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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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23 janvier 2023

Pourquoi les médias audiovisuels linéaires sont-ils de plus en plus vidés de leurs contenus ?


"Tout pour plateformes, les les miettes pour l'antenne". Comme l'ont encore démontré récemment l'
interview de la reine Mathilde sur TVi ou le sort de Jardins et Loisirs sur La Une, les opérateurs audiovisuels semblent avoir renoncé à chouchouter leurs médias traditionnels. Sont-ils en train de préparer le suicide de la télévision linéaire ?

Le grand Netwolf et ses amis amis Amaz, Dis et Cie leur font-ils tellement peur qu'ils en perdent leur raison d'être ? Les opérateurs de médias audiovisuels ont les yeux de Chimène pour tout ce qui est en ligne et relève de la constitution de bibliothèques de contenus dans lesquelles les internautes viennent, quand ça leur chante, consommer ce qui leur chante . Et ils semblent de plus en plus dégoutés par tout ce qui était jusqu'à présent leur core business : la diffusion en temps réel sur des canaux de télévision et de radio  de programmes organisés au sein d'une grille conçue en fonction des habitus socio-démographiques de leur audience.

Ces derniers jours sont apparus de nouveaux cas de ce qu'on pourrait juger comme un dédain vis-à-vis de la diffusion en linéaire au profit d'une mise en boîte sur des services en ligne. Au risque de vider encore un peu plus la diffusion linéaire de son attractivité.

GLISSEMENT DES PLAISIRS

Depuis qu'ils ont perçu que, pour une partie de l'audience, la libre consommation de contenus audiovisuels était devenue bien plus tentante que leur vision (ou leur écoute) sur rendez-vous  à une heure déterminée, les opérateurs audiovisuels traditionnels ont fait le choix de s'immiscer tant que possible dans ce nouveau modèle. Gouverner étant synonyme de prévoir, il leur fallait eux aussi entrer dans une danse à laquelle ils n'étaient pas préparés.

Ils ont donc emboîté le pas à tous les nouveaux acteurs du secteur, en commençant par proposer, sur leurs propres plateformes, les contenus qui avaient été diffusés sur leur antenne. Normal : cela leur donnait une seconde vie. Mais c'était évident faire pauvrement amende honorable aux nouvelles pratiques d'une (petite) partie de l'auditoire. Les opérateurs se sont alors mis à gérer leurs produits de stock de la même manière que les propriétaires de plateformes mondiales qui, eux, ne diffusent pas en linéaire. De petites, puis des grandes séries prévues pour être proposées sur les chaînes tv se sont retrouvées en ligne bien avant d'être proposées à l'antenne. Ensuite, des blockbusters théoriquement destinés à booster l'audience des chaînes ont suivi le même sort.

Certaines chaînes, comme Arte, ont administré le même traitement à des documentaires, voire à certains de leurs magazines, mis en ligne avant l'heure H de leur diffusion sur « l'antenne ». 

Sur les radios généralistes, un procédé identique s'est développé suite à l'explosion de la mode des podcasts. Depuis longtemps, des stations comme Europe 1 préproposent  ainsi en ligne, dès l'aube, des émissions destinées jusque là à être d'abord diffusées par voie hertzienne au cours de la journée.

Mais bon, tout cela ne concernait toujours qu'un même contenu, désormais un peu défraîchi lorsqu'on lui trouvait une place dans une grille de diffusion.

RELÉGATION EN LIGNE

La nouvelle étape de ce processus qu'on pourrait juger un peu suicidaire pour les médias linéaires est en train d'arriver. Elle s'inspire des techniques à l'œuvre depuis quelques années dans les entreprises de presse, où on ne se soucie plus d'accorder une primauté de l'info à l'édition papier (voire même à l'édition de l'info tout court), mais à la livraison de la nouvelle en "mobile first", puis sur les applis et enfin le site web.

Considérant sans doute que les chaînes tv ou radio, avec les grilles et leurs rendez-vous, sont en train de devenir obsolètes, les éditeurs de contenus audiovisuels produisent maintenant d'abord, voire uniquement, pour la mise en ligne.

Début 2023, on a de la sorte appris que la diffusion linéaire du programme de jardinage de la RTBF Jardins et Loisirs (1) passait à la trappe. L'« émission » (si on peut encore parler d'une quelconque émission) n'est plus accessible que sur Auvio. Supposant que bon nombre des spectateurs de ce programme doivent être nés avant les millennials (1980-1990), on imagine l'aisance avec laquelle ils vont switcher de leur grand écran 4K à leur tablette ou leur smartphone pour regarder en couple (ou en famille…) les conseils de Luc Noël.

L'opération relève d'une subtile stratégie : on ne supprime pas le programme, qui répond au cahier des charges de l'opérateur public. Mais on le met dans un placard doré qui lui permet de ne plus occuper l'antenne. Chronique d'une mort annoncée ? Ou une déclinaison du Mystère de la chambre jaune

Depuis septembre dernier, le même sort frappe la tranche matinale de Ouftivi, la chaîne tv pour enfants qui occupe le même créneau linéaire que La Trois. Suite à la volonté de l'opération de diffuser sur La Trois l'émission radio de début de journée Matin Première, les programmes pour enfants ont été privés de diffusion linéaire, les très jeunes spectateurs étant renvoyés sur Auvio. Un bon moyen  pour les dissuader (si besoin était) de regarder une chaîne de télévision 'classique'…

LE MEILLEUR SUR LA PLATEFORME?

Chez RTL Belgium, on a réussi un beau coup en obtenant une interview de la reine Mathilde à l'occasion de ses cinquante ans. Alors qu'une reine, d'ordinaire, cela ne se confie pas aux médias. Une aubaine que cette exclusivité pour un opérateur qui a relégué aux oubliettes l'emblématique programme Place Royale et ceux qui le réalisaient et le produisaient (1). Une sorte de petit camouflet, aussi, pour l'opérateur public, que tous les Belges financent, mais qui n'a pas eu droit à cette royale faveur.

En vertu de tout cela, on imagine que l'interview en question a été choyée, pouponnée, mise en avant autant que faire se peut… Elle a eu de la promo, certes. Mais l'interview,  menée avec sensibilité par la journaliste Alix Battard, n'a pas duré très longtemps lors de sa diffusion sur RTL TVI le 20 janvier. On était même étonné qu'elle soit déjà finie au moment où la reine a reçu de la journaliste des bâtons de marche en cadeau. Mais c'était bien la fin. Car, pour tout voir et tout entendre des confidences royales, on a été renvoyé sur… RTL Play. La reine n'a pas confié tous ses secrets aux amoureux de la monarchie lors de la diffusion linéaire. Ce qui comptait pour l'opérateur audiovisuel était de pousser le spectateur à voir ou revoir l'émission en extended play sur la plateforme de la chaîne. De quoi sûrement tenter les admirateurs de la famille royale, qui n'appartiennent pas tous à la génération Z…

LA FIN DES FRISSONS

En radio, la diffusion linéaire (en FM)  paraît de plus en plus destinée à reproposer des contenus d'abord créés pour être proposés comme des podcasts. Le phénomène touche de plus en plus de programmes de stock, conçus et  ± promotionnés comme tels, et pour lesquels l'inscription dans la grille horaire d'une chaîne donne l'impression de ne plus être que complémentaire. Sur La Première (RTBF), par exemple, certains de ces podcasts mis à l'antenne sont  ainsi diffusés à des heures connues pour ne rassembler qu'un très faible nombre de téléspectateurs. Ils sont même diffusés parfois plusieurs fois, comme si l'on recourait à eux pour simplement "remplir" l'antenne…

À force de banalisation, pareilles pratiques contribuent à vider la diffusion linéaire de l'attrait de programmes renommés, qui justifiaient que l'auditeur prenne rendez-vous avec la chaîne pour les écouter ou les voir. Petit à petit va s'estomper le réflexe de "Ah, il est l'heure de…", déjà effrité en télévision par toutes les opportunités de vision légèrement ou très différée que proposent les opérateurs télécoms comme VOO ou Proximus. 

Radio et télévision sont ainsi en train de perdre ce qui constituait leur âme: le direct. Avec le frisson et le sentiment d'appartenir à une communauté d'audience que ce mode instantané de transmission a permis depuis le début de la diffusion hertzienne.

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/jardins-loisirs-quitte-la-une-et-vous-donne-rendez-vous-en-ligne-11123427
(2) Qui ont tout de même été appelés à la rescousse pour dresser le portrait de la souveraine avant son interview…

 


22 juin 2021

RTL BELGIUM: EENDRACHT MAAKT MACHT? (1)

(1) L'Union fait la force

RTL Belgium tombera plus que probablement entre les mains d'une alliance Rossel-DPG, qui manifeste le grand retour de l'intérêt de ce groupe flamand pour la petite Belgique francophone. Avec, à terme, la possible constitution d'un groupe audiovisuel privé belgo-néerlandais où la Wallonie risque de se retrouver portion congrue. Et en lice avec M6, qui pourrait en pomper une bonne partie de l'audience…

Depuis que, en décembre dernier, le RTL Group avait racheté les parts des médias belges dans RTL Belgium, Rossel s'était dite intéressée par y reprendre une participation. Lorsque la succursale du géant allemand Bertelsmann a ensuite décidé de mettre RTL Belgium en vente, on imaginait bien que le groupe de la rue Royale serait sur les rangs pour un rachat. Mais, vu la taille de la bête, on se demandait avec qui. Le Tijd de ce 22 juin, repris par toute la presse, confirme que l'entreprise de la famille Hurbain figure bien dans le dernier carré des repreneurs potentiels. Mais en association avec DPG Media. Ce qui change un peu le regard plutôt optimiste qu'on pouvait avoir sur l'idée d'un contrôle de l'opérateur audiovisuel privé par un groupe de presse francophone belge.

Forteresse belgo-hollandaise

La Belgique s'inscrit bien là dans la tendance européenne de repli nationaliste des groupes médias traditionnels, initiée en Allemagne par le le RTL Group, sûr qu'édifier des forteresses par Etat est le bon moyen de lutter contre l'invasion des plateformes internationales en ligne. La Belgique de demain comptera donc sans doute un opérateur audiovisuel privé national fort et, chose nouvelle, transcommunautaire. De plus, comme on dit que DPG a aussi des visées sur RTL Nederland, ce serait in fine une forteresse audiovisuelle belgo-néerlandaise qui pourrait voir le jour. 

Une forteresse dans laquelle DPG aura un poids déterminant. A l'heure actuelle, l'ancien Pergroep possède déjà l'ex-Medialaan, qui édite les principales chaînes tv flamandes privées (VTM et cie), ainsi que les deux forts réseaux de radios privées du nord du pays (t un réseau au Pays-Bas). Se nourrir des possessions hollandaises du RTL Group s'inscrit dans la logique de DPG de contrôle total du marché des médias Outre-Moerdijk, lui qui est déjà le premier éditeur de presse dans ce pays. 

Francophonie, le maillon faible

Mais pourquoi y rajouter un maillon francophone, alors que le Persgroep avait quasiment rompu tout lien avec la Francophonie ces dernières années pour se focaliser sur le marché néerlandophone? Par le passé, il cocontrôlait avec Rossel Mediafin, qui éditait à la fois le Tijd et L'Echo. Il s'en est retiré en mars 2018 au profit de Roularta. A la même époque, après avoir racheté tous les magazines mis en vente par Sanoma Belgique, il s'est défait de la quasi-totalité de ceux-ci, et donc de tous ses titres francophones, au profit du même Roularta. En langue française, via Media Home Deco, DPG me possède plus que deux trois titres comme Gaël Maison ou Je vais construire dont les versions francophones sont plus que largement inspirées des éditions néerlandophones. 

Toutefois, DPG a conservé une pièce maîtresse en francophonie: le site 7sur7.be, seul véritable pure player d'information quotidienne dans le sud du pays. Et ce alors que son alter ego flamand, hln.be, n'est autre que la version en ligne de Het Laatste Nieuws, premier titre de Flandre en diffusion payante. Même si les contenus de 7sur7 diffèrent de ceux de hln, on ne peut imaginer que c'est cette seule attache qui ait incité PDG à "venir en aide" à Rossel pour déposer une offre de reprise de RTL Belgium. 

Les rênes à la Flandre?

Dans l'attelage final que DPG entend bâtir, Rossel risque de se sentir un peu seul. Le groupe bruxellois sera assurément le garant de l'identité francophone des chaînes de RTL Belgium, dont il était déjà un sleeping partner tant en tv (dans le cadre d'Audiopresse) qu'en radio (via Radio H) (2). Rossel investira sans doute dans la composante "info" de la nouvelle structure, et peut-être sera-t-il tenté de bâtir des alliances entre ses médias écrits et en ligne et l'audiovisuel. Mais quel sera le poids de ce groupe de presse  sur tout le reste de la structure, face à DPG Media qui est, lui, déjà installé dans le secteur?

En termes d'économies d'échelles, la constitution d'un pôle audiovisuel privé belgo-hollandais est très tentante sur le plan des économies d'échelles. Notamment du côté des déclinaisons de productions ou du partage de droits. On reviendra donc peut-être à l'époque des années 1990 où RTL-TVI et VTM réalisaient des émissions ensemble, organisaient de concert la diffusion de Miss Belgique ou s'associaient pour le Télévie et Leefdeslijn (l'autre n'étant que la traduction de l'un). RTL a aussi Marié au premier regard et VTM Blind getrouwd. Des mariages sont donc possibles. Au-delà de cela, DPG pourra aussi proposer à RTL des versions francophones de ses shows flamands ou néerlandais. Mais la sauce hollandaise séduira-t-elle le public de RTL-TVI? Pas sûr. D'autant que celui-ci est plutôt accro aux programmes de RTL Belgium tels qu'il les a toujours connus.

Est pris qui croyait prendre?

Alors, on ne peut penser qu'à une chose: cette union belgo-belge pourrait bien surtout profiter à… M6. On se souvient qu'aucun candidat au rachat de l'opérateur français n'avait voulu y associer celui de RTL Belgium. Et pour cause! Pour le prix de M6 seul, TF1 pourra aussi s'offrir sous peu une bonne partie du public de RTL Belgium qu'il ne contrôlait pas encore via son décrochage belge. Jusqu'à présent, une sorte de gentleman agreement entre M6 et RTL Belgium, toutes deux membres du même groupe, permettait d'éviter que M6 ne soit diffusée en Belgique. Car cela aurait mis RTL-TVI et ses petites sœurs dans de beaux draps, puisque bon nombre de programmes porteurs de M6 sont proposés sur les chaînes de RTL Belgium. Demain, libérée de tout lien familial, rien n'empêchera plus M6 de diffuser en Belgique via le câble et Pickx-Proximus, avec des décrochages publicitaires comme le fait TF1. En proposant aux Belges tous les programmes qu'ils adoraient sur RTL-TVI et consorts, et que M6 ne leur vendra évidemment plus.

Inutile de deviner où ira alors l'audience. Et d'imaginer le risque de disette de spectateurs (et de recettes) pour les chaînes de l'ex-RTL Belgium. Avec, de plus, une partie du gâteau publicitaire, déjà rabougri, grinoté par les souris de M6. Dans ces circonstances, que restera-t-il à RTL-TVI? L'info, bien sûr, mais qui coûte cher à produire sur un petit marché sauf si on en mutualise les coûts avec les médias actuels de Rossel. Et, à part cela, tout ce qui est déjà produit par VTM et ses chaînes complémentaires…

Enfin, on peut se demander comment tous ces montages pourront prendre en compte l'inévitable virage numérique que RTL Belgium avait déjà eu tant de mal à amorcer. Rossel et DPG seront-ils d'une aide à ce propos? Au nom de cette logique des forteresses, pousseront-ils, par exemple, à faire entrer l'ex-RTL dans Auvio? Ou choisiront-ils la concurrence acharnée, au risque de laisser des morts et des blessés sur le champ de bataille?

Le rachat belgo-belge de RTL Belgium était sans doute la dernière solution, toutes les autres portes s'étant refermées. Mais ne risque-t-il pas de faire entrer un nouveau loup dans la petite bergerie du marché francophone belge? En cas d'avis de tempête, le vaisseau de l'avenue Georgin risque de bien devoir s'accrocher. En se rappelant peut-être que Jacques Georgin, militant FDF, avait été tué à Laeken le 12 septembre 1970 par des militants du VMO, le Vlaamse Militanten Orde…

Frédéric ANTOINE.

(2) N'oublions pas que Bel RTL fut créée sur les cendres de FM Le Soir et des radios que le groupe Rossel avait lancées dans les années 1980. On ne peut donc dire que l'histoire ne repasse jamais les plats…

 

09 février 2021

LN24 SUR AUVIO: LA SUPRISE DU CHEF


La prochaine arrivée de LN24 sur la plateforme Auvio fait des vagues à la RTBF. Mais n'est-elle pas d'abord un coup de maître, et pour Auvio et pour LN24?

Ça s'excite un peu, du côté des journalistes de la RTBF, depuis qu'a été annoncée hier le prochain débarquement de LN24 sur Auvio. Comment, la concurrence va occuper "notre" espace sur "notre" plateforme! Est-on sûr, d'abord, que LN24 partage nos valeurs, voire notre conception du journalisme? Bonnes questions, mais peut-être pas toutes pertinentes. Oui, Auvio a le goût et les couleurs de la RTBF. Mais, même si le logo de la RTBF est intégré dans celui d'Auvio et que son adresse web est www.rtbf.be/auvio, ce n'est pas la plateforme de la RTBF. Elle n'a jamais été voulue comme telle par la hiérarchie. Ses concepteurs l'ont dès le départ rêvée comme une sorte d'alternative belge francophone à Netflix, rassemblant le maximum de contenus possible.

Considérer que c'est aussi la plateforme maison est oublier que AB3, Xplore et Arte y consignent aussi déjà leurs émissions. Bien sûr, sur AB3, cela fait belle lurette qu'il n'y a pas de journaux télévisés. Mais la chaîne ne diffuse-t-elle pas des magazines d'enquêtes-reportages, comme Reporters, par exemple, aux sujets pas toujours reluisants… dont on trouve parfois des déclinaisons comparables dans l'offre des chaînes de la RTBF. Les magazines d'AB3 ne constituent-ils pas une menace pour le journalisme made in service public de la RTBF? En tout cas, ils ne touchent pas au sacro-saint tabou: l'information quotidienne. Le JT, pour parler simple. Arte en produit. Mais, subtilement, la "sélection d'Arte" que propose Auvio ne les comprend pas. Le seul JT concurrent aujourd'hui présent sur la plateforme est celui de la RTBF. Mais cela, ce n'est pas grave. VRT et RTBF ne sont-ils pas les deux enfants du même service public? Avec l'arrivée de LN24, ça change tout: dans la chasse gardée de l'actu.


Chacune chez soi


N'avait-on même pas un jour rêvé de voir RTL rejoindre Auvio plutôt que de lancer en catastrophe de son côté une plateforme ersatz technique de celle concoctée par M6? Si ce projet-là avait vu le jour, nul doute que des cohortes de journalistes de la RTBF se seraient immédiatement mises en grève illimitée. Car là, le tabou de toucher à l'actu n'aurait pas été menacé. Il aurait été piétiné. Mais, grâce à Dieu, les responsables de l'avenue Georgin n'ont jamais choisi de franchir ce Rubicon-là. Jamais les JT de La Une et ceux de RTL-TVI ne se retrouveront côte à côte sur une même plateforme. Sur un téléviseur, il suffit de switcher sur sa télécommande pour passer de l'un de l'autre, et ce n'est compliqué ni sur une appli ni sur internet. Mais ils ne sont pas là ensemble. Ils ne doivent pas se côtoyer. Chacun chez soi. Sauf que, comme écrit plus haut, Auvio, ce n'est pas vraiment "la RTBF chez soi". Même si cette image, bien entretenue par l'image de marque, est ancrée dans la tête de pas mal de gens.

 

Du journalisme, tout de même

 

On peut s'interroger sur le type de journalisme pratiqué sur LN24 par rapport à celui du service public, sur ses choix rédactionnels, sur ses angles parfois idéologiques, voire politiques, sur sa propre conception de la déontologie, sur les mélanges de genres que l'on peut retrouver dans certains de ses programmes… mais c'est du journalisme. Les fondements du journalisme sont partout les mêmes, et d'ailleurs, ceux qui pratiquent sur la RTBF et sur LN24 sortent des mêmes écoles ou universités, ont été formés par les mêmes professionnels, et ont eu les mêmes profs. Évidemment, journalistes de LN24 et de la RTBF ne fonctionnent pas dans le même environnement. Sur LN24, le personnel en CDI n'est pas foison. À la RTBF, il est beaucoup plus courant. Dans une petite PME toujours en période de lancement, où l'on perd encore de l'argent, chacun craint chaque jour pour sa place. À la RTBF, il y a bien de plus en plus de CDD, mais on connaît quand même aussi une certaine stabilité d'emploi.
À la RTBF, on regorge aussi de moyens techniques, au point d'envoyer des journalistes faire des in situ là où il ne se passe rien. Sur LN24, on s'inspire de chaînes all news comme BFM pour miniaturiser le matériel et charger aussi le journaliste de gérer lui-même la technique, mais on ne joue pas (encore) dans la même cour que le service public. Alors, pourquoi le grand frère redoute-t-il autant l'arrivée du petit rejeton?

 

Concurrence loyale


N'est-ce pas simplement parce que le grand frère redoute la concurrence, la possibilité de comparer sans devoir zapper. Et que, si LN24 n'a aucune chance théorique d'être meilleure sur l'info que la RTBF, elle n'en occupe pas moins de plus en plus de créneaux. La RTBF a deux bastions: ses JT de 13h et de 19h30. Dans l'un, elle domine le marché, dans l'autre, son ambition de battre RTL définitivement est toujours de l'ordre de l'ambition. Mais, le reste de la journée, comment fait-on pour s'informer sur la RTBF, enfin RTBF Télévision, car jusqu'à plus ample informé les ambitions de LN24 en radio ne sont encore aujourd'hui qu'au stade de projet. 

En télé, le matin, l'info est incluse dans la sorte de mi-radio filmée, mi-télévisé, du 6-8 et du 8-9. Soit pas quelque chose qui soit vraiment de la télé. Alors que sur LN24, il y a une vraie matinale, qui se paie le luxe, comme La Première radio, d'avoir des invités politiques dont les déclarations sont parfois assez intéressantes pour être reprises ensuite par tous les médias. 

Et après dans la journée, sur la RTBF TV? Hormis le 13h, le 19h30 et Vews… au même moment sur Tipik, plus rien. Alors que LN24 est, elle, là en permanence. En fin de soirée, on ne sait jamais quand le microscopique Vews sera rediffusé sur Tipik. En face, LN24 est toujours-là, et propose même un grand journal en direct à 23h. 

 

Modèle à revoir


Alors, si tout LN24 débarque sur Auvio, on fera vite la comparaison. On comptera le nombre d'éditions de JT, le nombre d'émissions d'infos de l'une et de l'autre. Et il apparaîtra que, en Belgique francophone, la chaîne qui fait le plus d'infos et est la plus présente en permanence, ce n'est pas la RTBF. Pour adoucir le constat, on ajoutera aux productions Tv du service public toutes les vidéos des émissions de La Première, avec ses JP et ses magazines. Mais il sera vite évident que ce n'est pas la même chose. Quantité n'est pas qualité, dit-on souvent. Mais quand même. C'est là que cela pourrait faire mal. Avoir de si nombreux journalistes pour ne produire "que" quelques émissions de grande qualité, alors qu'en face on fait le job et on est au turbin en permanence, avec les compétences et les moyens du bord. 


La solution est-elle de s'opposer à l'arrivée de LN24 su Auvio? Ou de se questionner sur la nature et la fréquence de la couverture de l'info "télévisée" (ou "audiovisuelle") sur la RTBF. Pourquoi le service public ne se positionne-t-il pas, lui aussi, dans une sorte de créneau all news (à inventer) qui pourrait être compétiteur de LN24? Pourquoi la logique d'édition de contenus est-elle diluée dans un talk-show ± radiophonique le matin, et totalement absente en avant et après soirée? On répondra qu'il y a eu des tentatives, mais que ça coûtait cher et qu'il n'y avait personne au rendez-vous. Sauf que, aujourd'hui, c'est LN24 qui occupe ces déserts, et que, tout petit à tout petit, l'herbe commence à y pousser. Depuis quelques mois, la comm de LN24 est fière d'annoncer des gains en audience, sur des cibles très pointues, et plutôt dans le haut de gamme. En face, le service public ne s'écrie-t-il pas: "Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un Héron !J'ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !", comme disait le héron de La Fontaine…


Son arrivée sur Auvio est une consécration pour LN24. L'affirmation que le petit avorton sur lequel personne ne pariait un kopeck est arrivé dans la cour des grands. Et les démange tellement qu'ils en font une petite jaunisse. Pour Auvio, c'est l'affirmation du projet initial selon lequel, sous l'égide de la RTBF, la plateforme vise à rassembler au plus large, pour contrer ensemble les GAFAM, au nom de la devise nationale belge. Si, en plus, cette concurrence rapprochée amenait l'info RTBF à s'interroger sur elle-même, en conservant bien sûr sa différence et sa spécificité, tout le monde ne serait-il pas gagnant?


Frédéric ANTOINE.

24 mai 2020

Auvio : hier spreekt men ook nederlands

Même en ces temps de déconfinement, sortir de chez soi peut rester virtuel. Et peut permettre de se rapprocher de l'autre, même à distance. Pour preuve, la subtile initiation à la découverte de la langue néerlandaise à laquelle est actuellement (23-24 mai) soumis tout qui souhaite regarder une vidéo sur la plateforme Auvio.
Le premier message publicitaire auquel sera soumis l'usager avant d'accéder au programme qu'il aura choisi lui sera en effet proposé… dans la langue de Vondel. Et sans sous-titres.

De quoi devoir retrousser ses manches pour bien comprendre ce que BNP-Paribas-Fortis, et les entrepreneurs  en déconfinement que la banque soutient, entendent lui faire passer comme message.
Pas sûr non plus que la promotion qui passe ainsi de manière inlassable pour une micro-brasserie anversoise attirera du coup dans ses murs ou vers ses produits une myriade de francophones de Bruxelles et de Wallonie…

Mais sans doute est-ce l'intention linguistique qui compte. D'autant que la seconde pub qui précède le programme que l'on a choisi de regarder sur Auvio est, elle, en langue française, et sans aucun rapport avec le contenu de la précédente. Enfin presque. Le 23 mai, un des annonceurs tournant en boucle dans ce deuxième lever de rideau était lui aussi le producteur d'une bière, quasiment artisanale puisque sa particularité est que son houblon est déversé en quatre fois. Qui plus est, c'est une bière fabriquée, elle aussi, en Flandre. Et, il y a près de 150 ans, brassée de manière artisanale par un petit producteur de Kortemar, près de Dixmude. Aujourd'hui, elle est tombée dans l'escarcelle d'un grand groupe brassicole flamand lui-même détenu par un géant mondial de bière hollandais.
Mais renie-t-on jamais ses racines?

Non content de pouvoir déguster un message publicitaire conçu et rédigé dans la langue du nord du pays, l'utilisateur d'Auvio peut aussi dépasser cette première étape, et s'immerger totalement dans l'expression culturelle flamande, ou à tout le moins dans une partie d'entre elle. La plateforme offre en effet désormais un accès pendant une semaine aux 4 journaux télévisés produits par son alter ego néerlandophone.

Un progrès incontestable pour le Belge francophone, qui ne saurait de lui-même comment se rendre sur la plateforme VRT NU et s'y inscrire, ou qui n'aurait pas envie de fournir ses coordonnées privées à un service public flamand.

L'audience de ces JT flamands via Auvio est assez limité. Selon une comptabilisation réalisée le 24 à mi-journée, la fréquentation moyenne journalière sur la dernière semaine est d'environ 33 vues, mais le 40 vues sont fréquemment dépassées. Dimanche dernier 17 mai, elle a même été plus du double. A notre modeste échelle, nous ne disposons toutefois pas des moyens de savoir d'où viennent ces usagers, ni quels sont leurs profils.

Auvio affirme proposer aux abonnés de sa plateforme "toutes les éditions du JT de la VRT, diffusées tous les jours sur Eén et Canvas". Ce n'est pas tout à fait exact selon les jours, mais il faut reconnaître que l'offre de rendez-vous d'information est beaucoup plus riche sur le service audiovisuel public que côté francophone… L'archivage sur Auvio est aussi assez limité dans le temps, alors que VRT NU donne, lui, accès aux journaux télévisés jusqu'à un mois après leur diffusion.

Un plus incontestable eût été que ces émissions néerlandophones soient par exemple doublées, ou mieux sous-titrées, ce qui aurait fortement accru leur intérêt et leur utilité pédagogique pour les francophones. Cette rediffusion se serait alors inscrite au cœur dans la mission d'éducation permanente de la RTBF. Pour l'instant en tout cas, on n'en est pas encore là.

Pourtant, regarder à la suite le JT de 19h de la VRT et le 19h30 de la RTBF peut vraiment ne pas manquer d'intérêt. Ainsi, samedi 23 mai, la chaîne publique flamande ouvrait ses infos par un problème très préoccupant : dans une partie du Brabant flamand, la consommation d'eau vient déjà d'être réglementée et, à Overijse, sa distribution a même été arrêtée. Il n'y a plus d'eau aux robinets. La chose n'est pas neuve, mais se manifestait précédemment au cœur de l'été. Jamais en mai. Le JT de la VRT, qui a duré 44 minutes, a consacré 6 minutes 20 secondes à traiter ce sujet sous divers angles.
Sur la RTBF, le 19h30 a ouvert sur le prochain retour des touristes en Espagne, sujet ensuite étendu au déroulement des prochaines vacances d'été. Le traitement de l'info a pris 5 minutes 10. L'ensemble du JT a duré 38 minutes.


Frédéric ANTOINE

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