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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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02 avril 2023

RTBF La Première : Mais où est passée la messe du dimanche ?


Ce dimanche 2 avril, la retransmission de la messe dominicale sur RTBF La Première (radio) a été remplacée par un débat depuis la Foire du Livre. Le début de la fin pour les cultes sur le service public ?

Ce dimanche, il n'y avait pas deux émissions prévues entre 10h et midi au programme de La Première : Déclic le Tournant d'Arnaud Ruyssen, puis la retransmission de la messe des Rameaux, début de la Semaine sainte dans la religion catholique.  À la place, la grille ne prévoyait qu'un programme : l'émission Déclic, sur les faillites des banques, suivie d'un débat depuis la Foire du Livre de Bruxelles, animé par le même journaliste. La messe remplacée par un débat ? Il fallait être à l'écoute en direct pour le constater. Car, sur Auvio, la case de la grille, d'une durée de deux heures, n'était occupée que par le Podcast Le Tournant, qui dure, lui, 54 minutes. Pourtant on l'assure : entre 11h et midi, ce n'était pas un prêtre qui officiait, mais bien un éminent journaliste. Et s'il y avait des fidèles dans la salle, c'étaient des amateurs de livres, et pas les ouailles d'une paroisse.

Bon sang, on avait bien dû la mettre quelque part, cette retransmission historique ! On a alors consulté le programme de Musiq3 (1) puis, par acquit de conscience, celui des autres stations du service public, et on a trouvé de messe nulle part. Étrange… La retransmission des cultes n'est-elle pas une obligation de service public, notifiée dans le contrat de gestion de la RTBF ?

CONTRAT DE CULTES

Vous le croyiez ? Nous aussi. "Alors, on a été vérifier", comme disent désormais les journalistes d'investigation . Le contrat de gestion 2019-2022 mentionne bien dans son article 39.1 a) que la RTBF doit assurer la diffusion "des cultes religieux et des manifestations laïques".  Il y a donc toutes les raisons de supposer qu'il en est de même dans le contrat de gestion 2023-2026. Eh bien, non. Sauf erreur (2), les mots "culte" ou "cultes religieux" ne figurent pas dans ce nouveau contrat. Et comme ils ne sont pas non plus mentionnés dans le décret constituant la RTBF (3), et qui sert de cadre aux contrats de gestion, peut en conclure (sauf si on a raté un épisode) que, depuis le 1er janvier 2023, le service public de Belgique francophone n'est plus obligé de diffuser la messe du dimanche, ou quelques autre culte ou cérémonie laïque que ce soit.

Cela expliquerait l'aisance avec laquelle, ce dimanche 2 avril, La Première s'est défaite d'une de ses plus vieilles obligations historiques (avant 1940, du temps de l'INR déjà, la messe était retransmise chaque dimanche depuis l'église Ste-Croix, située sur la place éponyme à deux pas de la place Flagey). Par contre, dimanche dernier 26 mars, la messe avait bien eu droit à une présence sur les ondes de La Première. Elle avait alors été captée en l'église St-Pierre de Biesmerée. Et dimanche prochain, jour de Pâques, la programmation annonce sur cette même radio la retransmission de la messe pontificale depuis la place St-Pierre de Rome.

COUP D'ESSAI ?

L'absence de messe ce dimanche-ci est-elle un "coup de canif" dans un contrat qui n'existerait plus ?  Était-ce plutôt un "coup d'essai" pour voir si l'absence de messe suscitait – ou pas – des réactions, et donc éventuellement envisager – ou pas – ensuite (4) sa suppression complète de la grille ?

Il faut être de bon compte. Quelle est encore la réelle audience de cette messe, historiquement diffusée depuis des décennies à 10h du matin et qui a été déplacée à 11h,  notamment sans doute parce qu'on était sûr que ce créneau horaire était encore moins porteur d'une audience non-volontariste que le 10-11h ? S'il reste des personnes qui suivent la messe via la RTBF, elles abondent sûrement (si l'on peut dire) davantage derrière leur téléviseur que devant leur récepteur de radio.   

COÛTS D'ESSAIS 

À l'heure où le service public de la FWB réajuste, comme d'autre MSP (médias de service public), la manière de remplir ses obligations, mettre la messe radio dominicale de côté serait plutôt une bonne affaire, tout comme arrêter toute diffusion de messe en direct à la télévision. Car ces directs coûtent cher, et ne rapportent strictement rien.

Et puis, aujourd'hui, les religions disposent de radios privées qui pourraient très bien assurer ce service (même si, à nouveau sauf erreur, un réseau comme RCF ne propose par de captation de messe en direct depuis une paroisse de Belgique francophone le dimanche matin). Mais cela coûte peut-être trop cher…

En 2020, première année de la pandémie, Hadja Lahbib, alors responsable du service "messes et cultes" de la RTBF avait déclaré : "Le choix était simple : il fallait soit enregistrer cette messe en studio, soit l’annuler. Nous avons décidé de la maintenir en live parce qu’il y avait une grosse demande, mais également parce que cela faisait partie du contrat de gestion de la chaîne. Nous devons assurer la messe pour les fidèles et ce, indépendamment des conditions extérieures" (5). 

Trois ans plus tard, la personne qui a succédé à l'actuelle ministre des Affaires étrangères pourrait-elle encore tenir les mêmes propos ? 

Frédéric ANTOINE.

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Addendum 4/4/2023 : Depuis hier lundi, on peut trouver sur Auvio le débat diffusé entre 11h et midi dimanche, intitulé "Climat : comme ne pas désespérer". Le fichier de 57'18 ne comprend toutefois pas la continuité du direct précédant le débat, c'est-à-dire les écrans pub et le flash info de 11h. Le fichier de l'émission de 10 à 11h, Déclic, s'arrête lui aussi avant les pubs et le flash info.

 
(1) Why not ? En France, la messe est bien diffusée sur France Culture. 
(2) Le site de la RTBF ne propose qu'une version bêta du texte, mais celui qui figure sur le site du Moniteur belge du 24/12/2022 semble bien, lui, être officiel.
(3) Version "coordination officieuse" réalisée par le CSA le 13/03/2015.
(4) C'est en l'absence de tollé de la part de leurs auditeurs que les radios françaises qui émettaient en ondes longues ont décidé de couper leurs émetteurs OL, puisque "plus personne ne les écoutait" de cette manière.
(5) https://www.rtbf.be/article/celebrer-la-messe-dans-un-decor-virtuel-encore-un-rendez-vous-reinvente-par-la-rtbf-10488772



27 septembre 2022

sur La Première (RTBF), on n'est pas trop "feel"


Depuis un mois, La Première (RTBF radio) est en mode grille d'hiver.  Avec passage à la trappe de ce qui faisait tache et quelques époussetages qui renforcent le profil habituel de son offre de contenus. Étude d'un cas, peut-être parmi d'autres…

« Rendez-nous Diane Marois ! » Impossible de savoir combien d'auditeurs de La Première auront poussé ce cri depuis début septembre. Mais il y en aura sûrement eu. Même si des réactions d'auditeurs entendues çà et là, et peut-être des sondages, laissaient plutôt percevoir que Le feel de Diane, diffusé du lundi au vendredi de 14h30 à 16h00, ne correspondait pas aux attentes du cœur de cible classique de la très "radio de service public de référence" du boulevard Reyers. 

Et pourtant. Quelle originalité de remplir ce creux de l'après-midi radiophonique en créant sur les ondes une atmosphère, une tonalité inattendue. L'émission générait un climat dans lequel l'auditeur pouvait se plonger à sa guise, comme on s'enfonce mollement dans le canapé à l'heure de la sieste. Il était audacieux de délaisser à cette heure les sempiternelles obligations de diffusion de chanson française ou autres rengaines pour proposer pendant 90 minutes une couleur musicale inhabituelle et des artistes que la programmation permettait de découvrir a fil des plages. On était dans le clubbing, le laisser-aller au bord de la piscine.

ATMOSPHÈRE, ATMOSPHÈRE…

Bien sûr, il y avait la voix de Diane. Qui collait si bien à l'ambiance suscitée par la musique. Mais qui a dû déranger bien d'un "cher auditeur". Certains la voyaient mieux animer une fin de soirée, voire une émission de nuit. Jusqu'à la comparer à la voix de feu Macha Béranger. Sauf que cette dernière animait un talk-phone-show nocturne, et non une émission d'atmosphère. Certes Diane parlait à l'oreille de l'auditeur comme si elle partageait avec lui le sofa, voire un oreiller . Mais où est le mal ? 

N'était-ce pas là aussi une des originalités de cette émission que de casser les codes de la banalité programmatique du moment où, en journée, La Première attire le moins d'audience ? Parfois, et c'est dommage pour le côté "ambiance", Diane en faisait trop, invitait des artistes, des groupes, et le blabla cultureux envahissait les ondes au lieu de laisser l'auditeur plongé dans son bain de musique. Obligation contractuelle pour satisfaire les mânes francophiles des pouvoirs publics, ou réelle volonté de l'animatrice de démontrer qu'elle n'était pas qu'une machine à murmures de désannonces ? À chacun de voir. 

 

AU  CACHOT DIGITAL

Le feel de Diane a  passé l'arme à gauche. Définitivement ? « Non, non, non ! », répond-on officiellement. Elle est toujours là… Sur Jam, le dimanche de 10h à midi. De quoi inciter la foule de récalcitrants du DAB+ de se précipiter chez le marchand de récepteurs de radio numérique ? Ceux qui aiment faire la grasse matinée et/ou bruncher au lit plutôt que d'aller à la messe dominicale, peut-être. Mais les autres. ? Le feel… a reçu un enterrement de Première… classe. Pas sûr que relayer sur des radios digitales confidentielles ce qu'on avait pris le pari de mettre sur "la" chaîne de référence du service public soit le meilleur moyen de procurer une image positive à ces nouvelles stations.

LA DICTATURE DES FORMATS

Il est intéressant de voir par quoi Le feel… a été remplacé, tenant bien compte du fait que, dans ce créneau horaire, les auditeurs se comptent sur les doigts de peu de mains. Deux émissions ont repris l'horaire : un mini-programme d'une demi-heure intitulé Multitube, et un format classique d'une heure du nom de L'heure H

La Première renoue ainsi avec le mode de programmation classique des hautes radios de contenus de service public : développer au maximum les formats d'une heure. Avec, en l'occurrence, la difficulté provenant du temps d'antenne atypique de Un jour dans l'Histoire, qui ne dure pas, comme l'affirme la grille officielle (1) de 13h à 14h30, mais de ± 13h20 à 14h30. Sur La Première, les infos de 13h00 semblent rendre impossible un format sous-horaire dans cette case de la grille (13h20-14h). La Première a donc opté depuis longtemps pour un programme en extended-hour (± 1h10). Alors, si la norme est bien l'émission d'une heure (2), que faire à 14h30? Précédemment, la solution était trouvée via un programme musical de 90 minutes (3). On revient ici à la norme classique. Après un  module de 30 minutes (4), une émission occupe la case 15-16h.

1/2 HEURE POUR QUOI FAIRE ?

La première production, qui semble un peu là pour "boucher un trou" avant le retour à la norme programmatique horaire, est essentiellement musicale. On y  retrouve, dans un intéressant mix, des genres classiquement tolérés (voire adulés) sur La Première. On aurait presque l'envie de dire que ce programme court a des airs de famille avec le Pasticcio que Nicolas Blanmont présentait chaque dimanche de 10 à 11h sur la même chaîne, et qui a disparu de la grille (5). Peut-être ne sont-ce d'ailleurs pas que les airs qui sont de famille… L'association entre les éclectiques extraits musicaux y est accrochante, mais leur pertinence est peut paraître insuffisamment confirmée par le caractère apparemment fort juvénile de voix la présentatrice, présentée sur internet comme une  « actrice, musicologue et YouTubeuse belge » (6).

Si ce léger premier élément de remplacement du Feel… s'inscrit dans la logique d'occupation du temps d'antenne de La Première en début d'après-midi, on peut se poser plus de questions à propos de la production horaire qui le suit. En effet, le 15-16h accueille une émission totalement parlée, à contenus forts, qui requiert de son audience une attention soutenue tout au long de la durée de la diffusion.

DU RÉCIT À LA TONNE

L'Heure H (7) est une émission relevant du genre de la narration radiophonique, telle que l'on en trouve dans l'univers francophone sur plusieurs radios généralistes, assez couramment dans le même créneau horaire et avec le même format (Hondelatte raconte [Europe 1, 14h], Affaires sensibles [France Inter, 15h], L'heure du crime [RTL France, 14h30]…). L'acteur essentiel (et ici unique) du programme est le narrateur, qui n'en est pas à son coup d'essai. Connu comme un des piliers de l'animation de programmes de variétés de la RTBF télévision, il a récemment choisi de s'investir dans la narration d'événements historiques, et a déjà ponctuellement occupé l'antenne radio, sur des périodes courtes, avec des émissions de récits, notamment lors des programmations spéciales des fêtes de fin d'année, ou pendant les mois d'été (8). Il avait alors déclaré qu'il entendait devenir « le Pierre Bellemare de la RTBF » (9). 

L'expérience avait été limitée dans le temps, et les récits présentés n'étaient pas écrits à partir d'un hook particulier. Ici, le narrateur occupe une heure d'antenne cinq jours par semaine, en bâtissant toutes ses histoires à partir du même point d'accroche : l'heure fatidique du moment le plus important de son histoire. Bon nombre de ces épisodes sont, comme dans les programmes de même type sur d'autres radios, centrés sur des faits divers ou des affaires judiciaires. La durée de chaque récit est d'environ quarante minutes. Depuis le début des diffusions, rares sont les moments où est mentionné le nom d'un "auteur" ou d'un "collaborateur" qui aurait contribué d'une manière ou d'une autre à l'écriture de l'histoire. À quelques reprises, un auteur (ou co-auteur) est mentionné : un certain Valjean. Dans la plupart des cas, l'auteur est supposé comprendre que le récit a été documenté, construit, mis en ondes par le narrateur. 

 EXPLOIT (MAL) EXPLOITÉ ?

Est-ce bien ainsi que cela se déroule ? Ce serait un véritable exploit (d'autant que les thématiques des cinq épisodes de la semaine sont disponibles en ligne chaque lundi). Peut-être l'émission est-elle en fait produite par LDV Production, l'entreprise dont le narrateur est co-fondateur (10). Mais, dans ce qui est audible, rien ne l'indique.

On peut se demander pourquoi programmer pareil programme "phare" dans le désert d'audience de milieu d'après-midi. Sur d'autres stations, ce genre d'émissions est souvent proposé plus tôt après le temps de midi. Et en tout cas pas après une émission musicale. La séquence programmatique de l'après-midi de La Première semble peu cohérente : une émission historique à contenu fort, bâtie en deux temps ; un programme court à contenu musical ; une émission narrative à contenu historique fort. S'agit-il d'attirer sur l'antenne trois publics différents, un pour chaque émission ? Ou table-t-on sur le fait que l'amateur de contenus historiques, déjà nourri en début d'après-midi, tolérera l'écoute du programme musical pour retrouver ensuite un contenu plutôt historique présenté sous forme de récit ?

Les précédentes apparitions radiophoniques du même narrateur d'histoires avaient été programmées dans la tranche du temps de midi, sauf erreur entre 12 et 13 heures ou entre 13h15 et 14h. C'est-à-dire à la place du programme historique de début d'après-midi, ce qui paraît plus cohérent. Pourquoi ce programme aboutit-il alors dans la toundra du 15-16h ? Sinon peut-être parce que, comme sur d'autres radios, l'essentiel est moins la diffusion en linéaire que la création d'une série de podcasts mis en ligne, destinés à raffler une beaucoup plus large audience. On sait que, en France, ce type de podcasts occupe souvent les premières places des palmarès d'écoute en ligne.

La nouvelle occupation de cette case horaire d'après-midi manifeste la volonté de la RTBF de renforcer ses programmes à contenus. Mais n'aurait-il pas mieux valu placer cet exploit radiophonique dans une autre case, quitte à bousculer quelques dinosaures ?  

À moins que la RTBF elle-même n'y croie pas trop ? Dans ce cas, ne pourrait-on peut-être pas retrouver à cet endroit le Feel d'une certaine Diane ?

Frédéric ANTOINE

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(1) https://www.rtbf.be/lapremiere/grille-programme
(2) Dans la grille quotidienne de La Première, on trouve actuellement 9 formats d'une heure sur 15 émissions/jour, tenant compte du fait que les "formats info" du matin et du soir sont évidemment plus longs. 
(3) Hors émissions d'info, on ne retrouve plus ce format long qu'à partir de 10h en matinée (cette longueur, d'ailleurs, ne se justifie pas). Dans le passé, l'émission humoristique de fin d'après-midi avait ce même format, récemment ramené à 60 minutes.
(4) Format qui se développe un peu :  $on ne retrouve désormais un autre après Déclic, Eddy Caeckelberghs voyant son "antique" émission de décryptage d'info rabotée de 30 minutes et diffusée à 18h30. 
(5) Et avec moins d'accent mis sur la musique classique. « Sentiment, figure, lieu, personnage , objet, animal…, Nicolas Blanmont évoque un mot ou un thème à travers huit siècles d’histoire de la musique. Classique bien sûr, mais parfois aussi plus contemporaine comme la chanson, le rock ou la musique de film. »
(6) https://www.ivoox.com/episode-1-conversation-avec-valentine-jongen-audios-mp3_rf_92241964_1.html
(7) À noter qu'une émission au titre identique, également à contenu historique, était diffusée le lundi à 22h sur Musiq3 aux alentours de 2016…
(8) Certaines de ces émissions radio ont ensuite connu des versions télévisées. 
(9) https://lameuse.sudinfo.be/408880/article/2019-07-05/jean-louis-lahaye-veut-devenir-le-pierre-bellemare-de-la-rtbf 
(10) Cette entreprise est composée de 30 collaborateurs,  dont des "concepteurs, story boarder, copywriter" (https://www.cinergie.be/organisation/ldv-production)

 


18 janvier 2022

Europe 1: autopsie d'un début d'agonie

Les auditeurs continuent à fuir la radio 'périphérique' française Europe 1. Sa reprise par Bolloré n'a rien amélioré. Que du contraire. À l'heure de la complémentarité des médias, la station est-elle vouée à disparaître, en se transformant en version audio de CNews ? La radio en ersatz de la télé, ça peut-il faire une bonne recette ?

Il est loin le temps où Europe 1 (ex-Europe n°1) caracolait en tête des audiences aux côtés de RTL et de France Inter Paris. Dans le dernier relevé de Médiamétrie (qui se base sur du déclaratif d'écoute "veille"), la radio dont l'émetteur historique se trouvait en Sarre se retrouve loin derrière les autres grands réseaux "généralistes", publics ou privés.

Il y a une vingtaine d'années, il en était tout autrement. Les parts d'audience d'Europe 1 et de France Inter, derrière RTL, étaient à peu près équivalentes. De nombreux commentaires ont dès lors considéré que la dégringolade prodigieuse d'Europe 1 était continue depuis dix ans. En fait, il n'en est rien.
Selon les données de Médiamétrie (période de comparaison novembre-décembre), Europe 1 a perdu ses premières parts d'audience (PDA) au tournant des années 2000. Mais, ensuite, la station (en bleu clair gras sur le graphique) s'est constamment située entre 7,5 et 9% de PDA. À peu de choses près, on pourrait parler d'une courbe d'audience plane. Jusqu'à fin 2015. À partir de 2016, la courbe plonge, connaît un léger rebond en 2019 et continue ensuite sa chute. Mais, en PDA, celle-ci est peu prononcée entre 2020 et 2021.
 
COLAPSADA
 
Si l'on tient compte de l'audience cumulée, c'est-à-dire de tous les auditeurs qui ont eu un contact avec la station, la forme de la courbe diffère quelque peu. La dégringolade depuis 2016 paraît alors encore plus manifeste en % d'audience cumulée, la perte d'auditeurs en fin 2020 et fin 2021 étant très marquée. Sa traduction en chiffres absolus d'auditoire est plus parlante encore.
Entre 2015 et 2021, la station créée par Maurice Siegel a perdu 2.551.189 auditeurs, soit plus de la moitié de ceux qu'elle possédait avant cette colapsada. Et aussi depuis le début de ce siècle, environ. Au sein de cet effondrement, la reprise en main par Bolloré depuis l'été 2021 ne constitue, en définitive, qu'une péripétie de plus dans un processus à l'œuvre depuis 2016. 
 
L'automne de cette année-là est celui du grand basculement de la programmation de la station, en dehors de sa matinale et de ses programmes de soirée. C'est alors que l'on introduit les récits de Christophe Hondelatte à 10h30 du matin, alors que ce type de programme était jusque là réservé à l'après-midi. C'est alors que Anne Roumanoff débarque à midi, moment où débutait précédemment la tranche d'infos de la mi-journée, et qu'apparaît dans cette tranche une émission intitulée "La famille Europe 1". 
C'est alors que Nikos Aliagas se voit attribuer tout le créneau de l' afternoon drive (et même le pré-afternoon) avec un talk de vedettes remplaçant à la fois une émission plutôt intimiste et féministe et le talk-show qu'animait Cyril Hanouna.  

Des bouleversements tellement à l'opposé des usages des auditeurs que toute cette grille sera revue en janvier 2017 (c'est-à-dire après la période de mesure d'audience analysée ici). Mais le mal était fait. Si les adaptations apportées permettront de stabiliser les pertes, elles ne donneront pas l'occasion de remonter la pente. 
 
C'est aussi à l'automne 2020 ques formats que revêtent la programmation ont, eux aussi, changé. Lorsque, par souci d'économie, la station va multiplier en daytime les émissions de deux heures, jusque là fort peu nombreuses. Difficile de tenir 120 minutes avec un même contenu, et de garder l'audience en haleine pendant un laps de temps si long. Ce n'est pas sans raison que les formats courants des radios de rendez-vous (hors plages musicales) sont d'ordinaire plutôt d'une heure, voire au maximum de 90 minutes (1).
 
 ÊTRE DANS SES CHARENTAISES
 
Le deuxième coup de grâce de l'audience lieu lors de la saison 2019-2020, année du covid qui a eu un impact sur la consommation de la radio sur le chemin du travail (morning drive et afternoon drive). Il ne peut pas directement s'expliquer par la survenance des modifications lourdes dans les contenus de programmation. Celles-ci auront plutôt lieu à l'automne 2021, sur le ton d'un rapprochement imposé avec CNews. 
 
 Précédemment, c'étaient plutôt des paris osés sur la grille et le recours à des 'animateurs'-vedettes, ainsi des questions d'économie qui avaient piloté les changements de programme. Ainsi que le départ de certaines vedettes aspirateurs d'audience comme Laurent Ruquier, remplacé un temps par Cyril Hanouna avant que cette tranche d'avant soirée ne soit totalement modifiée plusieurs fois.

L'auditoire d'une radio est caractérisé par sa fidélité. Sur une radio de contenus (aussi appelée "de rendez-vous"), l'auditeur, en linéaire, se branche pour écouter des programmes précis. L'audience cumulée est atteinte par l'addition de publics successifs qui se rendent tour à tour sur une station afin d'y suivre leur(s) émission(s) favorite(s). Contrairement à la radio de flux, l'auditeur des radios dites 'généralistes' est fidèle à une émission, à un animateur, et non à un format ou à un type de musique. Modifier l'offre de programme ne peut que le perturber. Les glissements de programmes d'une case à l'autre de la grille le dérangent tout autant. S'il ne sent plus dans ses Charentaises, il y a toujours des risques qu'il choisisse de retrouver ailleurs les contenus que la radio qu'il écoutait ne propose plus.
 
VASES COMMUNICANTS ? 
 
Nous ne disposons pas de toutes les données précises de Médiamétrie. En analysant seulement celles en notre possession, d'intéressantes observations peuvent être réalisées à partir des tableaux ci-dessus. En ne s'intéressant plus aux courbes d'Europe 1 seule, mais à leurs interrelations avec celles des autres radios. Sur la période 2007-2021, à l'instar de RTL qui est le meilleur exemple, certaines stations peuvent être considérées comme relativement stables, tant en PDA qu'en audience cumulée. Hormis Europe 1, un seul des grands réseaux pris en compte ici connaît sur cette période une perte d'audience, mais après en avoir gagné : NRJ (2). D'autres radios affichent une des courbes en hausse. Et, particulièrement, France Inter. En parts d'audience, la radio publique est assez stable jusqu'en 2014, puis croît de manière importante. La tendance est encore plus marquée en nombre d'auditeurs.
De 2007 à 2015, le total d'auditeurs d'Europe 1 et de France Inter est relativement proche. La radio publique supplante certes la station privée, mais de quelques centaines de milliers de personnes "seulement", pourrait-on dire. Après 2015, tout change: Europe 1 plonge, France Inter décolle. La perte de l'une paraît même, à première vue, être identique au gain de l'autre. Ce n'est pas tout à fait le cas : davantage d'auditeurs d'Europe 1 la quittent que France Inter n'en accueille de nouveaux. 

La comparaison de l'auditoire des deux stations par rapport à leur nombre d'auditeurs de 2015 confirme qu'Europe 1 perd, depuis lors, davantage d'auditeurs que la radio publique n'en gagne. Mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il pourrait s'être passé depuis cette année pivot un phénomène de vases communicants, une partie du public d'Europe 1 la délaissant au profit de France Inter. Et non de RTL. Sans doute existe-t-il des données plus précises que celles à notre disposition pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, mais celle-ci nous semble plausible. Plutôt urbain et proche des CSP+, l'auditeur d'Europe 1 recherche du contenu, et notamment de type 'enrichissement des connaissances'. France Inter et Europe 1 ont depuis de nombreuses années essayé de viser ce type d'audience, l'une plutôt par le haut, l'autre davantage dans une approche plus légère, allant à certains moments jusqu'à de l'infotainment (ce qui n'a pas nécessairement aidé la station).
 
Il est aussi clair qu'une partie de cet auditoire fuyant constitue aujourd'hui un des bataillons de l'audience des podcasts de Europe 1, qui sont parmi les plus écoutés de France et qui n'imposent plus à l'écouteur de se soumettre aux diktats horaires d'une grille de programmation. Mais nous n'avons pas les moyens de mesurer les flux entre l'un et l'autre.
 
LE FACTEUR "HÉRITAGE"
 
La radio publique a-t-elle siphonné le public d'Europe 1 au fur et à mesure de ses errements programmatiques, puis des appréhensions liées à la main mise du groupe Bolloré sur le média ? Si tel est le cas, le reste du public d'Europe 1 acceptera-t-il encore davantage de rapprochements entre sa radio et CNews, au risque que celle-ci ne devienne plus que "le son de la télévision"? 
On n'en est pas là. 
Ce sont ses journalistes et ses animateurs qui continuent à produire l'ADN de cette radio, et à essayer de maintenir la marque à flot. Europe 1 bénéficie d'un "facteur héritage" important. Si important sans doute que son auditoire est plutôt revêche aux changements, surtout s'ils sont motivés par des raisons économiques et financières. 
 
Force est toutefois de constater que la France pénètre (enfin?) dans le modèle des "groupes audiovisuels" tel qu'il fonctionne quasiment partout dans le monde, c'est-à-dire possédant à la fois des radios et des télévisions. Longtemps, en France, la propriété de ces deux types de médias a été distincte. Même l'audiovisuel public n'a pas, jusqu'à présent, uni ses branches radiophoniques et télévisuelles. Le rachat de RTL France par M6 a sonné le début de cette nouvelle ère. Les rapprochements entre Europe 1 et CNews en constituent une autre étape. Mais différente. Il existe une grande homologie entre M6 et RTL, que se soit sur la conception du rôle des médias, leurs projets, leurs contenus, leurs programmations et leurs publics. On peut aisément switcher de l'un à l'autre, comme le fait Julien Courbet tous les matins. 
Europe 1 est une radio généraliste et CNews une chaîne thématique d'infos. La configuration est différente. Et sans doute aussi les publics, particulièrement depuis que cette chaîne de news a pris un tournant plus politique. Autant le mariage un peu forcé entre RTL et M6 peut-il se terminer par la paix des ménages, autant celui d'Europe 1 et CNews risque de mener à une union contre nature. Mais quand on s'en apercevra, il sera sans doute trop tard : d'espèce en voie de disparition, les auditeurs d'Europe seront tout simplement passés aux abonnés absents. Et seront devenus d'habiles consommateurs de podcasts non-native. Pour toujours ?

Frédéric ANTOINE.

Traitement des données programmatiques:  à partir de la source http://radioscope.fr/grilles/europe1/europe12016.htm
 
(1) Tournant peu heureux abordé par Europe 1 pour certains de ses programmes dès sa funeste réforme de 2016 qui dérouta l'auditeur. 

(2) NRJ figure dans notre analyse parce qu'il est le premier réseau musical important.
 
Lire aussi (pour les abonnés) cet article auquel ont aussi contribué des amis et collègues du GRER, le Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio : https://www.challenges.fr/media/radio-le-virage-editorial-de-bollore-a-europe-1-nenraye-pas-la-chute-des-audiences_796648

 




16 février 2021

INDISPENSABLE, LE DAB+ ? L'AUDIENCE NE SEMBLE PAS VRAIMENT LE PENSER

Le 13 février, à l'occasion de la journée mondiale de la radio, on s'est félicité des progrès du DAB+ en Belgique francophones. Mais ceux-ci sont-ils vraiment si prometteurs? Pas sûr, pas sûr… Alors, fallait-il passer au DAB+?

 

14% des Belges francophones écoutent aujourd'hui la radio en DAB+. C'est ce qu'affirme un sondage IPSOS rendu public par maradio.be (1) aux alentours de de la journée mondiale de la radio et du Digital Radio Day. Et le groupe de pression destiné à promouvoir le DAB+ de plastronner, en titrant la présentation de ces résultats "Le DAB+ cartonne". Si le carton est désormais atteint avec 14% de parts d'audience, qu'en sera-t-il du superlatif utilisé si, un jour, le DAB+ est utilisé par 50% des auditeurs?…

D'accord, en 2018, le DAB+ ne représentait selon la même source que 2% du "marché de la radio" et 6% en 2019. Il a donc progressé. Mais, malgré tout, la plupart des auditeurs n'ont pas encore en masse switché vers la RNT. Et ce malgré la pression publicitaire pesant sur eux. Rappelons-nous, par exemple, cette pub radio plutôt trompeuse qui affirmait « Les radios de la RTBF passent au DAB+ », laissant croire que, du au lendemain, le seul moyen d'encore entendre Arnaud Ruyssen ou C'est vous qui le dites serait de disposer d'un récepteur DAB+… Une affirmation tellement forte que de nombreuses personnes, et pas rien que des octogénaires, s'étaient alors réellement demandé si elles devaient en urgence aller acheter un nouveau "poste". Bien joué, mais un peu raté. Il n'y a pas eu de razzia dans les magasins et les ventes de récepteurs DAB+ n'ont pas explosé. 

La Quatrième oreille

Soyons de bon compte et regardons les chiffres les yeux dans les yeux : selon ce sondage, en 2020, 86% des Belges francophones n'écoutaient PAS la radio en DAB+. Quel carton pour les autres modes de réception!

Alors, bien sûr, on peut enrober les chiffres et leur faire dire un peu ce que l'on veut. Ainsi, l'interprétation de cette enquête IPSOS par maradio.be en arrive rapidement à dire que, ce qui est remarquable, est qu'aujourd'hui 34% de l'écoute radio se fait en numérique. Voilà en effet une donnée intéressante: désormais, 1/3 de la consommation radiophonique est digitale. Mais de ce tiers, le DAB+ ne représente que la moitié. 7% de l'écoute numérique se fait via la télévision et, surtout, 13% "via internet", c'est-à-dire en radio IP (rien ne disant qu'en plus, une partie de l'audience tv n'est pas, elle aussi, relative à l'écoute de radios IP).

(source: maradio.be)

Restons donc modestes. Et rendons hommage, notamment, à ces matamores de la production radio qui ont demandé et obtenu du CSA de lancer des stations ne diffusant que en DAB+. Quels courageux! Au mieux du mieux, ils ne s'adressent qu'à un septième de l'auditoire, tout en devant produire pour la RNT des programmes originaux… qui ne sont donc écoutés par quasi personne. Belle preuve de total désintéressement!

Un peu exagéré ?

 La radio analogique a encore de beaux jours devant elle. Sauf si on ne la laisse pas mourir de sa belle mort, mais qu'on lui prescrit une disparition médicalement assistée, comme l'a décidé la Flandre où, en 2023, tous les postes FM devront être équipés d'un récepteur numérique (2). On imagine déjà les inspecteurs du ministre CD&V Benjamin Dalle s'immiscer dans tous les foyers flamands, de la chambre à la cuisine, pour vérifier si les postes de radio sont bien adaptés pour le DAB+… C'est exagéré? Sûrement. Par contre, on attend vraiment de voir ce qui se passera pour nos amis flamands qui achèteraient un récepteur analogique à Bruxelles ou en terre wallonne. Sera-t-il interdit d'entrée sur le Heilige Vlaamse Grond ?

Tous unis comme un seul homme dans maradio.be, les grands opérateurs radiophoniques n'épargnent pas leurs efforts pour convaincre la population que le DAB+, il n'y a rien de meilleur. Peut-être. Mais, si la solution, en fait, n'était pas ailleurs ? Bien sûr, les PDM du DAB+ ont bondi de 2 à 14% en deux ans. Mais, pendant la même période, la radio IP, qui était déjà à 9% de parts de marché, est passée à 13%. Avec le gros avantage que l'écoute de la radio IP ne demande aucune acquisition de matériel nouveau. Et qu'elle est directement accessible sur les enceintes connectées, qui finiront bien aussi par se développer en Belgique. Se féliciter de la bonne part d'audience "numérique" de la radio n'est donc pas très honnête. Car cela laisse croire que les immenses investissements faits dans la diffusion, ainsi que les achats qui sont imposés à l'auditeur, ont déjà eu un grand écho dans les usages de la population. Or, ce qui n'est pas le cas.

Stop ou encore ?

Alors, stop au DAB+, technologie déjà dépassée? Et passons tous à l'IP, en conservant la FM classique afin que subsiste un mode de transmission hertzienne ? Certains en rêvent, d'autant que rien ne prouve le réel besoin de tous les services complémentaires à la diffusion sonore que propose le DAB+. Arrêter le matraquage pour la RNT, cela permettrait aussi de rapatrier au sein du Fonds d'aide à la création radiophonique (FACR) de la Fédération Wallonie-Bruxelles le tiers de ses ressources, qui lui est aujourd'hui retiré pour alimenter maradio.be. Mais est-ce réellement possible? Toute l'Europe s'est jetée dans la marmite de la RNT comme elle le fit dans celle de la TNT, en croyant que le switch opéré en télé serait tout aussi aisé en radio. On voit bien que ce n'est pas le cas. Et le récent choix britannique de renvoyer le big radio switch off en 2032 plutôt qu'en 2022 confirme cette difficulté, même dans un marché bien préparé où… 60% de l'audience radio se fait déjà en digital (3). Alors qu'on en est loin…

Qu'une partie de la transmission radiophonique reste hertzienne paraît indispensable. Au nom de la l'accessibilité universelle, de l'indépendance et de l'impériosité de disposer d'un mode de transmission médiatique qui ne soit pas cadenassé par les grandes sociétés des opérateurs mondiaux. Les ondes, c'est la liberté. Ce fut le cas en 1939-1944. C'est toujours le cas. Dans dix ou vingt ans, à l'aide de forceps et de contraintes d'utilisation imposées aux auditeurs, le DAB+ sera le seul modèle de radio hertzienne. Mais qui écoutera encore la radio via cette technologie? Cette question-là est ouverte. Et on peut être persuadé que les tous les grands chefs des radios RNT se la posent, ne serait-ce qu'inconsciemment.

Parce que le paquebot France a fini dans un arrière-port de Saint-Nazaire et que le Concorde a disparu. Alors qu'ils avaient coûté des sommes folles. Et qu'on croyait qu'ils étaient le top de leur secteur. Sans parler du minitel…

Frédéric ANTOINE.

(1) https://presse.maradio.be/etude-ipsos--le-dab-cartonne#
(2) https://www.mediaspecs.be/fr/les-recepteurs-numeriques-pour-le-dab-obligatoires-pour-les-radios-des-2023-en-flandre-le-ministre-dalle-envisage-des-licences-temporaires-de-diffusion-numerique-pour-les-radios-locales/
(3) https://www.dailymail.co.uk/news/article-8485629/Radio-fans-listen-FM-decade-digital-switchover-off.html

11 janvier 2021

LA HIÉRARCHIE DE L'INFO PEUT ÊTRE ÉTRANGE DANS UN JOURNAL PARLÉ. PETITE ÉTUDE DE CAS.

(Image d'illustration)
"Changer de ton pour obtenir une meilleure adhésion du public aux règles sanitaires, c'est le but des Covid Boys, deux hommes qui sillonnent les rues de Bruxelles pour attirer l'attention des passants sur ce thème. C'est une initiative privée. La ministre française de la Défense, Florence Parly, s'inquiète de la résurgence de l'Etat islamique en Irak et en Syrie, alors que les USA projettent de retirer 500 soldats de la zone." Tels étaient les deux titres du journal parlé de La Première, ce dimanche 10 janvier à 17h…

 Ce journal parlé de 17h de La Première, d'une durée d'un peu moins de 9 minutes comprenait neuf infos, dont certaines plutôt… étonnantes. Face au brouhaha et aux convulsions de l'actu dans le monde et en Belgique, il commençait en effet, comme l'annonçait le premier titre du sommaire, par un sujet d'une actualité brûlante : dans les rues de Bruxelles, depuis deux mois, deux jeunes hommes esssaient de sensibiliser les passants à la prophylaxie anti-covid. Ce sujet est essentiellement constitué  d'un reportage, d'une durée d'environ une minute trente. La deuxième info, après avoir fait une très rapide allusion à la tempête de neige que connaissait l'Espagne, concerne… le Japon, lui aussi touché par des intempéries.

La troisième info évoque une déclaration faite à France Inter par la ministre française de la défense à propos de la résurgence de la présence de Daesh au Moyen-Orient. Elle est  un principalement composée d'un extrait de déclarations de la ministre sur la radio publique parisienne. Restant en France, le titre suivant traite du variant anglais du covid présent à Marseille là aussi à partir de propos : ceux tenus par "la première adjointe au maire de Marseille chargé de la santé".

 On passe ensuite en Belgique, où une info sur un enlèvement à Hal est brièvement traitée, avant que l'on s'attarde sur l'histoire d'une jeune fille qui a décidé d'élever des chèvres et d'en exploiter le lait. Cette information très originale fait l'objet d'un long reportage. Puis comme le veut la traditionnelle hiérarchie journalistique, les infos sportives clôturent le contenu du journal. Celles-ci, au nombre de trois, survolent trois sports et incluent l'annonce du décès d'Hubert Auriol.
 
La hiérarchie de l'info de ce journal parlé débute donc par un sujet hors actualité, mais que l'on peut considérer comme "une nouvelle positive desociété". Il accorde une place appréciable à l'étranger, puisque trois sujets sur neuf (et trois sur six hors sports) concernent l'international. 
 
Choix et hiérarchie
 
En étudiant la répartition du temps consacré à chaque sujet, d'intéressantes observations se dégagent.
Deux sujets occupent en effet à eux seuls 42% du temps de cette émission d'informations sensée faire le tour des nouvelles de Belgique et du monde : l'action des deux Covid-boys bruxellois et le projet d'une Gerpinnoise de 18 ans qui compte se lancer dans l'élevage de chèvres (voir ci-dessous la retranscription du contenu de ce sujet). Le succès sportif de Wout Van Aert et les déclarations de la ministre français suivent en ordre d'importance, ainsi que le sujet sur la variante anglaise du covid à Marseille. L'international représente ainsi 30% du temps de ce JP.

Celui-ci comprend bien quelques-unes des infos diffusées ce jour-là entre 13 et 17h par les fils infos de médias comme la RTBF elle-même ou Le Soir (la RTBF faisant de la jeune chevrière un de ses titres), mais une comparaison (voir tableau ci-dessous) confirme que ce journal parlé était plutôt original. Certaines nouvelles des fils info se retrouvent dans le JP (notamment en sports) de fin d'après-midi, mais celui en comprend d'autres, et les hiérarchise autrement. Une autre manière de faire de l'info radio? Assurément. Un nouveau style pour La Première, loin des nouvelles institutionnelles et de la politique ? Peut-être. Ou un petit effet contamination du style d'infos d'autres chaînes (ou stations) ? A réflechir.

Frédéric ANTOINE.
 
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Sujet "La jeune chevrière"

Speaker 2: Elle s'appellent Marguerite, Sarah, Belle. Ou encore Nutella, ces petites chèvres. C'est le point de départ du pari professionnel de Chloé Clémerie, qui va se lancer dans la fabrication du fromage de chèvre.

Speaker 1: Il y a deux ans, j’étais à Ciney à l'école et j'ai dû aller en stage de fabrication de fromage et j'adorais faire du fromage. J'ai voulu commencer à en produire, mais je ne voulais pas prendre de vaches, donc j'ai choisi les chèvres.
Speaker 2: Le monde agricole, pour Chloé, c'est loin d'être un monde inconnu. C'est soutenue par ses parents qu'elle s'est installée dans la ferme familiale. Sa maman,Anne Clémerie.

Speaker 3: oui oui on est fiers, surtout qu'elle n'a que 18 ans et qu'elle veut se lancer là-dedans. On est très fiers d'elle. Quand elle nous en a parlé, on l'a suivie tout de suite dans son projet. On va essayer que ça fonctionne au mieux.
Speaker 2: Les premières traitent des chèvres, c'est pour fin mars et ce sera alors à Chloé de jouer et de proposer toute une gamme de produits.

 pour de la glace, du fromage frais principalement.
Speaker 1: 
Du yaouet, de la glace, du fromage frais principalement. Et on va ouvrir un petit magasin où on veut aussi vendre des produits locaux d'autres producteurs.
Speaker 2: Vente à la ferme, mais aussi, via une coopérative, sont déjà prévues. Autre projet proposer dès cet été : des glaces au lait de chèvres locales aux promeneurs qui se baladent sur le Ravel, juste à côté de la ferme.

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Fil info du Soir et de La Première, dimanche 10/01/2021 de 12h50 à 17h00
 

23 mai 2020

Paroles d’experts : (2) Des avis sur tout dans « Le parti pris » (Matin Première)



Les experts sont-ils toujours convoqués par les médias en raison du caractère pointu de leurs compétences dans un domaine ? Si cela s’avère être le cas dans Questions en prime (cf. article du 22/05), en est-il de même dans la séquence « Le parti pris » de Matin Première ?

« Le parti pris » est une rubrique qui existe depuis plusieurs années au sein de la matinale radio de La Première, où elle occupe actuellement un créneau quasi quotidien d’une quinzaine de minutes, débutant un peu après 8h30.

L’émission apparaît lors de la refonte de la matinale de La Première, en septembre 2017. À l’occasion de cette remise à plat, l’inaltérable séquence historique d’interview « politique » de l’émission change de journaliste. Celui qui la pilotait jusque-là devient titulaire de la plage de midi de la chaîne, avec un programme d’échange d’idées intitulé Débats Première. Au sein de la matinale, « Le parti pris » n’est programmé que le dernier jour de la semaine, après les informations de 7h, situation que traduit le slogan : « Le vendredi, c’est ‘Le Parti pris’. »
Depuis la rentrée 2019, la refonte de la programmation de La Première a supprimé l’émission de débats de mi-journée. « Le parti pris », pour sa part, est passé du début de la deuxième heure de la matinale au début de sa dernière demi-heure. Mais, surtout, son rythme est devenu presque quotidien (la séquence n’est pas proposée le vendredi).

Le principe de l’émission est de faire débattre deux invités autour de deux thèmes liés à l’actualité. Si l’on s’en réfère au titre da séquence, celle-ci promet de donner aux intervenants l’occasion de communiquer leur ‘parti pris’, c’est-à-dire leur prise de position définitive sur un sujet. Selon le dictionnaire de l’Académie française, en effet, « la locution nominale parti pris désigne une opinion préconçue ou une décision prise d’avance » (1). Il s’agirait donc moins ici de commenter que d’argumenter, de justifier sur quoi repose le ‘parti pris’, une des questions à éclaircir étant de déterminer si l’opinion ainsi exprimée l’est ou non à titre personnel.

Un rendez-vous d’habitués

À ses débuts, « Le parti pris » recourt à un nombre très restreint d’intervenants. Dans l’impossibilité matérielle de dresser ici l’inventaire complet de ceux-ci, on relèvera que François Gemenne, professeur à l’ULG et à Sciences-Po Paris, se révèle immédiatement un pilier du programme. Idem pour Alain Gerlache, journaliste et chroniqueur de la RTBF. Autour d’eux, l’un ou l’autre représentant du monde académique, dont une politologue de l’ULB, font aussi partie des invités récurrents. Ils seront rejoints par quelques journalistes, certains extérieurs au personnel de l’entreprise publique de radio-télévision.


Le passage de la séquence à un rythme quasi quotidien va entraîner un léger élargissement de ce panel relativement conventionnel. Le relevé des intervenants des vingt éditions de la séquence qui se sont déroulées du 24 février au 20 mai 2020 (2) totalise une vingtaine de noms différents. Ce qui ne signifie pas que tous ces participants ont eu la parole à parts égales, c’est-à-dire à deux reprises. Certains noms reviennent de manière très récurrente : un invité est intervenu à cinq reprises, deux à quatre, deux à trois. Le plus grand nombre n’est passé à l’antenne que de manière sporadique : six personnes deux fois, et neuf à une seule occasion.

Un parti pris journalistique ?

Dans cette distribution figurent aux premières places des ‘piliers’ historiques du programme, mais aussi des participants arrivés plus récemment. La part des femmes est plutôt réduite (4 débattrices sur 20), déficit d’autant plus marqué que la plupart d’entre elles n’y sont pas fréquemment conviées.
Le statut de chacun de ces locuteurs n’est pas aisé à cerner. En effet, ceux-ci comptent parfois plusieurs domaines d’activité. Leur présentation telle qu’elle est exprimée à l’antenne peut bien sûr aider à les classer, mais celle-ci n’est pas toujours identique (3).
De plus, il n’est pas certain que la présence de tous les intervenants se justifie uniquement par leur domaine d’activité actuel, mais aussi par la nature de leur parcours antérieur ou de leur carrière.

Tout en reconnaissant que les classifications sont nécessairement réductrices, il a été tenté de réunir ces personnes en de grandes catégories. Il en ressort que, pour la période analysée, la majorité des débatteurs appartient aux mondes du journalisme, des médias et de la communication. Certains sont clairement journalistes, d’autres travaillent dans la communication ou sont porte-parole d’organisations.
Quelques participants peuvent être considérés comme relevant de l’univers des philosophies et des spiritualités. Les débatteurs restants sont issus d’associations liées aux mondes de l’éducation et de la culture, ou encore aux mouvances politiques ou universitaires.

En fonction du nombre d’interventions de chacune des personnes, il apparaît que la moitié des prises de parole sont le fait de journalistes et de professionnels des médias et de la communication, et un peu moins du quart de spécialistes des questions philosophiques et spirituelles. Le monde universitaire vient en troisième position.

Des champs très larges

Ces intervenants sont-ils des experts ? Leur parole est-elle convoquée en raison de la compétence particulière qu’ils possèdent sur l’un ou l’autre sujet ?
Certes, les invités du « Parti pris » le sont parfois en fonction de leur expertise par rapport à un des sujets traités (une militante féministe lors de la journée des droits des femmes, un critique de cinéma pour le septième art en crise, un associatif engagé dans un quartier d’immigration lorsque la Turquie décide d’ouvrir ses frontières aux migrants…). Mais ces cas sont plutôt rares,
Le plus souvent, le secteur de compétence de la personne n’a qu’un très lointain rapport, voire aucun lien, avec les thèmes mis en discussion. À titre de simples exemples, et sans vouloir mettre ici quiconque en cause, au cours de la période observée, un ‘expert en affaires publiques’ (pour autant que l’auditeur comprenne de quoi il s’agit) se prononcera sur la crise migratoire à la frontière turque. Le porte-parole d’une organisation soutenant des minorités sexuelles jugera le procès Fillon. Une communicatrice convertie dans la promotion de l’égalité hommes-femmes prendra parti sur le carnaval d’Alost. Un vicaire épiscopal apportera sa lecture sur la gratuité des transports en commun. Une militante laïque commentera le procès Assange, ou une ancienne responsable de presse, fondatrice d’un cercle féminin, évaluera l’avenir de Brussels Airlines après la crise du covid.
Tout le monde peut avoir un avis à exprimer sur chacun de ces sujets. Mais est-ce ici en raison d’un positionnement ou d’une expertise particuliers ? Une simple lecture ne semble pas confirmer que ce soit sur base d’une qualification particulière que la parole de ces personnalités ait toujours été sollicitée.

Spécialistes de tout

Une confirmation de cette impression ne peut que venir de la prééminence exercée dans le panel d’intervenants par la catégorie des « journalistes et de professionnels des médias et de la communication ». Bien sûr, celle-ci est vaste, et l’expertise d’un journaliste n’est pas celle d’un autre, ni n’est de même nature que celle d’un conseiller en relations publiques, ou de quelqu’un qui est passé du monde du journalisme à celui de la communication (pour parfois revenir ensuite à ses premières amours…). Mais l’importance accordée aux personnes issues de ces secteurs n’est-elle pas d’abord liée au fait que celles et ceux qui y sont actifs  sont très souvent (ou se considèrent comme) des ‘généralistes’, voire, selon l’expression un peu péjorative de Denis Ruellan, des « professionnels du flou ». Soit, dans ce contexte-ci, des personnes ayant un regard si vaste et englobant sur l’actualité qu’il leur est à peu près loisible de parler de — et de réagir sur — tout. Une sorte d’expertise quasiment universelle, en quelque sorte.

Car, dans cette séquence, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les thématiques abordées variant au fil de l’actualité du jour, il y est attendu que l’invité ait, sur ces sujets, la capacité non seulement d’exprimer un commentaire, mais aussi celle de porter un regard. Et, normalement, d’exprimer son ‘parti pris’.

Au fond, des convictions

Une lecture à peine plus approfondie du parcours et du positionnement de chacun des intervenants du « Parti pris » suggère que le choix de ces personnes au sein du panel repose aussi sur d’autres critères. Leur diversité veille également à tenir compte de la diversité des tendances, opinions, courants philosophiques, politiques ou religieux de la société belge dans lesquels ces acteurs sont plus ou moins directement impliqués.
Fidèle à ses obligations de service public, la RTBF ne peut éviter de recourir à de savants équilibrages. Même si ceux-ci ne paraissent pas toujours relever de la précision de l’apothicaire.
Certaines et certains débattrices et débatteurs y font d’ailleurs parfois allusion dans leur prise de parole. La légitimité de leur présence peut être officiellement présentée en fonction de leur inscription dans un champ de compétence. Mais c’est aussi, sinon surtout, au départ de leurs convictions, de leur positionnement et de leurs engagements philosophiques, politiques ou idéologiques, que leur parole véhiculera un sens, un message. Un parti pris.
Toutefois, cette raison finale, il appartiendra à l’auditeur lui-même de la deviner. Sauf dans les rares cas où l’habit fait le moine, il aura à lire entre les lignes. Et comprendre lui-même ce qui se cache derrière le nom d’une société, d’une association, d’un mouvement… dont on se contentera de donner l’intitulé dans la présentation de la séquence.

Sur l’agora

À l’instar de bon nombre d’autres contenus de radio, « Le parti pris » est une émission de discussion, de partage d’idées. Mais pas un lieu où la connaissance et les compétences thématiques de certains sont convoquées pour, que, à partir d’elles, l’auditeur puisse être aidé à se forger sa propre opinion. Certes, il pourra se nourrir des propos tenus, mais en considérant qu’il s’agit d’abord là de paroles privées, exprimées à titre personnel.
Personne ne contestera  que tous celles et ceux qui prennent part à cette séquence disposent aussi, sinon d’abord, d’un statut, d’une étiquette particulière. Qu’ils bénéficient d’une certaine reconnaissance sociale. Mais celle-ci leur octroie-t-elle un droit d’expression particulier sur des sujets qui peuvent inspirer des pensées à tout un chacun ?

À moins que l'erreur soit de considérer ces intervenants comme des experts. Ne devrait-on pas plutôt les qualifier des chroniqueurs? Pour ceux dont la présence à l'antenne est fréquente, l'appellation est sans doute (aussi, voire plus) pertinente. Mais pour tous les autres ?

Frédéric ANTOINE.

(1)    http://www.academie-francaise.fr/jai-pris-le-parti-pris
(2)    La séquence n’a pas eu lieu pendant la période du 6-9 ensemble.
(3)    Notamment entre ce qui est exprimé oralement par le journaliste-animateur et ce qui s’affiche sur la version audiovisuelle diffusée en ligne.

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