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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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23 mai 2020

Paroles d’experts : (2) Des avis sur tout dans « Le parti pris » (Matin Première)



Les experts sont-ils toujours convoqués par les médias en raison du caractère pointu de leurs compétences dans un domaine ? Si cela s’avère être le cas dans Questions en prime (cf. article du 22/05), en est-il de même dans la séquence « Le parti pris » de Matin Première ?

« Le parti pris » est une rubrique qui existe depuis plusieurs années au sein de la matinale radio de La Première, où elle occupe actuellement un créneau quasi quotidien d’une quinzaine de minutes, débutant un peu après 8h30.

L’émission apparaît lors de la refonte de la matinale de La Première, en septembre 2017. À l’occasion de cette remise à plat, l’inaltérable séquence historique d’interview « politique » de l’émission change de journaliste. Celui qui la pilotait jusque-là devient titulaire de la plage de midi de la chaîne, avec un programme d’échange d’idées intitulé Débats Première. Au sein de la matinale, « Le parti pris » n’est programmé que le dernier jour de la semaine, après les informations de 7h, situation que traduit le slogan : « Le vendredi, c’est ‘Le Parti pris’. »
Depuis la rentrée 2019, la refonte de la programmation de La Première a supprimé l’émission de débats de mi-journée. « Le parti pris », pour sa part, est passé du début de la deuxième heure de la matinale au début de sa dernière demi-heure. Mais, surtout, son rythme est devenu presque quotidien (la séquence n’est pas proposée le vendredi).

Le principe de l’émission est de faire débattre deux invités autour de deux thèmes liés à l’actualité. Si l’on s’en réfère au titre da séquence, celle-ci promet de donner aux intervenants l’occasion de communiquer leur ‘parti pris’, c’est-à-dire leur prise de position définitive sur un sujet. Selon le dictionnaire de l’Académie française, en effet, « la locution nominale parti pris désigne une opinion préconçue ou une décision prise d’avance » (1). Il s’agirait donc moins ici de commenter que d’argumenter, de justifier sur quoi repose le ‘parti pris’, une des questions à éclaircir étant de déterminer si l’opinion ainsi exprimée l’est ou non à titre personnel.

Un rendez-vous d’habitués

À ses débuts, « Le parti pris » recourt à un nombre très restreint d’intervenants. Dans l’impossibilité matérielle de dresser ici l’inventaire complet de ceux-ci, on relèvera que François Gemenne, professeur à l’ULG et à Sciences-Po Paris, se révèle immédiatement un pilier du programme. Idem pour Alain Gerlache, journaliste et chroniqueur de la RTBF. Autour d’eux, l’un ou l’autre représentant du monde académique, dont une politologue de l’ULB, font aussi partie des invités récurrents. Ils seront rejoints par quelques journalistes, certains extérieurs au personnel de l’entreprise publique de radio-télévision.


Le passage de la séquence à un rythme quasi quotidien va entraîner un léger élargissement de ce panel relativement conventionnel. Le relevé des intervenants des vingt éditions de la séquence qui se sont déroulées du 24 février au 20 mai 2020 (2) totalise une vingtaine de noms différents. Ce qui ne signifie pas que tous ces participants ont eu la parole à parts égales, c’est-à-dire à deux reprises. Certains noms reviennent de manière très récurrente : un invité est intervenu à cinq reprises, deux à quatre, deux à trois. Le plus grand nombre n’est passé à l’antenne que de manière sporadique : six personnes deux fois, et neuf à une seule occasion.

Un parti pris journalistique ?

Dans cette distribution figurent aux premières places des ‘piliers’ historiques du programme, mais aussi des participants arrivés plus récemment. La part des femmes est plutôt réduite (4 débattrices sur 20), déficit d’autant plus marqué que la plupart d’entre elles n’y sont pas fréquemment conviées.
Le statut de chacun de ces locuteurs n’est pas aisé à cerner. En effet, ceux-ci comptent parfois plusieurs domaines d’activité. Leur présentation telle qu’elle est exprimée à l’antenne peut bien sûr aider à les classer, mais celle-ci n’est pas toujours identique (3).
De plus, il n’est pas certain que la présence de tous les intervenants se justifie uniquement par leur domaine d’activité actuel, mais aussi par la nature de leur parcours antérieur ou de leur carrière.

Tout en reconnaissant que les classifications sont nécessairement réductrices, il a été tenté de réunir ces personnes en de grandes catégories. Il en ressort que, pour la période analysée, la majorité des débatteurs appartient aux mondes du journalisme, des médias et de la communication. Certains sont clairement journalistes, d’autres travaillent dans la communication ou sont porte-parole d’organisations.
Quelques participants peuvent être considérés comme relevant de l’univers des philosophies et des spiritualités. Les débatteurs restants sont issus d’associations liées aux mondes de l’éducation et de la culture, ou encore aux mouvances politiques ou universitaires.

En fonction du nombre d’interventions de chacune des personnes, il apparaît que la moitié des prises de parole sont le fait de journalistes et de professionnels des médias et de la communication, et un peu moins du quart de spécialistes des questions philosophiques et spirituelles. Le monde universitaire vient en troisième position.

Des champs très larges

Ces intervenants sont-ils des experts ? Leur parole est-elle convoquée en raison de la compétence particulière qu’ils possèdent sur l’un ou l’autre sujet ?
Certes, les invités du « Parti pris » le sont parfois en fonction de leur expertise par rapport à un des sujets traités (une militante féministe lors de la journée des droits des femmes, un critique de cinéma pour le septième art en crise, un associatif engagé dans un quartier d’immigration lorsque la Turquie décide d’ouvrir ses frontières aux migrants…). Mais ces cas sont plutôt rares,
Le plus souvent, le secteur de compétence de la personne n’a qu’un très lointain rapport, voire aucun lien, avec les thèmes mis en discussion. À titre de simples exemples, et sans vouloir mettre ici quiconque en cause, au cours de la période observée, un ‘expert en affaires publiques’ (pour autant que l’auditeur comprenne de quoi il s’agit) se prononcera sur la crise migratoire à la frontière turque. Le porte-parole d’une organisation soutenant des minorités sexuelles jugera le procès Fillon. Une communicatrice convertie dans la promotion de l’égalité hommes-femmes prendra parti sur le carnaval d’Alost. Un vicaire épiscopal apportera sa lecture sur la gratuité des transports en commun. Une militante laïque commentera le procès Assange, ou une ancienne responsable de presse, fondatrice d’un cercle féminin, évaluera l’avenir de Brussels Airlines après la crise du covid.
Tout le monde peut avoir un avis à exprimer sur chacun de ces sujets. Mais est-ce ici en raison d’un positionnement ou d’une expertise particuliers ? Une simple lecture ne semble pas confirmer que ce soit sur base d’une qualification particulière que la parole de ces personnalités ait toujours été sollicitée.

Spécialistes de tout

Une confirmation de cette impression ne peut que venir de la prééminence exercée dans le panel d’intervenants par la catégorie des « journalistes et de professionnels des médias et de la communication ». Bien sûr, celle-ci est vaste, et l’expertise d’un journaliste n’est pas celle d’un autre, ni n’est de même nature que celle d’un conseiller en relations publiques, ou de quelqu’un qui est passé du monde du journalisme à celui de la communication (pour parfois revenir ensuite à ses premières amours…). Mais l’importance accordée aux personnes issues de ces secteurs n’est-elle pas d’abord liée au fait que celles et ceux qui y sont actifs  sont très souvent (ou se considèrent comme) des ‘généralistes’, voire, selon l’expression un peu péjorative de Denis Ruellan, des « professionnels du flou ». Soit, dans ce contexte-ci, des personnes ayant un regard si vaste et englobant sur l’actualité qu’il leur est à peu près loisible de parler de — et de réagir sur — tout. Une sorte d’expertise quasiment universelle, en quelque sorte.

Car, dans cette séquence, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les thématiques abordées variant au fil de l’actualité du jour, il y est attendu que l’invité ait, sur ces sujets, la capacité non seulement d’exprimer un commentaire, mais aussi celle de porter un regard. Et, normalement, d’exprimer son ‘parti pris’.

Au fond, des convictions

Une lecture à peine plus approfondie du parcours et du positionnement de chacun des intervenants du « Parti pris » suggère que le choix de ces personnes au sein du panel repose aussi sur d’autres critères. Leur diversité veille également à tenir compte de la diversité des tendances, opinions, courants philosophiques, politiques ou religieux de la société belge dans lesquels ces acteurs sont plus ou moins directement impliqués.
Fidèle à ses obligations de service public, la RTBF ne peut éviter de recourir à de savants équilibrages. Même si ceux-ci ne paraissent pas toujours relever de la précision de l’apothicaire.
Certaines et certains débattrices et débatteurs y font d’ailleurs parfois allusion dans leur prise de parole. La légitimité de leur présence peut être officiellement présentée en fonction de leur inscription dans un champ de compétence. Mais c’est aussi, sinon surtout, au départ de leurs convictions, de leur positionnement et de leurs engagements philosophiques, politiques ou idéologiques, que leur parole véhiculera un sens, un message. Un parti pris.
Toutefois, cette raison finale, il appartiendra à l’auditeur lui-même de la deviner. Sauf dans les rares cas où l’habit fait le moine, il aura à lire entre les lignes. Et comprendre lui-même ce qui se cache derrière le nom d’une société, d’une association, d’un mouvement… dont on se contentera de donner l’intitulé dans la présentation de la séquence.

Sur l’agora

À l’instar de bon nombre d’autres contenus de radio, « Le parti pris » est une émission de discussion, de partage d’idées. Mais pas un lieu où la connaissance et les compétences thématiques de certains sont convoquées pour, que, à partir d’elles, l’auditeur puisse être aidé à se forger sa propre opinion. Certes, il pourra se nourrir des propos tenus, mais en considérant qu’il s’agit d’abord là de paroles privées, exprimées à titre personnel.
Personne ne contestera  que tous celles et ceux qui prennent part à cette séquence disposent aussi, sinon d’abord, d’un statut, d’une étiquette particulière. Qu’ils bénéficient d’une certaine reconnaissance sociale. Mais celle-ci leur octroie-t-elle un droit d’expression particulier sur des sujets qui peuvent inspirer des pensées à tout un chacun ?

À moins que l'erreur soit de considérer ces intervenants comme des experts. Ne devrait-on pas plutôt les qualifier des chroniqueurs? Pour ceux dont la présence à l'antenne est fréquente, l'appellation est sans doute (aussi, voire plus) pertinente. Mais pour tous les autres ?

Frédéric ANTOINE.

(1)    http://www.academie-francaise.fr/jai-pris-le-parti-pris
(2)    La séquence n’a pas eu lieu pendant la période du 6-9 ensemble.
(3)    Notamment entre ce qui est exprimé oralement par le journaliste-animateur et ce qui s’affiche sur la version audiovisuelle diffusée en ligne.

22 mai 2020

Paroles d'experts dans les médias: (1) Science et rassurance dans "Questions en prime" (La Une RTBF)

Dans leur traitement de l'actualité, les journalistes doivent-ils faire appel à la parole de personnes supposées compétentes? Ou, au contraire, l'occupation d'une partie de l'espace médiatique par un discours d'expertise ne contribue-t-elle pas à la mise en cause de la crédibilité des journalises, voire au rejet de leur légitimité? Et ce a fortiori dans un monde où bon nombre d'expressions de représentants de l'establishment sont, dès le départ, sujettes à suspicion?
La place que les experts occupent dans les discours médiatiques est un sujet de débat sans fin.

Sans envisager résoudre le fond de la question, portons un petit regard sur deux 'cas'parmi d'autres. Le premier, développé dans ce texte, concerne la place que les experts occupent dans l'émission de crise Questions en prime, proposée après le JT de 19h30 de La Une (RTBF).
Le second, qui fera l'objet d'un texte séparé, traitera des experts dans la séquence Le parti pris, diffusée après 8h30 dans la matinale radio de La Première (RTBF).

Comparaison n'étant évidemment pas raison, il a semblé plus utile de développer ces quelques réflexions en deux articles plutôt que des inscrire dans un seul texte. Questions en prime a en effet vu le jour en urgence face aux questionnements de la population devant la pandémie et les mesures radicales prises pour l'endiguer.  Le parti pris est une rubrique qui existe depuis plusieurs années, et qui peut être considérée comme un lieu de débat remplaçant celui qui était précédemment proposé par la même chaîne de radio, mais à l'heure de midi.

Réponses d'experts

Questions en prime ne donne pas la parole qu'à des experts. Une large place y est laissée au questionnement et à la parole des téléspectateurs, ainsi que de divers acteurs de la société civile. Mais la structuration de l'émission repose bien sur la parole experte. Chaque jour, les sujets mis sur la table sont soumis aux personnalités présentes sur le plateau pour que celles-ci y apportent réponse, même si ces thématiques ne figurent pas au centre de leurs domaines de compétences.

Les experts sont ici convoqués en raison de leur légitimité. Outre l'une ou l'autre personne intervenant par visioconférence, les émissions sont quasiment à chaque fois bâties autour de deux spécialistes d'une problématique (essentiellement scientifique ou médicale) liée au covid-19. Quelques éditions, surtout en début de crise, ont accueilli un plus grand nombre d'intervenants. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs duré beaucoup plus longtemps que la moyenne du programme, qui est d'un peu plus de 30 minutes (voir l'article du blog daté du 5 mai).

Sourire et compétence

Certains experts occupent l'antenne davantage que d'autres. Entre ces 12 et le 20 mai, le professeur de santé publique de l'ULB Yves Coppieters y a ainsi pris part à cinq reprises. A cette période, il est la seule personnalité à occuper le plateau de manière récurrente. Une situation qui s'explique sans doute en fonction de son domaine de compétence, fortement sollicité en période de sortie de confinement. Mais le caractère affable, le sourire permanent et l'attitude rassurante du personnage ont aussi contribué à le rendre indispensable. Dans pareille émission, la médiagénie d'un intervenant aide à faire passer son message. Et tous autres intervenants ne disposent pas de la même aisance.
Même si, en prévision d'éventuelles autres crises, il était peut-être utile d'inclure quelques cours d'expression communicationnelle dans la formation des chercheurs et des médecins, on ne peut pas considérer que cette seule raison explique pourquoi, pendant cette période, les autres invités n'ont été présents dans l'émission qu'en 'one shot'. D'autant que, pour la plupart, ils avaient déjà pris part à des émissions antérieures.
L'accès aux archives récentes de l'opérateur public étant fortement limité dans le temps, aucun relevé systématique de l'identité de toutes les sommités convoquées depuis la mi-mars n'a pu aujourd'hui être établi. Mais la diversité des experts, et leur présence fréquente sur le plateau peuvent être confirmées sur base de coups de sonde dans les documents audiovisuels accessibles, ainsi que par l'expérience de vision personnelle. Un recensement, sûrement incomplet, permet de dresser la liste d'au moins une vingtaine de noms de personnes, essentiellement issues du monde des sciences, toutes les universités étant peu ou prou représentées, ainsi que de celui de la pratique médicale, généralement en hôpital (souvent universitaire). Un souci d'équilibre entre lieux de recherche et d'enseignement semble avoir concouru aux choix réalisés par la production.

Le panel des intervenants semble, au début de la crise, avoir été assez large, et parfois institutionnel. Les experts sont accompagnés de représentants officiels d'institutions ou de structures hospitalières, comme s'il ne s'agissait pas tant d'apporter une expertise que d'affirmer une présence. Au fur et à mesure que la crise évolue et que surgissent des questionnements sur "l'après", la parole experte devient à peu près seule à structurer le programme.

Expliquer et rassurer

Dans Questions en prime, les experts sont convoqués pour expliquer, mais aussi pour rassurer. Leur rôle est de répondre aux discours de craintes ou de doutes, ainsi que de contrer les rumeurs, en y opposant une parole scientifique, qui est aussi d'abord la leur, à titre individuel.
Dans la mesure du possible, ils étaient donc celle-ci par des données et des chiffres. Au fil du temps, ils la conforteront aussi ponctuellement en évoquant des résultats de recherches déjà menées au plan international. À certains moments, l'un ou l'autre expert ajoutera aussi parfois des avis ou des commentaires plus personnels, que le statut de leur communication aura tendance à mettre sur le même pied que les propos scientifiques. Certaines paroles reposeront aussi parfois sur leurs intuitions ou leurs impressions. A la vision du programme, on s'interroge dès lors parfois sur ce qui permet d'asseoir l'avis, parfois péremptoire, émis par l'expert. Mais on ne peut perdre de vue le risque (peut-être non calculé) qui prend ici celui qui accepte de s'exprimer 'sans filet', le programme étant diffusé en direct et sans possibilité éventuelle de rattrapage, ou de repositionnement a posteriori, de son propos.

Dans cette émission, le rôle conféré à l'expertise était assurément de (r)établir la confiance, et de soutenir avec discernement plutôt que de remettre en cause les discours et mesures de santé publique prises par la CNS. Le caractère pédagogique du programme s'inscrit d'abord dans une certaine vision de la mission de service d'éducation permanente conférée à la RTBF en tant que service public. Et moins dans celle d'informer le public, même si les deux objectifs sont fréquemment imbriqués.
L'usage classique de l'expertise qui y a été développé s'inscrit dans cette visée.
S'agissait-il toutefois là de la seule option envisageable? Lorsque viendra le temps de l'évaluation, la question sera sans doute soulevée.

Frédéric ANTOINE

Le point (2) de Paroles d'experts dans les médias fera l'objet d'un autre article très prochainement sur ce blog


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