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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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04 juillet 2020

Session de juin: le covid a sauvé des 'vies'

Un peu moins de 10.000 décès en Belgique, plus de 130.000 aux USA et 60.000 au Brésil, plus d'un demi-million dans le monde. Les drames causés par le covid 19 ne cessent d'augmenter.
Il arrive cependant aussi que, grâce au coronavirus, des 'vies' aient été en quelque sorte sauvées. Comparaison n'est pas raison, et la peine des uns ne peut évidemment être comparée à la joie des autres. Mais ce qui s'est passé pendant la session d'examens de juin 2020 n'aurait sans doute jamais eu lieu sans la pandémie.

Tout le monde s'accorde pour le dire: en moyenne, les résultats scolaires de juin 2020 sont meilleurs que ceux des années précédentes. Il y a eu moins d'échecs, et plus de réussites. Dans une proportion relative toutefois: non pas tout le monde, mais davantage de monde, a réussi à sauter l'obstacle. Pour l'école de la réussite, c'est assurément une bonne nouvelle. Surtout que, dans certains cénacles, on avait cru que, devant le désarroi auquel ils avaient été confrontés, beaucoup d'apprenants auraient rencontré des difficultés à réussir leur session. Certains avaient aussi redouté que les modes d'évaluation imposés par la crise n'aient pas été favorables aux éudiant·e·s.
On ne peut pas tout à fait dire que ces appréhensions aient été confirmées par les faits…

MIEUX PRÉPARÉS


A l'échelon de l'enseignement supérieur, les plus optimistes expliquent cette augmentation des taux de réussite par les incontestables progrès réalisés pendant le covid par les éudiant·e·s. Ayant eu davantage de temps pour étudier, ils auraient pu mieux approfondir leur connaissance des matières et ainsi être  fin prêts au moment de l'épreuve. Le fait que certains cours aient vu leur mode d'évaluation modifié, par exemple remplacé par un travail personnel, leur aurait aussi permis de s'approprier le contenu de cours de meilleure manière et de démontrer, voire de révéler, aux professeur·e·s, leurs capacités analytiques, réflexives et interprétatives personnelles. Dans la foulée, des voix se sont fait entendre pour que les institutions scolaires s'interrogent à l'avenir sur leurs critères et modèles d'évaluation, et remettent en cause, renoncent ou minimisent, la part qui y est réservée à la restitution des acquis de connaissances, ceux-ci ayant parfois, en temps normal, une fâcheuse propension à pénétrer par une oreille des apprenants à la veille d'un examen pour en ressortir aussitôt par l'autre, celui-ci terminé…
De grands chantiers prometteurs s'annoncent donc!

Assurément, une partie des 'vies sauvées' lors des examens de juin est liée à la ténacité des éudiant·e·s, voire à leur opiniâtreté, à tenir tête aux circonstances et à se surpasser pour réussir, malgré tout, une année pas comme les autres. Mais on ne peut pas se voiler la face et n'expliquer cette bonne nouvelle que  de cette manière positive. Pour les examens écrits (ne parlons pas des oraux, qui constituent un autre cs intéressant), la hausse des réussites n'est pas seulement due aux opportunités d'étude fournies par la crise du covid. Les conditions dans lesquelles les examens 'traditionnels' écrits se sont réalisés n'ont pas, elles non plus, été étrangères aux taux de réussite rencontrés.

SANS SURVEILLANCE

Réalisés en distanciel et non en auditoire, les examens écrits se déroulant sous forme traditionnelle ont placé les éudiant·e·s dans des configurations exceptionnelles. En auditoire, la première chose qui est demandée aux candidats est de déposer toutes leurs affaires loin d'eux, hormis de quoi écrire et éventuellement de se désaltérer. Des dispositifs de distanciation entre éudiant·e·s sont organisés, faisant en sorte de les dissuader de porter un regard involontaire sur la copie de leur voisin·e. Le silence est de rigueur. Les assistants passent entre les rangées pour s'assurer que l'un ou l'autre petit papier, ou un téléphone, tombé à terre, n'a pas été malencontreusement ramassé. Les seuls ouvrages autorisés sont souvent des dictionnaires de langue, un code (sans annotation), ou une calculette (sans mémoire permettant de stocker des informations). Aucun participant n'est autorisé à remettre sa copie avant un certain nombre de minutes, et les retardataires ne sont acceptés à entrer que pendant un laps de temps limité, afin que les énoncés des questions ne circulent pas inopinément en dehors des auditoires dès le début de l'examen. Enfin, lors de la remise de sa copie, l'étudiant·e est invité·e à présenter sa carte d'identification académique, afin que son identité soit vérifiée.

Bien difficile, évidemment, d'appliquer tout cela lors d'examens à distance, réalisés chacun chez soi. Et ce d'autant que, à juste titre, étudiant·e·s et associations représentatives ont crié au viol de la vie privée face aux tentatives de certaines institutions d'imposer à domicile, domaine du privé par excellence, des mesures qui s'inspiraient un tant soit peu de ce qui se déroulait en public en auditoire (en recourant en l'occurrence cette fois au contrôle par caméra, à la prise de photographies, à l'enregistrement visuel de la carte d'étudiant, etc…).

INSPIRATIONS

Sans dévoiler la couronne, il semble que l'on peut au moins dire que, dans plusieurs jurys d'examen, on a évoqué cette année l'un ou l'autre cas ponctuel de "tricherie" à l'écrit. Ceux-ci ont été un peu plus nombreux que d'habitude. Mais pas dans des proportions impressionnantes. Difficile, en effet, d'identifier avec précision ce qui se passe à distance à partir du moment où le correcteur ne se trouve pas devant une reproduction flagrante d'un même contenu sur plusieurs copies. Et ce d'autant que rien ne peut prouver la source de cette similitude, hormis si celle-ci est une pure reproduction d'un énoncé trouvé sur internet (ce qui, semble-t-il, a parfois été le cas). La question devient, de plus, totalement incontrôlable lorsque l'on a affaire à des examens de type QCM où même l'éventuel choix majoritaire d'une réponse erronée n'a pas de signification en soi (on n'est tout de même pas au Grand concours des animateurs de TF1…).

Bon nombre d'enseignants ayant pratiqué des examens écrits à questions ouvertes seront d'accord pour estimer qu'un 'certain esprit' a soufflé sur le déroulement de plusieurs épreuves en ligne. S'est-il propagé par télépathie, téléphonie, visiophonie, ou via d'autres modes de médiation? Impossible de le savoir. Tout au plus certain·e·s ont-ils pu relever dans les copies virtuelles des concordances de réponses, des formulations un peu trop identiques,  qui ne se retrouvent pas d'ordinaire avec la même fréquence lors d'examens en présentiel. Parfois, l'inspiration tombée du ciel a été plus flagrante. Par exemple quand, à un examen où chaque question comprenait plusieurs variantes que le logiciel distribuait aléatoirement entre les questionnaires, un étudiant en est venu à fournir une réponse qui ne correspondait pas à la question qui lui avait été spécifiquement posée, mais à une autre de ses variantes. Ou lorsque, au sein d'une réponse, un participant avait inclus une donnée quantitative (du type production totale de cacahuètes en Ouzbekistan en 2014) de ma manière tellement précise que, sauf par miracle, seul un éléphant drillé côté mémoire eût été susceptible de la retenir de manière aussi détaillée…
Mais, en temps de covid, n'est-il pas parfois bon de croire au miracle?

Ces étonnements passés, on en viendrait presque à plaindre les quelques malheureux qui n'ont pas exploité les inspirations qui les ont touchées avec la finesse requise pour passer entre les mailles des filets des éventuel·le·s inquisiteurs et inquisitrices. Comme l'a écrit Victor Hugo, Ô combien de marins, combien de capitaines. Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune !

SUR L'HONNEUR

"Pourquoi ne part-on pas du principe qu'il faut faire confiance aux étudiants?", a-t-on aussi entendu dire de divers bords avant et pendant la session. Certaines universités et écoles supérieures, qui étaient parties sur ce principe, en sont quelque peu revenues. Pour un peu cadrer la chose, des enseignants avaient parfois aussi fait signer aux étudiant·e·s une "déclaration sur l'honneur" où le/la candidat·e s'engageait à ne pas consulter ou avoir recours à des sources extérieures pendant la durée de l'examen en ligne. De manière quasi unanime, les participant·e·s à ce type d'épreuve s'y sont engagé·e·s. Mais sans doute le sens des mots 'sur l'honneur' n'est-il pas universellement compris. Et comme il était interdit de chercher le sens de celui-ci sur internet pendant l'examen, peut-être a-t-il simplement échappé à certains participants.

Ces derniers jours, des médias se sont aussi fait écho de situations plus inimaginables encore. Dès que les modes d'évaluation à distance avaient été connus, des bourses en ligne auraient été ouvertes afin de recruter des 'remplaçants' prêts à prendre, contre menue rémunération, la place de certain·e·s étudiant·e·s ne se sentant pas assez préparés pour réussir l'épreuve. Des étudiants d'années supérieures, voire d'anciens étudiants, auraient été sollicités et, de facto, des examens auraient été passés par procuration. Derrière l'invisibilité de la toile, impossible de le vérifier, ni dans un sens ni dans l'autre. Mais si pareils appels ont bien circulé en ligne, ne serait-il pas du devoir des universités et des écoles concernées de porter plainte contre x, et de réclamer enquête aux autorités compétentes, comme la Federal Computer Crime Unit?

Pire, il se dit même que des parents auraient eux-mêmes été solliciter d'anciens professeurs de secondaire de leurs enfants pour leur demander de remplir ce rôle de remplaçant temporaire. Certains ont-ils cédé à ces stridentes sirènes? Sur ce dossier, l'omerta ne planerait-elle que sur Palerme?

REBELOTE

Afin d'avoir le cœur net, le véritable test aura-t-il lieu lors de la session d'août-septembre?
Certaines institutions ont choisi à ce moment de revenir autant que possible au présentiel, qui devrait aplanir les éventuelles équivoques de la session de juin. Mais est-il juste de ne pas donner aux étudiants présentant en août les mêmes conditions (pour ne pas dire les mêmes 'chances') que lors de la première session? Déjà, les étudiants de première année d'enseignement supérieur, qui pouvaient repasser en juin des examens ratés en janvier, s'étaient plaints de ne pas disposer alors des mêmes conditions que lors de leur premier passage, certains enseignants ayant modifié leurs modalités d'examen ou leur type de questions, afin d'y rendre en juin les 'réponses collectives' un petit peu moins aisées…

L'adaptation des questions aux nouvelles configurations semble, dans certains cas, avoir été le mode de réponse le plus adéquat au changement de conditions de l'épreuve que constitue un examen. Même si cela n'a pas toujours plu aux personnes concernées, le 'bouche à oreille' virtuel tant pratiqué à l'heure actuelle ayant davantage l'habitude de recommander la manière d'étudier une matière sur base de la manière dont celle-ci avait précédemment été évaluée que d'anticiper ce vers quoi une nouvelle évaluation pourrait s'orienter…

Quoi qu'il en soit, les comparaisons de taux réussite entre juin et septembre seront difficiles à établir. Restera ensuite à déterminer qui sera le grand gagnant de cette année coronavirus. Les résultats seront peut-être étonnants.

"Dans quelques années, lorsque je consulterai un kiné, je commencerai par lui demander la date de la fin de ses études", disait en boutade il y a peu quelqu'un prenant part à une conversation. Devra-t-on l'avenir poser la même question à son ingénieur·e des ponts et chaussées, son/sa chirurgien·ne, son infirmier·e, son avocat·e ou son/sa communicat·eur·rice préféré·e? "Pour toutes les matières qui ne sont pas au cœur de la formation, tout cela n'est pas très grave", entend-on parfois dire en réponse. Oui, mais pour les autres?

Frédéric ANTOINE.




18 mai 2020

Covid et enseignement à distance : les (bonnes) surprises d’une petite révolution

« L’enseignement à distance, c’est super. Je peux suivre mes cours dans mon lit, en pyjama. Ou les regarder quand j’en ai envie. » Cette bribe de conversation, échangée il y a plusieurs mois entre étudiants attablés dans un café, n’évoquait alors qu’un vécu assez rare. Celui de (plutôt rares) cours dont les enseignants préféraient, pour diverses raisons, enregistrer leurs cours plutôt que les donner ‘en live’, ou qui souhaitaient ne pas limiter leur enseignement à une prestation ‘en direct’ en auditoire.

Le covid a banalisé cette pratique depuis que, le 13 mars, les autorités des universités décidaient de faire basculer les cours du ‘présentiel’ vers des formules d’enseignement à distance. En invitant plus que fortement leurs titulaires à les assurer en temps réel, en les donnant au moment à ceux-ci étaient prévus dans l’horaire des étudiants, afin que leurs rythmes de vie ne soient pas perturbés. Une chaude recommandation qui, selon quelques échos provenant d’étudiants, n’aurait pas toujours été suivie à 100%…

Il est par contre acquis que, sous diverses modalités, la pratique de l’enseignement à distance s’est, d’un coup, généralisée, en transformant subitement en profondeur la configuration pédagogique connue dans les universités et les institutions d’enseignement supérieur depuis leur création, pour certaines il y a plusieurs centaines d’années. Et ce pour le meilleur, mais peut-être pas que.

Seules de longues enquêtes approfondies qu’on ne manquera pas de mener dans les prochains mois à titre scientifique ou pédagogique permettront de dresser le bilan de cette petite révolution. La période de cours de l’année académique 2019-2020 étant arrivée à son terme, les quelques lignes ci-dessous n’auront comme seule ambition que de consigner l’une ou l’autre remarque issue d’une expérience personnelle, que rien ne permet bien sûr de généraliser, tant peuvent diverger d’un cas à l’autre les matières enseignées, les pratiques enseignantes (surtout pour les plus âgés•e•s…) et les cohortes étudiantes elles-mêmes.

ENFIN !

Il aura fallu que survienne le confinement pour que les universités libèrent leurs étudiant•e•s d’un fardeau dont le joug semblait ne jamais devoir disparaître : celui de l’assistance aux cours en un endroit déterminé et à un moment précis. Une pratique obsolète pour des générations chez qui l’essentiel de la consommation de contenus est délinéarisée, et relève largement d’une appropriation en mode self-service. Le covid a contribué à supprimer la contrainte de matérialité de l’enseignement universitaire. Reste toutefois que la recommandation de conserver les cours à leurs jours et heures habituels entretenait le maintien d’une obligation pour celles et ceux qui voulaient y assister (tout comme pour les enseignant•e•s qui devaient le prodiguer) : celle d’être au rendez-vous à l’heure dite.

Mais c’était sans compter sur les services proposés par la (ou les) plateforme(s) pour gérer ces enseignements à distance. Comme d’autres, Teams comprend en effet la possibilité d’enregistrer les ‘réunions’ qui y sont tenues et de les archiver ad vitam (chose que, pris dans la précipitation de devoir bifurquer vers l’enseignement à distance, certains membres du corps enseignant n’ont peut-être découvert qu’assez tardivement…).

L’enseignant qui pilote la réunion peut lui-même actionner l’enregistrement. Mais ce choix peut aussi être commandé par les autres utilisateurs de la réunion. Cette fonctionnalité supprime donc de facto l’obligation de suivre l’enseignement en temps réel. Dotant d’obsolescence la linéarité d’usage d’une séance de cours, elle rend les modalités d’apprentissage conformes aux modes contemporains d’appropriation de contenus par les étudiant•e•s.

Cette opportunité a, semble-t-il, été assez fréquemment saisie, notamment par des personnes qui, même confinées, n’étaient pas disponibles au moment d’un cours. Elle a aussi permis à celles et ceux qui voulaient réviser leurs notes de suivre plusieurs fois les mêmes enseignements. Ce qui est sans doute davantage envisageable lorsque l’on est contraint à ne pas bouger de chez soi qu’en période normale, où ces longues périodes de visionnement devraient être gérées au-delà des cours, dans des agendas souvent déjà chargés.

L’assistance

La diffusion à distance d’un cours a-t-elle eu un effet sur le volume du public que celui-ci recueillait lorsqu’il était donné en auditoire ? L’expérience personnelle semble ne pas le confirmer : de manière générale, l’assistance est restée la même. Lorsque la part de l’auditoire par rapport aux inscrits était élevée, celle-ci a continué à l’être après le passage en ligne. Et vice-versa pour les cours moins suivis.
Sur les petites cohortes, comme celles de séminaires, l’effet a été quasiment inexistant.
Le handicap que peut avoir la présence physique par rapport à la disponibilité sans déplacement ne paraît s’être fortement manifesté. Le fait que le basculement soit survenu en milieu de quadrimestre, et non au début de celui-ci, peut en partie expliquer ce phénomène.
Un élément permettant d’éclairer la question serait de savoir si la possibilité de visionner un cours en dehors du moment où il a été professé en a accru l’audience totale. Faute de données, la question reste, à ce stade, ouverte.

En dialogue ?

La pertinence de maintenir en période post-covid des enseignements en présentiel ne doit-elle pas être posée ? Quelle plus-value apporte l’enseignement d’un cours devant un grand auditoire par rapport à la dispense à distance du même contenu ? En ligne, les PowerPoint peuvent être mieux vus, la voix de l’enseignant•e peut être plus claire, et, normalement, la parole du professeur n’a aucune chance d’être couverte par le brouhaha de conversations entre étudiant•e•s. Pour un cours ex cathedra, l’avantage est donc ténu, sinon qu’il exige de la part du professeur•e un type d’exercice de communication pas en tous points comparable à ce qui se passe dans un cours en salle.

Mais l’enseignement n’est-il qu’un discours à sens unique ? Dans ses principes, même un cours donné sous forme de monologue peut comprendre une partie dialoguée, soit suite à des invites à poser des questions exprimées par l’enseignant•e, soit suite à une demande de prise de parole manifestée par un•e étudiant•e via le lever d’une main. Des modes plus marqués d’interaction en salle sont par ailleurs davantage suscités lors d’autres pratiques pédagogiques comme les cours inversés, les séances de séminaires ou les travaux pratiques.

Pour autant qu’il soit suivi en direct, l’enseignement à distance n’exclut pas ces moments d’échanges et de prises de parole (cf. ci-après). Si le cours est visionné à la carte, en dehors du temps de son déroulement, cette éventualité disparaît par contre complètement. L’étudiant•e ‘suit’ alors l’enseignement. Il/elle peut seulement y assister, comme à un spectacle. Si interaction il y a, celle-ci ne pourra être, elle aussi, que différée.

Prises de parole

Les plateformes sur lesquelles les cours ont été donnés offrent, en temps réel, d’évidentes possibilités d’interaction. À condition que la machine de chaque participant•e soit équipée de micro et de caméra, tout le monde est, potentiellement, capable d’intervenir lors de la ‘conférence’, et non seulement le ou la professeur•e.

Afin de garantir des conditions correctes de suivi, la plateforme offre aux animateurs de réunion la possibilité de couper tous les micros de l’assistance. Cette mesure peut être considérée comme une volonté d’y censurer l’expression. Il y a donc peu de chance qu’elle soit mise en œuvre. L’absence de brouhaha évoquée ci-dessus peut donc s’avérer relative.

Cette possibilité de prise de parole n’est pas anonyme. Le nom de chaque intervenant s’affiche sur l’écran. Mais, lorsque l’on supprime son image, l’expression tout de même s’opère dans un anonymat relatif. Et, en tout cas, loin du type de rapport de force qui organise la communication de groupe au sein d’un auditoire physique. Chacun•e étant seul•e chez soi, les prises de parole deviennent autonomes, et se libèrent. En l’absence d’image et du regard des autres, on ‘ose’ s’exprimer, alors que l’on aurait hésité à le faire ‘en public’. Cette pénombre communicationnelle fait par exemple jaillir des questions orales, surgissant au cours de l’exposé magistral. Elle dynamise le cours, et peut parvenir à générer des échanges qui n’auraient pu voir le jour devant un grand groupe, où s’exprimer peut provoquer la réprobation des tiers. Mais la pénombre peut aussi inviter à d’autres types de prises de parole, en libérant tant les contenus qu’elles véhiculent que leur mode d’expression. Jusqu’à la situation où l’espace d’un cours se transforme en agora, avec les risques de débordement que peut entraîner une totale liberté d’expression…

Comme sur les réseaux sociaux

Cette libération de la parole peut non seulement se réaliser sur les plateformes par voie orale, mais aussi écrite. Les outils d’enseignement à distance comprennent en effet un volet ‘chat’ (‘conversation’ dans les versions françaises), sous forme de texte. Lors de ‘conférences’ en grand groupe, ce passage par l’écriture permet de modérer les interventions. Il laisse le pilotage à l’animateur de la réunion qui a le loisir de tenir compte ou de répondre lorsque bon lui semble aux propos ou questions tenus dans le ‘chat’.

L’usage de ce mode d’expression est identique à celui à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Une intervention d’une personne peut être suivie de réactions appréciatives de tiers sous forme d’émoticons, qui confèrent à toute prise d’expression un aspect référendaire. Ces règles du jeu peuvent avoir de quoi surprendre dans une configuration de communication comme celle d’un cours, où ni la parole de l’enseignant•e, ni celle d’éventuels autres intervenant•e•s, n’ont coutume à être ouvertement évaluées et appréciées.

Lorsque certain•e•s participant•e•s à un cours en viennent à dialoguer entre eux/elles à coup de messages via le ‘conversation’, le brouhaha parfois rencontré dans certains amphis physiques, peut aussi être remplacé par celui du ‘chat’…

La révolution amenée dans l’enseignement par la généralisation de l’enseignement en ligne n’a pas nécessairement été douce. Elle a, en tout cas, été profondément interpellante. Et, là comme ailleurs, rien ne sera sans doute demain plus jamais pareil. Et en tout cas pour celles et ceux qui, dans la ‘vieille’ génération des enseignant•e•s, croyaient jusqu’ici maîtriser les codes de ce type de communication…

Frédéric ANTOINE

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