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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

11 avril 2022

Utiles, les médias belges les soirs d'élections présidentielles en France ?


Médias belges et résultats des élections présidentielles en
France : cela sert vraiment à quelque chose de donner les scores avant tout le monde ? Ou ça permet seulement de faire du buzz ? L'exemple du premier tour 2022 est édifiant…

On allait voir ce que l'on allait voir. Une nouvelle fois, les médias belges, non soumis aux diktats des autorités françaises, allaient pouvoir jouer les trouble-fête et donner, avant tout le monde, le résultat des élections en France. Sport national, cette entourloupe extraterritoriale était même annoncée avec fierté par certains médias de chez nous, mode d'emploi à l'appui, comme s'ils recommandaient de la sorte à nos cousins d'Outre-Quévrain de ne pas perdre de temps pour savoir à quelle sauce politique ils allaient être mangés.

Les "bons" médias belges se sont même appliqués à informer nos amis français que, s'ils relayaient les informations recueillies sur les sites noirs-jaunes-rouges, ils risquaient gros. Quand on frouchelle un peu avec les lois, ce qui est le sport national belge, on n'est jamais trop prudent…
 
 
FAIRE MONTER LA SAUCE
 
Qu'ont donc découvert les resquilleurs de l'Hexagone en osant s'aventurer dans les marais belges avant 20h le dimanche 10 avril ? D'étranges choses en somme. Tout commence un peu après 15h. Grâce à des informations exclusives recueillies par La Libre Belgique auprès d'une "source fiable", les médias belges divulguent les uns après les autres les résultats de l'élection dans plusieurs départements d'Outre-Mer.
Un fait d'armes dont le quotidien bruxellois n'est pas peu fier, d'autant que, en plus, le leader de la France Insoumise, majoritaire, est toujours suivi de la candidate du RN, et que le président sortant n'arrive qu'en troisième place. Quelle info ! Tellement marquante qu'elle va être relayée dès 15h37 par un flash de l'agence de presse officielle belge Belga, ce qui va permettre à toute la presse nationale de faire monter la mayonnaise d'un bon cran.


Personne n'écrira que ces résultats ne concernent "que" certains départements éloignés, ne donnera de précision sur l'impact que ces résultats peuvent avoir sur une projection nationale, ni ne comparera avec ce qu'il s'était passé là-bas en 2017 (ce qui ne manquait cependant pas d'intérêt, car c'était alors Emmanuel Macron qui était en tête…). 

Bref, juste de quoi amener le lecteur à conclure qu'un match Mélenchon - Le Pen pourrait bien émerger à l'échelon de toute la France. Une groooooooosse surprise en perspective !

ENTRETENIR LA MAYONNAISE

Il ne s'agit toutefois là que de mignardises en comparaison du plat de résistance que tous les médias belges attendent dès les alentours de 18h, lorsque sortiront les premières estimations basées sur les sondages réalisés à la sortie des urnes. Et, eux aussi, apporteront leur bon lot d'inattendu. 
 

Impossible, pas français?  Mais si. Les voilà qui arrivent dans la dernière ligne droite, ils sont au coude à coude, cela va se régler dans un sprint ou à la photo-finish. La soirée risque d'être vachement passionnante. En tout cas bien plus que prévu. Cette élection est vraiment exceptionnelle. Heureusement que les médias belges sont là pour l'annoncer si tôt.
 
D'autant que, quelques minutes plus tard, un autre sondage redit la même chose. Deux sources indépendantes qui se répètent, en journalisme, c'est bien connu, ça veut évidemment dire qu'il n'y a plus de doute (1). On est assurément dans le bon. Bien sûr, on répète à chaque fois que ce ne sont que des premières indications, qu'il faut être prudent. Mais à lire ou entendre les commentaires, ce que disent les journalistes n'est pas de l'ordre de la supputation. 
 
 
Les médias sont même si sûrs de leur coup qu'ils publient déjà le classement à l'arrivée, avec infographie complète à l'appui (on appréciera particulièrement le choix des couleurs retenues pour catégoriser les candidats).
 

ENCORE PLUS FORT
 
Dans ce chorus médiatique, la chaîne de télévision publique RTBF, qui a installé ses studios à Paris, n'est pas en reste. Elle est même à l'origine de la divulgation de certains des résultats de sondages à la sortie des urnes (dont les données seront, à nouveau, aimablement reprises par l'agence de presse officielle belge Belga). Perchés sur un toit de Paris, les journalistes de la télévision publique, un peu frigorifiés malgré le soleil couchant, attendent fébrilement que tombent de nouveaux "résultats". Peu après 19h, les chiffres s'affinent. Là aussi, on recourt à une infographie semblable à celle qui présenterait les scores finaux, et que l'on intitule "estimation" (alors qu'il s'agit plutôt d'un sondage…).
 
 
Par chance, le match est toujours serré, tout reste encore possible. D'autant que, sur leur terrasse parisienne, les journalistes ont d'autres chiffres. Alors que débute le JT de 19h30, ils révèlent qu'un premier sondage remet les compétiteurs à égalité à 25% (mais alors, pourquoi diffuser juste avant une infographie qui dit le contraire ?). Et puis, surtout, voilà que tombe une nouvelle, plus incroyable encore : un autre institut de sondages place Marine Le Pen en tête devant Emmanuel Macron ! "On reste évidemment prudents, mais c'est la première fois qu'il y a un sondage qui donnerait, on utilise le conditionnel, Marine Le Pen devant Emmanuel Macron", commente le principal présentateur. Le conditionnel, éternel sauveur de l'information potentiellement vraie, mais pas sûrement…
 
Suite à pareille nouvelle, la chaîne se dépêche de donner la parole à ses envoyés spéciaux dans les QG des deux principaux protagonistes. Chez Marine Le Pen, ce duplex inopiné prend le journaliste un peu de court. Pour éviter la froidure, il avait revêtu son manteau, dont il s'empresse de se débarrasser comme il peut en direct à l'antenne avant d'affirmer : "Je peux vous dire que la confiance est de mise parmi les militants ici." Quelques minutes plus tard, passage au QG d'Emmanuel Macron où le journaliste, bien au chaud à l'intérieur, paraît confirmer les tendances annoncées précédemment : "Je ne vais pas vous dire que c'est la fête. Pour l'instant ce ne sont pas vraiment les sourires qui prédominent. C'est plutôt la soupe à la grimace. On est plutôt inquiets." (2) À 19h42, les carottes seraient-elles cuites pour le président sortant ?
 
TOUT ÇA POUR ÇA
 
Un peu plus de quinze minutes plus tard tombent les premières (vraies) estimations. Elles situent les deux premiers candidats à 28,1% et  23,3%. À l'heure où ces lignes sont écrites, sur 97% de bulletins dépouillés, le score est de 27,6% et 23,4%. Est-ce un résultat au coude à coude, à moins de 1% près ? Les pourcentages finaux correspondent-ils à ceux des sondages, plutôt souvent présentés comme des projections ? Les militants de En Marche faisaient-ils vraiment la grimace ? Certes, Jean-Luc Mélenchon frise désormais les 22%, mais avec ce score (supérieur à ce que donnaient les sondages de dimanche après-midi), il ne se hisse pas au second tour. Sans parler de Valérie Pécresse, qui termine à moins de 5% alors que les "projections" la situaient bien au-dessus. Finalement, il n' y a que Eric Zemmour qui soit plus ou moins dans les clous prévus. Mais, de sa part, qui en douterait ?

Hier, les médias belges ont vécu une bonne après-midi et un bon début de soirée. Cela a été fébrile sur les claviers et les écrans. Mais l'information y a-t-elle gagné, et en particulier l'électeur français qui se serait fié aux oracles en provenance des bords de Senne ?  Pas sûr.

Frédéric ANTOINE.

(1) En fait non, il faut en général 3 sources indépendantes concordantes pour qu'une info puisse être confirmée.
(2) On s'étonnera quelque peu de l'usage de la formule "la soupe à la grimace" pour définir l'état d'esprit des supporters du président sortant dans la mesure où celle-ci signifie "un accueil hostile".


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