Soir que La Libre ou La DH ont en effet perdu des abonnés digitaux l'an dernier.
Proportionnellement à ses ventes, par contre, c'est le Grenz Echo qui a fait le plus fort, en augmentant ses abonnés numériques de plus de 50%. Derrière lui, L'Avenir récupère une partie de son retard en ventes numériques en en gagnant 40%. D'un autre côté, les pertes du Soir, de La Libre et de La DH n'atteignent pas les 10% sur un an. Elles ne sont donc pas catastrophiques, pourrait-on dire. Sauf qu'elles s'inscrivent dans un trend qui n'est pas positif, et qui commence à s'installer dans la durée (voir ci-dessus).
 
SAUVER LES MEUBLES
 
Comme si, finalement, le digital payant n'était pas tout à fait la potion miracle à laquelle tout le monde croyait. Comme si, de même, la monétisation du numérique était, elle aussi, victime d'un plafond de verre. Une limite qui ne parviendrait jamais à en faire un remède de cheval. Nous avons évoqué ci-dessus la volatilité des abonnés numériques. Dans une société en crise où certains préfèrent s'abonner à Netflix+Disney (ou Amazon) plutôt qu'à un journal, convaincre le lecteur à renouveler l'abonnement acquis pour une bouchée de pain (voir avec un cadeau), cela devient un véritable sport. Visiblement pas encore tout à fait homologué.

Depuis quelques jours, les éditeurs de presse de Belgique francophone (ils ne sont jamais plus que deux…) occupent les écrans publicitaires dans l'audiovisuel en vantant les mérites de leur type de presse, leurs qualités et le rôle essentiel de leurs médias dans le contexte actuel. Si on n'avait pas compris pourquoi la communication de leurs résultats de diffusion 2023 avait mis du temps à sortir, on aura au moins là trouvé une de leurs conséquences. 
Avec un effet utile ? Ou placebo ?

Frédéric ANTOINE.
 

 



 

01 avril 2024

Que reste-t-il de nos poissons?

Si plusieurs médias belges ont encore sacrifié à la tradition du poisson d'avril ce lundi, tous n'ont plus remis le couvert. En France, on s'interroge de plus en plus sur la poursuite de cette coutume qui semble valider la raison d'être des fake news. En Belgique, le débat n'est-il pas encore de mise?

Il n'aura fallu attendre que la mi-journée, en ce lundi de Pâques, pour que l'agence Belga se fende d'une dépêche faisait l'inventaire des poissons publiés ce jour par les médias francophones, dépêche rapidement reprise aussi bien par le site infos de la RTBF que par celui de L'Avenir (1). Ce texte nous apprend que, selon Belga, tous les sites infos des quotidiens francophones, hormis celui du Soir, n'ont une nouvelle fois pas pu résister à publier une fausse info, plus ou moins réussie, comprenant quelques indices mettant en cause sa véracité (et notamment la précision de la date de l'événement ou de la décision concerné). Vérification faite, il semble bien que le quotidien vespéral se soit effectivement passé de poisson, tout comme le site infos de la RTBF, celui de RTL ou 7sur7.be. 

Par contre, comme le souligne Belga, le site web de Ciné-télé-revue, lui, n'a pu résister à entrer dans la dance. Un événement notable, puisque leur présence digitale permet désormais aussi aux périodiques de se lancer dans la production de poissons en ligne. Alors que, emballée dans du papier, leur possible conception était beaucoup plus rare. Mais peut-être certains hebdomadaires avaient-ils déjà développé ce nouveau hobby par le passé? Pour ce qui est en accessible en accès gratuit, Le Vif, de son côté, ne semble pas être parti à la pêche cette année. Sauf si l'article Oubliez le Big Mac, suivez le régime MAC provenait lui-aussi d'un filet. Mais cela ne donne pas l'impression d'être le cas.

Devant cette tradition dont certains médias se plaisent chaque année à retracer l'origine (2), la profession semble aujourd'hui divisée. La question s'est, semble-t-il, particulièrement manifestée en 2020, comme l'expliquait à l'époque La revue des médias de l'INA (3). Il faut dire que, cette année-là, le 1er avril tombait quelques jours seulement après le début du premier confinement...

FAKE FISH

Cette année, un excellent article publié ce matin dans le quotidien régional français Sud Ouest (en accès libre au moment où ces lignes sont écrites) (4), va plus loin, en exposant le dilemme auquel la presse est confrontée chaque 1er avril. Le journal bordelais préfère ainsi soulever l'enjeu du poisson plutôt que participer, une fois de plus, à sa pêche…

Cet article, comme d'autres publications mises en ligne les années antérieures (5), dresse le constat de la raréfaction de ces "animaux vertébrés aquatiques à branchies" (6) dans les médias pour une principale raison : celle de l'apparition des fake news, et leur multiplication incontrôlée sur les réseaux sociaux, de plus en plus accompagnée par leur légitimisation toujours grandissante. C'est-à-dire par leur entrée dans un champ des possibles faisant que, même si elles sont fausses, les fake news pourraient non seulement ressembler à de vraies nouvelles… mais aussi être vraies. Tout simplement. Alors, pourquoi ne pas les croire? Ce n'est pas Donald Trump qui dira le contraire.

INFO DE QUALITÉ. OU PAS

Ne pas publier de poisson d'avril, c'est ne pas ouvrir la porte aux potentielles interrogations de l'usager du média sur la nature du contenu des informations que ce dernier leur propose. Un média sans poisson d'avril fait passer à ses utilisateurs un message clair: "Ici, nous nous efforçons à ce que toutes les infos soient vraies, recoupées, certifiées." Cet engagement constitue un élément essentiel de l'image de marque de ces médias. "On ne vous raconte pas de bobard", disent-ils ainsi à leurs lecteur. Sous-entendu: des bobards, vous en trouverez assez ailleurs. Ces médias peuvent même ajouter: "Chez nous, non seulement nos infos sont véridiques, mais nous nous efforçons aussi de démonter les nouvelles qui circulent et qui ne le sont pas." Évangéliquement parlant (Pâques n'est pas loin), ces médias trient le bon grain de l'ivraie. Ou s'y efforcent.

A contrario, les médias qui jouent le jeu de la pêche au gros transmettent à leurs usagers un message plus équivoque. En effet, s'ils s'offrent eux-mêmes le luxe de diffuser, ne serait-ce qu'une fois l'an, une info volontairement inexacte, pourquoi ne le feraient-ils pas à d'autres occasions, et cette fois de manière volontaire ou involontaire? Participer à la production de la friture du 1er avril ouvre la porte à y recourir tout au long l'année. Dans cette optique, pourquoi accorder davantage de confiance à ces médias-là qu'aux contenus discutables qui circulent sur les réseaux sociaux? 

TOUS DANS LE MÊME PANIER?

Tout le monde (et tous les chercheurs) ne partagent pas ce point de vue, considérant que, justement, mêler de l'info fausse dans de l'info vraie invite les consommateurs de médias à participer à une sorte de chasse au trésor de la véracité. On n'y gagne pas la caverne d'Alibaba, mais à la clé on aura appris à déceler le vrai de faux. Et, bien sûr, le fait que l'info fausse du 1er avril soit accompagnée d'indices destinés à révéler sa forfaiture sont autant de petits cailloux que l'usager intelligent recueillera au cours de son enquête. N'est-ce pas là un des buts de la fameuse "éducation aux médias" dont on rabattait déjà les oreilles dans les années 1980, c'est-à-dire il y a 40 ans, mais qui ne semble toujours pas arrivée à ses fins?

L'opération serait donc subtile: p(r)êcher le faux pour savoir le vrai. Certes. Mais les médias sont-ils vraiment gagnants dans cette affaire? Au lieu de permettre le distinction entre les "bons" et les "mauvais" médias, le message qui passe chez eux en filigrane n'est-t-il pas: "Méfions-nous donc de tous les médias. Quels qu'ils soient. Car ils sont tous potentiellement mauvais." Dans ce cadre, trier le bon grain de l'ivraie serait l'affaire du lecteur, de l'internaute, de l'usager. Et pas du producteur de contenu, des sites d'infos, des médias "classiques" qui s'efforcent aujourd'hui de ramer à contre-courant de tout ce qui flotte sur internet. Et dont seule la qualité peut désormais les permettre de se distinguer de ce qui circule gratuitement dans tous les coins du web.

VRAI OU FAUX?

Le poisson d'avril dans les médias avait toute sa légitimité à l'époque où l'affirmation la plus répandue était: "C'est vrai, puisque je l'ai lu dans le journal." Aujourd'hui, le réflexe de base n'est-il pas devenu: "C'est faux, si je l'ai vu dans les médias. Mais "C'est vrai, si on me l'a dit sur les réseaux." Sociaux ou pas. 

Dans pareil cadre, faut-il en remettre une couche le 1er avril? Même pour rire? Si tant est que ces poissons de presse suscitent réellement un sourire sur le visage de ceux qui les lisent…

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/l-ecole-le-samedi-et-un-maillot-en-hommage-a-gaston-lagaffe-dans-la-presse-du-premier-avril-11352584 
https://www.lavenir.net/buzz/2024/04/01/lecole-le-samedi-la-ville-de-spabuy-les-diables-et-gaston-lagaffe-les-poissons-de-la-presse-belge-P3TIY4OZI5F6ZOFM26FDFU3NGA/
(2)"En Angleterre, il était devenu courant d'envoyer des victimes crédules à la Tour de Londres pour assister au lavage des lions, une cérémonie qui n'existait en réalité pas. La farce est apparue pour la première fois dans un journal britannique le 2 avril 1698, avec un article en première page : "Hier étant le premier avril, plusieurs personnes ont été envoyées à la Tour de Londres pour voir les lions lavés". Les exemples de ce canular particulier se sont poursuivis au moins jusqu'au milieu des années 1800." (https://fr.euronews.com/culture/2024/04/01/quelles-sont-ses-origines-du-poisson-davril-et-comment-les-europeens-le-celebrent-ils) 
(3) "Source d’inspiration pour des reportages farfelus, le 1er avril et ses poissons sont passés de mode au fil des années. En cause notamment : la chute de confiance dans les journalistes et l’essor des fake news. Désormais, pour la crédibilité journalistique, il apparaît moins risqué de faire d’un poisson d’avril un sujet de reportage que d’en initier un." https://larevuedesmedias.ina.fr/1er-avril-poisson-medias-tomber-eau
(4) https://www.sudouest.fr/insolite/poissons-d-avril-pourquoi-n-ont-ils-vraiment-plus-la-cote-dans-les-medias-18936001.php
(5) https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/grand-paris/video-a-la-tele-ou-dans-la-presse-le-poisson-d-avril-une-espece-en-voie-de-disparition-2744390.html
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Poisson

01 mars 2024

LA PLACE EST-ELLE TOUJOURS ROYALE ?

Depuis la mi-janvier, l'emblématique Place Royale a retrouvé sa Place dans la grille de RTL TVi. Avec plus ou moins de bonheur. La monarchique émission du samedi sur la chaîne privée fait mieux que, le vendredi, C'est du Belge, sur La Une. Mais fédère-t-elle toujours autant de téléspectateurs que par le passé ?

La chaîne premium propriété de Rossel et DPG est redevenue royale depuis quelques semaines. Son émission hebdomadaire consacrée aux membres du gotha et des royautés s'est à peu près reglissée, ce 20 janvier dans la case dont elle avait été expulsée (de force plutôt que de bon gré) à la rentrée 2018. Une parenthèse de plus de cinq années pendant lesquelles ce programme plutôt court de début de primetime avait été mis de côté afin de faire débuter plus tôt la véritable émission longue du primetime du samedi. Des formats en grande majorité achetés à M6 France, dont certains eurent l'heur de plaire aux téléspectateurs (notamment : Cauchemar en Cuisine). Mariés au Premier regard, version belge, en a aussi fait les beaux jours. Alors que d'autres productions de même type, diffusées dans cette case, ne se sont jamais hissées dans la liste des belles audiences du samedi soir [1].

DÉGAGER LA PLACE

Supprimer Place Royale revenait à donner un bon coup de pied dans la fourmilière du RTL TVi telle que l'avaient à peu près conçu ses fondateurs (Place Royale a en effet débuté en 1994 alors que RTL comme chaîne privée belge n'avait entamé ses émissions que le 13 septembre 1987). Il faut dire que l'image de Place Royale collait un peu (trop) aux chaussures de TVi, à la fois par ses types de contenu, les comportements de ses présentateurs et présentatrices, et son merchandising parfois un peu envahissant. Il était peut-être temps de s'en dépêtrer à une époque où le règne sans partage des chaînes premium mainstream était clairement ébranlé par les acteurs de la nouvelle économie des médias.

Supprimer Place Royale permettait aussi à la chaîne de ne plus démarrer vers 21h10 sa soirée du samedi, et de ramener ce début vers 20h35. La station belge évitait ainsi de se retrouver à l'heure du carrefour du primetime des chaînes françaises, trop belle occasion pour les amateurs de têtes couronnées de quitter TVi pour TF1, Fr2, Fr3 ou toutes les autres. Entre 20h25 et 20h35, il n'y a pas de carrefour de primetime : sur La Une, Une brique dans le ventre n'est pas encore fini, et les JT de TF1 et FR2 sont toujours en cours.

T COMME TRUCIDÉ

Le retour de Place Royale n'a pas brouillé ces belles cartes, car celui-ci a été concomitant avec la suppression d'un autre programme historique de RTL, bien plus vieux celui-là que l'émission monarchique : I Comme. Un magazine créé au bon vieux temps de RTL-Télé Luxembourg (en 1984) par le journaliste Robert Diligent, et diffusé inaltérablement tout au cours de sa longue vie le samedi après le JT de 19h. La reprise de l'émission par RTL TVi, qui la confia en 1994 au journaliste belge Jacques Vanden Biggelaer, ne changera rien à ce cérémonial. Il durera jusqu'à ce que la direction de la  chaîne décide de procéder à la mise à mort du programme, quelques mois avant l'accession à la retraite du successeur de Robert Diligent. I comme et Place Royale, deux programmes courts en début de soirée, cela faisait fort pour un samedi, et expliquait pourquoi le "vrai" programme long de primetime ne débutait qu'après 21h00. 

En trucidant I comme, sous prétexte que les images originales dont le magazine se léchait les babines se trouvaient désormais sur les réseaux sociaux et que cela n'intéressait plus personne de les voir à la télé, on réduisait fameusement l'écart entre la fin du JT de 19h et le programme long du samedi soir. Dans sa nouvelle version, Place Royale enchaîne en effet directement après le RTL Info et le tunnel de pubs qui le suit, de telle sorte qu'elle débute vers 19h55 déjà. Rabotage supplémentaire, elle ne dure plus qu'une vingtaine de minutes. Elle se termine donc vers 20h15. Le "gros" programme de soirée peut dès lors débuter à 20h20, heure à peu près normale de démarrage de tous les primes de TVi [2]. Reste évidemment à déterminer quel blockbuster aspirateur d'audience TVi peut placer derrière Place Royale. Et là, ça n'est pas encore très clair. Lors des premières semaines du retour de magazine des têtes couronnées, on croyait que l'option serait de proposer des films populaires appréciés par le public familial du samedi. TVi a ainsi diffusé pour la  Xe fois la trilogie des Bronzés. Mais ça n'a pas attiré les foules. Alors, elle programme désormais après Place Royale la nouvelle édition de La France a un incroyable talent.On assiste ainsi au retour, le samedi soir, à l'emprunt de programmes de M6. Mais les résultats sont encore pires qu'avec les bons vieux films comiques. Ces dernières semaines, le samedi soir, RTL TVi est à peine au-dessus des 100.000 téléspectateurs. Ce n'est pas parce qu'un imitateur belge a atteint la finale de La France a un incroyable talent en décembre 2023 que l'audience se précipite désormais pour suivre cette émission… 

RÊVES DE ROIS, TOUJOURS  .

Côté audiences, justement, où en est-on ? Le graphique ci-dessous présente les six premières émissions de la New Place Royale, et les place face à l'émission qui lui est un peu proche, sans être comparable, sur La Une : C'est du Belge, ou les programmes de même type proposés par le service public le vendredi en début de soirée (en 2024, la case a été occupée début janvier par un documentaire sur le prince Laurent puis, à la mi-février, par le magazine "vraiment royal" de La Une : Gotha). 

Le démarrage du New Place Royale est impressionnant. La première édition de l'hebdomadaire recueille près de 400.000 téléspectateurs (mesure J+7). Mais sans doute une partie d'entre eux ont-ils fréquenté le magazine par curiosité, pour en rechercher l'originalité (ou la filiation) avec le programme arrêté il y a près de six ans. Les scores des épisodes suivants sont en effet plus modestes, et se situent plutôt entre 250.000 et 300.000. Ce qui, en comparaison des audiences des programmes longs qui suivent Place Royale, reste purement remarquable. Sur les épisodes 2024 mesurés, le nombre moyen de spectateurs de ce programme des Majestés est de 300.000 spectateurs.

C'EST DU ROYAL

La comparaison entre Place Royale et la case du vendredi début de soirée de La Une n'est bien sûr pas parfaite. C'est du Belge n'est pas focalisé sur les royautés, voire ne les évoque pas directement. Sauf lorsque le programme est remplacé par Gotha ou un documentaire sur un personnage de l'univers royal. Le fait qu'une émission se situe le vendredi et l'autre le samedi crée aussi des différences, tout comme l'heure de début de diffusion (avant 20h00 pour Place Royale, plutôt vers 20h25 pour l'autre). Mais la mise en relation est tentante.

Elle montre que, en général, l'auditoire de Place Royale est plus important que celui de C'est du Belge. Néanmoins, la semaine S6, où Gotha remplace C'est du Belge, l'émission fait audience égale avec Place Royale. Et, sur les chiffres imparfaits de la semaine S8 (J+3 au lieu de J+7 pour les autres), qui est une semaine "normale" pour C'est du Belge, le programme du service public fait mieux que celui du privé (à vérifier avec des chiffres complets). Sur les épisodes 2024 mesurés (y compris les semaines où C'est du Belge est remplacé par un programme de même type), le nombre moyen de spectateurs du programme de Belgitude est de 250.000 spectateurs. La différence moyenne entre les deux émissions est donc d'environ 50.000 personnes seulement.

BACK TO 2017

Pour aller plus loin, nous avons comparé les résultats obtenus en 2024 et ceux de la même période en 2017, année précédant l'éradication de Place Royale des grilles de la station de l'avenue Georgin. Les programmes ± monarchiques de la chaîne privée et de la chaîne publique se retrouvent en effet alors déjà côte à côte. Il faut noter que les données recueillies en 2017 concernent l'audience du jour même de la diffusion (live+VOSDAL), alors que celles de 2024 comprennent les visionnements différés jusqu'à 7 jours.

Sur l'ensemble de la saison janvier-juin 2017, Place Royale s'affiche comme un programme fort porteur. Son audience "live" dépasse fréquemment les 350.000 spectateurs, et en atteint même parfois plus de 400.000. Ce n'est qu'en fin de saison que les chiffres s'avèrent un peu moins bons. Sur cette saison, l'émission accueille en moyenne 360.000 téléspectateurs chaque semaine.
 
Le vendredi en début de soirée, les scores de C'est du Belge son déjà un peu moins élevés.

Au cours de la saison janvier-mi-mai 2017, les audiences varient le plus souvent entre ± 250.000 et un peu moins de 300.000 téléspectateurs. Une chute à 200.000 n'est enregistrée qu'à une reprise. Sur cette saison, l'émission accueille en moyenne 252.000 téléspectateurs chaque semaine. La domination de Place Royale est donc alors sans appel : le programme de TVi n'affiche pas loin de 90.000 spectateurs moyens de plus que sa consœur du Bd Reyers. Des petites différences avec la période du come-back de  2024…
 
MODULATIONS D'AMPLITUDES
 
Pour Place Royale, les sommets de 2017 (enregistrés en Live+Vosdal seulement) ne sont plus au rendez-vous en 2024. Sauf lors de l'émission inaugurale (S3), où l'audience "d'antan" correspond à celle d'aujourd'hui. Ensuite, sur les épisodes disponibles, les résultats 2024 sont tous inférieurs à 2017, et cette différence est parfois importante. Elle varie en effet entre environ 50.000 spectateurs/semaine et… 150.000 !

 
En face, C'est du Belge (ou les programmes assimilés) jouent moins les yoyo. L'amplitude des différences est beaucoup moins grande. Le score de 2024 est même plus élevé qu'en 2017 lors de la diffusion du documentaire sur le prince Laurent, et frise l'équivalence en S7. De nombreuses autres semaines, les différences sont faibles (et auraient peut-être été moindres si la comparaison avait porté des 2 côtés sur des audiences J+7). Enfin, la semaine à l'audience la plus élevée de 2024, consacrée à la diffusion du magazine royal Gotha, s'avère également être celle où l'audience avait été la plus élevée 7 ans plus tôt (alors que Gotha n'existait pas…).
 
La comparaison entre les deux situations montre la fidélité de l'auditoire de l'émission de la chaîne publique (malgré son léger renouvellement, une partie de l'audience de 2017 ayant dû décéder depuis lors), alors que Place Royale semble devoir (re)conquérir une portion de son public originel (là aussi,
une partie de l'audience de 2017 a dû décéder depuis lors). La grande promesse du premier numéro de la nouvelle série de Place Royale ne s'est pas transformée par la suite, en tout cas jusqu'à présent. Il est trop tôt pour élaborer des analyses définitives à ce propos. Les chiffres démontrent toutefois que l'appétence pour les émissions royalisantes n'a pas vraiment disparu avec le temps (et le covid). 
Quoi qu'il arrive, les princesses feraient-elles toujours rêver ?
 
Frédéric ANTOINE. 

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[1]. De 2018 à nos jours, outre les des deux émissions déjà citées dans le texte, on trouve dans cette case du samedi soir des reality shows de home staging et  consorts comme  Recherche appartement ou maison ; Maison à vendre ; Mission travaux, Ma maison est un chantier, Cette maison est pour vous, mais aussi quelques rares épisodes du Meilleur pâtisser, de Lego Masters, ou un programme qui n'aura pas beaucoup marqué les esprits : RTL c'est culte, destiné à évoquer les meilleures émissions jadis produites par la station.

[2]. Le dernier numéro de I comme est diffusé le 7 octobre 2023. En Live+7, il réalise la 5e meilleure audience de la journée, avec 214.000 téléspectateurs. Un score supérieur à celui des semaines précédentes, où le programme avait engrangé 186.000 téléspectateurs le 30/09, 203.000 le 23/09, 152.000 le 16/09, 126.000 le 09/09 et 164.000 le 02/09. Des résultats sans doute trop peu "rentables" pour l'émission suivant le RTL Info. A titre de comparaison, le 02/09/2017, l'émission comptabilisait 246.000 téléspectateurs. Soit 80.000 de plus qu'en 2023 à la même date…

22 février 2024

QUAND LE JT DE LA UNE TITILLE CELUI DE RTL…

Ces dernières semaines, Le 19h30 de La Une a, à plusieurs reprises, compté plus d'audience que son concurrent privé. Un événement à souligner, car pas si courant que cela. Même si, le plus souvent le RTL Info 19h fait toujours la course en tête.

La guéguerre des audiences entre les grands JT d'avant-soirée des deux principales télévisions francophones belges n'est pas près de s'arrêter. Depuis la création de ce blog, nous en avons déjà narré certains épisodes. Ces deniers temps, les comparaisons temporelles étaient devenues plus difficiles, car depuis le 10 juillet dernier, les chiffres d'audience qu'archive le CIM ne sont plus communiqués à, J+1 mais à J+7 (sauf pour les plus récents). Et, parfois, même pour des données vieilles de plusieurs semaines, les compteurs restent bloqués à J+6 ou J+5. Impossible donc de comparer les données rendues publiques à partir du 10 juillet 2023 et avant cette date. Et difficile de mettre dans les plateaux de la balance des mesures J+7 et J+6 ou J+5 à une époque où la consommation différée de programmes tv devient une pratique de plus en plus fréquente. Même si les JT, nourriture chaude s'il en est, vieillissent mal quand ils sont visionnés à froid…

UN PETIT RÉVEIL

Focalisons-nous donc sur des données comparables : celles du début de cette année 2024. C'est là qu'apparaît le plus récemment une sorte de petit réveil du journal Tv de la chaîne publique vis-à-vis de celui de sa concurrente privée qui, historiquement, a toujours attiré le plus grand nombre de spectateurs, ne serait-ce que parce qu'il est diffusé une demi-heure plus tôt que celui de la RTBF et que, stratégie programmatique oblige, il dure plus longtemps que son alter ego public afin que l'audience ne décroche pas à 19h30 pour s'offrir un petit rab d'info sur l'étal d'à côté.

Ce sursaut de l'audience au bénéfice de La Une se manifeste à de multiples reprises à partir de la dernière décade de janvier, comme l'atteste le graphique ci-dessus. Alors que précédemment, de puis le début de l'année, l'audience du Jt de la chaîne publique frôlait au mieux celle de RTL. 
Les différences entre les audiences des deux Jt ne sont toutefois pas très significatives, comme on peut le voir dans cet autre graphique (ci-dessous).
Dans les meilleurs cas, le Jt de La Une dépasse d'environ 60.000 spectateurs celui de sa concurrente des groupes Rossel-DPG. Ce n'est pas fort élevé, notamment en tenant compte de la marge d'erreur liée à la méthode de mesure de l'audience. Au cours de la même période, quand Le RTL Info 19h met le paquet, la chaîne peut comptabiliser jusqu'à plus de 100.000 spectateurs de plus que Le 19h30. A ce  niveau, la différence est clairement indiscutable. 
 
PERCE-NEIGE ?
 
Mais les percées répétées du journal de La Une peuvent peut-être être lues comme les perce-neige d'un nouveau comportement d'une partie de l'auditoire, sans qu'il soit aisé de lui donner un sens sans une analyse approfondie de l'offre informationnelle que l'on retrouve à l'actuelle dans les deux JT, et où des différences, notamment en matière d'info-géné et de faits divers, semblent a priori devenir plus marquées que par le passé. Mais à vérifier.
 
S'agit-il d'une tendance neuve ? Pour fournir une réponse à cette question, nous sommes remontés aussi loin que le nouveau format (J+7) des données du CIM peut le permettre, c'est-à-dire juillet de l'an dernier.

Au cours de toute cette période, on peut comptabiliser deux périodes claires où, à plusieurs reprises, l'audience du Jt de la RTBF (en orange) dépasse celle de RTL (en bleu) : à la mi-juillet et à la mi-octobre. Mais ces moments mis à part, sur des périodes de plusieurs jours, RTL l'emporte toujours. On ne peut donc pas affirmer que la situation d'une prédominance du Jt de la chaîne publique n'existe pas en 2023, mais qu'elle était alors très réduite dans le temps. Hormis cas ponctuels limités à un jour, comme relevé dans le graphique ci-dessous où sont pointés, jour par jour, les moments où l'audience du 19H30 dépasse (ou pas) celui du RTL Info.

Les tendances de ce graphique sont par ailleurs identiques à celles relevées pour le début 2024 : lorsque le Jt du Bd Reyers dépasse celui de l'avenue Georgin, son "gain" est au mieux aux environs de 60.000 spectateurs. Sauf le soir du 19 novembre où, foot aidant, le JT de RTL n'attire que très peu de monde et permet à La Une de gagner près de 174.000 spectateurs de plus d'un coup. Le RTL Info, par contre, réalise fréquemment des scores beaucoup plus élevés que le JT de la RTBF.

Comparer 6 mois d'une année et un mois et demi ne permet bien sûr pas de tirer des conclusions définitives, d'autant qu'il ne s'agit pas des mêmes moments de l'année. Mais il nous semble que le petit réveil préprintannier rencontré du côté du 19h30 méritait d'être signalé. Et sans doute d'être creusé davantage…

Frédéric ANTOINE.



14 février 2024

Dealer, un métier comme les autres ? Oui, selon RTL


Peut-on tout laisser dire aux personnes qu'on interviewe, sans nécessairement recadrer leurs réponses ? Cas d'école avec un témoignage à propos de Orlan, au 19H de RTL, ce 13 février.

Orlan Mélon, originaire de Huy, a disparu depuis plusieurs jours. Il aurait été enlevé dans la région d'Houffalize. 8 minutes ± après le début de son JT, le présentateur du 19H termine son lancement du sujet - que l'on peut retrouver sur le site RTL Info (1) - par ces mots : «  Sa famille est inquiète et craint aujourd'hui, aussi, un règlement de compte lié au milieu de la drogue. »

HEIN, MONSIEUR…

Le sujet en lui-même débute 8'22 après le début du journal. Il relate la disparition de Orlan, et donne à ce propos assez longuement la parole à son oncle, que l'on entend (sans voir son visage) dès le début du reportage, et que l'on retrouvera plusieurs fois par la suite. 

Au-delà de relater les frais, le membre de la famille essaie aussi d'expliquer la situation de son neveu. 1'05" après le début de la séquence, le journaliste commente en off : « Orlan est bien connu dans le milieu de la drogue. Sa famille redoute un règlement de compte. » La parole est ensuite laissée à l'oncle à partir de 1'19". Celui-ci déclare d'abord : « Dans ces milieux il y a des risques, et je pense qu’il était au courant des risques qu’il prenait. Maintenant voilà, chacun fait sa vie comme il la veut, mais… » Puis il enchaîne : « Dans chaque métier il y a des risques, hein monsieur. En tant que maçon, il y a des risques. En tant que toiturier, il y a des risques. Dans tout il y a des risques. » Sur images de la page facebook consacrée à la disparition du neveu, le journaliste poursuit directement en disant que, selon ses informations, Orlan a déjà effectué un séjour en prison (…).

A 10'05 après le début du JT, retour en studio. « Dans l'actualité de ce mardi, il y a aussi cette nouvelle agression… » commence immédiatement l'anchorman du JT. "Sans transition", comme l'on dit si souvent.

COMME UN AUTRE ?

Dans ce JT, on a donc clairement laissé une personne interviewée dans le cadre d'une séquence d'info prononcer cette phrase renversante, concernant un dealer ou un trafiquant de drogue :  « Dans chaque métier il y a des risques, hein monsieur. » Que l'oncle de la personne disparue considère que, être dealer ou trafiquant, c'est en fait un "métier" comme maçon ou toiturier, il y a déjà de quoi tomber de son fauteuil. Mais que ni le journaliste ni les responsables de l'édition du JT ne reprennent ces propos pour le recadrer et souligner leur caractère plus que discutable et même inacceptable, ce n'est plus rien comprendre. Ou à se pendre…

Oui, d'accord. C'est la parole de quelqu'un qu'on interviewe, ce n'est ni le reporter ni le présentateur qui ne prononcent ces paroles. Mais, dans le cadre d'un programme d'informations, peut-on laisser une personne s'exprimer sur un pareil sujet en légitimant que l'on soit dealer ou en trafiquant par le fait que, finalement, ce n'est qu'un métier comme un autre, avec des risques comme dans tous les métiers. Et que tout le monde a le droit de gagner sa croûte comme il l'entend, n'est-ce pas.

Non, les maçons et les toituriers ne sont, jusqu'à preuve du contraire, pas poursuivis en justice, trainés devant les tribunaux et mis en prison. Alors que les dealers et les trafiquants, eux, le sont.

VOULOIR LE FAIRE

Non, vendre de la drogue n'est pas reconnu comme une profession. Ce n'est pas un métier.

Laisser passer pareilles déclarations sans sourciller, n'est-ce pas (au moins un peu) s'en faire complice ? Un recadrage n'aurait pas été difficile à faire. Mais encore fallait-il vouloir le faire, ou en avoir réellement la possibilité.

Dans les sujets précédents du même JT, on s'émouvait des fusillades à répétition ayant lieu pour l'instant à Bruxelles dans les milieux du trafic de drogue. Mais comment s'en étonner si en vendre est simplement un métier, avec des risques comme dans les autres métiers ?

Peut-être aurait-il simplement fallu ne pas garder cette assassine phrase-là au montage ? Mais là aussi, encore fallait-il vouloir le faire, ou en avoir réellement la possibilité et les moyens. 

MAUVAIS POUR LA SANTÉ

On se gausse dans tous les épisodes du Grand Cactus du commentaire que François De Brigode avait osé exprimer à la fin d'un JT de juillet 2015 : « Je vous rappelle quand même que la drogue, c’est mauvais pour la santé ». Quoi qu'on puisse en dise, De Brigode avait, lui, pensé et osé faire un commentaire au terme d'un reportage sur le festival de Dour où un jeune festivalier déclarait notamment : « La drogue, c'est bien. » 

« Je trouvais que le reportage qui avait été diffusé ce soir-là avait été très mal ficelé, explique-t-il dans un article du site de la RTBF (2). Il faisait en fait l’apologie de la drogue. En plus, j’ai connu des gens qui ont sniffé ce qu’il ne fallait pas sniffer donc je savais que ce sujet n’était ni drôle pour eux ni pour ceux qui leur sont proches. Ma sortie de journal avait donc une explication. Mais à force de l’entendre sous forme de gag, j’ai malgré tout peut-être fait "œuvre utile". »

Et n'est-ce pas un des rôles du journalisme, que de faire œuvre utile ?…

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtl.be/actu/belgique/faits-divers/dans-ces-milieux-il-y-des-risques-selon-les-proches-dorlan-melon-sa-disparition/2024-02-13/article/637702

(2) https://www.rtbf.be/article/francois-de-brigode-nous-raconte-comment-est-ne-levenement-tres-controverse-bye-bye-belgium-11276808

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