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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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27 mars 2023

Le monopole de l'impression de presse à Rossel : c'est grave, docteur ?

Début avril, La Libre Belgique et La Dernière Heure seront-elles aussi imprimées à Nivelles chez Rossel, qui devient ainsi le seul imprimeur des journaux de Belgique francophone. L'économie y trouve sûrement son compte. Mais ce monopole correspond-il à l'image historique qu'on se fait de la liberté de "la presse" ?

Il y eut le temps où, rue Royale à Bruxelles, de grandes vitrines permettaient de  voir tourner 'en direct' les historiques presses du groupe Rossel, Le Soir ayant à la fois une édition matinale et une autre vespérale, qui s'imprimait à la mi-journée, le spectacle y était permanent, de jour comme de nuit. 
 
En 2005, Le Soir partira à Nivelles, sur le site de l'ancien circuit automobile, où le rutilant outil de Rossel Printing Company l'imprimera désormais, ainsi que toutes les éditions de Sud-Info. Rien de plus normal : le groupe de presse était techniquement à l'étroit dans ses installations au cœur de Bruxelles. Les technologies numériques n'obligeant plus la rédaction à devoir jouxter la typo et l'impression, installer son outil dans un lieu proche de la capitale et des autoroutes était, pour Rossel, la solution optimale.
 
L'Avenir : du rêve d'un outil propre…

Vers l'avenir, de son côté, est longtemps sorti de presse à deux pas de la gare de Namur, au siège de l'entreprise, boulevard Melot. Le groupe grossissant, afin de produire un quotidien de bonne qualité, il décidera dès 1985 de déménager son imprimerie dans le zoning de Rhisnes, à la sortie de la capitale wallonne, à deux pas de l'E42.
 
Là aussi, l'outil sera ultramoderne, quoique moins à la pointe que celui de Rossel, qui lui est postérieur. Comme il s'agissait d'un gros investissement pour le groupe, celui-ci promettra de chouchouter ses rotos de Rhisnes au maximum. En 1998, il réussira même à y attirer l'éphémère quotidien Le Matin, héritier de la presse socialiste, que ses initiateurs n'envisagèrent pas une seconde de faire imprimer sur feues les presses bruxelloises du journal Le Peuple, ni sur celles du défunt carolo Journal et Indépendance, ou sur les rotos liégeoises, tout aussi RIP, de La Wallonie. Cette épopée, toutefois, sera de courte durée. En avril 2001, la nuit emportera définitivement Le Matin.

… à la réalité d'un dépouillement
 
En 2007, l'évêque de Namur cède les Éditions de L'Avenir au groupe de presse flamand Corelio (actuel Mediahuis). Dans les négociations, tout est fait pour que le Centre d'Impression de Rhisnes, fleuron namurois, soit conservé. Hélas, malgré une forte opposition du personnel ainsi que des soutiens politiques (1), le nouvel actionnaire imposera que le titre sorte désormais de ses propres presses, situées à Grand-Bigard, dans la banlieue de Bruxelles. Pour L'Avenir, c'est un déchirement et le début du grand écartèlement entre son lieu de production intellectuelle et celui de sa production matérielle, où quelques ouvriers wallons se retrouveront noyés parmi une masse de travailleurs flamands. 
La séparation sera douloureusement vécue, notamment par la rédaction, qui aura l'impression de voir son outil de travail lui échapper.
 
En 2018, nouveau changement. Quelque temps après avoir vendu les Éditions de L'Avenir à Nethys, Corelio arrête la production du titre namurois. Une bonne nouvelle pour un retour à Rhisnes ? La chose est devenue impossible. Vers L'avenir confirmera alors son statut de quotidien errant. Où se faire imprimer ? Nethys penche pour Rossel-Nivelles, qui lui fait des yeux doux. Le nombre d'exemplaires papier des journaux du groupe Rossel commençant sérieusement à baisser, l'entreprise cherche à rentabiliser ses machines. Pour ce faire, l'arrivée de L'Avenir serait du pain béni.  
Afin de garantir une indépendance dont elle a bien besoin face aux diktats de Nethys, la rédaction, elle, souhaiterait plutôt se faire imprimer à Charleroi chez Europrinter. La question sera âprement discutée avec un repreneur potentiel des Éditions de L'Avenir, le groupe IPM, qui a, lui aussi, sa propre imprimerie. Finalement, le journal namurois partira à Nivelles. Et le Centre d'Impression de Rhisnes, dont on était si fier, deviendra un lieu de self-stockage et un garde-meubles propriétés de la société Lock'O…

Le vrai dételage
 
Ce deuxième exode de L'Avenir se différencie du premier : en allant à Grand-Bigard, l'impression du titre était restée dans le giron de son entreprise propriétaire. En déménageant à Nivelles, l'impression passe en quelque sorte "à l'ennemi". Ce moment marque un tournant dans le processus de concentration de l'impression en Belgique francophone, au détriment de l'indépendance d'une production des journaux liée aux entreprises auxquelles ils appartiennent.
 
En 2020, IPM finalise son rachat du groupe L'Avenir.  Comme il possède ce titre, qui diffuse à plus de 60.000 exemplaires papier par jour, il va sûrement le faire imprimer chez lui, à Anderlecht, dont une des deux rotatives est à l'arrêt, suite à la baisse des ventes papier de La Libre et de La DH. Eh bien, non. Le contrat liant des Éditions de L'Avenir à Rossel Printing oblige le quotidien namurois à s'imprimer dans une ville qui n'est (même pas) la capitale du Brabant wallon.  À Bruxelles, IPM Press Print (ex-Sodimco) continuer de se contenter d'éditer les deux titres bruxellois du groupe IPM. Alors que le titre amiral de IPM, c'est-à-dire celui qui vend le plus d'exemplaires, est produit "en face" (puisque, depuis le rachat de L'Avenir par IPM, il ne reste plus que deux groupes de presse en Belgique francophone).
 
Trois ans plus tard, en novembre 2022, un plan d'économies est imposé à ses titres par la direction de IPM, qui a entretemps racheté LN24. Un de ses axes est d'arrêter la publication de ses journaux bruxellois dans sa propre imprimerie, et de désormais tout faire produire chez Rossel, qui ne demande que cela. Dans un premier temps, il est question de totalement démanteler IPM Print Press. Par la suite, notamment pour des raisons sociales, on décidera d'arrêter seulement le travail de nuit, lié à l'impression des quotidiens et particulièrement coûteux. Mais de conserver à Anderlecht des activités en journée, dont l'impression des suppléments des titres du groupe IPM. Quelques ouvriers de l'imprimerie bruxelloise seront aussi reclassés chez Rossel, où ils veilleront à l'édition des journaux de IPM.
 
Avantages…
 
Sur le plan économique, la solution retenue est sûrement avantageuse. Commandées en 2005, les rotatives de IPM Print Press ne sont plus de première jeunesse, et demandent révisions et ajustements. Mais, surtout, bloquer du personnel et du matériel de ce type (Goss Universal 75) pour imprimer deux fois une vingtaine de milliers d'exemplaires par soir devenait fort cher. Afin de continuer à vendre des exemplaires papier, externaliser la production s'avérait plus économique. Et ce d'autant que Rossel est à la recherche de commandes lui permettant de produire davantage chaque soir que ses propres journaux (déjà évoqués plus haut, auxquels il faut ajouter L'Écho et Grenz-Echo). De quoi satisfaire les deux groupes de presse qui se partagent désormais le marché. 
 
… et inconvénients 
 
Mais on ne peut mettre de côté le fait que ce rassemblement de toute la presse en un seul lieu de production ne va pas aider à réduire le taux de concentration dont souffre déjà le secteur. À l'oligopole que représente l'existence de seulement deux acteurs de presse pour toute la Belgique francophone, Rossel et IPM, s'ajoute désormais un monopole, celui de l'impression, que se réserve seul l'éditeur de la rue Royale. 
L'économie classique redoute que l'existence d'oligopoles n'encourage les ententes, au détriment de la concurrence. Le monopole, lui, laisse les mains libres au seul acteur présent sur le marché. Rossel Printing pourrait-il demain imposer à IPM des prix tels que les titres de ce dernier soient mis en danger ? L'hypothèse pourrait être envisagée, mais en tuant son concurrent, Rossel serait-il réellement gagnant ?
La situation oligopolistique du secteur de la presse peut impliquer que, tout en se faisant concurrence, les deux groupes aient (tacitement ou non) conclu un pacte de non-agression, plus bénéfique pour eux qu'un affrontement économique direct. La Presse.be, l'association des éditeurs de presse, lieu de concertation et d'action commune, pourrait être la plateforme rêvée pour ce type d'engagement commun.
Il ne faut aussi pas perdre de vue qu'il existe toujours entre les deux opérateurs des terrains de concurrence. Ainsi, dans le domaine de la presse, c'est aujourd'hui d'abord entre Sud-Info et L'Avenir que se manifeste la compétition entre les groupes. Dans le créneau des hebdos, Soir Mag et Ciné-Télé-revue bataillent avec Moustique et Télé Pocket. Etc.

IMPRIMER, CELA NE COMPTE PLUS
 
Ce monopole d'impression est aussi le signe du désintérêt progressif des groupes pour l'édition papier. Si jadis la possession de presses était indispensable à l'identité et la liberté d'un titre, cette période semble révolue puisque le véritable terrain de combat est désormais le digital, et non plus le produit physique. Sauf que, pour L'Avenir, la vente de journaux papier est essentielle. Sans elle,  ce journal serait déjà mort. Et, mis à part pour les quality paper, les exemplaires papier jouent toujours un rôle important. 
 
Ce qui relance l'interrogation sur la concentration de l'impression. On y répondra que cela ne date pas d'hier. Dans les grands pays, l'impression des journaux nationaux se fait aux quatre coins de la nation, sur des presses qui n'appartiennent pas aux titres qu'elles impriment. En Flandre, une seule imprimerie, appartenant à une entreprise de presse, édite déjà les titres de son seul et unique concurrent. Et l'irrépressible rouleau compresseur de loi de la concentration économique touche d'autres pays d'Europe…
 
LIBERTÉ DE PRESSE ET INDÉPENDANCE  ÉDITORIALE
 
Mais, derrière tout cela, n'oublie-t-on pas que, historiquement, "les presses" étaient le garant de la liberté et de l'autonomie de "la presse" ?

"La presse" est aujourd'hui un substantif et un article qui circonscrivent, à eux seuls, tout un univers. Alors que, à l'origine, ils ne désignaient qu'un objet : une "machine composée de deux parties se rapprochant sous l'effet d'une force mécanique, hydraulique ou électrique pour exercer une pression sur ce qui est placé entre elles afin d'en extraire un liquide, d'en diminuer le volume, d'en assurer le poli ou le maintien ou d'y laisser une empreinte quelconque" (2).

La banalisation du mot "presse" a fait perdre de vue que son sens premier était ce que montre l'illustration ci-contre : un objet destiné à "presser". Et qui, à partir de cela, a été utilisé pour presser des caractères d'imprimerie encrés contre une feuille de papier. La presse est ontologiquement associée aux notions de "journalisme", "information", médias" qui en découleront ensuite ainsi que, bien sûr, à celle de "journal". Jusqu'à devoir, un jour, utiliser le pléonasme "presse écrite" pour distinguer la presse imprimée de celle qui ne l'était pas.
D'ABORD : LA LIBERTÉ D'IMPRIMER
 
La référence à l'objet "presse" est tellement importante que c'est à elle que les sociétés libérales accorderont, au tournant du XIXe, une liberté fondamentale : "la liberté de la presse".
 
Lorsque, pionnière en la matière, la Suède légifère dans ce domaine dès 1766, elle intègre dans sa Constitution un "droit de la presse" qui interdit toute limitation du "droit de publication". (3). La liberté de la presse est d'abord considérée comme le droit de pouvoir publier, c'est-à-dire d'imprimer, sans contrainte. 
En 1791, on trouvera la même notion, dans un sens plus étendu, dans le Premier amendement de la Constitution américaine : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press ». La liberté d'expression est ici associée à la liberté de la presse, c'est-à-dire au droit d'imprimer (et de diffuser) (ce que l'on a exprimé). 
L'article 25 de la Constitution belge s'inscrira dans la même perspective. En affirmant que "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie", il proclame la liberté d'édition et d'impression.
 
L'exercice de cette liberté implique de disposer d'outils techniques. La diffusion des publications croissant en nombre et en quantité, les "presses" deviendront de plus en plus imposantes. On en viendra ainsi, à partir du XIXe siècle, à parler d' "entreprises de presse", sociétés privées qui possèdent des machines de presse, appartenant à des "entrepreneurs de presse" de plus en plus puissants. L'évolution technologique, la mise au point des rotatives, puis des linotypes, ne feront qu'accroître la taille de cet outil sans lequel les opinions et les informations seraient restées virtuelles, et non couchées sur le papier. Jurgen Habermas a clairement décrit cette évolution dans son ouvrage L'Espace public (4).

LA FIN DE "LA" PRESSE
 
Dans un monde tenant à sa liberté d'expression, il est évidemment essentiel que chaque entreprise dispose de  l'objet lui permettant d'imprimer. Les "entreprises de presse" concentreront en leur sein l'ensemble des stades de la production du "journal", et l'imprimerie y occupera une place essentielle.  À ses côtés, l'atelier de composition sera en lien direct avec la rédaction, le travail des linotypistes permettant le passage du manuscrit rédigé par le journaliste au texte en plomb qui pourra ensuite être placé sur la rotative. Les bâtiments de l'entreprise hébergeront donc aussi l'énorme machinerie permettant la production du journal papier. Et chacun de rivaliser de fierté à son propos. 
 
Ainsi battait le cœur de médias pour lesquels la liberté de s'exprimer allait de pair, comme dans les Constitutions, avec celle de propager cette expression par voie d'impression, c'est-à-dire "par voie de presse". Partant de l'outil permettant l'impression, le terme "la presse"  désignera finalement tout le secteur qui la concerne, allant jusqu'à identifier ceux qui en rédigent les contenus. Les journalistes sont ainsi devenus "La presse" parce que leurs textes prenaient vie lors de leur impression. 
De nos jours, cette assimilation d'une industrie à une de ses composantes n'a pas disparu. On dit toujours "Ces messieurs de la presse", on parle de "revue de la presse", de "carte de presse". Et on se bat toujours pour "la liberté de la presse". 
Mais, sur le terrain, que reste-t-il de cette identité d'un titre liée à sa machinerie d'édition ? Le journalisme est désormais bien loin des presses. Et celles-ci ne sont plus les lieux de l'affirmation de la liberté d'un titre à écrire ce qu'il estime utile, pertinent, et socialement signifiant.
Au sens premier du terme, "la liberté de la presse" se réduit à mesure que se confirment les monopoles d'impression. Pour la maintenir, peut-être faudrait-il trouver un autre nom…
 
Frédéric ANTOINE .

(1) www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2006-19-page-5.htm
(2) www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/presse 
(3) www.larousse.fr/encyclopedie/divers/libert%C3%A9_de_la_presse/186001
(4) Jurgen Habermas, L'espace public, Paris, Payot, 1988.

03 mars 2022

Les médias occidentaux regardent-ils parfois les médias ukrainiens?


Si l'on veut comprendre comment un pays vit la guerre qu'on lui impose, regarder ses médias est un outil à ne pas négliger. Autant pour s'informer que pour se rapprocher de l'expérience subie par les habitants. L'Ukraine conserve des médias actifs et significatifs. Mais on regarde bien (trop) peu en Occident.

Il y a une semaine, de nombreuses chaînes d'info émettaient sur le territoire ukrainien (1). La jeunesse de la démocratie locale et ses soubresauts n'y sont sans doute pas étrangers. On se souvient en effet de la "révolution européenne" née lors des événements de février 2014 place Maïdan, mais on oublie que, depuis sa sortie de l'URSS, la démocratie locale a souvent été chancelante, et les rapports entre Kiev et Moscou de natures très différentes selon les époques (2).

L'Union fait l'info

Aujourd'hui, cette diversité de lieux d'information audiovisuels appartient presque au passé. Devant la pression de la guerre, la plupart des chaînes d'info (captables de Belgique via internet) ont désormais choisi de relayer un même signal, celui de la station Canal 24 (24 TV), la plus ancienne d'entre elles, tout en continuant à insérer leur propre logo, voire leurs propres bandeaux, dans son image.

Mobilisations, manque de moyens dans la région de Kiyv (où se trouve le siège de la plupart d'entre elles), justifient vraisemblablement cette adaptation, qui confirme toutefois aussi la pertinence de la devise nationale belge…

Sans en avoir la confirmation formelle, il ne semble pas exclu que des journalistes de plusieurs de ces chaînes contribuent désormais à ce "programme commun". Ils sont en effet nombreux à se relayer à l'image, certains en position de "standing speakers", et d'autres assis à leur bureau. Les couples de présentateurs, déjà relevés dans un précédent article (1) sont aussi toujours qu rendez-vous.

Des professionnels

Ces "anchormen" et "anchorwomen" ne donnent pas l'impression d'être en guerre, soumis à la peur ou au stress. Ils font formellement preuve d'un professionnalisme assez impressionnant, que l'on retrouve jusque dans leurs tenues vestimentaires. Les femmes sont en tailleur, les hommes ne plus souvent en costume, et portent toujours la cravate.

Toujours réalisés avec soin, ces programmes d'infos comprennent de nombreuses séquences de scènes de bombardement ou de quasi-combats, le plus souvent des réseaux sociaux (où les injures contre Poutine et les Russes que l'on pourrait entendre dans la bande-son sont soigneusement bipées). Mais tout ne provient pas de preneurs d'images anonymes. Comme en temps "normal", la télévision a ses envoyés spéciaux sur le terrain, avec lesquels elle réalise des duplex en direct. Et ceux-ci ne sont pas tournés en JRI avec des perches à selfies. Ces journalistes portent  bien sûr souvent une tenue de combat, et dans certains cas (pas illustrés ici) ils témoignent depuis des lieux touchés par des tirs. Mais sans jamais interroger qui que ce soit autour d'eux.

Tout dans le fond

À côté de Canal 24 subsistent quelques autres chaînes d'information. La plus active et la plus professionnelle semble (d'ici) être la chaîne de télévision de Kiev (KJiv Tv) qui, à l'échelon de l'agglomération de la capitale, réalise un travail identique à celui de sa consœur Canal 24. Journalistes hommes et femmes se suivent à l'écran tout au long de la journée, sur un greenkey de fond de studio animé, mais plus que significatif. En effet, il comprend au premier plan à gauche (c'est-à-dire là où n'est pas le journaliste) un des immeubles à appartements de la capitale, dont plusieurs étages ont tout bonnement été soufflés par une bombe.

Une sorte de déclinaison "horreurs de la guerre" de ces banals arrière-plans d'écran composés d'habitations auxquels recourent tant de chaînes de télévision en mal d'imagination. Tv Kijv diffuse aussi des images prises sur smartphones aux quatre coins de la ville, mais les associe parfois à des images venues d'autres localités attaquées. 
 
Un moment particulier du programme est une séquence qui s'intitule "Sans commentaires". À l'instar de ce que propose de longue date Euronews, on y laisse les images parler d'elles-mêmes. Ce qui, en l'occurrence, est amplement suffisant… et est souvent la manière dont sont conçues toutes les séquences diffusées à l'antenne. En effet, ainsi, pas besoin de recours aux voix off qui nécessitent la présence d'autres journalistes, sauf si le présentateur fait lui-même un "à travers". On a toutefois pu noter que ce "No comment" n'était pas tout le temps "No music". La fin de la séquence peut être accompagnée d'un décor musical qui la dramatise encore davantage, et lui fournit donc tout de même une sorte de commentaire. En temps de guerre, l'information que l'on vit au fond de ses tripes peut-elle ne pas être connotée?
 
Faire entrer l'extérieur
 
 
La télévision de Kiev, mais aussi d'autres chaînes comme  la 5, emploient également beaucoup les témoignages recueillis en direct en ligne via des plateformes de type Zoom, etc. Ces chaînes ne font là que recourir elles aussi à un moyen de convoquer l'extérieur dans leurs studios qu'ont "découvert" la plupart des rédactions télévisées du monde entier à l'occasion des confinements dus à la covid. Ces interventions sont souvent celles de simples citoyens, mais il y a parfois recours à des personnes plus officielles ou plus proches du monde des spécialistes.
 
 
Quand l'intégration de l'intervenant extérieur ne peut pas se faire en régie pour produire à l'antenne un split screen, les journalistes recourent à une bonne vieille méthode : celle de tout faire à l'antenne. Les correspondants extérieurs sont alors récupérés directement sur… le smartphone de l'animateur. Il y a des moments où l'urgence n'attend pas.

De l'agit-prop?

Dans tout cela, y a-t-il de la propagande? Oui, sans doute, si l'on veut désigner ainsi une construction de l'information qui entend valoriser les défaites de l'adversaire et les victoires de son camp, et qui exploite la peur de prisonniers autorisés à téléphoner à leur famille en étant filmés. Les interventions en direct et la diffusion répétée de messages des autorités y contribuent également. Mais n'est-ce pas d'abord une réaction humaine, naturelle, et pas une injonction du pouvoir en place? De la propagande, oui, plus sûrement, dans certaines séquences diffusées comme des publicités, à répétition plus ou moins régulière, et où l'on montre sur fond musical une armée ukrainienne toute puissante, disposant de matériel à l'infini. Mas celles-là sont si grossières qu'il est difficile d'y croire. 
 
 
Une seule chaîne est plus clairement impliquée dans la propagande : UA, la station que l'État a créée pour s'adresser à l'étranger. Les programmes y sont courts, doublés en anglais.
 

 Les commentaires mettent l'accent sur le drame vécu et la nécessité d'être secouru par l'extérieur. Dimitri Kuleba, ministre des affaires étrangères d'Ukraine, apparaît à chaque fin de ce court programme proposé en boucle sous forme d'un briefing qu'il tiendrait pour les journalistes ukrainiens (mais qui est réalisé pour l'international). Il y dresse la liste des 'bonnes' nouvelles de la journée. On est là, clairement, dans un exercice de communication. Un effort d'émission d'un message… mais pour quelle cible ? Communiquer, c'est dire quelque chose à quelqu'un…
 
Ce que montrent les télés ukrainiennes, c'est d'abord le drame vécu par leur pays. En tant qu'Européens de l'Ouest, ce n'est pas à nous que s'adressent ces émissions. Leur forme si habituelle, leurs formats, leurs animateurs, sont sans doute là pour rassurer les Ukrainiens, tant que faire se peut. Mais sans cacher l'ampleur de l'horreur dans laquelle on les a fait tomber. Et sans leur donner trop de faux espoirs. Sinon, de temps en temps, par sursaut de nationalisme, quand surgit un montage d'images réalisé sur fond de l'hymne national, chanté aux quatre coins du pays.
 

Ces images ne sont pas faites pour nous, certes. Mais ici, qui les regarde ? Qui s'en nourrit ? Dans le journalisme, on ne doit pas faire passer que son propre regard, voire son propre ego. Il faut aussi montrer quelle est la vérité et la subjectivité de l'autre.

Frédéric ANTOINE.
 

(1) Voir à ce propos notre article posté sur ce blog : https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2022/02/pourquoi-poutine-t-il-neglige-les.html

(2) Lire par exemple à ce sujet l'intéressante chronologie établie par le Courrier International : https://www.courrierinternational.com/article/2014/02/26/ukraine-chronologie-d-une-revolution


 


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