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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

02 juin 2025

Médias belges francophone : une inexorable peau de chagrin (2e partie)

Dans la presse écrite régionale aussi, la réduction du nombre de médias est aujourd'hui à l'ordre du jour, alors que les bruits de rapprochements entre les deux derniers éditeurs de quotidiens se font plus pressants. Le petit paysage médiatique de Belgique francophone se réduit vraiment comme une peau de chagrin.

L'article Médias belges francophone : une inexorable peau de chagrin (1ere partie), publié le 1er juin sur ce blog, commençait par ces phrases : « La Belgique francophone ? C'est grand comme un Land allemand. Et, voyez-vous, dans un Land allemand, il n'y a qu'un seul journal quotidien. Comparez avec le sud de la Belgique. Il est évident qu'il y a chez nous économiquement trop de médias ! » 

Plus encore que pour les télévisions de proximité dont il était question dans cette première partie, cette affirmation fréquente dans le monde de l'édition depuis plus d'un quart de siècle est pertinente à propos du sort de la presse écrite en Belgique francophone. Là aussi sont à l'œuvre "la main invisible du marché" chère à Adam Smith et l'action, un peu plus visible, de divers acteurs du paysage médiatique.

QUEL AVENIR POUR L'AVENIR ?

 L'alerte a été lancée récemment aux  Éditions de L'Avenir, dont l'actionnaire majoritaire a décidé de fusionner deux des éditions locales, Entre Sambre et Meuse et Basse Sambre, affirmant que les coûts d'impression de chacune d'elle étaient supérieurs aux revenus qu'elles généraient. 
Une chose à peine croyable alors que, selon les derniers chiffres CIM disponibles pour 2023 [et semble-t-il aussi pour 2024 (1)], L'Avenir est, de tous les titres de la presse belge francophone, le quotidien affichant la plus forte diffusion payante tous supports confondus (papier+digital). En papier seul, L'Avenir est aussi aussi le journal le plus vendu. 
Fusionner deux éditions dans pareil contexte a plus  que quelque chose de paradoxal.
 
Les éditions locales "papier" de L'Avenir étaient au nombre de 8. Les voilà ramenées à 7. Rien ne dit que, demain, la même motivation ne sera pas évoquée pour fusionner d'autres éditions, même si l'opération pourrait s'avérer moins aisée suite à la taille de chacune des zones couvertes et en raison de leurs spécificités très différentes. 
Mais, dans le cadre de la logique de médias "provinciaux" qui inspire aussi le projet de restructuration du secteur des "télévisions de proximité", rien n'empêcherait d'envisager une fusion des deux éditions de L'Avenir en province de Liège, le titre ne couvrant que très très peu Liège centre et se focalisant essentiellement sur les deux pôles est et ouest de la province. Idem pour la province de Namur, où il pourrait être géographiquement "logique" de rajouter l'édition centrale Namur-Dinant aux deux éditions qui viennent déjà d'être fusionnées. Ce qui réduirait dans le futur le groupe L'Avenir à cinq éditions "papier".
 
CE QU' " ÉDITER" VEUT DIRE
 
Éditions "papier", ou aussi numériques ? Officiellement, à côté de ses 8 éditions "papier" le quotidien régional compte en effet 12 "éditions" en ligne, les 8 "papier" + 4 éditions qu'on pourrait qualifier de  "péri-urbaines", consacrées aux très grandes villes wallonnes et à Bruxelles. Mais sont-ce réellement des éditions ? 
Là est sans doute toute la question pour le futur du quotidien. Car une édition, ce n'est pas seulement l'impression d'un journal papier pour une région donnée, ou la mise en ligne sous le même onglet d'une série articles épars consacrés à une même agglomération. Une "édition", c'est d'abord une rédaction distincte, avec un ou des chefs d'édition. A l'heure actuelle, chaque édition (papier) de L'Avenir est liée à une rédaction propre, dirigée par un (ou parfois deux) chefs d'édition. Aux éditions de L'Avenir, chaque édition est aussi associée à des "bureaux régionaux" propres. Si L'Avenir en affiche actuellement 8, l'implantation du titre sur le terrain est plus précise que cela. L'édition
Entre Sambre et Meuse, qui doit être fusionnée, possède en effet 2 bureaux : un à Philippeville et un à Charleroi. Idem pour L'Avenir Luxembourg (Arlon et Marche-en-Famenne) et pour L'Avenir/Courrier de l'Escaut (Tournai et Ath). 

Fusionner deux éditions papier signifie inévitablement aussi réduire la structure hiérarchique, donc de ne plus compter qu'un chef d'édition (papier). Car les "'éditions" en ligne ne semblent déjà pas être de "vraies" éditions, pour la simple raison que ce qui s'affiche en ligne ne paraît pas être le fruit de choix éditoriaux précis, ni d'une sélection ou d'un traitement hiérarchique de l'info.
 
COUPER LES RACINES
 
Au même titre que pour les "télévisions de proximité", réduire le nombre d'édition d'un quotidien régional revient à priver le média de ce qui fait sa spécificité : son ancrage sous-régional et, dans le cas de la presse quotidienne, quasi-local. Couvrir un plus grand territoire avec moins de moyens (les réduction de personnel ont déjà commencé), et moins d'espace papier.
 
La réponse à cette critique pourrait être simple : si ce qui est affirmé ci-dessus est vrai pour le journal papier, cela ne le sera plus quand, très bientôt, il aura disparu, et que tout le monde consommera son média régional uniquement en ligne, sans hiérarchie ni sélection de l'info certes, mais en bénéficiant grâce aux algorithmes de masses d'articles ciblés sur une même sous-région.
 
TUER LA POULE AUX ŒUFS D'OR
 
Outre le fait que la pléthore de l'offre ne fait pas le journalisme, cette réponse évite un élément essentiel, déjà évoqué plus haut : à l'heure actuelle L'Avenir est le plus grand journal belge. Et le roi des ventes d'abonnements papier. C'est ce qui fait sa force. Gardera-t-il la forme s'il perd ce qui fait sa raison d'être ? Comment mieux dissuader les lecteurs d'un quotidien sous-régional de conserver leur abonnement qu'en réduisant la richesse du contenu de leur information de proximité ?
 
Les journalistes de L'Avenir évoquent leur crainte d'assister à un dépeçage progressif de leur média. On peut le comprendre, à un moment où leur titre n'est plus qu'un pion dans la partie d'échec qu'ont commencé à jouer les deux derniers éditeurs de presse quotidienne du sud du pays. Un secteur où la tendance à la raréfaction des acteurs n'a d'ailleurs pas attendu ces derniers mois, et où l'application de la comparaison avec un Land allemand (cfr. début du texte) est sans doute sur le point de se produire, si ce n'est totalement, du moins partiellement. 
En cas de création d'une grande coupole regroupant tous les titres de presse quotidienne du pays, l'opération ne sera pertinente et "rentable" qu'en supprimant la concurrence et la diversité, c'est-à-dire en éliminant les doublons. Sauf peut-être, pour l'image de marque, du côté de la presse de qualité. 
La presse régionale et son implantation locale seront sans doute la première cible d'une rationalisation qui, si elle n'amène pas à la subsistance d'un seul titre de presse régionale, organiserait en tout cas les implantations sur le mode du partage strict des zones d'influence (un peu comme les Américains et les Soviétiques le firent à Yalta en se répartissant l'Europe). Finie la concurrence et les zones de double couverture, finie la chasse à l'exclusivité pour son titre au détriment du confère, finie la diversité du traitement. Il ne subsisterait alors qu'un seul et unique contenu de presse locale, à consommer dans un seul et unique contenant. A prendre ou à laisser.
 
Pour le meilleur de l'économie des médias ? Ou pour le pire ? Plus que jamais, ces médias pourront alors être accusés de conformisme, de connivence avec les pouvoirs et les élites, voire de manipulations de l'information. Plus que jamais, la fonction d'enquêteur du journaliste et celle de chien de garde de la démocratie qu'on attribue aux médias seront difficiles à tenir.
Et, plus que jamais, les gens auront tendance à délaisser ces vieux médias devenus uniques pour trouver de l'info, de la "vraie", de la "crédible", de l'"humaine" et de la "proche" sur les réseaux sociaux où tous les villages, voire les hameaux ont leurs pages (officielles ou beaucoup moins officielles) et des cohortes d'abonnés qui échangent horizontalement des infos. Mais où circule aussi tout et n'importe quoi. Sans choix éditoriaux, sans responsables d'édition. Sans traitement professionnel. Mais à grands coups de on-dit, de rumeurs, et de communications orchestrées par ceux qui y ont tout intérêt…
 
Frédéric ANTOINE. 

(1) Alors que les chiffres CIM pour 2024 ne sont officiellement plus rendus publics, le directeur d'études auprès de l'agence média Space et chargé de cours invité à l'UCLouvain Bernard Cools a récemment publié sur le site de l'agence Space un article qui confirme la première place de L'Avenir en 2024 (https://space.be/what-we-say/articles/541).
 

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