User-agent: Mediapartners-Google Disallow: User-agent: * Disallow: /search Allow: / Sitemap: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/sitemap.xml

Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

28 octobre 2024

Exactitude de l'info : il peut suffire d'un mot

Livrer une info exacte ou pas ne tient parfois qu'à un (ou quelques) mots. Les titres publiés par les médias lors de la fin du synode de l'Église catholique, samedi dernier, en livrent un exemple édifiant.

Alors, les femmes seront-elles autorisées à être prêtres dans l'Église catholique un jour ou l'autre ? Pour les médias, c'était un peu cela la seule et unique question qui valait que l'on porte un peu d'attention au dernier synode catholique qui se déroulait au Vatican. Alors, quand le document final produit par la docte assemblée a été rendu public samedi en fin d'après-midi, c'est là-dessus que tout le monde s'est focalisé. Avec (comme s'il pouvait en être autrement) une grosse déception à la clé. Naïfs, les médias avaient sans doute imaginé que prélats et autres dignitaires s'étaient rendus à Rome pour non seulement y faire la révolution, mais aussi en quelque sorte pour signer leur propre arrêt de mort de mâles dominants. À Rome, il ne suffit pas de rêver…

Quoi qu'il en soit, à la lecture de ces célestes conclusions, les médias sont restés sur leur faim. Le 26/10 en fin de journée, ils se sont donc fendus de titres qui disaient, sans vraiment le dire, quels étaient leurs sentiments ou leurs espoirs. Il n'y a rien là qu'il ne puisse leur être reproché, sauf que, dans beaucoup de cas, l'info ainsi transmise avait un petit air de nouvelle tronquée, voire pas franchement inexacte.

« OUVERTE »

Une première catégorie de titres (relevés dans l'univers des médias francophones), optimistes et positifs, annonce que l'Église catholique « laisse “ouverte” la question de l’ordination des femmes ». Une autre catégorie, quasiment aussi nombreuse, est plus nuancée. On y lit que l'Église catholique « laisse en suspens la question de l’ordination des femmes ». Fameuse nuance : laisser une question “en suspens” n'est pas synonyme de dire qu'elle est “ouverte”. Car, “en suspens”, on ne sait pas si la question est en définitive ouverte ou fermée. 

Comme l'écrit Le Robert, “en suspens” signifie : « Dans l'indécision ; sans solution, sans achèvement. ». Ce qui n'a pas de rapport avec le fait d'être ouvert (dans le sens de « être ouvert au dialogue », c'est-à-dire « accepter la discussion » (1). Ce qui permet de rappeler ici que si, en ordre général, on considère qu'une porte est “ouverte” ou “fermée”, les Belges (et surtout les Bruxellois) savent qu'il existe aussi des cas où elle n'est ni l'un ni l'autre, mais “contre”.

Alors, que dit vraiment le fameux texte à ce propos ? Dans sa version anglaise, ont y lit au §60 "Additionally, the question of women's access to diaconal ministry remains open." Ce qui se traduit incontestablement par : « De plus, la question de l'accès des femmes au ministère diaconal reste ouverte. » Rome a écrit « reste ouverte », et pas « est en suspens », ce que le texte anglais aurait dû mentionner par les expressions "The question is pending" ou "The issue is unresolved." 

DIA (DE) CONAL ?

Peut-on dire que les médias qui ont opté pour “en suspens” ont été plus proches du commentaire que ceux qui ont utilisé l'expression “reste ouverte” ? Sans doute. Mais il n'y a pas que cela. Et c'est là qu'intervient l'art de la précision. Le fameux §60 parle en effet de « la question de l'accès des femmes au ministère diaconal ». Or, la plupart des titres font référence à « l’ordination des femmes », ce qui n'est pas tout à fait la même chose ! Pour le grand public, à supposer qu'il signifie encore quelque chose (2), le mot “ordination” est associé au terme “prêtre”. On parle de l'ordination à la prêtrise, du fait de devenir prêtre. L'ordination au diaconat est certes une ordination, mais un(e) diacre n'est pas un prêtre, loin de là. En utilisant les termes “ordination des femmes”, les médias pratiquent la métonymie, et même plus précisément une synecdoque : ils utilisent le tout pour désigner une partie. Avant de devenir prêtre, le candidat est bien d'abord ordonné diacre. Mais ce n'est pas parce qu'il devient diacre qu'il est ordonné prêtre. En l'occurrence, le tout (“ordination à la prêtrise”) n'est pas synonyme de la partie du tout (“ordination au diaconat”).

Voilà comment on laisse croire que l'Église catholique laisse ouverte la discussion sur l'ordination de femmes prêtres, alors qu'il s'agit juste de savoir si elles pourraient un jour devenir des petits sous-prêtres, c'est-à-dire des diacres (3)…

Les titres auraient mentionné que le sujet concernait l'ordination diaconale, il n'y aurait rien eu à redire. Mais c'était sûrement moins sexy et accrocheur, d'autant que, si déjà peu de gens peuvent dire ce qu'est un diacre, personne ne sait ce qu'est une ordination diaconale…

Dans ce micmac, il y en a qui s'en tirent : les médias qui apportent bien cette précision. Nous avons ainsi trouvé la formule « laisse “ouverte” la question de l’ordination diaconale des femmes » dans un titre du Figaro, qui s'adresse à un public plutôt catho bien élevé. « Laisse “ouverte” la question de l’ordination des femmes comme diacres », notamment dans La Provence, presse régionale qui doit être plus concrète. Ou, sur le site Info de la RTBF, « Au terme d’un sommet au Vatican, l’Église catholique laisse “ouverte” la question de l’ordination des femmes comme diacres ». Là tout est dit sauf qu'il ne faut pas confondre “sommet de l'OTAN” et “réunion finale” du synode…  

A contrario, on notera qu'un vénérable et vénéré quotidien français comme La Croix n'a pas, lui aussi, hésité à titrer « laisse en suspens la question de l’ordination des femmes ». Les assomptionnistes sont parfois aussi mal chaussés…

TOUS LES MÊMES…

Mais alors, pourquoi tant de similitudes ? Eh bien parce que, comme nous l'avons déjà pointé par le passé ici, tous ces titres sont simplement ceux… des dépêches des agences de presse, qu'en ce samedi fin de journée, les préposés chargés de mettre de l'actu dans les médias se sont contentés de repiquer pour en faire des articles sans se mouiller. 

En France, l'AFP est l'auteure de la formule « laisse en suspens la question de l’ordination des femmes ». En Belgique, Belga titrait « laisse ouverte la question… ». D'où les deux formules retrouvées dans les médias, et l'extension généralisée du sujet à la question de l'ordination, sans plus de précision. Pas plus compliqué que ça…

Ah, pour être de bon compte, reconnaissons tout de même que la dépêche de Belga débutait en indiquant que « L’Église catholique laisse “ouverte” la question de l’ordination des femmes comme diacres, une fonction précédant celle du prêtre, sans aborder la question de la prêtrise, au terme d’un sommet mondial sur l’avenir de l’Église au Vatican », ce qui donne bien toutes les bonnes informations et les contextualise utilement. 

Alors que la dépêche de l'AFP s'ouvre elle sur beaucoup plus de flou : « L’Église catholique a reconnu samedi le manque de visibilité des femmes dans sa gouvernance tout en laissant en suspens la question de leur ordination, une déception pour les militantes qui espèrent voir bouger les lignes de l’institution deux fois millénaire. » Toujours pas ici de précision exacte sur la question de l'ordination, mais un début de décentrement qui met l'accent sur un des autres éléments de ce fameux §60 où la question du diaconat féminin n'occupe en réalité qu'une phrase : le manque de visibilité des femmes dans l'institution romaine.

Tout cela n'est-il pas, en définitive, une simple nouvelle discussion sur le sexe des anges, alors, que sur le fond, rien ne change ? Pas sûr, quand on rêve de médias précis, éclairants et diversifiés.

Frédéric ANTOINE.

(L'illustration de ce texte a été générée par l'AI)

----

(1) https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/ouvert/
(2) Ce dont on peut franchement mettre en doute pour une très grande partie de la population .
(2) Voir à ce sujet le procès gagné récemment par la belge Veer Dusauchois qui s'était vu refuser l'accès à une formation au diaconat par la hiérarchie religieuse catholique.


Ce que vous avez le plus lu