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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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17 octobre 2023

Attentat terroriste : du breaking news à la radio filmée



La Une, RTL TVi, LN24… Dans les télés, tout le monde était sur la brèche lundi soir, juste après l'attentat terroriste de Bruxelles. Mais lendemain matin…

Mardi matin. 8h. On apprend que le suspect de l'attentat a été repéré par les forces de l'ordre, puis "arrêté". Mais qu'en voit-on sur les chaînes télé ? Rien. Alors que la veille les télés étaient au taquet sur l'événement, rivalisant de directs et ayant des envoyés spéciaux tant sur les lieux de l'attentat que là où se réunissaient les autorités et tenaient l'antenne en breaking news, le lendemain matin, quand se déroule l'événement essentiel clôturant la séquence, c'est-à-dire la mise en état de nuire du terroriste dans (ou tout près) d'un café schaerbeekois, on ne voit sur les chaînes… que des images de studio.

Que ce soit la RTBF, RTL TVi ou LN24, ce mardi matin, les chaînes se contentaient de proposer leurs matinales traditionnelles, c'est-à-dire… les matinales de leurs radios. Et pas un produit purement conçu pour la télévision. Un fameux paradoxe ! Mais une super économie de moyens pour les télés par rapport à l' "artillerie audiovisuelle" qu'elles avaient déployée la nuit précédente !

VIVA SCHAERBEEK ?

De 6 à 8h du matin, La Une propose cet étrange OVNI télévisuel qu'est Le 6-8, conçu comme de la radio filmée améliorée mais… qui ne passe sur aucune radio. Si l'on y excepte les flashs d'information qui rappellent les événements de la veille, l'essentiel de ce programme de divertissement matinal ne changera pas son fusil d'épaule par rapport à son format habituel, se fixant comme but de déstresser l'atmosphère, quoi qu'il arrive…

À 8h, La Une et VivaCité diffusent un long Jp (ou un simili-Jt?) récapitulatif des événements qui comprend  aussi une interview en direct d'un responsable politique. Le seul in situ présent dans ce Jt est celui d'une journaliste devant une école Notre-Dame-de-Grâce, à propos de la question essentielle de l'ouverture (ou pas) des écoles francophones de Bruxelles (le sujet qui semble passionner toutes les rédactions mardi matin). Mais sur ce qui se passe alors à Schaerbeek, zéro image, zéro journaliste in situ. Rien du tout.

UN BILLET EN VOIX OFF

Cela changera-t-il ensuite avec une édition spéciale du Jt  sur La Une ? Que nenni.  À partir de 8h24, sur VivaCité et La Une, la chaîne "bouscule ses programmes" pour proposer une édition spéciale de… C'est vous qui le dites, certes consacrée à l'attentat, mais où le but est de donner la parole à des auditeurs, dont un bon nombre se prononce de manière catégorique sur les événements en cours sans disposer des infos permettant un discernement pertinent, tandis que d'autres livrent leur angoisse à l'antenne. En studio, on essaiera  de modérer ou de nuancer les affirmations. À côté de l'animateur de l'émission, il y aura pour cela deux débatteurs, souvent invités dans le programme, qui arriveront à 8h31 (alors que les appels d'auditeurs auront commencé à 8h24) : un journaliste de la RTBF et le "référent infos jeunesse RTBF". Un choix fait parce qu'on est sur VivaCité ? Ou parce qu'on est sur La Une ?

C'est ce dernier référent Jeunesse qui, intervenant dans le flux des conversations avec les auditeurs, annoncera un peu avant 9h la confirmation de la "neutralisation" du terroriste. Fournissant une image à certaines interventions téléphoniques d'auditeurs, l'écran sera parfois occupé par des images prises le lundi soir lors de l'attentat et de ses suites. Il faudra attendre le journal de 9h pour entendre un billet en voix off dit par un journaliste dont la présentatrice du Jt précisera qu'il est à Schaerbeek (ce qui ne s'entend pas dans le billet). Ce billet sera lu sur des images prises à l'endroit où a sans doute eu la "neutralisation" du terroriste, mais rien ne l'atteste. Ces mêmes images seront à nouveau réutilisées à 9h37, sans aucun moyen d'identification, pendant qu'une auditrice intervenait à l'antenne. Dans le journal de 10h, on aura droit, une nouvelle fois, à un billet en voix off (dont on ne dit plus que l'auteur est à Schaerbeek), où le journaliste racontera les conditions de l'arrestation du terroriste, alors que défileront sur l'écran des images du lieu supposé de la capture (images dont certaines sont clairement porteuses d'info, comme celles fixant les fenêtres d'une ambulance dans laquelle du personnel médical pratique visiblement des massages cardiaques. Mais cela n'est pas exploité dans le billet).

On ne peut en tout cas pas dire que La Une déploie ce mardi matin les mêmes effectifs et les mêmes moyens que la veille au soir, et ce alors que le terroriste est sur le point d'être "neutralisé", puis l'est réellement.

DANS UN COCON 

Pour en savoir plus, paradoxalement, il faut se rendre sur… La Trois. La chaîne culturelle de la RTBF aurait-elle tout à coup hérité du studio Info de La Une ? Ah non, pas tout à fait, mais cette chaîne diffuse le matin la matinale… radio de La Première.

À partir de 6h du matin, on peut donc voir en télévision un produit radio, 100% info, et ce mardi matin presque 100% consacré à l'événement de la nuit et à son possible dénouement. Qu'on se rassure, si besoin en est : il s'agit bien d'un produit radio. À de rares exceptions près, les journalistes n'ont cure de la présence des caméras. Ils assurent une émission radio, et tant mieux (ou tant pis) si on peut la voir à la télé. La matinale comprend plusieurs invités présents en studio, dont des responsables politiques. L'annonce de la "neutralisation" de la personne suspectée intervient un peu avant 8h, l'info étant communiquée au journaliste présentateur via son oreillette. Au cours de l'émission, les interventions sonores provenant de l'extérieur parleront de l'impact de l'événement sur les moyens de transport, de l'état d'esprit des voyageurs dans les transports en commun et de la question de l'ouverture des écoles. Le programme comprend aussi des interventions d'acteurs ou de spécialistes, par téléphone ou internet. Mais, sur le terrain même où se déroule l'affaire, à ce qu'on peut relever à l'écoute, il n'y a semble-t-il rien de précis.

COMME A LA RADIO

La concurrence est dans la même configuration. Lundi soir, l'édition spéciale du RTL Info avait débuté un peu plus tard que celle de La Une, mais ensuite les moyens déployés par la chaîne appartenant à Rossel et DPG étaient à peu près comparables à ceux de la RTBF. 

Le mardi matin, la chaîne allait-elle faire rebelote ou déléguer des envoyés spéciaux et des moyens de faire des directs aux quatre coins de la capitale ? Pas du tout. Tous les matins, RTL TVi diffuse… la matinale (radio) de Bel RTL. Donc pourquoi ne pas le faire un mardi de crise ? Même si le spectateur assiste alors à une émission de radio dans laquelle il ne fait l'objet de strictement aucune attention. Où il ne se sent même pas invité.  L'étriqué studio de Bel RTL étant, qui plus est, partout rempli d'énormes écrans d'ordinateurs, rien n'est fait dans pareil décor pour captiver le téléspectateur ou s'adresser à lui. Que du contraire : l'image que l'on perçoit a tout d'un repoussoir. L'essentiel de ce qui passe à l'antenne se déroule entre les interlocuteurs présents en studio, y compris les séquences humoristiques. Mais il faut noter que Bel RTL dispose, elle, d'une envoyée spéciale radio qui se trouve devant le domicile du suspect. Elle interviendra en tout cas (sans être à l'image et sans in situ) au début du journal de 8h00, décrivant assez clairement ce qui se déroule autour d'elle, mais sans livrer d'information sur ce qui se passe avec le suspect. Deux autres envoyés spéciaux de la radio sur le terrain seront sollicités dans l'émission : l'un dans une école et l'autre dans les rues de Schaerbeek, avec des interviews à chaque fois liées à la question de l'ouverture (ou pas) des établissements scolaires et des commerces. À noter que, à 7h50, lors de l'interview politique, l'interviewer affirmera que le terroriste n'est toujours pas arrêté. Cet élément sera répété en début du journal de 8h00. L'annonce de l'arrestation ne sera faite, prudemment, que à 08h03. 

La diffusion télé ne semble pas être une grande préoccupation des responsables de la matinale de Bel RTL. Pour preuve supplémentaire, le contenu du bandeau d'infos qui défile au bas de l'image. Tout au long de l'émission, on pourra notamment y lire : "Le Premier ministre donnera une conférence de presse à 5h"… Alors qu'on est deux ou trois heures plus tard. "Les tribunes 1, 3, 4 du stade roi Baudouin peuvent être évacuées." ou : "La situation au stade roi Baudouin reste calme." Alors que tout cela est du passé depuis belle lurette et remonte à la veille au soir…

RADIO KILLS THE VIDEO STARS ?

LN24 diffuse elle aussi une matinale, qu'elle ne produit pas, puisqu'elle est celle… de LNRadio. Cette situation peut paraître paradoxale puisque cette émission matinale est un programme d'infos fort, qui correspond au projet de LN24 mais pas à celui de LN Radio, dont le format est du "music and news". Le profil de LNRadio ne correspond pas à celui de la présence d'une émission longue à contenu informatif élevé. Mais voilà, la formule permet de produire une matinale tv au coût d'une émission de radio…

 

Dans ce cadre, on rencontre le même cas de figure que pour les acteurs précédents : le lundi soir, LN24 était sur la balle, avec des contenus studio, des images en direct et des envoyés spéciaux à l'extérieur. Le mardi matin, en se retrouvant dans le format de LNRadio, les choses changent largement de perspective. Nous n'avons pas pu mener une observation longue de cette matinale, le contenu n'étant pas disponible intégralement en ligne. Mais, en regardant des extraits du programme en direct, le contenu diffusé semblait se réduire fortement aux échanges entre protagonistes présents dans le studio de la chaîne. Sur son site, LN24 montre que la chaîne avait un envoyé sur place (un reporter a notamment réalisé des interviews de personnes musulmanes habitant le quartier). Mais, en ce qui concerne l'in situ d'un de ses journalistes, il est daté de 10h35. Il semble donc qu'il n'a pas été inclus dans la matinale, mais dans les programmes d'info qui ont occupé l'antenne tv lorsque LN24 et LNRadio se sont découplés. Et que l'éventuelle audience a décrû…

MAIS POURQUOI ?

 On sait que le prime time de la radio est traditionnellement le matin. Mais faut-il pour autant en offrir alors les programmes aux consommateurs de télévision ? Ceux-ci n'attendent-ils pas un programme correspondant aux conventions auxquelles ils sont habitués en cas d'actualité urgente, surtout lorsque celle-ci se déroule à proximité d'eux ?
 
La réponse est évidemment, au moins en partie, économique. Il est plus facile de recourir au format de programme existant que de créer, en matinée, et sur le pouce, un "nouveau" programme de télévision. Mais cela n'infère-t-il pas sur la manière de couvrir l'actualité ?
 
Les modèles "breaking news tv" et  celui de "édition spéciale radio" se distinguent, en tout cas dans de cas-ci, par le présence ou la (quasi)absence de directs depuis les lieux où se produit l'actualité, ainsi que celle des billets journalistiques et des interviews in situ, que la télévision cultive à l'excès dans ses Jt. 
 
Ceux-ci ne sont-ils pas devenus des exigences canoniques dans le cadre de la couverture de ce type d'actualité en télévision ? 
 
Dans un cas comme celui de l'événement évoqué ici, ce "repli" sur une radiovision plutôt que le choix d'une production spécifique pour la télévision déforce l'image de l'opérateur et sa capacité à rebondir sur une actualité qu'il ne peut rater. Et que ses chaînes n'avaient pas raté la veille, utilisant alors tous les moyens à leur disposition pour offrir de "vraies" émissions de breaking news à leurs audiences.

À moins que toutes les télés n'aient "obéi" à une demande des forces de l'ordre de ne pas couvrir en direct l'intervention dans le café schaerbeekois ? Mais alors, peut-être auraient-elles dû le dire. Ou, à la place, diffuser des vidéos de chats…

Frédéric ANTOINE.

 

28 juin 2021

RTL BELGIUM: ROSSEL AU PAYS DE L'AUDIOVISUEL


Que faire encore quand on a déjà tout ce qui relève de son core business? Eh bien, investir ailleurs, quitte à entrer dans une jungle dont on ignorait à peu près tout. Rossel co-propriétaire de RTL Belgium, c'est un peu Rendez-vous en terre inconnue au pays des grands fauves.

Le RTL Group, DPG et Rossel ont confirmé ce lundi 28 juin au matin quel serait le futur RTL Belgium. Les supputations émises la semaine dernière sont donc confirmées. RTL Belgium is back to home, pour autant que son véritable "home" ait un jour été belge et non luxembourgeois. Demain, ses chaînes de télévision n'échapperont plus à la tutelle du CSA, et s'il vient encore à l'idée d'un·e ministre de distribuer de l'argent entre les médias de la francophonie belge, la société sera automatiquement comprise parmi les bénéficiaires.

Au niveau de la petite Belgique, ce rachat était en somme la seule solution restante pour sauver le soldat RTL. Seulse les deux plus grandes entreprises médias du pays avaient les épaules suffisamment larges pour décider de se mettre un tel fardeau sur le dos. Et ce même si, comme le rappelle L'Echo, la société est finalement plutôt en bonne santé. Et même si, comme personne ne le mentionne ou presque, ce sont surtout les bons chiffres de la régie IP qui assureront un intéressant retour sur investissement pour les copropriétaires.

Le banquet des ogres

Ce rachat est aussi l'aboutissement logique du processus de concentration des médias à l'œuvre dans tous les pays occidentaux, et auquel la Belgique n'échappe pas. Depuis une vingtaine d'années, le paysage médiatique belge se ratatine d'année en année, au nord comme au sud. Si le nombre de médias (ou de marques médias) ne diminue pas vraiment, le nombre d'opérateurs ne cesse, lui, de se réduire. Tant et si bien que les indices de concentration des médias belges sont devenus alarmants (comme ils le sont aussi ailleurs). Dans un paysage où, au Nord comme au Sud, la diversité s'est réduite à deux acteurs, que reste-t-il d'envisageable?

Des deux côtés du pays, le plus gros des acteurs de la scène des médias privés a racheté tout ce qui relevait de son core business, ancré dans les publications de presse et dont le berceau est l'édition de presse quotidienne. Ayant à peu près tout absorbé, tout en laissant de côté une partie du marché des périodiques, ces opérateurs ont, dans un premier temps, été voir ailleurs. C'est ainsi que DPG est devenu l'ogre de la presse hollandaise, mais a aussi un pied au Danemark. Rossel est parti à la conquête de la presse régionale française, secteur où ses avoirs dépassent en valeur ce qu'il possède en Belgique. Mais on ne peut pas dire que la campagne de France a été une grande victoire. A de nombreuses reprises, tout a été fait pour que l'entreprise belge rate le coche. Dame, en France, on préfère les acteurs belges plutôt que les investisseurs belges… 

L'audiovisuel par défaut

Le marché de l'écrit un peu arrivé à saturation, que restait-il, sinon l'audiovisuel? DPG y était de longue date, associé dès le début à la naissance de VTM (comme tous les éditeurs flamands) puis étant longtemps resté copropriétaire de Medialaan, avec Roularta. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir leur seul actionnaire de cette société qui rassemble la plus grande partie de l'audiovisuel privé flamand (tv+réseaux de radio). Rossel s'est bien lancé dans la radio privée dès que celle-ci a paru devenir un marché intéressant pour les groupes de presse, dans les années 1980. Mais, comme d'autres éditeurs, la société avait alors vite compris que faire de la radio, ce n'était pas comme éditer un journal. C'est ainsi qu'il a accepté de céder ses fréquences à la société qui s'est mise sur pied pour créer Bel RTL et absorber radio Contact. En télévision, Rossel a participé comme les autres éditeurs au deal Audiopresse, naïvement imaginé par l'Etat francophone afin de 'compenser' la perte de revenus publicitaires pour la presse lors de l'autorisation dans le sud du pays d'un opérateur privé, en 1986-1987. Un beau cadeau puisque, ce fameux gâteau publicitaire, RTL Luxembourg le grignotait déjà depuis des années. Son 'arrivée' sous l'étiquette TVI n'a donc pas vraiment bousculé la presse, mais elle lui a permis de s'associer sans investir dans la télé privée. Sans investir enfin pas tout à fait. Au début, les groupes de presse ont vraiment été associés à l'éditorial chez RTL Belgium. Mais là aussi il est vite paru que faire de la bonne info de presse n'était pas identique à faire de la bonne info tv. Les éditeurs ont donc touché des dividendes sans rien faire. Et sans rien apprendre.

 "Un" nouveau géant

Et voilà qu'aujourd'hui, Rossel devient le (co)patron d'une entreprise qui édite de la télévision, de la radio, et des contenus audiovisuels en ligne… Alors que DPG a, lui, les mains dans le cambouis depuis des années. On ne peut sans doute pas comparer Rossel à Alice au pays de l'Audiovisuel, mais l'union entre les deux plus grands acteurs médiatiques privés belges n'a-t-il pas un peu du conte du Petit chaperon rouge? Le titre du Soir, journal de référence du groupe Rossel, annonçant  ce 28/06 la naissance d'"un nouveau géant des médias en Belgique", donne une clé de lecteur de l'ensemble: ce n'est pas tant le rachat de RTL Belgium qui importe que la constitution d'un groupe "national" de médias audiovisuels privés, rassemblant à la fois des médias du nord (ceux de DPG) et du sud (propriété de PDG+Rossel). L'immense spécialiste du marché publicitaire des médias Bernard Cools ne s'y trompe pas lorsqu'il note, dans Le Soir, que le nouveau "groupe" proposera une offre publicitaire conjointe couvrant tout le pays. Et le spécialiste de parler de "fusion" de la régie  IP avec celle de DPG, et parle de "du jamais vu" en Belgique.

Le rachat de RTL Belgium paraît donc comme la part visible d'un iceberg qui pourrait voir fusionner les médias audiovisuels privés du nord et du sud. Ce qui serait, là aussi, du jamais vu. Une sorte de retour au "monde d'avant" (la fédéralisation). Comme si, lorsqu'il s'agissait de lutter contre les GAFAM, les divergences linguistiques et culturelles retournaient au vestiaire. Une bonne chose? A condition que ce grand deal dont on parle aujourd'hui serve bien tout le monde. Et qu'il n'ait pas comme premier grand but de sauver l'audiovisuel privé flamand face aux plateformes, mais aussi face à Telenet, qui n'est jamais que la filiale belge du groupe US Liberty Global.

Alors, dans tout cela, quel poids aura Rossel, et quel rôle sera confié à l'ex-RTL Belgium? L'article du Soir, très bien informé, parle de synergies profitables dans de nombreux domaines. En vertu de ce qui vient d'être évoqué, il faudra probablement vite se demander: profitable oui, mais pour qui d'abord?

Frédéric ANTOINE.

 

25 mars 2021

RTL GROUP SE REPLIE SUR SON PRÉ CARRÉ. LE STAND-ALONE BELGE SE PRÉCISE

Il est désormais à peu près sûr que RTL Belgique ne sera pas vendu dans les valises du groupe M6. La petite société belge devra séduire seule son nouvel acquéreur. Et ce alors que le groupe RTL choisit d'opérer un "repli stratégique" sur l'Allemagne.



Le message supposé rassurant envoyé hier mardi à son personnel par le CEO de RTL Belgique, affirmant que les informations circulant sur l'avenir de l'entreprise n'étaient que des spéculations, n'a évidemment convaincu personne. Il semble bien acquis que Bertelsmann entend à l'avenir limiter le RTL Group à son pré carré, c'est-à-dire à l'Allemagne. Une déclaration du CEO du groupe, citée dans L'Echo (1), est à ce propos plus que indicative : "Nous voulons être un consolidateur en Allemagne". Et elle rejoint à demi-mots ce que le patron de RTL Belgique écrivait lui-même hier, reconnaissant que le dossier de L'Écho "confirme néanmoins le thème développé depuis plusieurs mois par le CEO de RTL Group, Thomas Rabe, à savoir « Face à l’évolution de l’industrie audiovisuelle dans le monde, le groupe RTL, dans les différents marchés dans lesquels il est présent, investiguera les possibilités de consolidation de ses activités, qui peuvent se présenter sous différentes formes.»"

NATIONAL PLUTÔT QU'EUROPÉEN

Jusqu'à présent, le RTL group avait toujours misé sur une stratégie de développement international de ses activités, celle-ci reposant essentiellement sur un pôle "diffusion de programmes" caractérisé par une implantation nationale forte (2). C'est par la création de filiales nationales, souvent leaders sur leur marché, que le groupe est devenu incontournable à l'échelon européen. Les derniers choix de son management marquent un revirement à 180° de ce type de développement. L'heure semble désormais être au "repli stratégique" sur le territoire allemand, afin d'y bâtir un empire tellement fort qu'il soit capable de rivaliser, à l'échelon d'un pays, avec les opérateurs mondiaux et les plateformes multinationales. Avec une idée claire: être si fort chez soi qu'on parvienne ainsi à bouter hors du territoire ces acteurs internationaux qui s'y sont implantés au détriment des locaux. Jouer à la Jeanne d'Arc de l'audiovisuel. Un peu comme si, du côté des pays, on décidait tout à coup d'abandonner l'option de l'Union européenne pour en revenir au États-nations et au nationalisme individuel.

Qui plus est, l'option nationaliste de Bertelsmann paraît devenir contagieuse, et inspirer d'autres marchés. Elle pourrait expliquer, par exemple, ce qui est en train de se passer en France autour de la vente de M6, dont le magazine Capital, citant Le Canard Enchaîné et La Lettre A, annonce qu'elle est entrée dans sa dernière phase (3). Et que le candidat le plus sérieux à la reprise des 49% du RTL Group dans M6 ne serait autre que… TF1! Comme l'explique le magazine économique, cette supériorité du groupe Bouygues est logique: puisqu'il est le principal concurrent de M6, il dispose des meilleures armes pour l'absorber au moindre coût.

MASTODONTES NATIONAUX

Cet éventuel rachat pose évidemment un "tout petit" problème de respect des règles de concurrence. Dans une Europe où l'on fait tout pour éviter que ne croisse encore la concentration (notamment dans les médias), voir un groupe exercer un quasi-monopole sur un marché national a de quoi quelque peu faire hausser les sourcils. S'il se réalise, le scénario évoqué en Allemagne, où Bertelsmann pourrait racheter son concurrent ProSiebenSat1, serait tout aussi anti-concurrentiel. Il va aussi sans dire que la constitution de tels conglomérats géants ne seraient pas non plus vue d'un bon œil par des consommateurs de médias de plus en plus méfiants, et déjà prêts à l'heure actuelle à n'accorder plus aucune confiance aux opérateurs classiques. Qui pourra s'étonner qu'un jour seuls les réseaux sociaux soient considérés comme dignes de confiance, si on en vient à un schéma "mastodonte privé unique vs service public"? Bien sûr, on n'en est pas là. Mais, s'il se réalise, l'éventuel avalage de M6 par son concurrent n°1 serait catastrophique à ce propos. Il conduirait aussi forcément à terme à une réduction drastique de l'offre. Et ce même au cas où, comme le prétend TF1, les deux entreprises resteraient statutairement distinctes.

SEUL SUR L'ÉTAL


Et le petit RTL Belgique, dans tout cela? L'annonce de la clôture de la procédure de vente de M6 confirme bien qu'aucun acheteur français n'a voulu intégrer la filiale belge dans son offre. Il n'y aura donc pas de vente groupée. RTL Belgique est laissé seul sur l'étal de l'hôtel des ventes. Même si le RTL Group espère en retirer un bon prix, il y a de fortes chances pour que le petit rejeton belge soit finalement vendu à vil prix, afin que le géant allemand s'en défasse rapidement et puisse mettre en place sa stratégie de repli national. Bien sûr, RTL Belgique est à l'heure actuelle un acteur incontournable des médias en Belgique. Les audiences de plusieurs de ses émissions font rêver la concurrence. Mais certaines s'effritent. Et, surtout, l'entreprise manque cruellement de souffle depuis qu'elle s'est défaite des membres de son management qui soutenaient un ancrage local fort. RTL se répète plutôt qu'innover. Elle en est toujours à considérer que c'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes (dernier exemple en date: le retour de Place Royale sur RTL TVI après avoir d'abord été relancé sur Bel RTL). Comme déjà écrit ici, on ne peut non plus oublier les apports essentiels des programmes de M6 à ses succès d'audience. Enfin, à l'heure où LN24 commence à s'installer sur le marché, son bastion dans l'info pourrait bien, lui aussi, devenir de plus en plus fragile. Et, comme il constitue la clé de voûte de ce qui fait l'identité de l'entreprise dans le petit monde des médias de chez nous, remettre cette pièce clé en cause pourrait mener à l'effondrement de l'édifice.

Les Français n'ont pas fait un cadeau à RTL Belgique en forçant l'entreprise à se vendre en stand-alone, alors qu'elle ne vit pas ces derniers temps ses plus beaux jours et qu'elle n'est pas, à l'heure actuelle, dans ses plus beaux atours. La mariée pourrait clairement être plus belle. Et, si mariage il y a, il ne sera pas "Au premier regard". Ce sera une union de raison. Ou de désillusion. Pour le meilleur ? Ou pour le pire?

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-mise-a-l-etalage-une-operation-inscrite-dans-les-astres/10293145.html
(2) RTL a également développé un pôle "production", en rachetant des sociétés réputées au plan mondial et en invitant ses filiales à s'y fournir en programmes, mais cet élément reste marginal par rapport à la stratégie d'implantation locale (càd nationale) de la société.
(3) https://www.capital.fr/entreprises-marches/vente-de-m6-les-dessous-de-loffre-de-tf1-1397981

24 mars 2021

REQUIEM POUR RTL BELGIQUE

Fin d'un monde. Après en avoir racheté tout le capital, le RTL Group met sa filiale belge en vente.  

Pour la céder avec M6 est le scénario le plus logique pour RTL Belgique, mais pas pour M6 semble-t-il. Sans M6, que pourraient faire toutes seules ces petites chaînes belges? 

Il y a peut-être un autre plan…

C'est la fin d'un monde, mais le dénouement prévisible d'un scénario annoncé, que s'est mis en place depuis plusieurs années, et qui s'est accéléré l'année passée. Adieu le beau rêve du "vendeur de clous" de Charleroi Albert Frère de faire de Télé-Luxembourg une chaîne belge. En fumée l'ambition de Jean-Charles Dekeyser de créer en Belgique l'équivalent de RTL Grandes Ondes. Les logiques économiques à l'œuvre dans l'empire Bertelsmann sont implacables, et n'ont que faire des amitiés historiques belgo-françaises remontant à l'époque de Radio Luxembourg. Le RTL Group est une entreprise mondiale, et surtout germanique. Il n'a donc cure du conserver ce penchant francophile qui était lié depuis les années 1930 aux activités historiques de la CLR (Compagnie Luxembourgeoise de Radiodiffusion), devenue CLT lorsqu'elle décidera aussi de se lancer dans la tv…

RTL BELGIUM, REMY SANS FAMILLE?

Le quotidien L'Echo, visiblement très bien renseigné sur le dossier (1), confirme ce que nous écrivions ici en décembre dernier (2) lorsque le RTL Group avait décidé de racheter les parts de RTL Belgique qui ne lui appartenaient pas, et de contrôler de la sorte à 100% sa filiale belge. A l'origine, cette récupération avait bien comme but d'être en phase avec le sort voulu par le groupe pour sa filiale française M6. Non pour fusionner la part belge avec le groupe français et low-costiser l'offre belge, mais pour faire un gros package avec les deux entreprises, et vendre l'ensemble au plus offrant. Des bruits de mise en vente de M6 avaient filtré depuis la fin janvier. Ils amenaient, évidemment, à s'interroger sur le sort réservé dans ce cas aux 100% que le RTL Group possédait désormais RTL Belgique. Tout est donc maintenant plus clair.

On comprend ainsi mieux pourquoi RTL Belgium avait si rapidement repoussé l'offre faite en mai dernier par la Fédération Wallonie Bruxelles de lui accorder une plantureuse "aide covid" en échange d'un retour des chaînes du groupe TVI sous le contrôle du CSA belge. Lorsque, en septembre 2020, la direction de RTL Belgium a donné à cette offre une fin de non-recevoir, elle savait déjà que la filiale belge était condamnée. Pourquoi aurait-elle dès lors dû acceptr de passer sous les fourches caudines du CSA belge, alors que le futur propriétaire de RTL Belgium, si futur il y a, ne serait plus dans les conditions de bénéficier également d'une licence d'émission au Luxembourg… 

LE MODELE TF1

Mais voilà… on apprend dans le même article de L'Echo que, depuis peu, le RTL Groupe aurait décidé d'abandonner l'idée du package et voulait désormais séparer les deux dossiers de cessions. Il comptait bien au départ vendre le tout en une fois… mais aucun éventuel acheteur français n'a souhaité se charger du fardeau du petit poucet belge. Et pour cause: assumer les coûts d'une télévision 'belge' relativement autonome de M6 seulement destinée à 4 millions de personnes, cela revient trop cher le téléspectateur. Le nouveau propriétaire de M6 préfère attendre que RTL Belgique disparaisse du paysage. Il pourra alors faire la même chose que TF1: destiner à la Belgique un signal de ses chaînes françaises où seul les écrans publicitaires seront différents et ciblés. Tout bénéfice pour un coût quasi nul. 

En cas de mort totale de RTL Belgium, les téléspectateurs belges auront en effet toujours envie de retrouver les programmes de M6 dont débordent les grilles de RTL TVI et de ses petites sœurs. Quoi de plus simple dès lors que de continuer à les leur proposer, mais 100% made in Paris. Avec, de temps à autre, comme sur TF1, un petit candidat belge glissé dans les émissions autant afin de faire sourire les Français que pour dire aux "clients" belges: "On ne vous oublie pas" (car c'est bien de clientèle qu'il s'agit ici).

UN AMATEUR DANS LA SALLE?

Le scénario de la mort à court terme de RTL Belgium n'emballerait toutefois pas le RTL Group. C'est vivant, et non mort, que le géant allemand veut vendre sa poussière d'empire audiovisuel, afin de faire un "max de bénef" Les sources consultées par L'Echo semblent dire que RTL espère retirer un plus haut profit en séparant les deux ventes qu'en les groupant. Est-ce bien le cas alors que le désintérêt des Français pour les avoirs belges semble avoir beaucoup pesé dans le choix des scénarios de vente? 

Pour que ce souhait de plus-value se réalise, il faudrait d'abord qu'un acheteur soit intéressé par RTL Belgium. Les groupes de presse belges, tout heureux de récupérer leurs billes en cédant Audiopresse au RTL Group en décembre dernier, sont-ils cette fois prêts à mettre fortement la main au portefeuille pour glisser plus qu'un pied dans l'audiovisuel privé de notre mini sous-patrie? 

En faisant le tour du pauvre paysage médiatique de la Belgique francophone, au vu de ce que IPM a déjà dû trouver pour s'offrir les Editions de L'Avenir, il serait étonnant que le groupe de la rue des Francs ait encore le souffle de se lancer dans la course. Tous les regards se tournent dès lors vers le seul autre groupe qui nous reste: Rossel. De de côté, la chose est loin d'être exclue. Au lendemain du rachat des parts belges dans RTL Belgium par le RTL Group, une déclaration de l'administrateur général du groupe à un des journaux qui lui appartiennent laissait plus que la porte ouverte: « Il y a eu de notre part des propositions de rachat de l’ensemble des opérations mais RTL n’a pas voulu envisager une vente (…). A partir de là, il fallait juste négocier les conditions de sortie. » (3) Aujourd'hui, ce qui ne paraissait pas possible hier l'est devenu…

Le groupe de la rue Royale, qui avait jadis cédé ses radios pour créer Bel RTL, va-t-il reprendre à sa charge tout RTL Belgium? Rossel est en tout cas insatiable, et toujours en quête de secteurs pour se développer. Jusqu'à présent, on y est estimait que, en Belgique francophone, tout ce qui était à prendre avait déjà été pris (Cine-Télé-Revue clôturant le tableau de chasse, le groupe ayant bien compris qu'on ne lui aurait pas pardonné de racheter en plus les Editions de L'Avenir). Alors oui, l'audiovisuel privé belge, pourquoi pas? Mais Rossel ne se mettrait-il pas un chameau sur le dos? Les résultats actuels du groupe ne sont semble-t-il, pas très convaincants… sauf en ce qui concerne le secteur publicitaire lié à IP, qui est encore une poule aux oeufs d'or. 

Si Rossel n'entrait pas dans la danse, c'est du côté flamand que de l'intérêt pourrait se manifester. L'ogre Telenet, qui lorgne toujours sur VOO, pourrait aussi avoir envie de bourrer ses tuyaux de contenus francophones. Ce groupe américain serait alors opérateur télévisuel des deux côtés de la frontière linguistique. Il n'y a par contre pas de chance que DPG Media, ex-Pergroep, se lance dans l'aventure. Même s'il est aujourd'hui le seul propriétaire des chaînes de VTM, avec lesquelles le RTL Group a des échanges, DPG a laissé tombé tous ses avoirs écrits en francophonie. Pourquoi y reviendrait-il dans la radio-tv?

ADIEU LUXEMBOURG, ADIEU

Quel que soit le futur, une chose est sûre. Si RTL Belgium ne disparaît pas faute d'acheteur, le nouveau propriétaire sera tenu de continuer à entretenir des liens étroits avec le groupe M6 (ou son équivalent futur). RTL TVI fait ses plus fortes audiences de prime time, celles qui lui rapportent le plus par ses écrans pub, avec des produits français de M6, ou au pire grâce à leurs déclinaisons belges. Une part de ses cases d'access sont aussi occupées par des produits M6, et les émissions du groupe français nourrissent de même fortement les autres chaînes de RTL Belgium. En radio, Bel RTL 'emprunte' chaque jour plusieurs heures d'antenne à RTL Paris, dont l'émission la plus porteuse (et donc la plus rentable) de l'après-midi: Les grosses têtes. Et ne parlons pas de RTL Play, qui n'est une copie de M6 Replay. Bien sûr, RTL Belgium achetait déjà ces produits à M6. Mais dans un cadre de groupe. 

Que se passera-t-il demain? Si RTL Belgium s'en sort, il y a fort à parier que, pour réduire les coûts, son actionnaire fera passer le groupe à l'essoreuse à salade. La radio et la télévision sont des médias où les coûts fixes sont largement prédominants. Pour diminuer les dépenses, il faut donc, pardonnez l'expression, "trancher dans le gras". Réduire le nombre de chaînes et de stations radio serait le plus simple car, côté économies, la direction actuelle de RTL Belgium a déjà été bien loin à l'os dans ce qui était imaginable, et ce pour satisfaire au mieux le RTL Group. Et pour que celui-ci, en échange de tous ces sacrifices, finisse par simplement décider de s'en défaire… On peut donc redouter que, à terme, les effectifs du groupe ne fondent comme chocolat glacé au soleil.

En tout cas, si RTL Belgium subsiste demain, le groupe et ses médias ne porteront sans doute plus le nom "RTL". C'est donc bien la fin d'un monde. Et les dernières pages de la chronique d'une mort annoncée.

Frédéric ANTOINE.


(1)Michel SEPHIHA, Peter HAECK, "RTL Belgique est à vendre", L'Echo 24/03, 3h45. (https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-belgique-est-a-vendre/10293107?utm_source=SIM&utm_medium=email&utm_campaign=&utm_content=&utm_term=&M_BT=7144010073)

(2) RTL Belgique à 100%entre les mains du RTL Group: ce n'est pas une bonne nouvelle (https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/12/rtl-belgique-100-aux-mains-du-groupe.html)

(3) Fin du mariage entre RTL et la presse écrite, article non signé in Le Soir (https://plus.lesoir.be/341025/article/2020-12-01/fin-du-mariage-entre-rtl-et-la-presse-ecrite)



11 janvier 2021

PAYSAGE MÉDIAS : ÇA S'ÉCLAIRCIT DU CÔTÉ DES PROPRIÉTAIRES…

Participations croisées, co-actionnariat, partages nord-sud… Le marché belge des médias s'est longtemps distingué par la complexité de ses structures de propriété. En quelques mois, ça pas mal changé. Dernier élément en date : Rossel, désormais seul patron du quotidien gratuit Metro.

Fin des histoires compliquées et de certaines des associations entre acteurs du Sud et du Nord du pays. Désormais on va y voir plus clair, et on saura qui est qui. Juste avant Noël, le groupe flamand Mediahuis annonçait ainsi avoir cédé ses 50% de Metro à son autre co-actionnaire historique, Rossel. Le groupe bruxellois devient ainsi le propriétaire unique du seul titre belge paraissant dans deux des langues nationales (mais avec des contenus plutôt différents). Le cas de 7sur7.be, édité par le groupe flamand PDG n'est donc plus unique : voilà un deuxième éditeur d'une des parties du pays à posséder seul un organe de presse quotidienne publié dans la langue de l'autre communauté.

Cet éclaircissement de propriété en suit d'autres. En mars dernier, l'actionnariat de Plus Magazine s'était lui aussi remodelé. Le groupe Bayard, qui avait fondé la formule en créant jadis Notre Temps, a alors cédé ses parts à Roularta. On pourrait y ajouter le rachat des éditions luxembourgeoises St-Paul par Mediahuis, survenu en avril 2020. Mais, dans ce cas, c'est plutôt la structure qui se complique, puisque l'éditeur flamand, qui avait tout fait pour se défaire de ses avoirs francophones (hormis participation dans l'audiovisuel) s'est là retrouvé propriétaire de médias, grand-ducaux certes, mais en partie au moins publiés en langue française…

On ne peut non plus exclure de cette énumération le rachat des éditions de L'Avenir par IPM, officialisé ces derniers jours. Finis les méli-mélo autour de Nethys et de son intercommunale faîtière. Il est maintenant clair que, comme en Flandre, il n'y a plus désormais que deux groupes de presse quotidienne généraliste en Belgique francophone. De quoi gérer le marché d'une belle manière oligopolistique.

Mais la plus grande opération de clarification de 2020 restera sans doute peut-être le rachat du solde de RTL Belgium par sa maison-mère, le RTL Group. Là aussi, les embrouillamini précédents, notamment autour de la nébuleuse Audiopresse, appartiendront bientôt au passé. 

Rares seront donc bientôt les médias belges dont l'actionnariat restera entre plusieurs mains, avec des intérêts partagés entre les acteurs. Les cas les plus patents subsistant sont liés au groupe Roularta, fondamentalement flamand mais bilingue dans les faits, avec Rossel pour Mediafin (L'écho, De Tijd)   et avec Bayard pour Belgomedia (Télépro). Mais pour combien de temps encore?

Frédéric ANTOINE

01 décembre 2020

RTL BELGIQUE 100% AUX MAINS DU GROUPE RTL. CE N'EST PAS UNE BONNE NOUVELLE


Un communiqué de presse du RTL Group envoyé de Luxembourg/Cologne et daté de ce 1er décembre annonce que la société est sur le point de devenir l'unique propriétaire de RTL Belgium, en rachetant l'ensemble des parts des autres actionnaires belges. C'est non seulement un tournant dans l'histoire de RTL en Belgique mais cela ouvre désormais la possibilité d'une soumission totale de RTL Belgique à sa maison-mère, voire à son absorption par d'autres sociétés du groupe RTL, comme M6.

« RTL Group a annoncé aujourd'hui qu'il avait convenu en principe avec ses coactionnaires des activités de télévision et radio belges du Groupe d'acquérir leurs parts dans RTL Belgium contre un paiement en numéraire et en actions propres de RTL Group. Cela portera la participation de RTL Group dans RTL Belgium à 100%. Actuellement, RTL Group est déjà l'actionnaire majoritaire de RTL Belgium. »

Le premier paragraphe du communiqué de presse du RTL Group est on ne peut plus explicite. Il signe essentiellement, mais pas uniquement, la fin de la collaboration entre la filiale belge du groupe luxembourgo-allemand avec la presse écrite belge. RTL Group va en effet racheter toutes les parts d'Audiopresse dans RTL Belgique, c'est-à-dire les 36% du capital de l'entreprise que se partageaient les éditeurs Rossel, IPM et Mediahuis. Mais le géant des médias allemand libère aussi, au moins en partie les chaînes de radio de RTL Belgique de toute dépendance. Il n'est toutefois pas clair de savoir s'il met fin au montage qui, via la société Radio H, mettait aussi autour de la table le groupe Rossel et Lemaire Electronics, la société de Francis Lemaire, fondateur historique de Radio Contact avec Pierre Houtmans.

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Hier

On se souviendra que, à l'origine, la création d'Audiopresse avait été imposée par les autorités de la Communauté Française afin de permettre aux éditeurs de presse de Belgique francophone de récupérer, via les dividendes gérés par la société, les pertes théoriques engendrées en recettes publicitaires par l'autorisation accordée à RTL d'exploiter un réseau de télévision privée sur son territoire. A l'heure actuelle, ce mécanisme permet toujours à deux éditeurs francophones, mais aussi à un éditeur flamand, de bénéficier de cette manne. Dans les premiers temps, cet apport des groupes de presse à la télévision privée s'était aussi concrétisé dans les contenus. La couverture de l'info régionale de RTL avait ainsi été confiée à la presse, et plusieurs journalistes des quotidiens belges s'étaient alors transformés en hommes de télévision. Des émissions de RTL étaient aussi patronnées par la presse. Au fil du temps, tout cela a disparu, au profit d'un partenariat essentiellement en numéraire.

Côté radio, l'implication de Rossel et de Francis Lemaire dans le capital de Radio H était lié aux apports historiques de ces deux groupes dans la création des stations qui seront pilotées par RTL. L'ancêtre de Bel RTL n'est autre que Rossel FM (ou FM Le Soir), radio créée par le groupe de presse à l'époque où les éditeurs de journaux estimaient, à la suite de Radio Vers L'Avenir, ne pouvoir être absents de la libéralisation des ondes. C'est sur base du réseau FM de Rossel et des autorisations dont il disposait que s'est créée la petite sœur belge de RTL Paris. Pour Cherchant à compléter la palette par une radio populaire, RTL avait réussi la même association avec les fondateurs de radio Contact, première grande radio privée de divertissement lancée au tournant des années '80 par des proches du parti libéral dans le but avoué de concurrencer le service public.  

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Demain

(si RTL prend le contrôle de l'ensemble du secteur radio)


PAS UNE VRAIE SURPRISE

Des velléités de mettre fin à ces structures d'intérêts imbriqués étaient dans l'air depuis un certain temps. En radio, cela fait plus d'un an que, devant la baisse de rentrées générées parles radios de RTL Belgique, Francis Lemaire cherchait à vendre. (Reste à voir si le groupe RTL rachète simplement les parts de RTL Belgique dans radio H, ou aussi celles des autres actionnaires. L'information n'est pas tout à fait clair à ce point de vue). En télévision, certains éditeurs ne cachaient pas que les recettes qu'ils pouvaient retirer de leur participation à RTL Belgique n'étaient pas à la hauteur de leurs espoirs. 

A vrai dire, les montages financiers autour de RTL Belgique et d'Audiopresse sont complexes. Comme le montre le schéma présenté en ligne par le CSA belge (1), ils comprennent en effet à la fois des sociétés en Belgique et au Luxembourg, sociétés qui n'ont pas été intégrées dans les schémas simplifiés présentés ci-dessus. En miroir des sociétés belges, il existe ainsi au Luxembourg une société RTL Belux, une autre dénommée RTL Belux SA & Cie, ainsi qu'un Audiopresse Lux.  La société Audiopresse Belgique est, par exemple, à la fois actionnaire de RTL Belgium et de Audiopresse Lux (2). Au cours de ces dernières années, Audiopresse Belgique a souvent réalisé un bénéfice autour des six millions €, mais celui-ci était en baisse depuis 2016 et particulièrement faible (un peu plus de 34000€) l'an dernier. Une investigation approfondie de la cause de cette situation n'a pas pu être réalisée dans le cadre de la rédaction de ce présent texte.

Même sans tenir compte de cet événement 2019, on peut constater que l'apport financier que les trois groupes de presse principaux (qui possèdent environ 30% du capital de la société)  retirent de cette participation n'est pas très élevé : moins de deux millions €/an, alors que, par exemple, le groupe IPM affiche, en 2019, une chiffre d'affaires de plus de 118 millions €…

La solution retenue (vente en cash plus possibilité d'acquérir des actions du RTL Group) permettra aux entreprises de presse de disposer immédiatement d'une somme appréciable, de continuer si elles le désirent à retirer un dividende d'une éventuelle participation au RTL Group ou, si elles le préfèrent, de remettre elles-mêmes ces actions sur le marché.

LES MAINS LIBRES

L'opération paraît particulièrement stratégique pour RTL qui, bien qu'étant opérateur des sociétés belges actives tant en radio qu'en télévision, était toutefois quelque peu dépendant du bon vouloir de ses coactionnaires. Le rachat total des parts permet au groupe allemand d'avoir les mains totalement libres et donc de ne devoir rendre de compte à personne à propos de la gestion de ses télévisions (et sans doute de ses radios) et, surtout, de leur avenir. En radio, les stations du groupe n'affichent plus la forme d'hier et, en télévision, l'actionnaire jusqu'ici principal (et demain unique) de RTL Belgique n'ont jamais caché que, en raison de la petite taille et de la faible richesse du marché belge francophone, la rentabilité de la société leur posait problème. D'où les opérations de restructuration, les licenciements et le lancement du plan Evolve destinés à faire accroître la rentabilité de l'entreprise et le bénéfice que peut en retirer le groupe Bertelsmann. Dans ce contexte, l'hypothèse d'une modification en profondeur de RTL Belgique via son rattachement au groupe français M6 a déjà été évoquée. Lors du plan Evolve, certains responsables au sein de RTL Belgique n'avaient pas caché que celui-ci constituait à leurs yeux la seule solution pour éviter la cession de l'entreprise à sa grande sœur française. 

M6 BELGIQUE

En Suisse romande, il n'existe pas de RTL Suisse, mais bien un M6 Suisse, qui relaie les programmes de M6 France en y intégrant des écrans publicitaires locaux. L'histoire et la ténacité des créateurs de RTL Belgique avaient à l'époque permis que l'opérateur européen s'installe dans la patrie de celui qui était alors son principal actionnaire (Albert Frère) sans dépendre d'un acteur étranger. L'internationalisation des marchés et la voraclté financière du méga-groupe Bertelsmann pourraient modifier cette donne. Outre sa présence en Suisse, qui remonte au début des années 2000, il y a quatre ans, le groupe M6 rachetait les radios de RTL France, créant ainsi sur l'hexagone un groupe radio+tv intégré. Il pourrait fort bien récupérer RTL Belgique, soit pour l'absorber dans une configuration complète de type M6 Suisse, ce qui serait dramatique pour le personnel, soit pour réaliser une version belge de M6 comprenant, outre les écrans publicitaires, l'un ou l'autre programme spécifique pour le sud de la Belgique, comme les JT et certains magazines. En effet, il semblerait difficile de ne pas tenir compte des succès d'audience de RTL Belgique (Jt, magazines d'informations, télé-réalités 'made in Belgium'). Déjà, de nombreux programmes à succès de M6 sont achetés par RTL Belgique pour être diffusés sur ses chaînes. Et le RTLplay belge n'est qu'un couper-coller du M6Play français. Il suffirait de prolonger ces premiers pas.

 Si l'hypothèse d'un rachat ou d'une absorption devenait réalité, les coûts de production des chaînes belges du groupe RTL seraient évidemment fortement revus à la baisse, les productions propres fondant très largement, et les droits de diffusion des produits de stock, comme les fictions, seraient par ailleurs simplement négociés à une échelle légèrement plus élevée qu'ils ne le sont aujourd'hui par M6 pour la France. Mais, bien évidemment, la solution minimaliste consistant en une complète quasi-disparition des chaînes belges de RTL au profit de la simple diffusion sur le territoire belge des stations du groupe M6 parsemés d'écrans publicitaires spécifiques serait, pour le groupe, une véritable poule aux œufs d'or. Reste à voir si le spectateur, lui, y retrouverait son compte et maintiendrait avec autant de fougue sa fidélité à cet opérateur que les autorités publiques estiment être un garant de la "pluralité" sur le marché belge…

RTL PARIS

Si l'opération télévision peut paraître tentante, voire inévitable, il ne faut pas perdre de vue qu'il pourrait aussi, au moins en partie, en être de même pour les radios de RTL Belgique si le rachat de RTL Belgique entraîne la disparition complète de la société Radio H. Les radios de RTL Belgique pourraient alors, elles aussi, au moins partiellement, se franciser. Et le pied est déjà mis à l'étrier. Plusieurs programmes porteurs de RTL France, à commencer par Les Grosses Têtes, sont purement et simplement relayés par Bel-RTL. Cet été, un pas supplémentaire a été franchi lors de la diffusion, en simultané sur les deux stations, d'un même jeu de mi journée, coanimé par un ressortissant français et une ressortissante belge. Il y a donc déjà de l'intégration dans l'air. Les contenus radiophoniques sont toutefois par essence plus locaux ou nationaux, et jouent sur la proximité directe avec leur audience. De simples relais des stations françaises du groupe M6 semblent donc, en l'état, moins probable. 

Enfin, tout ceci ne concernerait que les médias audiovisuels classiques, secteur où RTL Belgique excellait jusqu'à ces dernières années. La filiale belge du groupe luxembourgo-allemand n'a jamais aussi bien réussi dans les nouvelles technologies et les formes médiatiques plus digitales. Une reprise en main par le groupe-mère pourrait signifier la possibilité d'opérer des choix drastiques de ce côté.

MISE EN VENTE

Il y a enfin une autre piste possible : l'hypothèse de la mise en vente de RTL Belgique plutôt que sa cession interne à un des acteurs du groupe. Celle-ci serait tentante si l'entreprise était en bonne forme, porteuse de projets d'avenir, et se situait sur un marché à taux de rentabilité économique élevé. Tel ne semble pas être tout à fait le cas. Depuis plusieurs années, RTL Belgique s'essouffle, ne parvient plus à innover, et décline essentiellement de vieilles recettes, dont l'usure devient visible à terme. Le marché sur lequel l'entreprise évolue n'est pas très prometteur, et son audience, importante à l'échelon d'une partie de la Belgique, est faible à un niveau macro-économique. L'entreprise est fragile, et déjà en partie tétanisée par ses craintes sur son avenir. Elle pourrait être un oiseau pour le chat. Mais si c'est pour se défaire d'une RTL Belgique malade à bas prix, son principal actionnaire devait-il pour autant d'abord en racheter toutes les parts? 

Si tel était le cas, il y aurait lieu d'identifier d'éventuels repreneurs. Peu de chances que ceux-ci soient des multinationales ou de grands acteurs français. L'hypothèse Rossel a déjà été évoquée. Mais ce groupe, qui excelle dans la déclinaison de métiers qu'il maîtrise, peut-il d'un coup se mettre sur le dos le chameau que constituent trois chaînes tv et, peut-être, deux réseaux radio? Si là aussi la poule aux œufs d'or était au rendez-vous, la question pourrait être posée. Mais, en l'état actuel, la gallinacée semble un peu avare de sa production, et ses œufs sont loin d'être en or massif. Il y a donc lieu de se demander si le groupe de presse Rossel n'a pas d'autres moyens que celui-là pour accroître ses marchés et fortifier ses avoirs.

Frédéric ANTOINE.


 


(1) www.csa.be/groupe-media/groupe-rtl/

(2) rapport de gestion à l'AG des actionnaires d'Audiopresse Belgique.

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