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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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29 octobre 2023

Non, la RTBF n'a pas 70 ans !

La RTBF est pour l'instant en mode anniversaire, au point qu'on en aurait même parfois un peu une indigestion. Et le service public d'affirmer : « La RTBF a 70 ans. » Mais rien n'est plus faux. Institution et média support de diffusion, ce n'est pas la même chose…

Samedi 28 octobre, 11h. Flash info sur La Première. Parmi les nouvelles présentées par le journaliste, le fait que la RTBF fête en ce moment ses 70 ans, et que diverses animations sont organisées ce week-end dans ce cadre. On sursaute un peu au volant de sa voiture, mais on se dit que ça doit être un jeune journaliste, qu'il a voulu faire "corporate" et qu'il a un peu confondu des vessies et des lanternes, mais que ce n'est pas bien grave…
 
Et puis, pour en avoir le cœur net, on va un peu consulter internet, et là on tombe de sa chaise. Le site de la RTBF lui-même colporte la fausse nouvelle des 70 ans de la RTBF à de multiples reprises. On y lit par exemple que « la RTBF célèbre ses 70 ans avec une Fast TV consacrée aux archives de la RTBF » (1). Un autre article publié sur le site RTBF le 22 septembre commence par ces mots :; « La RTBF fête ses 70 ans cette année. » (2) Le 24/09, rebelote. Le titre d'un article sur le site de la RTBF invite à venir « fêter les 70 ans de la RTBF avec Samy et Lou » (3).

DES 70 ANS PARTOUT
 
Bien lancée, et légitimée par la RTBF elle-même, la fakenews est forcément reprise par les autres médias. Quelques exemples ? Le 18 octobre, Télésambre titre : « Charleroi : la RTBF fête ses 70 ans avec le "Village RTBF Expériences" ». Un peu avant, le vénérable sérieux magazine Telepro dérape lui aussi dans le panneau  :  « La RTBF fête ses 70 ans avec son public. » Mais la perle sur la gâteau revient incontestablement à la ministre de tutelle de la RTBF, c'est-à-dire la personne qui doit être le mieux informée sur le service public de radio-télévision en FWB. Sur Instagram, @benelinard publie le message : « La @rtbf fête ses 70 ans ! ».
34 ANS DE MOINS
 
Mais enfin, que voulez-vous à ces articles ? Tout le monde le sait que la RTBF fête ses 70 ans ! Vraiment ? Un abonnement gratuit à millemediasdemillesabords sera offert à la première personne qui communiquera le document légal et officiel fixant la date de naissance de la RTBF au 31 octobre 1953. Cherchez bien, ce document n'existe pas. La RTBF a été créée le 12 décembre 1977 « par décret du Conseil culturel de la Communauté française, la RTB devient la RTBF, avec le " f " de français pour Radio-Télévision belge de la Communauté française », écrit la RTBF elle-même sur son site (4).

Oui mais non, vous jouez sur les mots ! Nous, on veut dire la naissance de la RTB, avec ou sans F !
Ah bon ? Alors, là, la date officielle à retenir est celle du 18 mai 1960. 
Pour de vrai, La RTBF aura bientôt 46 ans, et la RTB 63 ans (mais la RTB, ça n'existe plus). Mais pas 70 ans ! 
 
LE CONTENANT OU LE CONTENU

Ce qu'on fête actuellement avec cymbales et tambours est le moment où a débuté la diffusion de programmes de télévision en Belgique, c'est-à-dire le lancement d'un support médiatique via lequel l'opérateur public diffuse ses programmes. La première soirée d'émissions de télévision diffusée en français par l'opérateur public qui s'appelait alors l'INR, tandis qu'on parlait de "télévision expérimentale belge", a eu lieu le 31 octobre 1953. A un moment où, selon la RTBF elle-même, la station s'appelait simplement "Télé-Bruxelles".

Cela devrait être clair pour tout le monde, mais en définitive tout le monde s'y perd. Le personnel de la RTBF quand il doit parler de l'événement ou l'annoncer, mais aussi ceux qui racontent sur le web l'histoire de l'institution, et qui parlent notamment d'un "Télé-Bruxelles" né en… 1952, dont la première émission au bien lieu le 31/10/1953. Mais qui n'a rien à voir avec la télévision régionale qui a été créée sous le nom de Télé-Bruxelles en 1985 et qui s'appelle aujourd'hui BX1…
 
 Bref, tout le monde (ou presque) se trompe, parce qu'on s'est mis (volontairement ou involontairement) à considérer la partie (la télévision) pour le tout (la RTBF). C'est ce que l'on appelle une
synecdoque référentielle. Comme si "télévision" était un synonyme de "RTBF", alors que c'est loin d'être le cas. C'en est une partie, certes, mais pas l'ensemble. Et cela semble ne pas correspondre à l'image que l'opérateur veut donner de son entreprise. Considérer que "RTBF = télévision point final" n'est par ailleurs pas très gentil pour tous ceux qui travaillent dans les autres médias du service public : les chaînes de radio (notamment La Première, dont le premier ancêtre public a vu le jour en 1930), et tous ceux qui s'efforcent de rendre les médias digitaux de la RTBF attrayants sans avoir rien à voir avec la télévision.
 

BROUILLAGE SUR L'ÉCRAN

 
On peut aussi se demander à qui profite pareille réduction de l'entreprise publique à une seule de ses composantes. Et ce particulièrement à un moment où l'opérateur public s'efforce d'adapter ses télévisions aux évolutions de la consommation des médias, en invitant de plus en plus ses usagers à se tourner vers une offre non linéaire de contenus dans des bibliothèques en ligne plutôt que de consommer des programmes en linéaire, ce qui correspond au projet éditorial de la télévision.

Il y aurait quelque part du brouillage d'image que ce ne serait pas très étonnant. Et que toutes les composantes de la RTBF ne sortent pas gagnantes de cette confusion, aussi.

Allez, il n'est pas trop tard. Le vrai jour de l'anniversaire du début de la télévision en Belgique, avec un petit émetteur planté au sommet du Palais de Justice de Bruxelles, c'est mardi 31/10. On a encore le temps de corriger le tir et de ne pas tout confondre. 
Sous peine de risquer de passer un mauvais quart d'heure avec les sorcières et les revenants d'Halloween…

Frédéric ANTOINE

PS: suite à certaines réactions recueillies après la publication de ce texte, je tiens à préciser que celui-ci ne remet pas en cause toute la communication de la RTBF sur les 70 ans de ses télévisions en Belgique, mais la confusion (involontaire ou volontaire) entretenue dans certains messages de l'institution (y compris dans les bulletins d'info des radios de la RTBF) entre "la RTBF a 70 ans" et le véritable anniversaire, qui est celui du début de la télévision.

(1) https://www.rtbf.be/article/fast-tv-regardez-vos-plus-beaux-moments-tele-a-volonte-11278612
(2) www.rtbf.be > article > vivacite-au-cœur-des-villes (…)
(3) www.rtbf.be > article > venez-feter-les-70-ans-de-la-RTBF (…)
(4) https://www.rtbf.be/entreprise/a-propos/histoire

02 avril 2023

RTBF La Première : Mais où est passée la messe du dimanche ?


Ce dimanche 2 avril, la retransmission de la messe dominicale sur RTBF La Première (radio) a été remplacée par un débat depuis la Foire du Livre. Le début de la fin pour les cultes sur le service public ?

Ce dimanche, il n'y avait pas deux émissions prévues entre 10h et midi au programme de La Première : Déclic le Tournant d'Arnaud Ruyssen, puis la retransmission de la messe des Rameaux, début de la Semaine sainte dans la religion catholique.  À la place, la grille ne prévoyait qu'un programme : l'émission Déclic, sur les faillites des banques, suivie d'un débat depuis la Foire du Livre de Bruxelles, animé par le même journaliste. La messe remplacée par un débat ? Il fallait être à l'écoute en direct pour le constater. Car, sur Auvio, la case de la grille, d'une durée de deux heures, n'était occupée que par le Podcast Le Tournant, qui dure, lui, 54 minutes. Pourtant on l'assure : entre 11h et midi, ce n'était pas un prêtre qui officiait, mais bien un éminent journaliste. Et s'il y avait des fidèles dans la salle, c'étaient des amateurs de livres, et pas les ouailles d'une paroisse.

Bon sang, on avait bien dû la mettre quelque part, cette retransmission historique ! On a alors consulté le programme de Musiq3 (1) puis, par acquit de conscience, celui des autres stations du service public, et on a trouvé de messe nulle part. Étrange… La retransmission des cultes n'est-elle pas une obligation de service public, notifiée dans le contrat de gestion de la RTBF ?

CONTRAT DE CULTES

Vous le croyiez ? Nous aussi. "Alors, on a été vérifier", comme disent désormais les journalistes d'investigation . Le contrat de gestion 2019-2022 mentionne bien dans son article 39.1 a) que la RTBF doit assurer la diffusion "des cultes religieux et des manifestations laïques".  Il y a donc toutes les raisons de supposer qu'il en est de même dans le contrat de gestion 2023-2026. Eh bien, non. Sauf erreur (2), les mots "culte" ou "cultes religieux" ne figurent pas dans ce nouveau contrat. Et comme ils ne sont pas non plus mentionnés dans le décret constituant la RTBF (3), et qui sert de cadre aux contrats de gestion, peut en conclure (sauf si on a raté un épisode) que, depuis le 1er janvier 2023, le service public de Belgique francophone n'est plus obligé de diffuser la messe du dimanche, ou quelques autre culte ou cérémonie laïque que ce soit.

Cela expliquerait l'aisance avec laquelle, ce dimanche 2 avril, La Première s'est défaite d'une de ses plus vieilles obligations historiques (avant 1940, du temps de l'INR déjà, la messe était retransmise chaque dimanche depuis l'église Ste-Croix, située sur la place éponyme à deux pas de la place Flagey). Par contre, dimanche dernier 26 mars, la messe avait bien eu droit à une présence sur les ondes de La Première. Elle avait alors été captée en l'église St-Pierre de Biesmerée. Et dimanche prochain, jour de Pâques, la programmation annonce sur cette même radio la retransmission de la messe pontificale depuis la place St-Pierre de Rome.

COUP D'ESSAI ?

L'absence de messe ce dimanche-ci est-elle un "coup de canif" dans un contrat qui n'existerait plus ?  Était-ce plutôt un "coup d'essai" pour voir si l'absence de messe suscitait – ou pas – des réactions, et donc éventuellement envisager – ou pas – ensuite (4) sa suppression complète de la grille ?

Il faut être de bon compte. Quelle est encore la réelle audience de cette messe, historiquement diffusée depuis des décennies à 10h du matin et qui a été déplacée à 11h,  notamment sans doute parce qu'on était sûr que ce créneau horaire était encore moins porteur d'une audience non-volontariste que le 10-11h ? S'il reste des personnes qui suivent la messe via la RTBF, elles abondent sûrement (si l'on peut dire) davantage derrière leur téléviseur que devant leur récepteur de radio.   

COÛTS D'ESSAIS 

À l'heure où le service public de la FWB réajuste, comme d'autre MSP (médias de service public), la manière de remplir ses obligations, mettre la messe radio dominicale de côté serait plutôt une bonne affaire, tout comme arrêter toute diffusion de messe en direct à la télévision. Car ces directs coûtent cher, et ne rapportent strictement rien.

Et puis, aujourd'hui, les religions disposent de radios privées qui pourraient très bien assurer ce service (même si, à nouveau sauf erreur, un réseau comme RCF ne propose par de captation de messe en direct depuis une paroisse de Belgique francophone le dimanche matin). Mais cela coûte peut-être trop cher…

En 2020, première année de la pandémie, Hadja Lahbib, alors responsable du service "messes et cultes" de la RTBF avait déclaré : "Le choix était simple : il fallait soit enregistrer cette messe en studio, soit l’annuler. Nous avons décidé de la maintenir en live parce qu’il y avait une grosse demande, mais également parce que cela faisait partie du contrat de gestion de la chaîne. Nous devons assurer la messe pour les fidèles et ce, indépendamment des conditions extérieures" (5). 

Trois ans plus tard, la personne qui a succédé à l'actuelle ministre des Affaires étrangères pourrait-elle encore tenir les mêmes propos ? 

Frédéric ANTOINE.

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Addendum 4/4/2023 : Depuis hier lundi, on peut trouver sur Auvio le débat diffusé entre 11h et midi dimanche, intitulé "Climat : comme ne pas désespérer". Le fichier de 57'18 ne comprend toutefois pas la continuité du direct précédant le débat, c'est-à-dire les écrans pub et le flash info de 11h. Le fichier de l'émission de 10 à 11h, Déclic, s'arrête lui aussi avant les pubs et le flash info.

 
(1) Why not ? En France, la messe est bien diffusée sur France Culture. 
(2) Le site de la RTBF ne propose qu'une version bêta du texte, mais celui qui figure sur le site du Moniteur belge du 24/12/2022 semble bien, lui, être officiel.
(3) Version "coordination officieuse" réalisée par le CSA le 13/03/2015.
(4) C'est en l'absence de tollé de la part de leurs auditeurs que les radios françaises qui émettaient en ondes longues ont décidé de couper leurs émetteurs OL, puisque "plus personne ne les écoutait" de cette manière.
(5) https://www.rtbf.be/article/celebrer-la-messe-dans-un-decor-virtuel-encore-un-rendez-vous-reinvente-par-la-rtbf-10488772



03 mars 2022

Les médias occidentaux regardent-ils parfois les médias ukrainiens?


Si l'on veut comprendre comment un pays vit la guerre qu'on lui impose, regarder ses médias est un outil à ne pas négliger. Autant pour s'informer que pour se rapprocher de l'expérience subie par les habitants. L'Ukraine conserve des médias actifs et significatifs. Mais on regarde bien (trop) peu en Occident.

Il y a une semaine, de nombreuses chaînes d'info émettaient sur le territoire ukrainien (1). La jeunesse de la démocratie locale et ses soubresauts n'y sont sans doute pas étrangers. On se souvient en effet de la "révolution européenne" née lors des événements de février 2014 place Maïdan, mais on oublie que, depuis sa sortie de l'URSS, la démocratie locale a souvent été chancelante, et les rapports entre Kiev et Moscou de natures très différentes selon les époques (2).

L'Union fait l'info

Aujourd'hui, cette diversité de lieux d'information audiovisuels appartient presque au passé. Devant la pression de la guerre, la plupart des chaînes d'info (captables de Belgique via internet) ont désormais choisi de relayer un même signal, celui de la station Canal 24 (24 TV), la plus ancienne d'entre elles, tout en continuant à insérer leur propre logo, voire leurs propres bandeaux, dans son image.

Mobilisations, manque de moyens dans la région de Kiyv (où se trouve le siège de la plupart d'entre elles), justifient vraisemblablement cette adaptation, qui confirme toutefois aussi la pertinence de la devise nationale belge…

Sans en avoir la confirmation formelle, il ne semble pas exclu que des journalistes de plusieurs de ces chaînes contribuent désormais à ce "programme commun". Ils sont en effet nombreux à se relayer à l'image, certains en position de "standing speakers", et d'autres assis à leur bureau. Les couples de présentateurs, déjà relevés dans un précédent article (1) sont aussi toujours qu rendez-vous.

Des professionnels

Ces "anchormen" et "anchorwomen" ne donnent pas l'impression d'être en guerre, soumis à la peur ou au stress. Ils font formellement preuve d'un professionnalisme assez impressionnant, que l'on retrouve jusque dans leurs tenues vestimentaires. Les femmes sont en tailleur, les hommes ne plus souvent en costume, et portent toujours la cravate.

Toujours réalisés avec soin, ces programmes d'infos comprennent de nombreuses séquences de scènes de bombardement ou de quasi-combats, le plus souvent des réseaux sociaux (où les injures contre Poutine et les Russes que l'on pourrait entendre dans la bande-son sont soigneusement bipées). Mais tout ne provient pas de preneurs d'images anonymes. Comme en temps "normal", la télévision a ses envoyés spéciaux sur le terrain, avec lesquels elle réalise des duplex en direct. Et ceux-ci ne sont pas tournés en JRI avec des perches à selfies. Ces journalistes portent  bien sûr souvent une tenue de combat, et dans certains cas (pas illustrés ici) ils témoignent depuis des lieux touchés par des tirs. Mais sans jamais interroger qui que ce soit autour d'eux.

Tout dans le fond

À côté de Canal 24 subsistent quelques autres chaînes d'information. La plus active et la plus professionnelle semble (d'ici) être la chaîne de télévision de Kiev (KJiv Tv) qui, à l'échelon de l'agglomération de la capitale, réalise un travail identique à celui de sa consœur Canal 24. Journalistes hommes et femmes se suivent à l'écran tout au long de la journée, sur un greenkey de fond de studio animé, mais plus que significatif. En effet, il comprend au premier plan à gauche (c'est-à-dire là où n'est pas le journaliste) un des immeubles à appartements de la capitale, dont plusieurs étages ont tout bonnement été soufflés par une bombe.

Une sorte de déclinaison "horreurs de la guerre" de ces banals arrière-plans d'écran composés d'habitations auxquels recourent tant de chaînes de télévision en mal d'imagination. Tv Kijv diffuse aussi des images prises sur smartphones aux quatre coins de la ville, mais les associe parfois à des images venues d'autres localités attaquées. 
 
Un moment particulier du programme est une séquence qui s'intitule "Sans commentaires". À l'instar de ce que propose de longue date Euronews, on y laisse les images parler d'elles-mêmes. Ce qui, en l'occurrence, est amplement suffisant… et est souvent la manière dont sont conçues toutes les séquences diffusées à l'antenne. En effet, ainsi, pas besoin de recours aux voix off qui nécessitent la présence d'autres journalistes, sauf si le présentateur fait lui-même un "à travers". On a toutefois pu noter que ce "No comment" n'était pas tout le temps "No music". La fin de la séquence peut être accompagnée d'un décor musical qui la dramatise encore davantage, et lui fournit donc tout de même une sorte de commentaire. En temps de guerre, l'information que l'on vit au fond de ses tripes peut-elle ne pas être connotée?
 
Faire entrer l'extérieur
 
 
La télévision de Kiev, mais aussi d'autres chaînes comme  la 5, emploient également beaucoup les témoignages recueillis en direct en ligne via des plateformes de type Zoom, etc. Ces chaînes ne font là que recourir elles aussi à un moyen de convoquer l'extérieur dans leurs studios qu'ont "découvert" la plupart des rédactions télévisées du monde entier à l'occasion des confinements dus à la covid. Ces interventions sont souvent celles de simples citoyens, mais il y a parfois recours à des personnes plus officielles ou plus proches du monde des spécialistes.
 
 
Quand l'intégration de l'intervenant extérieur ne peut pas se faire en régie pour produire à l'antenne un split screen, les journalistes recourent à une bonne vieille méthode : celle de tout faire à l'antenne. Les correspondants extérieurs sont alors récupérés directement sur… le smartphone de l'animateur. Il y a des moments où l'urgence n'attend pas.

De l'agit-prop?

Dans tout cela, y a-t-il de la propagande? Oui, sans doute, si l'on veut désigner ainsi une construction de l'information qui entend valoriser les défaites de l'adversaire et les victoires de son camp, et qui exploite la peur de prisonniers autorisés à téléphoner à leur famille en étant filmés. Les interventions en direct et la diffusion répétée de messages des autorités y contribuent également. Mais n'est-ce pas d'abord une réaction humaine, naturelle, et pas une injonction du pouvoir en place? De la propagande, oui, plus sûrement, dans certaines séquences diffusées comme des publicités, à répétition plus ou moins régulière, et où l'on montre sur fond musical une armée ukrainienne toute puissante, disposant de matériel à l'infini. Mas celles-là sont si grossières qu'il est difficile d'y croire. 
 
 
Une seule chaîne est plus clairement impliquée dans la propagande : UA, la station que l'État a créée pour s'adresser à l'étranger. Les programmes y sont courts, doublés en anglais.
 

 Les commentaires mettent l'accent sur le drame vécu et la nécessité d'être secouru par l'extérieur. Dimitri Kuleba, ministre des affaires étrangères d'Ukraine, apparaît à chaque fin de ce court programme proposé en boucle sous forme d'un briefing qu'il tiendrait pour les journalistes ukrainiens (mais qui est réalisé pour l'international). Il y dresse la liste des 'bonnes' nouvelles de la journée. On est là, clairement, dans un exercice de communication. Un effort d'émission d'un message… mais pour quelle cible ? Communiquer, c'est dire quelque chose à quelqu'un…
 
Ce que montrent les télés ukrainiennes, c'est d'abord le drame vécu par leur pays. En tant qu'Européens de l'Ouest, ce n'est pas à nous que s'adressent ces émissions. Leur forme si habituelle, leurs formats, leurs animateurs, sont sans doute là pour rassurer les Ukrainiens, tant que faire se peut. Mais sans cacher l'ampleur de l'horreur dans laquelle on les a fait tomber. Et sans leur donner trop de faux espoirs. Sinon, de temps en temps, par sursaut de nationalisme, quand surgit un montage d'images réalisé sur fond de l'hymne national, chanté aux quatre coins du pays.
 

Ces images ne sont pas faites pour nous, certes. Mais ici, qui les regarde ? Qui s'en nourrit ? Dans le journalisme, on ne doit pas faire passer que son propre regard, voire son propre ego. Il faut aussi montrer quelle est la vérité et la subjectivité de l'autre.

Frédéric ANTOINE.
 

(1) Voir à ce propos notre article posté sur ce blog : https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2022/02/pourquoi-poutine-t-il-neglige-les.html

(2) Lire par exemple à ce sujet l'intéressante chronologie établie par le Courrier International : https://www.courrierinternational.com/article/2014/02/26/ukraine-chronologie-d-une-revolution


 


01 mars 2022

Poutine a tiré sur la tour de la télévision de Kiev

Poutine a visé la haute tour de télévision qui arrose toute la région de Kiev. Mais aujourd'hui, la diffusion hertzienne n'est plus le seul moyen d'émettre. Les médias ukrainiens continuent donc leur travail, comme si de rien n'était. Et avec sans doute encore plus de convictions arrimées au cœur.

Ci-dessous, la traduction d'informations ukrainiennes diffusées à ce propos, avec  les conseils donnés aux téléspectateurs pour continuer à rester informés. "La tour de télévision de Kiev est une tour en acier en treillis de 385 m de haut construite à Kiev, en Ukraine, pour la radiodiffusion et la télévision. C'est la plus haute construction en acier en treillis autoportant au monde. La tour n'est pas ouverte au public. Construit en 1968. Fabriquée en tuyau d'acier de différents diamètres et épaisseurs, la structure pèse 2 700 tonnes. La tour est unique en ce sens qu'aucune fixation mécanique n'est utilisée dans la structure: chaque joint, tuyau et luminaire est fixé par soudage."(wikimedia)



article : source: https://24tv.ua/vnaslidok-obstriliv-televezhi-5-zagiblih-5-poranenih_n1885725

À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 autres ont été blessées

Lire les nouvelles en russe

Le sixième jour de la guerre, les occupants ont cyniquement attaqué une tour de télévision à Kiev pour laisser les Ukrainiens sans informations véridiques. À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 blessées.

Des informations pertinentes ont été publiées vers 18h00 à Kiev. Les orcs ont frappé la tour de télévision vers 17 h 11 le 1er mars.

Important A Kiev, les Russes visent la tour de télévision

Des personnes sont mortes à la suite du bombardement d'une tour de télévision à Kiev

À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 autres ont été blessées,  a indiqué le SES. Les sauveteurs ont déclaré qu'à partir de 18 heures le 1er mars, ils continuaient à travailler.

Vitali Klitschko a déclaré qu'il avait déjà été touché par deux roquettes. Les occupants ont endommagé le poste de transformation qui alimente en électricité la tour de télévision et le matériel de la tour de télévision elle-même.

Soit dit en passant, le bureau du président a déclaré que:

  • en raison du projectile frappant le matériel du diffuseur sur la tour de télévision, il se peut qu'il n'y ait temporairement aucune diffusion télévisée ;
  • il n'est pas nécessaire de publier une vidéo du projectile frappant la tour de télévision, car cela peut aider les occupants ;
  • vous devez utiliser la recherche de chaînes sur votre téléviseur pour accéder aux chaînes régionales.

28 février 2022

Pourquoi Poutine a-t-il négligé les médias ukrainiens ?






Et si la force de résistance des Ukrainiens provenait… de leurs médias, qui continuent à émettre jour et nuit en couvrant la guerre avec assurance. Des médias actifs comme si de rien n'était. Comme si Poutine les avait (heureusement) oubliés.

D'ordinaire, prendre ses médias constitue un des premiers objectifs d'une agression armée contre un État. Occuper la radio-télévision et ainsi empêcher toute information de la population envahie, n'est-ce pas essentiel? Miner l'état des troupes ne passe-t-il pas par le silence radio? Pas dans le cas de l'Ukraine en tout cas. L'activité, le dynamisme des médias audiovisuels de ce pays meurtri est impressionnante. Leur relais sur internet, et leur présence permanente en direct sur Youtube, participe assurément à soutenir l'état d'esprit des populations, et à le dynamiser. Si les Ukrainiens tiennent bon, cela semble aussi être grâce aux médias.


Des médias qui n'opèrent pas dans la clandestinité, mais qui paraissent continuer à faire le job, en particulier sur les chaînes all news, dont Ukraïna 24, qui présente sa retransmission en direct par ces mots: " Le 24 février 2022, le président Volodymyr Zelensky a déclaré la loi martiale dans le pays en lien avec une attaque militaire à grande échelle des forces armées de la Fédération de Russie contre des villes ukrainiennes. Que se passe-t-il en ce moment ? Les forces armées ukrainiennes travaillent. La direction de l'Etat appelle au calme. Tout sera l'Ukraine ! УкраїнаLIVE "Ukraine 24". Cette chaîne, comme d'autres, travaille depuis de grands studios, avec recours à des incrustations et à des split screens. Ukraïna 24 "is the first 24/7 News TV channel from the Ukraine. The channel was founded in 2006. It claims to present an objective and unbiased presentation of news, interesting and useful information for the viewer of the day" (1).


Sur la chaîne Canal 24, les journalistes, plutôt jeunes, s'y succèdent à l'antenne, parfois seuls, parfois en couple. Le programme fait l'objet d'une réelle réalisation, avec enchaînements de séquences et de témoignages (souvent recueillis par smartphones). Lors des retours studio, plans larges sur le couple de journalistes alternent avec plans plus serrés sur l'un d'entre eux. Au milieu de ces événements terribles, ils esquissent même parfois un sourire. La chaîne, "appelée à l'origine News Channel 24, fait partie de la Lux Television and Radio Company, un conglomérat de médias en Ukraine" (2). La journaliste présente dimanche en fin d'après-midi était impressionnante malgré son jeune âge. La chaîne possède un site internet (https://24tv.ua/) qui comprend un nombre considérable d'informations sur la guerre, vue par les Ukrainiens, et qui est, selon certaines sources un des plus visités du pays (2).
Kyiv, est une télévision de Kiev. Son site présente la "diffusion en direct de la chaîne de télévision de Kiev sur la défense de l'Ukraine et de Kiev contre les envahisseurs russes". Selon ce qu'elle dit d'elle-même, la chaîne a un profil plutôt généraliste, mais la guerre en a fait une chaîne d'info. "Kyiv tv est un diffuseur moderne de la capitale européenne. Nous sommes toujours les premiers à savoir quoi, où et quand se passe à Kiev. Les sujets d'actualité de la vie de la métropole métropolitaine se dévoilent dans les programmes uniques de la chaîne. Le contenu artistique de la chaîne de télévision se compose de films et de séries européens et américains."(3)

 
Le compte Telegram de la station est entièrement dédié aux événements, et se présente à la fois comme au service des habitants de la capitale, et de l'Etat ukrainien en guerre. La chaîne y écrit elle-même que "les principales nouvelles de Kiev sont exactes et proviennent de sources primaires".


 
Une des spécialités des chaînes est la diffusion de brèves interviews de soldats russes faits prisonniers par l'armée ukrainienne. Une communication qui a de quoi renforcer la détermination des populations, et qui est soutenue par un site créé par le ministère des Affaires intérieures d'Ukraine afin de présenter les documents d'identité et les photos des soldats russes capturés ou tués par l'armée du pays.


Un site évidemment destiné à être consulté par les familles concernées. Et qui peut avoir un effet réel…tant que subsistera internet entre la Russie et l'Ukraine.



Il existe encore d'autres stations qui se sont muées en news channels, et qui sont tous actifs en temps réels. Comme les autres médias ukrainiens, ils continueront à mobiliser les corps et les âmes aussi longtemps qu'ils pourront émettre, ou être reçus via l'internet.

Tant que…


Frédéric ANTOINE.


Lorsque sévissait la guerre en Serbie contre Milošević, je passais mes nuits à regarder la télévision serbe, diffusée par satellite. C'était impressionnant de propagande et de directs couvrant les bombardements de la ville. Très révélateur, instructif. Plus qu'utile quand on est journaliste. Mais en Belgique (et dans d'autres pays d'Europe occidentale), personne ne s'y intéressait. En 2022, il suffit d'une liaison internet pour entrer au cœur de tous ces médias, de les voir vivre. Et de mieux comprendre. Il suffit. Mais encore faut-il le vouloir…


(1) https://wwitv.com › tv_channels › b2602.htm
(2) https://fr.abcdef.wiki/wiki/Channel_24_%28Ukraine%29
(3) https://kyiv-media.translate.goog/about?_x_tr_sl=uk&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=wapp



04 février 2022

Sauvetage du petit Ryan : quand les médias créent une émotion planétaire


La planète retient son souffle : arrivera-t-on à sauver le petit Ryan, tombé dans un puits à Tamrout (Maroc) ? Pas un Jt, ou presque, sans nouvelles du sort du pauvre garçon. Le petit Marocain n'est pas le premier enfant à susciter pareil intérêt médiatique. Pourquoi tant d'émotion ?

Le 1er février après-midi Ryan (0) est tombé dans un puits que, semble-t-il, réparait son père (1). Bien que se déroulant dans un village en terre battue (2) et un peu perdu à ± 130 km de Tétouan, l'information remonte dans les médias locaux. Le quotidien en arabe Press Tetouan annonce la nouvelle sur son site dès le 2 février à 00h48, déjà accompagnée d'une photo, suivi par Alhadet à 00h50.

 (contenus en arabe, traduits en français)

Ce 2 février, le sujet sera traité, sur un mode mineur, par quelques sites marocains d'information (3). Il faut attendre le jeudi 3 pour que le fait divers prenne une ampleur nationale, puis internationale.  Analysant cet émoi international, Press Tetouan publiera le 3 en fin de journée et pendant la nuit plusieurs articles évoquant l'émoi international suscité par l'événement : Ryan unit le cœur des Arabes (4) ; L'attention de la presse internationale se tourne vers Tamrout (5) ; British Broadcasting Corporation... "Ryan" est devenu le fils du Maroc et de tout le Moyen-Orient (6)… L'article sur la presse internationale fait même référence au Soir et à 7sur7.be, considérés comme représentant les médias francophones dans leur ensemble (7). 

 Fait divers public

Les médias audiovisuels ne seront évidemment pas en reste, d'autant que pareille affaire permet de faire de l'image. Jeudi soir, le sort du "petit Ryan" est longuement traité dans le Jt de 19h30 de La Une (RTBF). La séquence à ce propos dure 1'47". Elle commence 21'20 après le début de l'émission. TF1 fait un peu moins bien : sa séquence, qui n'occupe qu'une minute de l'antenne, démarre 22'50 après le début du Jt. Mais elle est précédée d'un lancement studio de 20 secondes, alors que, à la RTBF, il ne prend que 15 secondes. Au RTL Info de 19h, le sujet fait seulement l'objet d'un "à-travers" de 20 secondes, placé 25'50" après le début du Jt. Sur France 2, cette info… n'est pas évoquée du tout. Elle n'est pas non plus dans le mini Jt atyique qu'est l'émission Vews, sur Tipik, ni dans le 21h de LN24. 


Sur RTBF radio La Première, le "petit Ryan" est par contre le… 2e titre du journal parlé de 19h (durée du titre : 20 secondes). Au cours du journal, ce sujet occupera 1'12" de l'antenne, en débutant à 3'17. Il comprend un lancement de 24", un "billet sec" d'une correspondant sur place (dont on ne saura rien et dont on ne comprendra pas le nom (8) ), sujet d'une durée de ± 35". Il sera suivi d'un retour studio de 13" évoquant un autre cas d'enfant tombé dans un puits, celui du "'petit Julen", survenu en Espagne il y a juste deux ans.

Mise à jour : le vendredi 4, dans son JT 20h, France 2 a bien rattrapé son vide du soir précédent. Le journal a consacré au "petit Ryan" une très longue séquence, 11 minutes après le début du journal (soit bien avant les JT du jeudi). Le sujet en lui-même a duré 1'25, après un lancement de 5". La chaîne publique  française a donc traité le sujet en 1'30. Mais il y a même inclus une animation destinée à faire comprendre comment les secours espéraient atteindre le jeune garçon prisonnier. Le même soir sur RTL-TVI, on passe d'un "à travers"' du jeudi à une séquence de 1'30, annoncée dans les titres, et .diffusée à la 27e minute du journal, accompagnée d'une infographie.

On peut donc dire que, finalement, les quatre chaînes observées ont traité de manière auss imposante ce fait divers, la différence se situant dans le moment de la réaction. La Une et TF1 s'investissent dans un long traitement dès le 3/2, alors que les deux autres stations considèrent alors l'événement comme peu digne d'intérêt. Devant l'ampleur médiatique que prend l'événement le 4/3 et l'impact émotionnel que celui-ci a sur les populations, et une chaîne publique (France 2) et une chaîne privée (RTL TVI) changent leur fusil d'épaule et survalorisent l'événement, allant jusqu'à en faire un des titres de leur édition vespérale, et en l'illustrant d'une infographie. Les deux chaîne "rattrapent' ainsi le coup de la veille. Pour quelles raisons éditoriales ?

La loi des séries

L'élément évoqué en fin du JP de La Première n'est pas innocent. Au même moment, plusieurs autres médias feront eux aussi allusion à cet autre drame arrivé il y a peu. D'autant que celui-ci s'est mal terminé : l'enfant (le "petit Julen") est finalement décédé. 

Serait-on en train de vivre une répétition des affaires de ce type, comme s'il y a avait là une loi des séries, voire une malédiction sur les enfants ? 

 En ne cherchant que quelques minutes sur internet avec l'aide des moteurs de recherche Duckduckgo et Google et les mots "enfant-tombé-puits-drame", on repère deux douzaines de drames de ce type  au cours des ± dix dernières années. Ce relevé est forcément incomplet. Il révèle toutefois que les médias évoquent fréquemment les chutes d'enfants dans les puits. 

Dans de nombreux cas, le fait divers est terminé lorsque le média s'en empare. L'issue a alors souvent été fatale, et le fait est présenté de la même manière que les autres accidents de la vie. Parfois, on relate le fait parce que l'issue a, au contraire été positive. On met évidemment alors cet élément "anormal" en exergue. 
Miaisd loccasions où les journalistes peuvent parler d'événements de ce type alors qu'ils sont en train de se produire sont rares.

Un suspense insoutenable

C'est ce qui distingue "le petit Ryan" de la plupart des faits divers ayant par ailleurs les mêmes trois caractéristiques : un puits, une chute, un enfant. L'événement ici prend une autre dimension, car il comprend une quatrième caractéristique : la tentative de sauvetage. L'actualité est prise en cours de déroulement. Il se passe toujours quelque chose quand débarquent médias et caméras. La scène comprend des personnages (parents, témoins éventuels, sauveteurs…) et, par dessus tout, elle repose sur un suspense insoutenable. Or, le suspense n'est-il le père de tout récit : que va-t-il se passer ? Tout est là. Dans l'attente d'un dénouement, heureux ou malheureux.

Voilà pourquoi ce fait divers, somme toute hélas plutôt banal, enfle jusqu'à devenir un sujet médiatique national, voire mondial. Lorsque tout un pays, et plus, suit en direct les opérations de sauvetage, il s'accroche à l'enchaînement des événements comme à d'autres récits où l'issue est incertaine. Avec le surcroît de tension provenant du fait que l'on est ici dans le réel, et non dans la fiction. Une vie est bien en jeu. Et, qui plus est, celle d'un enfant, chose sacrée, comme on peut le comprendre. Ce qui explique pourquoi les médias s'intéressent davantage aux drames concernant les enfants qu'à ceux qui touchent les adultes. La charge émotionnelle liée à ce qui se passe dans ce puits devient dès lors énorme.

Modèle en son genre

L'événement marocain n'est hélas que la réplique d'autres cas de traitement médiatique d'accidents concernant des enfants. Le tableau ci-dessus rappelle, sous le titre L'agonie d'un enfant, ce cas survenu près de Rome en 1981 déjà, et qui avait suscité un énorme déferlement médiatique, ainsi qu'une attention sans bornes des populations. 

L'emballement était toutefois là encore plutôt local. Médiatiquement parlant, le premier cas de cette série si spéciale se situe quelques années plus tard. Il  ne concerne pas tout à fait un puits, mais tous les autres ingrédients de la sinistre recette y étaient. Il s'agit de ce que Paris-Match dénommait encore avec subtilité récemment L’insoutenable calvaire d’Omayra Sanchez

En 1985, lors de l'éruption d'un volcan endormi en Colombie, cette petite fille était devenue prisonnière d'une coulée de boue. Un photographe de presse, qui croyait saisir l'image d'une victime de la catastrophe, s'aperçoit qu'elle est vivante. Cet homme de médias lance un appel au secours, et l'opération de sauvetage de l'enfant débute. Sous les yeux des caméras du monde entier. Omayra est consciente, elle parle. Elle se confie. Elle se montre forte. Que d'émotions ! On l'aide à résister à la boue qui l'entoure, mais on ne parviendra pas à la sauver. On assistera à sa mort en direct. Rappelant cet événement (9), Paris-Match parviendra même encore il y a peu à republier la dernière photo de l'enfant, lorsqu'elle est sur le point d'expirer…

On n'avait jamais été aussi loin. Surtout avec des enfants. Les médias n'avaient jamais su, pu, ou osé, couvrir ainsi un fait divers de ce type. Mais la brèche a été ouverte.  Elle ne se refermera plus. Et les feuilletons recommenceront. Qu'on se rappelle, par exemple, en 218, l'histoire de ces douze enfants bloqués dans une caverne en Thaïlande, vécue par le menu, avec des drames et des détails en tout genre.

En 1985, on appelait encore l'enfant victime par nom et son prénom. Aujourd'hui, on parle du "petit Julen" ou du "petit Ryan". La dernière digue de la distance (ou du respect?) a été rompue. Celle ou celui qui risque de perdre la vie, ne pourrait-il pas être notre enfant ? De spectateurs, les médias font quasiment de nous des acteurs de l'histoire. Comme si on y était. Par procuration. La vive émotion vécue au Maroc en est plus que la preuve.

Frédéric ANTOINE 04/02/2022 - 18h

Mis à jour 04/02 20h30, 05/02 08h (réécrit 11h40)

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(0) Nous utiliserons ici l'orthographe Ryan et non Rayan, employée surtout dans les médias francophones, car elle nous paraît plus fidèle à la dénomination arabe.
(1) Le contexte de l'événement n'est pas très clair, le père disant aux médias que son fils était à côté de lui, puis est tombé dans le puits. Sa mère, dans une déclaration à la presse, a elle expliqué qu'elle cherchait son fils le mardi après-midi et qu'il avait disparu, sans savoir où il était…
(2)
(3) Notamment : machahidpress, chaouen24
(4) (Press Tetouan) الطفل “ريان” يوحد قلوب العرب
(5) (Chaouanpres) أنظار الصحافة العالمية تتجه إلى تمروت
(6) الإذاعة البريطانية… الطفل “ريان” أصبح ابن المغرب وعموم الشرق الأوسط(Press Tetouan) 
(7) Tour à tour, plusieurs journaux francophones ont couvert l'actualité, dont « Le soir » : « Un enfant de 5 ans coincé dans un puits de 35 mètres de profondeur » et « 7sur7 » : « Une course contre la montre pour sauver un enfant de 5 ans coincé dans un puits au Maroc ».
(8) Quelque chose comme Eva (?) Secan, ou Segan, ou Sekan, ou ???
(9) https://www.parismatch.com/Actu/International/Omayra-Sanchez-morte-en-direct-boue-volcan-Armero-Colombie-1985-photos-1712373#-Samedi-a-9-heures-lenfant-ferme-les-yeux-Elle-ne-les-rouvrira-plus-Malgre-respiration-artificielle-et-massage-cardiaque-Un-des-sauveteurs-bouleverse-perd-connaissance-La-mort-apres-soixante-heures-de-combat-a-triomphe-de-lenfant-courageuse-Paris-Match-n1905-29-novembre-1995
 


25 janvier 2022

Le putsch au Burkina à la télé : quel super show !

Ce 24 janvier, les militaires ont renversé Roch Kaboré, le président du Burkina Faso, lors d'une annonce à la télé nationale. Mais pas n'importe comment. Cette prise de pouvoir là a profité d'une mise en scène dont les putschistes ne bénéficient d'ordinaire pas. Et dans un cadre qui pose question.

Cinq minutes. Le show annonçant la fin du régime Kaboré sur la RTB (cela ne s'invente pas) n'aura duré qu'un douzième d'heure. Mais il n'aura pu que marquer ceux qui l'auront vu, tant il a  bien été mis en scène. 

Par son cadre, tout d'abord. Il n'y a pas eu ici de saisie d'antenne brusque, ou de coup de force non contrôlé. La prise de parole des militaires s'est déroulée… dans le contexte d'une émission d'informations. Leur apparition à l'antenne a en effet été précédée… du générique prévu par le journal télévisé local pour ses éditions spéciales.

Un petit générique qui commence même par la mention "Urgent-merci pour votre fidélité" (dans ce cas-là, ça ne s'invente pas non plus), glissée dans un bandeau surmonté du globe terrestre. De quoi mettre le spectateur en confiance. Ensuite s'enchaînent des images animées énumérant les grandes thématiques que l'on traite dans un JT ("société", "politique" "faits divers"…), puis vient  le globe terrestre, situant clairement le Burkina Faso sur la mappemonde. Le tout se termine par le titre "Édition spéciale" sur fond de drapeau national burkinabé.

Un générique qui évoque directement le début des Jt de la station, d'où proviennent les principes de cet indicatif (univers, terre, listage des rubriques…, le tout tournant en permanence).

Dans ce contexte, le message adressé au spectateur est clair : il va assister à une édition spéciale de son Jt, comme il en aura sans doute vu (1) lors du 11 novembre 2001, du récent drame d'Inata (Sahel) où 53 gendarmes furent massacrés par des terroristes, ou au moment des dramatiques inondations qui touchèrent le pays en 2020.

 UN FOND D'INFO

Mais voilà. À la fin du générique, pas d'apparition de journaliste présentatrice (ou présentateur) du Jt. Un groupe de personnages occupe l'écran, et n'a pas l'air d'appartenir à la rédaction de la chaîne de télévision. Pourtant, nous sommes bien au Jt. La preuve : ces individus occupent bien le studio du journal télévisé propre. Entre la scénographie classique du journal télévisé du Burkina et ce que l'on voit alors, rien n'a été modifié.


Les pupitres sont aux mêmes endroits que d'ordinaire. Trois hommes sont assis exactement à la place de l'anchorwoman habituelle de la RTB. Mais, alors que celle-ci est tous les soirs seule à l'écran, ils sont là encadrés d'autres personnages. 
 
Soit, pourra-t-on penser, quoi là de plus normal ?  Les putschistes ont simplement pris la place du journaliste.

Oui, mais ce n'est pas tout. Comme dans toute station de télévision qui se respecte, une partie du studio du Jt de la RTB est virtuel. Et un grand écran occupe le fond du décor, derrière la présentatrice. À l'instar du paysage parisien que l'on voit tous les sur France 2 ou TF1 (ou sur La Une), au Burkina, c'est une artère animée de Ouagadougou, menant vraisemblablement au Monument des Héros, qui occupe le fond de l'écran. Lors de l'intervention des militaires, l'arrière-plan de l'image n'est pas celles des rues de Ouaga, mais la reproduction du dernier plan du générique, c'est-à-dire la mention "édition spéciale", sur fond du drapeau national. De quoi rappeler en permanence qu'on est bien dans l'actu.

La présence d'un tel élément de décor lors de l'apparition de putschistes à l'antenne n'est pas le fruit du hasard. En dehors du Jt (2), le fond de ce studio est un écran noir. L'image animée pour accompagner l'intervention des militaires a volontairement été choisie, et techniquement insérée dans le système du studio pour apparaître à l'antenne. Elle laisse croire que ce qui se passe là est bien de l'information, et que celle-ci revêt une importance nationale.

COMME UN TABLEAU

La disposition à l'image des représentants des corps d'armée n'est pas, elle non plus, fortuite. Mais le fruit d'un agencement esthétique qui inscrit de manière très particulière les militaires debout derrière ceux qui sont assis à la table. Les plus petits ont été placés sur les côtés, et les plus grands au centre (ou sur des praticables).  De plus, le militaire planté au centre du groupe porte un casque surmonté d'une pointe, ce qui le fait dominer tous les autres, et le rend particulièrement impressionnant. Un peintre classique n'aurait pas conçu plus bel agencement.

L'éclairage du studio, lui aussi, n'est pas celui fourni par les néons qui doivent éclairer cette pièce quand on n'y tourne pas. Au contraire, ce travail de lumières est très pensé. En plan d'ensemble, l'image baigne plutôt dans la pénombre, alors que le bas de l'écran (les 3 bureaux) reflète la couleur rosée émanant du sol (lors des Jt, c'est du bleu). À l'arrière-plan, l'essentiel du groupe debout apparaît dans l'ombre, comme une masse compacte. Seul se distingue le milieu de l'image, particulièrement éclairé, tant à l'arrière qu'au premier plan. Au centre du tableau, un militaire assis bénéficie d'une belle lumière. C'est celui qui prendra la parole. Mais l'éclairage sort aussi de l'ombre le personnage au casque pointu de l'arrière-plan. L'image joue ainsi avec une belle subtilité entre le clair et l'obscur. Une composition qui ne s'est pas mise en place toute seule.

AXE Y-Y

Le capitaine Ouedraogo est le personnage central de la composition, comme Jésus dans la Cène de Michel-Ange. Il occupe la place de la journaliste présentatrice. C'est lui qui sera chargé de livrer le message de la junte, alors que principal acteur de cette révolte militaire est le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Celui qui esgt désormais présenté comme le président du pays siège vraisemblablement à la droite du porte-parole. Un commandant assuré, qui semble connaître les médias et gère assez parfaitement son axe Y-Y, qui lui fait regarder la caméra droit dans les yeux.

Le nom de ce dernier est mentionné dans un bandeau apparaissant à plusieurs reprises au bas de l'écran. Ce bandeau est identique à celui qu'utilise le journal télévisé pour identifier les personnages passant à l'antenne lors des reportages. Son usage dans ce cadre inhabituel laisse une fois de plus supposer que la communication des militaires s'inscrit dans le registre des émissions d'information.
 
 TOUTE UNE RÉALISATION
 
La séquence à laquelle on a assisté lundi 24 janvier est le fruit d'une réalisation précise. Sa mise en image en est aussi la preuve. Le message de la junte n'est pas capté par une seule caméra, opérant en plan fixe, mais par deux. L'une cadre en plan large sur l'ensemble du groupe des militaires, l'autre est focalisée sur le commandant porte-parole. En régie, une équipe de réalisation alterne plans larges et serrées, et place les trois inserts du bandeau qui apparaît lors des plans américains sur l'orateur.

Ces éléments ne manquent pas d'intérêt. Car ils diffèrent de la plupart des prises de parole à la télévision de militaires putschistes au moment de leurs opérations. Le cas du Burkina est tristement célèbre à ce propos, car ce n'est pas son premier putsch. Mais la séquence télévisée qui eut lieu lors du putsch de 2015 n'est pas tout à fait comparable à celle de 2022.
Certes, l'intervenant se trouvait-il sans doute aussi à l'époque dans le studio du Jt, et bénéficiait-il d'un fond d'image non neutre. Mais l'action paraissait alors moins posée qu'en 2022. Le personnage, seul à l'image, semblait revenir d'opérations. Il paraissait plutôt terrorisé par la caméra, ce qui n'est pas le cas cette fois-ci. Il n'y a pas eu alors de travail de mise en image du personnage. Il a 'simplement' utilisé le média comme mode de transmission d'une communication. En 2020, par contre, il y a une vraie volonté de présenter un produit répondant aux conventions de l'audiovisuel, non seulement aux Burkinabés mais aussi au monde entier.
 
RAW

Un bref regard à d'autres interventions télévisuelles de militaires putschistes confirme que, dans la plupart des cas, les intervenants se contentent d'utiliser le vecteur 'télévision' sans se soucier de la présentation et de la mise en image de leur apparition. Ils s'emparent du média et livrent une communication raw (brute).

Guinée, 2021
                                                 Mali, 2012                                        Zimbabwe, 2017
 
Les militaires investissent toujours le même studio, celui du Jt, par ce qu'il est sans doute le seul studio de la chaîne de télévision. Mais aussi parce que ce lieu est un symbole du pouvoir (l'information n'est-elle pas le nerf de la guerre?). Une fois dans ce lieu, les putschistes font "avec ce qui a". Dans les chaînes ayant une image de fond de studio fixe, ils s'installent devant elle. Quand il y a un green key au fond du studio, celui-ci est toujours à l'image lors de leur prise d'antenne. Aucune composition n'est envisagée, et les intervenants n'ont pas de maîtrise du langage médiatique.

Souvent, les putschistes préfèrent d'autres cadres qu'un studio de tv pour la communication de leur prise de pouvoir. Le lieu retenu leur permet de confirmer leur force, ou le poids de leur emprise sur la société. Certains militaires choisissent aussi des postures classiques, en orateur derrière un pupitre, comme au temps d'avant les médias électroniques… 
 
Ils sont ainsi bien loin de cette fausse "édition spéciale" qu'a, fournie (malgré elle?) la télévision du Burkina Faso.

Frédéric ANTOINE.


(1) Les sujets évoqués ici sont supposés avoir fait l'objet d'éditions spéciales du Jt burkinabé. Nos archives ne nous ont pas permis d'en certifier l'existence.

(2) Ou d'autres programmes tournés dans le même studio.




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