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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

02 janvier 2023

Adieu RTL (Grandes Ondes), on t'aimait bien, tu sais!


Ce premier janvier à 0h00, l'émetteur Ondes Longues de RTL Paris s'est éteint à jamais. Les grandes antennes de Beidweiller, au Grand-Duché, sont orphelines pour toujours. Mais des milliers d'auditeurs des quatre coins d'Europe et du fin fond du désert français éprouvent aussi du mal à sécher leurs larmes.

Depuis 1933, dans un rayon de plusieurs centaines de km autour du Grand-Duché de Luxembourg, il suffisait de se brancher sur la fréquente de 234 kHz pour tomber sur ce qui fut Radio Luxembourg, puis RTL (Paris). Le centre de diffusion de la station privée n'aura donc pas pu célébrer ses 90 ans. RTL était la seule radio généraliste française historique à encore diffuser sur ce qu'on appelait "les ondes longues" (OL) ou "les grandes ondes" (GO). 

Une bande de fréquences où le son, certes, n'était pas top, et très nombreux les grésillements radioélectriques dus notamment à des moteurs ou au passage de trains et de lignes électriques. Mais les OL portaient loin. Si loin que, dans le cas de RTL, on pouvait en écouter les programmes sur l'autoradio de son véhicule jusque haut dans le nord de l'Europe, et pas seulement en France. Quelle chance pour les routiers francophones qui retrouvaient ainsi une présence familière tout au long de leurs trajets. Max Meynier n'a pas pour rien créé Les routiers sont sympas sur une radio OL.

Déçus aussi sont sans doute les auditeurs fidèles de RTL au fin fond des campagnes françaises. Là où la direction actuelle de M6 n'a pas estimé utile d'installer des réémetteurs FM. Et je vous l'assure, ils sont nombreux ces petits coins du désert hexagonal où on ne peut capter que les radios du service public et la station locale de RCF. On comprend alors pourquoi France Culture compte potentiellement autant d'auditeurs…

(https://achdr.over-blog.com/2020/11/16-novembre-1937-radio-luxembourg-emet-toute-la-journee-sans-interruption.html)

AMIS FIDÈLES

Et puis, il y a tous les Belges. Ou en tout cas tous ces Belges francophones qui, de génération en génération depuis 1933, étaient des "amis fidèles" de la station luxembourgeoise, comme le chantait alors son générique: "Allo, allo, Amis fidèles, ici la Villa Louvigny…

Des centaines de milliers d'amateurs de musique légère, de jeux, de variétés, de récits captivants et d'humour… entrelacés de publicités dites au micro par des speakerines. Des auditeurs qui préféraient bien cela au sérieux de la radio publique monopolistique de service public belge, l'INR. Une station plutôt rébarbative, bavarde, officielle, dont la musique provenait bien d'un des meilleurs studios d'Europe (le studio 5 de la place Flagey à Bruxelles), mais était bien plus sérieuse que sur les ondes luxembourgoises. Et, surtout, une radio vachement politisée puisque, croyant ainsi respecter la notion de "service public", le législateur avait décidé que la grille de programmes y serait répartie entre les associations d'auditeurs ayant réuni le plus grand nombre d'adhérents. On rêvait de voir l'antenne partagée entre l'association des pêcheurs à la ligne, celle des joueurs de couyon (1), des amateurs de gueuze lambic ou celle des grands-mère gâteau. Il n'en fut rien. Comme par hasard, ce furent les partis politiques qui créèrent des associations, collectèrent des membres et se répartirent l'essentiel du temps d'antenne, pour le pire plus que pour le meilleur. Heureusement qu'il y avait Radio Luxembourg!


 NÉ EN  ÉCOUTANT RADIO LUXEMBOURG

À cette première génération d'écouteurs d'avant-guerre succéda celle de leurs enfants, qui découvrirent le ton de la station luxembourgeoise après la libération, au moment où ses studios quittèrent le parc de la Villa Louvigny et s'installèrent à Paris, rue Bayard. Avec pour tout lien entre le lieu de production, au cœur de la France, et celui de la diffusion, dans un pays étranger : un petit et frêle câble. C'était l'époque où l'État français avait décrété que seul un opérateur public monopolistique pourrait exister en France. Mais, que si des acteurs privés obtenaient l'autorisation d'émettre vers la France depuis l'étranger, il ne pourrait s'y opposer (2). Même si leurs studios se trouvaient sur le territoire national. C'était le temps des "radios périphériques", dont nous n'avons pas la place de trop parler ici. Radio Luxembourg était l'une d'entre elles. Et le public belge était ravi car, grâce à la station, il vivait radiophoniquement à l'heure de la Ville Lumière. Alors que le monopole belge de l'INR, bien que réformé, ne parvenait pas à être moins rasoir. Sinon du côté de ses émetteurs régionaux, créés après guerre sur les cendres de radios privées locales autorisées jusqu'en 1940. Et plus jamais ensuite…

Bref, c'est dans ce contexte que je suis né, dans une petite maison où trônait un petit poste de radio en bakélite que ma mère avait acheté avec ses premiers salaires d'assistante en pharmacie. Le son parfois un peu nasillard provenant de l'émetteur luxembourgeois a dû être un des premiers que j'ai entendus. Mes parents, nés à la fin des années 1920, avaient en commun d'être de fervents auditeurs de Radio Luxembourg. Ils appréciaient autant les émissions de variétés que l'information ou les fictions radiophoniques. Très tôt j'ai moi-même reconnu les génériques de plusieurs émissions, ou les voix de leurs présentateurs. Mon père lui-même y faisait souvent allusion, chantonnant les airs ou reprenant ce que, à l'époque, on n'appelait pas encore de jingles. Quelques-uns de ces programmes me viennent spontanément à l'esprit au moment où j'écris ces lignes (et je n'ai pas fait de recherche pour les lister ici): Sur le banc, avec Raymond Souplex et Jeanne Sourza,  Ça va bouillir, avec Zappy Max, L'homme des vœux Bartisol, le jeu de mi-journée où des candidats devaient chanter la suite d'un air à la mode dont le début leur était proposé,… etc. Sans parler des éditoriaux de Geneviève Tabouis, dont la voix était reconnaissable entre toutes, ou des reportages radio de quelques grands journalistes de l'époque.

 
UN PREMIER  CHAGRIN 
 
Oui, ma petite enfance a été bercée par tout cela. Aussi, notamment, que par Le passe-temps des dames et des demoiselles, l'émission "pour les femmes" dont le titre seul m'enchantait et voulait tout dire: quand on était une femme, on avait plus que le temps d'écouter la radio pour passer le temps. Avant d'entrer à l'école, c'était aussi mon cas…
Lorsque mes parents ont fait construire une maison et que ma mère y a installé son officine, rien n'a changé dans un premier temps pour le poste de radio familial, sinon son emplacement: sur une étagère dans le living, comme on disait alors. Il faudra attendre les années soixante pour que ce bon vieux récepteur soit remisé dans la cuisine, mon père ayant acheté un modèle Telefunken avec des grosses touches blanches sur lesquelles il fallait appuyer. Chose rare, il captait la bande FM, alors encore bien vide…
Avant l'arrivée du nouveau récepteur, radio Luxembourg était allumé presque toute la journée dans le foyer, tant et si bien que, en jouant dans cette pièce, tous les enfants étaient inconsciemment à son écoute. Y compris le jeudi matin à 11h, lorsque la station diffusait La messe des malades, depuis l'abbaye de Clervaux, au Luxembourg (forcément).

Radio Luxembourg était tellement dans ma vie que j'ai été réellement passionné lorsque, en 1963 (je pense), la station avait imaginé célébrer ses trente ans en installant ses studios dans un train. Celui-ci devait relier les trois lieux symboliques de son existence: le Luxembourg, des villes de Belgique, puis entrer en France et finir, je crois, à Paris. Cette initiative me fascinait: diffuser des émissions de radio depuis un train en marche! Je pense que ce convoi devait s'appeler Le train de l'amitié, ou quelque chose comme ça. Le jour J, je me suis mis à écouter cette étrange émission avec assiduité. Tout avait bien commencé… jusqu'à ce que le train soit immobilisé à une des frontières qu'il devait traverser. Les douaniers avaient interdit son passage. L'Europe n'existait pas encore vraiment, et tout était bloqué. Raté.  À l'antenne, les animateurs étaient désolés. Moi aussi. Cette après-midi-là, j'en ai pleuré dans les bras de ma tante, qui se demandait ce qui m'arrivait. Un chagrin causé par l'échec d'une initiative radiophonique qui m'avait captivé.

Que de souvenirs grâce aux OL! Un peu plus tard, lorsque se vulgariseront les transistors, la mode sera d'emporter son petit récepteur sur la plage. Dans la toute petite station balnéaire de Zeebrugge, sur la mer du Nord, tout le monde écoutait son transistor devant sa cabine de plage. Ma mère, qui avait reçu ce cadeau de mon père, ne se départissait pas de son petit poste en plastique rouge, au haut-parleur recouvert d'un grillage et qu'on pouvait tenir par sa lanière blanche. Chercher les stations s'y opérait en faisant tourner une aiguille autour d'un cadran circulaire. Sur Radio Luxembourg, qui devenait doucement RTL, ma mère ne ratait pas ses rendez-vous favoris.

 

PARIS, COMME SI ON Y ÉTAIT

 

Plus tard, le transistor deviendra par excellence un deces cadeaux de communion que l'on demandait aux membres de la famille invité au banquet. Le premier que j'ai reçu était un rectangulaire un peu matelassé gris. Avec les OL et les OM (ondes moyennes). Que de nuits il a passé sous mon oreiller.   On écoutait alors la radio autant, sinon plus, au fond de son lit qu'au cours de la journée. C'était lorsque l'on était malade que c'était le plus gai. Même avec de la fièvre, on pouvait alors écouter sa radio tout au long de la journée.

Ce transistor m'a permis de ne pas toujours être fidèle à l'RTL familial, et de m'en émanciper. Pour aussi de découvrir  Europe n°1, avec passion. France Inter, avec attention. Et… Alger chaîne 3, avec curiosité. Vivent les OL! (3)

Sur RTL, il me revient en mémoire des flashs d'écoutes, comme les émissions du Président Rosko, celles de Jean Yanne (qu'on écoutait en se cachant). Il y avait aussi les talk-shows de Philippe Bouvard dont, à l'époque, le RTL Non Stop me paraissait trop blablateur, filandreux et parisiens, et bien sûr Max Meynier. Georges Lang me semblait trop spécialisé et américain. Et puis il y avait les émissions matinales de vacances, avec leurs jeux qui n'ont pas changé pendant des décennies, la météo des plages et bien d'autres choses. RTL OL m'a aussi fait participer depuis mon lit aux soirées de Mai 68, à la démission de De Gaulle, ou à la mort de Pompidou et aux événements qui ont suivi.

 

LA TRAHISON DES CLERCS

 

Là je n'étais plus un enfant, et presque plus un ado. J'ai alors doucement abandonné l'écoute de RTL Paris jeunesse oblige de même que l'arrivée sur la FM de stations plus "jeune" et de AFN, la radio du Shape que l'on pouvait capter largement autour de Casteau (4)

J'ai un peu délaissé RTL OL jusqu'à ce que j'aie une voiture avec autoradio, ce qui a  tardé quelques années. Alors que les émetteurs FM des radios belges ne couvrent pas tout le territoire (5), les OL me permettaient, elles, d'écouter RTL tout au long de mes trajets, voire aux Pays-Bas ou en Allemagne. Disposer des OL sur l'autoradio de ma voiture est même devenu pour moi par la suite une condition sine qua non d'achat du véhicule.  

RTL est longtemps resté une des stations que j'écoutais le plus lors de mes déplacements. Jusqu'à ce que je la trouve ringarde, non imaginative, répétitive, usée par les mauvais sketches à répétition de Laura Guerra… Bref, destinée à de vieux un peu cons. Je lui ai alors préféré, et de loin, Europe 1. Mais je l'ai encore programmé sur mon autoradio pour pouvoir y revenir en fin de matinée, ou le soir lorsque On refait le monde redessinait à longueur de polémiques le perpétuel  futur de la France.

Tout cela grâce aux OL…

Merci donc aux décideurs, patrons, propriétaires et actionnaires de la station qui ont mis RTL OL à mort pour des raisons d'économies d'électricité (argument aussi avancé par d'autres opérateurs). Des décideurs qui ne se rendaient pas compte qu'il existait encore des écouteurs en ondes longues. des fantômes n'apparaissaient pas dans leurs sondages, ou si peu. Mais qui étaient bien là. Comme dans le clip du Thriller de Michael Jackson.

Aujourd'hui, le Belge n'a plus le choix. Devant le vide sidéral des OL, il ne peut que se rabattre en FM sur Bel RTL, l'ersatz local de RTL France à qui la station emprunte quelques programmes (6). S'il veit écouter RTL France, la seule issue est de le faire en IP. Mais cela, sur une autoradio, ce n'est pas vraiment au programme.

Qui a dit que les radios n'avaient pas de frontières, que leur propagation était universelle, qu'elles pouvaient bouleverser l'état du monde?  À l'heure du DAB+, ce n'est plus qu'une vaste foutaise. Alors que le monde est en extension, la radio, elle ne cesse de se racrapoter sur un de plus en plus réduit  et de se replier sur ses petits États-nations. Quelle tristesse!


Frédéric ANTOINE.

Lire: 

- Frédéric Antoine : La mobilité, au cœur de l’ontologie radiophonique ? dans la revue du GRER Radiomorphoses

- www.facebook.com/greradio : Sur le site internet du GRER, un début de version  brève du texte écrit ici, rédigée le 14/10/2022 quand est tombée la décision de M6 d'arrêter la diffusion OM de RTL Paris.

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(1) Jeu de cartes typiquement belge.
(2) Sauf en tentant de les contrôler en rachetant leur capital, ce à quoi servira la SOFIRAD.
(3) Je n'oublierai jamais ce dimanche matin de je ne sais plus quelle année où RTL et Europe 1 avaient décidé de réaliser ensemble leur première émission en stéréo, l'une diffusant le canal gauche, l'autre le droit, y compris lors des passages musicaux. Jean Yanne était un des initiateurs de l'opération. 
(4) AFN, American Forces Network, était la radio des militaires américains casernés en Belgique à côté du QG de l'OTAN, installé près de Mons. Cette radio, diffusant en FM, possédait un son inimitable, dus aux compresseurs utilisés par ses anciens émetteurs AM reconvertis à la modulation de fréquence. En l'écoutant, on se croyait aux USA.
(5) En Flandre notamment, écouter les radios belges francophones est quasiment impossible (ce qui n'est pas le cas des radios flamandes en territoire wallon…). 
(6) Un ersatz peu étonnant puisque le fondateur de Bel RTL était, à l'origine, le correspondant en Belgique de RTL Paris… Par un étonnant reversement de situation, lorsque une réforme trop audacieuse de RTL Paris mettra à mal ses résultats d'audience, c'est  à lui que les responsables français feront appel pour remettre de l'ordre dans leur baraque…

 

 

 

 


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