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Regard médias

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25 janvier 2022

Le putsch au Burkina à la télé : quel super show !

Ce 24 janvier, les militaires ont renversé Roch Kaboré, le président du Burkina Faso, lors d'une annonce à la télé nationale. Mais pas n'importe comment. Cette prise de pouvoir là a profité d'une mise en scène dont les putschistes ne bénéficient d'ordinaire pas. Et dans un cadre qui pose question.

Cinq minutes. Le show annonçant la fin du régime Kaboré sur la RTB (cela ne s'invente pas) n'aura duré qu'un douzième d'heure. Mais il n'aura pu que marquer ceux qui l'auront vu, tant il a  bien été mis en scène. 

Par son cadre, tout d'abord. Il n'y a pas eu ici de saisie d'antenne brusque, ou de coup de force non contrôlé. La prise de parole des militaires s'est déroulée… dans le contexte d'une émission d'informations. Leur apparition à l'antenne a en effet été précédée… du générique prévu par le journal télévisé local pour ses éditions spéciales.

Un petit générique qui commence même par la mention "Urgent-merci pour votre fidélité" (dans ce cas-là, ça ne s'invente pas non plus), glissée dans un bandeau surmonté du globe terrestre. De quoi mettre le spectateur en confiance. Ensuite s'enchaînent des images animées énumérant les grandes thématiques que l'on traite dans un JT ("société", "politique" "faits divers"…), puis vient  le globe terrestre, situant clairement le Burkina Faso sur la mappemonde. Le tout se termine par le titre "Édition spéciale" sur fond de drapeau national burkinabé.

Un générique qui évoque directement le début des Jt de la station, d'où proviennent les principes de cet indicatif (univers, terre, listage des rubriques…, le tout tournant en permanence).

Dans ce contexte, le message adressé au spectateur est clair : il va assister à une édition spéciale de son Jt, comme il en aura sans doute vu (1) lors du 11 novembre 2001, du récent drame d'Inata (Sahel) où 53 gendarmes furent massacrés par des terroristes, ou au moment des dramatiques inondations qui touchèrent le pays en 2020.

 UN FOND D'INFO

Mais voilà. À la fin du générique, pas d'apparition de journaliste présentatrice (ou présentateur) du Jt. Un groupe de personnages occupe l'écran, et n'a pas l'air d'appartenir à la rédaction de la chaîne de télévision. Pourtant, nous sommes bien au Jt. La preuve : ces individus occupent bien le studio du journal télévisé propre. Entre la scénographie classique du journal télévisé du Burkina et ce que l'on voit alors, rien n'a été modifié.


Les pupitres sont aux mêmes endroits que d'ordinaire. Trois hommes sont assis exactement à la place de l'anchorwoman habituelle de la RTB. Mais, alors que celle-ci est tous les soirs seule à l'écran, ils sont là encadrés d'autres personnages. 
 
Soit, pourra-t-on penser, quoi là de plus normal ?  Les putschistes ont simplement pris la place du journaliste.

Oui, mais ce n'est pas tout. Comme dans toute station de télévision qui se respecte, une partie du studio du Jt de la RTB est virtuel. Et un grand écran occupe le fond du décor, derrière la présentatrice. À l'instar du paysage parisien que l'on voit tous les sur France 2 ou TF1 (ou sur La Une), au Burkina, c'est une artère animée de Ouagadougou, menant vraisemblablement au Monument des Héros, qui occupe le fond de l'écran. Lors de l'intervention des militaires, l'arrière-plan de l'image n'est pas celles des rues de Ouaga, mais la reproduction du dernier plan du générique, c'est-à-dire la mention "édition spéciale", sur fond du drapeau national. De quoi rappeler en permanence qu'on est bien dans l'actu.

La présence d'un tel élément de décor lors de l'apparition de putschistes à l'antenne n'est pas le fruit du hasard. En dehors du Jt (2), le fond de ce studio est un écran noir. L'image animée pour accompagner l'intervention des militaires a volontairement été choisie, et techniquement insérée dans le système du studio pour apparaître à l'antenne. Elle laisse croire que ce qui se passe là est bien de l'information, et que celle-ci revêt une importance nationale.

COMME UN TABLEAU

La disposition à l'image des représentants des corps d'armée n'est pas, elle non plus, fortuite. Mais le fruit d'un agencement esthétique qui inscrit de manière très particulière les militaires debout derrière ceux qui sont assis à la table. Les plus petits ont été placés sur les côtés, et les plus grands au centre (ou sur des praticables).  De plus, le militaire planté au centre du groupe porte un casque surmonté d'une pointe, ce qui le fait dominer tous les autres, et le rend particulièrement impressionnant. Un peintre classique n'aurait pas conçu plus bel agencement.

L'éclairage du studio, lui aussi, n'est pas celui fourni par les néons qui doivent éclairer cette pièce quand on n'y tourne pas. Au contraire, ce travail de lumières est très pensé. En plan d'ensemble, l'image baigne plutôt dans la pénombre, alors que le bas de l'écran (les 3 bureaux) reflète la couleur rosée émanant du sol (lors des Jt, c'est du bleu). À l'arrière-plan, l'essentiel du groupe debout apparaît dans l'ombre, comme une masse compacte. Seul se distingue le milieu de l'image, particulièrement éclairé, tant à l'arrière qu'au premier plan. Au centre du tableau, un militaire assis bénéficie d'une belle lumière. C'est celui qui prendra la parole. Mais l'éclairage sort aussi de l'ombre le personnage au casque pointu de l'arrière-plan. L'image joue ainsi avec une belle subtilité entre le clair et l'obscur. Une composition qui ne s'est pas mise en place toute seule.

AXE Y-Y

Le capitaine Ouedraogo est le personnage central de la composition, comme Jésus dans la Cène de Michel-Ange. Il occupe la place de la journaliste présentatrice. C'est lui qui sera chargé de livrer le message de la junte, alors que principal acteur de cette révolte militaire est le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Celui qui esgt désormais présenté comme le président du pays siège vraisemblablement à la droite du porte-parole. Un commandant assuré, qui semble connaître les médias et gère assez parfaitement son axe Y-Y, qui lui fait regarder la caméra droit dans les yeux.

Le nom de ce dernier est mentionné dans un bandeau apparaissant à plusieurs reprises au bas de l'écran. Ce bandeau est identique à celui qu'utilise le journal télévisé pour identifier les personnages passant à l'antenne lors des reportages. Son usage dans ce cadre inhabituel laisse une fois de plus supposer que la communication des militaires s'inscrit dans le registre des émissions d'information.
 
 TOUTE UNE RÉALISATION
 
La séquence à laquelle on a assisté lundi 24 janvier est le fruit d'une réalisation précise. Sa mise en image en est aussi la preuve. Le message de la junte n'est pas capté par une seule caméra, opérant en plan fixe, mais par deux. L'une cadre en plan large sur l'ensemble du groupe des militaires, l'autre est focalisée sur le commandant porte-parole. En régie, une équipe de réalisation alterne plans larges et serrées, et place les trois inserts du bandeau qui apparaît lors des plans américains sur l'orateur.

Ces éléments ne manquent pas d'intérêt. Car ils diffèrent de la plupart des prises de parole à la télévision de militaires putschistes au moment de leurs opérations. Le cas du Burkina est tristement célèbre à ce propos, car ce n'est pas son premier putsch. Mais la séquence télévisée qui eut lieu lors du putsch de 2015 n'est pas tout à fait comparable à celle de 2022.
Certes, l'intervenant se trouvait-il sans doute aussi à l'époque dans le studio du Jt, et bénéficiait-il d'un fond d'image non neutre. Mais l'action paraissait alors moins posée qu'en 2022. Le personnage, seul à l'image, semblait revenir d'opérations. Il paraissait plutôt terrorisé par la caméra, ce qui n'est pas le cas cette fois-ci. Il n'y a pas eu alors de travail de mise en image du personnage. Il a 'simplement' utilisé le média comme mode de transmission d'une communication. En 2020, par contre, il y a une vraie volonté de présenter un produit répondant aux conventions de l'audiovisuel, non seulement aux Burkinabés mais aussi au monde entier.
 
RAW

Un bref regard à d'autres interventions télévisuelles de militaires putschistes confirme que, dans la plupart des cas, les intervenants se contentent d'utiliser le vecteur 'télévision' sans se soucier de la présentation et de la mise en image de leur apparition. Ils s'emparent du média et livrent une communication raw (brute).

Guinée, 2021
                                                 Mali, 2012                                        Zimbabwe, 2017
 
Les militaires investissent toujours le même studio, celui du Jt, par ce qu'il est sans doute le seul studio de la chaîne de télévision. Mais aussi parce que ce lieu est un symbole du pouvoir (l'information n'est-elle pas le nerf de la guerre?). Une fois dans ce lieu, les putschistes font "avec ce qui a". Dans les chaînes ayant une image de fond de studio fixe, ils s'installent devant elle. Quand il y a un green key au fond du studio, celui-ci est toujours à l'image lors de leur prise d'antenne. Aucune composition n'est envisagée, et les intervenants n'ont pas de maîtrise du langage médiatique.

Souvent, les putschistes préfèrent d'autres cadres qu'un studio de tv pour la communication de leur prise de pouvoir. Le lieu retenu leur permet de confirmer leur force, ou le poids de leur emprise sur la société. Certains militaires choisissent aussi des postures classiques, en orateur derrière un pupitre, comme au temps d'avant les médias électroniques… 
 
Ils sont ainsi bien loin de cette fausse "édition spéciale" qu'a, fournie (malgré elle?) la télévision du Burkina Faso.

Frédéric ANTOINE.


(1) Les sujets évoqués ici sont supposés avoir fait l'objet d'éditions spéciales du Jt burkinabé. Nos archives ne nous ont pas permis d'en certifier l'existence.

(2) Ou d'autres programmes tournés dans le même studio.




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