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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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24 octobre 2023

Metro : la mort au bout du tunnel

 

Rossel a annoncé que Metro s'arrêterait de paraître ce vendredi. Alors que, il y a quelques années encore, ce journal était le titre de presse le plus distribué en Belgique francophone. Avec la disparition du seul quotidien papier gratuit de Belgique disponible au nord comme au sud du pays, une nouvelle page de l'histoire de la presse se tourne. Au nom de la rentabilité des entreprises  et de leur désintérêt pour les expériences qui ne cadrent pas avec leur business plan. 

Il en avait fait du bruit, Metro, quand il avait vu le jour en Belgique. Les grands penseurs du journalisme se demandaient à l'époque si on pouvait vraiment considérer comme un média d'information un journal que son lecteur ne devait pas payer et qui ne se finançait que par la publicité. Ce qui semblait alors définir "la presse", c'était obligatoirement le fameux modèle économique à double versant ou, pour être plus trivial, la célèbre phrase d'Emile de Girardin : « Le journal est un bien qui se vend deux fois. » Et voilà que, avec Metro, il ne se vendait plus qu'une seule fois, et s'offrait gratis à son autre clientèle. Un journal qui, en somme, se rémunérait comme les toutes-boîtes, dont tout le monde s'accordait aussi alors pour dire que ce n'était pas de la presse, celle qu'on salue chapeau bas, qui souffre pour accomplir ses missions et à laquelle on rend hommage à tous les étages de la société pour son travail de garant de la démocratie…

FENÊTRE OUVERTE

Metro, ce n'était sans doute pas vraiment ça. De mémoire, il ne semble pas que ce journal-là ait eu un seul scoop, mené des enquêtes exclusives  en profondeur ou ait réussi, par ses révélations, à faire tomber des ministres. Métro était plutôt un suiveur de l'info, mais que lui demandait-on d'autre ? Et puis, son contenu, c'était quand même de l'info, et pas des ragots. Un tour du monde de l'actu un peu fastfood, à ingurgiter en quelques minutes seulement, certes, mais un tour du monde de l'info tout de même.

Combien de navetteurs et de jeunes, particulièrement, n'ont-ils pas bénéficié d'une petite fenêtre ouverte sur le monde en feuilletant ses petites pages ? Metro a initié à la lecture de l'info des dizaines de milliers de personnes qui, autrement, n'auraient jamais par elles-mêmes franchi la porte d'un marchand de journaux et payé pour accéder à un titre de presse. Le titre a vulgarisé l'info, et la brièveté de ses articles l'a rendue accessible à tous. On ne rappellera sans doute jamais assez la fonction de salut public que ce petit journal aura rempli pendant plus d'une vingtaine d'années.

PARTAGE vs ŒILLÈRES

En ce sens, Metro aura contribué à rajeunir le lectorat de la presse, et à le préparer à consommer d'autres médias. Jusqu'à ce qu'un autre média gratuit vienne (en partie) prendre sa place dans les transports en commun, avec le gros avantage d'être immensément plus diversifié que Metro et permettre de ne plus pouvoir lire que ce qu'on aime. Sans jamais avoir le regard brouillé par d'autres thèmes, d'autres univers que proposent, dans leur mise en page papier, tous les titres de presse.Metro vivait de la diversité de l'info. Les algorithmes d'internet ont replié ses lecteurs sur eux-mêmes, leur offrant les meilleures œillères permettant de ne pas devoir se confronter à l'éclectisme et l'imprévisibilité de ce qui fait le monde.

Metro était aussi le journal du partage. Un autre rôle que ne remplit aucun titre de presse belge. Chez nous, la presse ne circule pas de mains en mains (pour ceux qui la lisent encore sur un support papier). Chacun achète "son" journal, et le garde pour lui, ou pour sa famille. Metro, parce qu'il était gratuit, n'avait pas la valeur marchande du bien privé tel que l'a défini Samuelson dans son fameux article de 1954 (1). Bien sûr, l'appropriation d'un exemplaire privait un autre consommateur de lire le même exemplaire au même moment (notion de "rivalité") mais, bien souvent, le lecteur abandonnait son exemplaire après l'avoir lu. Ce phénomène était très visible dans les trains où de nombreux exemplaires de Metro traînaient sur les banquettes… et étaient alors repris par d'autres usagers du train. Metro était un bien qui s'utilisait plusieurs fois. Presque un "bien public".

Metro était encore un journal qui, malgré sa légèreté et son éphémérité, entretenait un lien fort avec ses lecteurs. L'idée géniale de la rubrique Kiss & ride, et son succès tout au long de la vie du quotidien, en est le plus patent exemple.

LEVE BELGIQUE, UNE KEER

Enfin, Metro était un peu une image de  "la Belgique". Il était le seul titre de presse belge publié dans les deux principales langues nationales (même Le Moniteur belge n'a pas le même nom côté flamand…). Un même titre, certes, mais pas un même contenu pour autant, comme nous nous sommes toujours évertué à l'expliquer à nos étudiants. Même maquette, mêmes pubs (souvent), même logo (sur une couleur différente)… mais pour tout le reste, chacun était maître chez soi. Pendant des années nous avons comparé avec nos étudiants des "unes" de la version francophone et néerlandophone. Leurs différences révèlent en profondeur ce qu'est la Belgique : un pays qui a une seule forme, un seul nom, des mouvements économiques et financiers communs… mais pas la même culture, les mêmes intérêts, la même façon de vivre et de comprendre le monde. Lire les deux versions de Metro parle plus que des heures de cours. Les "unes" de lundi dernier le confirment encore :

Côté francophone, la photo de "une" célèbre les beautés de l'automne. Du côté flamand, c'est le Hallowoef
Le titre de manchette est d'un côté sur le conflit palestinien. 
Et de l'autre sur le successeur de Van Quickenborne, qui divise l'Open Vld.

Parfois, la différence entre les deux versions se trouve dans le détail. Ainsi, par exemple, ces deux "unes" datant de 2020. N'a-t-on pas l'impression que, là, Metro est bien un journal belge, tant les similitudes entre les deux "unes" sont marquantes, à commencer par la photo principale, celle de Kate Middelton visitant un chenil ?

Sauf que, à y regarder à plus près, si les deux versions de Metro titrent bien sur le même événement, les deux rédactions n'ont pas choisi la même photo. La princesse rit franchement dans l'édition flamande, et sourit dans l'édition francophone. En plus de cela, le titre et la légende (ou le chapeau) sont insérés dans la photo en bas à gauche côté francophone, alors qu'ils sont dans un pavé côté flamand.Et ne parlons pas des autres titres qui sont tous différents, à commencer par celui de la manchette. Le seul autre élément similaire est le cadre rouge, qui est une publicité pour Spar, qui n'occupe pas le même emplacemen dans la page dans les deux versions…

HISTOIRE BELGE

Metro Belgique a aussi été une histoire belge parce que le titre a dû beaucoup se bagarrer devant les tribunaux où il était attaqué pour plagiat par la société suédoise qui avait créé le concept. Et, paradoxalement, il a réussi à faire reconnaître sa spécificité (d'où, par exemple, le fait que le site web ne s'appelle pas metro.be mais metrotime.be).

Enfin, Metro Belgique a encore été une belge histoire parce que, de sa création à très récemment, la société qui l'éditait, Mass Transit Media, était la propriété commune d'un groupe de presse flamand et d'un groupe de presse francophone. A sa création, Concentra en possédait 51% et Rossel 49%. Les choses se sont un peu compliquées quand le groupe régional flamand a été absorbé par Corelio, et qu'ensemble ils sont devenus Mediahuis. Ne cherchant plus à s'étendre en terres francophones, Mediahuis a vendu en 2020 ses parts (50%) dans Mass Transit Media à Rossel. Fin de la belle histoire transcommunautaire. Rossel prend seul les commandes, quelque mois à peine avant de racheter le mastodonte RTL Belgium avec un autre groupe flamand, DPG. Rossel n'est pas très accoutumé à oeuvrer en Flandre. Le sort final de Metro en a peut-être dépendu…
 
DEUX GROSSES CHUTES

Metro n'allait-il pas bien ? En ce qui concerne l'audience, des titres que l'on a pu lire dans les nécrologies publiées par certains journaux ces jours-ci affirment le contraire. Soyons de bon compte : Metro n'allait pas si bien que ça.

Les belles années de Metro, c'était avant 2010. L'époque où l'édition francophone flirtait avec les 120.000 exemplaires distribués, c'est-à-dire davantage que n'importe quel titre payant de la presse quotidienne de Wallonie-Bruxelles. L'édition flamande faisait mieux encore, mais ne menaçait pas, à l'époque, les impressionnantes diffusions du Laatste Nieuws ou du Nieuwsblad. Cette période de grâce durera jusqu'en 2012. Metro n'est alors pas nécessairement une affaire qui tourne, car le volume de pubs publiées dans ses pages n'est pas extraordinaire, mais l'audience est au rendez-vous devant les distributeurs verts disséminés dans les lieux publics.
 Le premier coup porté à la diffusion du titre se situe en 2013. C'est-à-dire au moment où le web 2.0 s'est généralisé. Tout le monde dispose désormais d'un smartphone et, lors de ses déplacements ainsi que dans les transports en commun, on est désormais sur son téléphone. Et moins sur Metro. Il est frappant de constater que, jusqu'en 2018, la diffusion gratuite de Metro reste alors stable. Ce qui ne veut pas dire que, dans les gares et ailleurs, les exemplaires disparaissent chaque jour comme des petits pains, ainsi que c'était le cas précédemment. Mais la clientèle qui est restée fidèle est toujours au rendez-vous.
 
Le second coup côté diffusion est clairement lié au covid. A partir de mars 2020, inutile d'imprimer et de distribuer des exemplaires dans des endroits où il n'y a plus personne. Pour la presse gratuite "pull", le covid est une catastrophe. Alors que pour la presse gratuite "push", elle est une aubaine…
 
Ce qui est étonnant (ou pas) est que, en post-covid, en 2022, le public ne semble pas s'intéresser davantage à Metro qu'en période covid. Ou, plus clairement, en 2022 l'éditeur du titre ne retrouve pas davantage de personnes intéressées par le journal, qui a fait des efforts d'adaptation, que lors du covid. Pour la presse gratuite pull aussi, le covid aurait-il profondément changé nos habitudes ? 
 
Un autre élément n'est pas à ne pas perdre de vue : 2020, année malheureuse pour la presse, est aussi celle où Rossel reprend seul la gestion de Metro. Et voilà que, depuis lors, la diffusion se sent mal, que la direction réduit le nombre de jours où le journal est disponible, puis annonce son enterrement. Simple coïncidence ?
 
Il ne faut aussi pas oublier qu'il restait tout de même en 2022 60.000 exemplaires pris chaque jour par des candidats lecteurs dans les distributeurs francophones, et autant du côté flamand. Combien de quotidiens payants peuvent-ils revendiquer pareille diffusion papier à l'heure actuelle en Belgique, notamment côté francophone ?
 
QUELLE MISSION POUR LA PRESSE ?
 
L'argument n°1 évoqué pour justifier l'arrêt du titre ce vendredi est la difficulté à y attirer des annonceurs. Est-ce si différent du reste de la presse, que les éditeurs ne trucident pas pour autant ? Au contraire de la presse gratuite push, type Vlan, la presse gratuite pull n'a pas été créée jadis pour être la vache à lait des entreprises de presse. La fonction sociale de Metro aurait pu justifier que son propriétaire fasse un effort pour le maintenir en vie, en se reposant sur les bons résultats que le groupe enregistre dans d'autres branches. Un grand groupe de presse ne fonctionne-t-il pas selon le principe des vases communicants : certes, un secteur peut être déficitaire. Mais si on l'estime pertinent par rapport au rôle social qui a justifié sa création et son maintien, on peut le faire vivre grâce aux apports d'autres divisions de l'entreprise.
 
En l'occurrence, on a dû considérer que Metro n'était plus utile, voire n'avait plus de sens à l'heure actuelle. Prendre comme une fatalité le fait que tous les jeunes (et moins jeunes) passent désormais leur temps le nez sur leur smartphone et qu'il est donc inutile de vouloir leur proposer un produit de presse qui les ferait sortir de leur(s) monde(s) est un choix. Mais est-ce le bon ?

Frédéric ANTOINE.

 

(1) Samuelson, Paul A., 1954, “The Pure Theory of Public Expenditure”, The Review of Economics and Statistics, 36(4): 387–389. doi:10.2307/1925895

30 janvier 2023

Un seul géant audiovisuel privé par pays en Europe : le rêve a fait long feu


Le RTL Group et la société Talpa, qui entendaient fusionner leurs activités aux Pays-Bas pour y créer un géant de l'audiovisuel privé, viennent d'y renoncer. Comme en France, les instances de contrôle de la concurrence y ont mis le holà. Adieu l'idée des grands quasi-monopoles nationaux pour contrer les GAFAM…

Le communiqué est tombé ce lundi matin à 08h00 (1) :"L'autorité néerlandaise de la concurrence ACM a informé le RTL Group et Talpa Network que l'autorité n'approuverait pas le projet de fusion de RTL Nederland et Talpa Network, initialement annoncé le 22 juin 2021." 

Aux Pays-Bas comme en France, en Allemagne ou en Belgique (francophone) notamment, c'est-à-dire là où il était historiquement implanté de longue date, le RTL Group avait sonné la fin de la récréation au milieu de la crise du covid. Il estimait qu'on ne pouvait lutter en ordre dispersé contre les hordes des plateformes (GAFAM et Cie) qui risquaient de dominer les marchés européens en tuant les opérateurs audiovisuels des pays d'Europe, petits Poucet face à ces ogres mondiaux. 

Charité bien ordonnée, le RTL Group voulait surtout se créer pour lui-même une forteresse imprenable sur le marché allemand. Pour cela, il lui fallait d'abord des moyens plus élevés que ceux dont il disposait à travers ses filiales dispersées en Europe, et pas toujours très rentables.

PLAN MACHIAVÉLIQUE

Ainsi est née la valse des mises en vente de ces avoirs, notamment en France, en Belgique francophone, aux Pays-Bas, en Croatie… avec des fortunes pas toujours aussi heureuses que celles souhaitées par le (déjà) géant allemand. Dans tous ces marchés, le RTL Group a finalement trouvé des amateurs qui, non seulement devaient le libérer du poids des ces avoirs historiques et bien remplir ses coffres-forts, mais qui mettaient aussi eux-mêmes en œuvre son plan de création de châteaux forts nationaux, hérissés de murailles, de tours et de mâchicoulis, pour tenir tête aux envahisseurs mondiaux.

TF1 annonçait son rachat de M6, le groupe CME celui de RTL Croatie, et le consortium Rossel-DPG Media de RTL Belgium. Au même moment, le groupe RTL renforçait au contraire sa présence en Hongrie, où l'opérateur éponyme, précédemment appelé RTL Klub, dominait déjà le marché. La forteresse se bâtissait ainsi autour du groupe lui-même. Au Luxembourg, RTL était déjà le maître historique. Les remparts de la place étaient donc déjà érigés. Aux Pays-Bas, enfin, le RTL Group n'avait pas choisi de vendre ses actifs, mais d'être, là aussi, lui-même, la pierre d'angle de l'opérateur quasimonopolistique de l'audiovisuel national privé, marché où il occupe une large place depuis la fin des années 1990. Pour cela, il lui suffisait de racheter son concurrent Talpa. Seule l'Espagne semble (sauf erreur ou omission) avoir épargné aux velléités du groupe allemand de bâtir des châteaux audiovisuels fortifiés partout où il est présent. Mais il faut dire que, dans la société hispanique Atressmedia, qui possède notamment la chaîne Antena 3, le RTL Group n'occupe qu'une place fort minoritaire face à Planeta De Agostini.

Hormis dans le cas espagnol, si son plan réussissait, la RTL Group parvenait ainsi à remplacer, sur de nombreux marchés, la diversité des opérateurs par une situation de quasi-monople, qui permettait aux nouvelles sociétés fusionnées de truster à elles seules la presque totalité du marché publicitaire de la télévision. Le RTL Group s'avérerait ainsi pour toujours l'incitateur des quasi-monopoles économiques des médias télévisuels privés en position de se défendre face aux plateformes. Que ce monopole lui appartienne, ou qu'il découle de la vente de ses actifs dans un pays. Et tout le monde croyait partout les choses faites…

COUPS DE THÉÂTRE 

… Jusqu'à ce que, en France, TF1 jette le gant face aux exigences des autorités de contrôle de la concurrence, qui estimaient qu'il était tout de même un petit peu fort de café de voir TF1, déjà leader sur le marché, tout simplement absorber celui qui lui faisait de l'ombre. Ces derniers jours, leurs collègues bataves ont dit la même chose à propos de l'aspiration de Talpa par le RTL Group, alors que l'opérateur allemand avait déjà un fameux pied sur le marché hollandais de la tv privée.

Ces opérations-là ont donc été un échec, et le RTL Group a dû reprendre ses billes françaises et néerlandaises, laissant le marché en l'état. En finale, il confirme être un géant transnational européen des médias, mais sur certains marchés, en concurrence avec d'autres opérateurs. Sur d'autres, il a lui-même organisé un quasi-monopole autour de ses avoirs.

Comme d'habitude, la Belgique francophone est restée  à l'écart de ces événements récents, puisque le rachat de RTL Belgium par le tandem DPG-Rossel a, lui, reçu la bénédiction de l'autorité belge de la concurrence. Il paraît que, chez nous, cela ne cause pas "une entrave significative" à la concurrence… En  Belgique, pas de souci ! Ouf ! (2)

TORT D'AVOIR RAISON ? OU MENACE ?

Même battu, le RTL Group affirme toujours qu'il avait raison, regrettant que l'instance de contrôle des Pays-Bas "n'aie pas pris en compte la rapidité et l'ampleur des changements dans le paysage médiatique néerlandais et de l'impact de ces changements sur les entreprises de médias locales." Avec Talpa, il continue ainsi "de croire fermement qu'une fusion de RTL Nederland et de Talpa Network aurait été la bonne réponse stratégique aux défis résultant de la concurrence accrue avec les plateformes internationales."

Le RTL Group a-t-il vraiment eu tort d'avoir raison trop tôt? Ou le maintien d'une concurrence loyale entre acteurs sur un marché est-il la garantie que, à terme, aucune dérive autocratique ne pourra y survenir? Certes, les décisions des organes de contrôle de la concurrence ont été de nature purement économique et financière. Mais ne sont-elles pas, in fine, particulièrement politiques? Même si, entretemps, les ogres des plateformes mondiales grignotent peu à peu le gâteau que, jadis, seuls les groupes européens (et les privés, dont RTL) se disputaient entre eux…

Frédéric ANTOINE.

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(photo de château dans l'illustration: c.c. https://www.flickr.com/photos/158652122@N02/39968064392/- Le RTL Group s'est retiré du marché britannique en 2010 en vendant les parts détenues dans Channel 5)


(1) https://media.rtl.com/meldung/No-approval-expected-for-the-proposed-merger-of-RTL-Nederland-and-Talpa-Network/?__locale=en
(2)  "L'Autorité belge de la concurrence a approuvé, à une condition près, la vente de RTL Belgium à Rossel et DPG Media, estimant que la concentration n'impliquerait pas "une entrave significative" à une concurrence effective sur les marchés." https://www.lecho.be/tech-media/divertissement/feu-vert-pour-la-vente-de-rtl-belgium-a-rossel-et-dpg-media/10377164.html

 


31 décembre 2021

En 2021, la presse a sauvé la télé


2021 restera comme l'année du grand bouleversement des structures de propriété des médias de Belgique francophone. Avec cette incroyable particularité d'avoir vu des entreprises de presse se porter au secours de l'audiovisuel. Alors qu'on les croyait moribondes.

 Presque morte la presse écrite? Cela fait des années qu'on le dit. Mais pourtant, ce sont ces bons vieux éditeurs de journaux de grand-papa qui ont, en 202,  redonné un futur à des médias qui semblaient être leurs concurrents. 

Fin juin, Rossel (accompagné de DPG Media) annonçait avoir, avec 250 millions d'euros, raflé la mise pour le rachat de RTL Belgium, principal acteur de l'audiovisuel privé dans le sud du pays. Le plus grand groupe de presse devenait ainsi encore plus dominant sur le marché. 

Le 1er janvier 2021 prenait officiellement cours le rachat des Éditions de l'Avenir et de leur branche magazines par IPM, qui entrait ainsi dans la cour des grands. Mais l'éditeur de La Libre et de La DH n'avait pas dit ainsi son dernier mot. Ce 22 décembre, il devenait aussi officiellement l'actionnaire de référence et « l'opérateur industriel » de LN24, la fragile chaîne de tv all-news dont tout le monde avait prédit le crash dès la naissance, à l'automne 2018.

 DANS DES VIEILLES MARMITES

Les vieux médias en ont de la sorte sauvé de plus jeunes, en les faisant entrer dans des structures entrepreneuriales historiques reposant sur la production d'informations. LN24 trouve ainsi une place dans un groupe, ce qui lui manquait grandement. L'acquisition de l'Avenir par IPM pouvait se lire dans la même perspective : précédemment, au sein de la nébuleuse Nethys, le secteur « presse » était un électron libre, une danseuse acquise pour des raisons politiques par un conglomérat public. Celui-ci avait bien promis des rapprochements entre ses pôles télécommunications et presse, mais il ne les réalisera jamais, tant ces deux mondes sont étrangers l'un à l'autre. 

Le débarquement des tv et des radios de RTL dans la très journalistique entreprise Rossel ne se justifie pas trop par la même raison. RTL Belgium était déjà une entreprise intégrée, qui n'avait pas besoin d'un chaperon lui permettant de gérer sa vie. Rossel, par contre, rêvait de longue date de s'offrir une branche télévision. Pour choisir les meilleures séries et les télé-réalités les plus dignes des lecteurs du Soir et de Sud Info ? Pas vraiment. L'animation radio, le divertissement tv et la presse, ce n'est pas tout à fait la même boutique. Rossel en avait déjà fait l'amère expérience. Alors que, du côté de DPG Media, tv et radio commerciales, on connaissait cela plutôt pas mal.

Par ailleurs, comme on l'a écrit dès l'annonce de cette absorption, RTL Belgium représentait surtout pour ses acquéreurs un acteur important du secteur publicitaire, surtout via sa filiale IP. En faire tomber les recettes dans la poche de Rossel (et aussi, sinon surtout, de DPG Media), était du plus grand intérêt.

L'ANNÉE DE IPM 

 

Quoi qu'il en soit, la plus grande surprise de ces derniers mois aura été la rapide montée en puissance de IPM, longtemps considéré avec une certaine condescendance comme le Petit Poucet des entreprises médiatiques belges. Et dont les développements récents dans divers secteurs extramédiatiques (voyages, paris en ligne, assurances…) n'avaient pas rassuré sur les réelles intentions de se positionner comme un bastion du monde de la presse et du secteur de l'info.

Il semble toutefois que, pour IPM, ces investissements parfois sujets à questionnements étaient moins des fins en soi que considérés des leviers stratégiques (ainsi que le prouve notamment le léger désinvestissement opéré en 2020 par l'entreprise dans la société Sagevas). Ils devaient, peut-on aujourd'hui penser, lui permettre de trouver le moyen d'augmenter les ressources grâce auxquelles elle pourrait se développer dans le secteur des médias.

 
C'est grâce à cela que IPM a eu la possibilité de candidater auprès de Nethys pour la reprise de l'Avenir en 2019. Pour la première fois depuis des années, le revenu net du groupe IPM pour l'année 2018 avait été bénéficiaire (+ 1.636.206 US$), et il en sera de même en 2019 (+ 4.139.728 US$). Maja, holding faîtier du groupe (luxembourgeois) SA d'Informations et de Productions Multimedia, était alors lui aussi dans le vert. Rien ne s'opposait donc à faire grossir IPM dans la presse régionale et magazine. 
2020 sera, comme en s'en doute, moins profitable pour le groupe… mais pas catastrophique. Cette année se soldera chez IPM Group par un bénéfice net de 2.439.146 US$, soit ± 40% inférieur à 2019, mais un bénéfice tout de même, malgré la pandémie. Quant au holding Maja, il sera moins heureux. Il terminera l'année avec un déficit de 281.553 US$. Une des raisons pour lesquelles IPM n'a pas mis totalement la main sur LN24 il y a quelques jours ?

En effet, sous la coupe de IPM, LN24 conserve, au rang de petits actionnaires, ses partenaires d'origine, à l'exception d'un des fondateurs de la chaîne, qui avait mis ses maigres économies en jeu dans ce pari risqué [pour mieux lire le tableau à ce propos, il suffit de cliquer dessus]. 
Lors du rachat de l'Avenir, l'éditeur de presse bruxellois avait aussi accepté une entrée dans le jeu de la fameuse coopérative créée au sein du groupe namurois au plus fort de sa crise. Une part symbolique du capital lui avait été accordée. 
IPM aime les symboles, illustration de sa volonté de ne pas (trop) marquer sa toute-puissance. Pourra-t-il poursuivre sur cette lancée? Une de ses 'nouvelles' sources de revenus, sa participation dans la société Sagevas, n'était pas en bonne forme récemment. L'entreprise avait terminé l'exercice en perte en 2019 et 2020. On ne sait bien sûr pas encore ce qu'il en fut en 2021.
Par contre, Turf Belgium tient la forme. Le bénéfice annuel de cette société de paris est passé de 42.000 US$ en 2018 à 326.000 US$ en 2020. Et les paris sur les chevaux ont dû aller bon train lors des confinements de 2021…

IPM a donc peut-être encore de la marge pour croître dans le futur. Et rêver de devenir un jour (presque) aussi grosse que Rossel ?

Frédéric ANTOINE.

23 juin 2021

RTL : BELGIUM STANDS ALONE

Demain, RTL Belgique ne sera finalement pas associé à  RTL Nederland. John de Mol a raflé la mise à DPG. L'avenir de TVI sera donc uniquement belge. Plus que jamais, il faudra que "Eendracht maakt macht" (L'union
fait la force).  (1)

Un aimable (et compétent!) lecteur de ce modeste blog, que je remercie, m'a transmis hier soir une information du Hollywood Reporter selon laquelle RTL Nederland tomberait dans l'escarcelle de John de Mol (cocréateur de la télé-réalité) et de son groupe Talpa, déjà bien implanté aux Pays-Bas autour de la marque Veronica (2). Bref, comme l'écrit le média américain, de Mol a comme but de créer un "Dutch Tv Giant" à l'image de la fusion M6-TF1. Adieu donc l'hypothèse évoquée ici ce 22/3 de voir DPG remporter la mise sur le sol batave et ainsi parvenir à constituer un petit empire audiovisuel belgo-hollandais à dominante flamande.

Qu'à cela ne tienne, le royaume audiovisuel privé dirigé par DPG, et dont Rossel sera en quelque sorte le vassal, ne sera donc "que" belge. Le Hollywood Reporter pourra peut-être bientôt titrer que l'ancien Persgroep a participé au rachat de RTL Belgium afin de constituer un "Belgian Tv Giant" noir-jaune-rouge, c'est-à-dire transcommunautaire. Sauf que, dans un petit pays même "réunifié", le poids de la "forteresse belge" vis-à-vis des géants du monde des plateformes en ligne restera toujours infime. Et encore plus difficile à protéger des attaques ennemies. Les rapprochements stratégiques entre les médias du groupe VTM et ceux de l'ex-RTL Belgique deviendront donc de plus en plus impératifs.

 Panique en cuisine

Tout cela sous le regard de TF1 et de M6 qui tireront une partie des ficelles de ce petit théâtre belgo-belge auquel ils ont vendu, pour un temps limité, les licences d'exploitation de certains de leurs programmes. La durée de ces contrats terminée, à moins de les renouveler à prix d'or, les opérateurs français n'ont pas intérêt à accepter de les prolonger. Idem pour les accords de diffusion sur RTL Belgium de très nombreux programmes du groupe M6. Bien sûr, tout cela n'est pas pour demain, et ne surviendra pas avant que soit validée et réalisée la fusion TF1-M6. Mais, dans deux à trois ans, que pourront faire les petites chaînes belges sans Top Chef (3), Un diner presque parfait, Les reines du shopping, Panique en cuisine, Le meilleur pâtissier, Recherche maison ou appartement, Maison ou appart à vendre, Chasseur d'apparts… pour ne citer que les plus récents ou récurrents. Faire un petit tour sur RTL Play est plus qu'instructif pour relever la liste de toutes les productions que TVI, Club et Plug 'empruntent' à M6, mais aussi au groupe TF1. On n'ose imaginer le même RTL Play le jour où l'opérateur belge n'en aura plus les droits. Quant aux scores d'audience des émissions, il en prendra lui aussi un coup. Hormis Top Chef, ce sont plutôt les versions belges de formats aussi diffusés sur M6 qui occupent le Top 10 des audiences annuelles de TVI. Mais, en 2019 par exemple, des productions françaises trustaient presque tout le Top 10 de Plug…

Vases communicants

Alors, derrière tout cela, peut-être faut-il chercher ailleurs pour comprendre. Par exemple du côté de la régie IP, filiale à 99,99% de RTL Belgium, mais qui est la véritable vache à lait. Et dont on ne parle jamais. Non seulement elle pourrait constituer le véritable enjeu des opérations actuelles. Mais, à terme, elle pourrait contenter tout le monde. Déjà à l'heure actuelle, elle réalise le paradoxal exploit d'être à la fois la régie des chaînes de RTL Belgique et de TF1 Belgique, qui est leur concurrent direct. Ce que TVI et consorts perdent en spots pubs au profit de TF1 revient donc, au moins en partie, dans la bourse du groupe via IP. Pourquoi, demain, la régie ne deviendrait-elle pas aussi celle de M6 Belgique, si "la petite chaîne qui monte" parisienne en venait à décider de s'implanter aussi en Belgique? Ce serait finalement une bonne affaire, même si cela ne résoudrait pas la question de "comment remplir les grilles".

Ah, le principe des vases communicants, il n'y a que cela de vrai. Du moins tant que les tuyaux entre les vases ne se bouchent pas… 

Frédéric ANTOINE.

(1) Titre de l'article posté hier 22/06/2021.

(2) Oui, celle de la radio pirate éponyme qui sera ensuite un des piliers des médias publics hollandais avant de s'en retirer pour devenir un opérateur privé.

(3) Déjà actuellement diffusé sur RTL-TVI avec 5 jours de retard par rapport à M6…


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