Le 15 mars dernier, les médias du groupe IPM ont annoncé la nomination d'un nouveau rédacteur en chef pour le quotidien L'Avenir, devenu officiellement propriété du groupe bruxellois au début de cette année. Le choix de la personne chargée de diriger une rédaction est forcément porteuse de sens. Ce dernier est en effet non seulement désigné pour animer la rédaction, mais aussi pour en orienter les choix éditoriaux, voire pour y mettre en œuvre ceux qui ont été définis par la direction du groupe.
En l'occurrence, le choix opéré par les instances d'IPM peut, peut-être, laisser entrevoir les intentions de la maison-mère à l'égard de sa filiale wallonne, ou à tout le moins pousse à se poser des questions à cet égard.
Du "sérail"
L'option retenue a été celle de doter L'Avenir d'un rédacteur en chef "du sérail". Pas du sérail du groupe L'Avenir, mais du groupe IPM. On n'a pas opté pour la désignation à la tête du journal d'une personne issue de sa propre rédaction, connaissant bien le produit avec ses qualités et ses faiblesses, et ayant vécu les difficiles années que le quotidien vient de connaître suite aux tiraillements entre les journalistes, leur ex-propriétaire et le directeur des rédactions qui, là aussi, avait été parachuté à Bouge.
Mais la personne n'a pas, non plus, été choisie hors du cénacle d'IPM. On aurait pu imaginer que, comme le fit Nethys, IPM se soit tourné vers l'extérieur pour trouver la personne providentielle chargée de booster le quotidien wallon et de l'envoyer sur orbite. Les personnalités brillantes, qui ont déjà piloté des rédactions ou connaissent bien les spécificités de la presse régionale, ne manquent ni en Belgique ni en France, par exemple.
IPM a donc décidé de choisir en interne un de ses hommes. Nous aurions eu envie d'écrire "un de ses pions", mais la qualification péjorative du terme, que Larousse définit comme "Personne, élément qui ne joue qu'un rôle minime, qui est manipulé, dont on dispose arbitrairement", nous empêche évidemment de recourir à ce mot. Nous n'écrirons pas non plus "une de ses femmes" car ce groupe n'a pas coutume, dans ses activités de presse, d'attribuer à la gent féminine un grand nombre de responsabilités essentielles (1).
Un professionnel de terrain
IPM délègue donc à L'Avenir un de ses hommes. On ne peut y voir qu'une volonté de veiller à ce que L'Avenir s'inscrive bien dans les rails du groupe propriétaire, et ne cherche à jouer cavalier seul. Le passé a en effet montré que la rédaction du titre wallon ne manquait pas de velléités d'indépendance. Il s'agit ici qu'elle reste bien dans les rangs. Ce rôle est la moindre des fidélités que la direction d'une entreprise puisse attendre de la personne à qui elle offre une promotion au sein de son groupe.
Au sein d'IPM, deux choix s'offraient à l'actionnaire. Détacher à L'Avenir un gestionnaire ou un journaliste. C'est ici la seconde option qui a été retenue, et on peut s'en réjouir, car il s'agit bien de piloter une rédaction chargée de produire de l'information, et non d'abord de la gérer.
Restait dès lors à déterminer d'où viendrait la perle rare. On aurait pu imaginer que l'heureux élu soit issu des rangs de La Libre. Non tant parce que les deux titres partagent le même passé d'appartenance au giron catholique, mais pour la vision qu'ils ont en commun de ce qu'est une information de qualité, originale et exigeante. Le slogan du titre namurois, que son propriétaire a maintenu dans les spots publicitaires diffusés pour l'instant (alors qu'il existe depuis 2015), n'affirme-t-il pas que "L'avenir est au contenu"? Evidemment, La Libre n'a (plus) aucune ambition d'être un quotidien à composante régionale. Cela ne plaidait donc pas en faveur d'une sélection de ce côté.
Le choix s'est donc fait du côté de La DH-Les Sports. Ce quotidien affiche neuf éditions régionales en ligne et sept éditions sur papier. Il s'agit donc d'un titre revendiquant un ancrage dans la presse régionale, ce qui n'est pas sans poser question en rapport avec le rachat de L'Avenir… mais aussi avec la nomination, à la tête de sa rédaction, d'un personne qui occupait le rôle d'adjoint du rédacteur en chef de La DH.
Orienter L'Avenir
Par cette sélection, IPM a-t-il choisi de mettre à la tête de L'Avenir une personne ayant fait une partie de sa carrière dans la presse régionale parce que c'était le moyen d'être le plus en phase avec l'identité de la rédaction du titre namurois? L'idée paraît évidente, même si le curriculum vitae de la personne concernée révèle qu'elle a principalement été active dans l'actualité judiciaire et le fait divers.
D'autres scenarii ne sont-ils envisageables? Le directoire d'IPM entend-il ainsi veiller à ce que L'Avenir pratique dorénavant une locale plus populaire (et donc proche de celles des techniques de La DH), ce qui pourrait permettre de rajeunir (et d'urbaniser) le lectorat d'un titre beaucoup trop confortablement enfoncé dans ses vieilles pantoufles?
Dans un autre sens, IPM n'aurait-il pas un jour le projet de "dé-régionaliser" la DH, en confiant à L'Avenir seul le pôle local du groupe, mais en mixant dans ses contenus les caractéristiques populaires du titre bruxellois et la localité du journal namurois? Un bon rédacteur en chef serait bien utile dans cette perspective. Dans pareil scénario, on pourrait imaginer que la DH se voie recentrée sur l'info-géné et, surtout sur le sport, et non sur le local.
A l'inverse, le projet final se serait-il pas de bipolariser la couverture régionale du groupe, en distinguant d'une part une locale plus urbaine, plus associée aux faits divers et au judiciaire, qui serait aussi liée aux grands clubs de sports, et serait portée par la DH et, d'autre part, une locale plus semi-rurale, plus traditionnelle, qui resterait l'affaire de L'avenir? Mais faut-il recourir à une nomination interne provenant justement de La DH pour mettre en œuvre pareil projet?
A moins que, au lieu de tout cela, la logique et la rationalité économique, qui prévaut souvent chez IPM, n'amènent à terme à la disparition des deux titres, et à leur fusion dans un projet commun alimenté par les deux produits actuels. La possible disparition à ± moyen terme des éditions papier, qu'annonce de longue date le management d'IPM, pourrait y contribuer. Tout comme elle pourrait aussi, a contrario, aboutir à une disparition de La DH "papier", mais au maintien (au moins temporaire) de L'Avenir sur ce support, en raison du profil de son lectorat.
L'avenir de L'avenir n'est pas encore écrit. Mais, comme mentionné dès le début de ce texte, la délégation sur les hauteurs de la capitale wallonne d'un haut responsable de La DH ne peut empêcher de se poser des questions. Rien que des questions. Sans aucune autre intention.
Frédéric ANTOINE.
(1) sinon dans ses branches marketing et autres activités, où les femmes occupent d'importantes fonctions.