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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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27 mars 2023

Le monopole de l'impression de presse à Rossel : c'est grave, docteur ?

Début avril, La Libre Belgique et La Dernière Heure seront-elles aussi imprimées à Nivelles chez Rossel, qui devient ainsi le seul imprimeur des journaux de Belgique francophone. L'économie y trouve sûrement son compte. Mais ce monopole correspond-il à l'image historique qu'on se fait de la liberté de "la presse" ?

Il y eut le temps où, rue Royale à Bruxelles, de grandes vitrines permettaient de  voir tourner 'en direct' les historiques presses du groupe Rossel, Le Soir ayant à la fois une édition matinale et une autre vespérale, qui s'imprimait à la mi-journée, le spectacle y était permanent, de jour comme de nuit. 
 
En 2005, Le Soir partira à Nivelles, sur le site de l'ancien circuit automobile, où le rutilant outil de Rossel Printing Company l'imprimera désormais, ainsi que toutes les éditions de Sud-Info. Rien de plus normal : le groupe de presse était techniquement à l'étroit dans ses installations au cœur de Bruxelles. Les technologies numériques n'obligeant plus la rédaction à devoir jouxter la typo et l'impression, installer son outil dans un lieu proche de la capitale et des autoroutes était, pour Rossel, la solution optimale.
 
L'Avenir : du rêve d'un outil propre…

Vers l'avenir, de son côté, est longtemps sorti de presse à deux pas de la gare de Namur, au siège de l'entreprise, boulevard Melot. Le groupe grossissant, afin de produire un quotidien de bonne qualité, il décidera dès 1985 de déménager son imprimerie dans le zoning de Rhisnes, à la sortie de la capitale wallonne, à deux pas de l'E42.
 
Là aussi, l'outil sera ultramoderne, quoique moins à la pointe que celui de Rossel, qui lui est postérieur. Comme il s'agissait d'un gros investissement pour le groupe, celui-ci promettra de chouchouter ses rotos de Rhisnes au maximum. En 1998, il réussira même à y attirer l'éphémère quotidien Le Matin, héritier de la presse socialiste, que ses initiateurs n'envisagèrent pas une seconde de faire imprimer sur feues les presses bruxelloises du journal Le Peuple, ni sur celles du défunt carolo Journal et Indépendance, ou sur les rotos liégeoises, tout aussi RIP, de La Wallonie. Cette épopée, toutefois, sera de courte durée. En avril 2001, la nuit emportera définitivement Le Matin.

… à la réalité d'un dépouillement
 
En 2007, l'évêque de Namur cède les Éditions de L'Avenir au groupe de presse flamand Corelio (actuel Mediahuis). Dans les négociations, tout est fait pour que le Centre d'Impression de Rhisnes, fleuron namurois, soit conservé. Hélas, malgré une forte opposition du personnel ainsi que des soutiens politiques (1), le nouvel actionnaire imposera que le titre sorte désormais de ses propres presses, situées à Grand-Bigard, dans la banlieue de Bruxelles. Pour L'Avenir, c'est un déchirement et le début du grand écartèlement entre son lieu de production intellectuelle et celui de sa production matérielle, où quelques ouvriers wallons se retrouveront noyés parmi une masse de travailleurs flamands. 
La séparation sera douloureusement vécue, notamment par la rédaction, qui aura l'impression de voir son outil de travail lui échapper.
 
En 2018, nouveau changement. Quelque temps après avoir vendu les Éditions de L'Avenir à Nethys, Corelio arrête la production du titre namurois. Une bonne nouvelle pour un retour à Rhisnes ? La chose est devenue impossible. Vers L'avenir confirmera alors son statut de quotidien errant. Où se faire imprimer ? Nethys penche pour Rossel-Nivelles, qui lui fait des yeux doux. Le nombre d'exemplaires papier des journaux du groupe Rossel commençant sérieusement à baisser, l'entreprise cherche à rentabiliser ses machines. Pour ce faire, l'arrivée de L'Avenir serait du pain béni.  
Afin de garantir une indépendance dont elle a bien besoin face aux diktats de Nethys, la rédaction, elle, souhaiterait plutôt se faire imprimer à Charleroi chez Europrinter. La question sera âprement discutée avec un repreneur potentiel des Éditions de L'Avenir, le groupe IPM, qui a, lui aussi, sa propre imprimerie. Finalement, le journal namurois partira à Nivelles. Et le Centre d'Impression de Rhisnes, dont on était si fier, deviendra un lieu de self-stockage et un garde-meubles propriétés de la société Lock'O…

Le vrai dételage
 
Ce deuxième exode de L'Avenir se différencie du premier : en allant à Grand-Bigard, l'impression du titre était restée dans le giron de son entreprise propriétaire. En déménageant à Nivelles, l'impression passe en quelque sorte "à l'ennemi". Ce moment marque un tournant dans le processus de concentration de l'impression en Belgique francophone, au détriment de l'indépendance d'une production des journaux liée aux entreprises auxquelles ils appartiennent.
 
En 2020, IPM finalise son rachat du groupe L'Avenir.  Comme il possède ce titre, qui diffuse à plus de 60.000 exemplaires papier par jour, il va sûrement le faire imprimer chez lui, à Anderlecht, dont une des deux rotatives est à l'arrêt, suite à la baisse des ventes papier de La Libre et de La DH. Eh bien, non. Le contrat liant des Éditions de L'Avenir à Rossel Printing oblige le quotidien namurois à s'imprimer dans une ville qui n'est (même pas) la capitale du Brabant wallon.  À Bruxelles, IPM Press Print (ex-Sodimco) continuer de se contenter d'éditer les deux titres bruxellois du groupe IPM. Alors que le titre amiral de IPM, c'est-à-dire celui qui vend le plus d'exemplaires, est produit "en face" (puisque, depuis le rachat de L'Avenir par IPM, il ne reste plus que deux groupes de presse en Belgique francophone).
 
Trois ans plus tard, en novembre 2022, un plan d'économies est imposé à ses titres par la direction de IPM, qui a entretemps racheté LN24. Un de ses axes est d'arrêter la publication de ses journaux bruxellois dans sa propre imprimerie, et de désormais tout faire produire chez Rossel, qui ne demande que cela. Dans un premier temps, il est question de totalement démanteler IPM Print Press. Par la suite, notamment pour des raisons sociales, on décidera d'arrêter seulement le travail de nuit, lié à l'impression des quotidiens et particulièrement coûteux. Mais de conserver à Anderlecht des activités en journée, dont l'impression des suppléments des titres du groupe IPM. Quelques ouvriers de l'imprimerie bruxelloise seront aussi reclassés chez Rossel, où ils veilleront à l'édition des journaux de IPM.
 
Avantages…
 
Sur le plan économique, la solution retenue est sûrement avantageuse. Commandées en 2005, les rotatives de IPM Print Press ne sont plus de première jeunesse, et demandent révisions et ajustements. Mais, surtout, bloquer du personnel et du matériel de ce type (Goss Universal 75) pour imprimer deux fois une vingtaine de milliers d'exemplaires par soir devenait fort cher. Afin de continuer à vendre des exemplaires papier, externaliser la production s'avérait plus économique. Et ce d'autant que Rossel est à la recherche de commandes lui permettant de produire davantage chaque soir que ses propres journaux (déjà évoqués plus haut, auxquels il faut ajouter L'Écho et Grenz-Echo). De quoi satisfaire les deux groupes de presse qui se partagent désormais le marché. 
 
… et inconvénients 
 
Mais on ne peut mettre de côté le fait que ce rassemblement de toute la presse en un seul lieu de production ne va pas aider à réduire le taux de concentration dont souffre déjà le secteur. À l'oligopole que représente l'existence de seulement deux acteurs de presse pour toute la Belgique francophone, Rossel et IPM, s'ajoute désormais un monopole, celui de l'impression, que se réserve seul l'éditeur de la rue Royale. 
L'économie classique redoute que l'existence d'oligopoles n'encourage les ententes, au détriment de la concurrence. Le monopole, lui, laisse les mains libres au seul acteur présent sur le marché. Rossel Printing pourrait-il demain imposer à IPM des prix tels que les titres de ce dernier soient mis en danger ? L'hypothèse pourrait être envisagée, mais en tuant son concurrent, Rossel serait-il réellement gagnant ?
La situation oligopolistique du secteur de la presse peut impliquer que, tout en se faisant concurrence, les deux groupes aient (tacitement ou non) conclu un pacte de non-agression, plus bénéfique pour eux qu'un affrontement économique direct. La Presse.be, l'association des éditeurs de presse, lieu de concertation et d'action commune, pourrait être la plateforme rêvée pour ce type d'engagement commun.
Il ne faut aussi pas perdre de vue qu'il existe toujours entre les deux opérateurs des terrains de concurrence. Ainsi, dans le domaine de la presse, c'est aujourd'hui d'abord entre Sud-Info et L'Avenir que se manifeste la compétition entre les groupes. Dans le créneau des hebdos, Soir Mag et Ciné-Télé-revue bataillent avec Moustique et Télé Pocket. Etc.

IMPRIMER, CELA NE COMPTE PLUS
 
Ce monopole d'impression est aussi le signe du désintérêt progressif des groupes pour l'édition papier. Si jadis la possession de presses était indispensable à l'identité et la liberté d'un titre, cette période semble révolue puisque le véritable terrain de combat est désormais le digital, et non plus le produit physique. Sauf que, pour L'Avenir, la vente de journaux papier est essentielle. Sans elle,  ce journal serait déjà mort. Et, mis à part pour les quality paper, les exemplaires papier jouent toujours un rôle important. 
 
Ce qui relance l'interrogation sur la concentration de l'impression. On y répondra que cela ne date pas d'hier. Dans les grands pays, l'impression des journaux nationaux se fait aux quatre coins de la nation, sur des presses qui n'appartiennent pas aux titres qu'elles impriment. En Flandre, une seule imprimerie, appartenant à une entreprise de presse, édite déjà les titres de son seul et unique concurrent. Et l'irrépressible rouleau compresseur de loi de la concentration économique touche d'autres pays d'Europe…
 
LIBERTÉ DE PRESSE ET INDÉPENDANCE  ÉDITORIALE
 
Mais, derrière tout cela, n'oublie-t-on pas que, historiquement, "les presses" étaient le garant de la liberté et de l'autonomie de "la presse" ?

"La presse" est aujourd'hui un substantif et un article qui circonscrivent, à eux seuls, tout un univers. Alors que, à l'origine, ils ne désignaient qu'un objet : une "machine composée de deux parties se rapprochant sous l'effet d'une force mécanique, hydraulique ou électrique pour exercer une pression sur ce qui est placé entre elles afin d'en extraire un liquide, d'en diminuer le volume, d'en assurer le poli ou le maintien ou d'y laisser une empreinte quelconque" (2).

La banalisation du mot "presse" a fait perdre de vue que son sens premier était ce que montre l'illustration ci-contre : un objet destiné à "presser". Et qui, à partir de cela, a été utilisé pour presser des caractères d'imprimerie encrés contre une feuille de papier. La presse est ontologiquement associée aux notions de "journalisme", "information", médias" qui en découleront ensuite ainsi que, bien sûr, à celle de "journal". Jusqu'à devoir, un jour, utiliser le pléonasme "presse écrite" pour distinguer la presse imprimée de celle qui ne l'était pas.
D'ABORD : LA LIBERTÉ D'IMPRIMER
 
La référence à l'objet "presse" est tellement importante que c'est à elle que les sociétés libérales accorderont, au tournant du XIXe, une liberté fondamentale : "la liberté de la presse".
 
Lorsque, pionnière en la matière, la Suède légifère dans ce domaine dès 1766, elle intègre dans sa Constitution un "droit de la presse" qui interdit toute limitation du "droit de publication". (3). La liberté de la presse est d'abord considérée comme le droit de pouvoir publier, c'est-à-dire d'imprimer, sans contrainte. 
En 1791, on trouvera la même notion, dans un sens plus étendu, dans le Premier amendement de la Constitution américaine : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press ». La liberté d'expression est ici associée à la liberté de la presse, c'est-à-dire au droit d'imprimer (et de diffuser) (ce que l'on a exprimé). 
L'article 25 de la Constitution belge s'inscrira dans la même perspective. En affirmant que "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie", il proclame la liberté d'édition et d'impression.
 
L'exercice de cette liberté implique de disposer d'outils techniques. La diffusion des publications croissant en nombre et en quantité, les "presses" deviendront de plus en plus imposantes. On en viendra ainsi, à partir du XIXe siècle, à parler d' "entreprises de presse", sociétés privées qui possèdent des machines de presse, appartenant à des "entrepreneurs de presse" de plus en plus puissants. L'évolution technologique, la mise au point des rotatives, puis des linotypes, ne feront qu'accroître la taille de cet outil sans lequel les opinions et les informations seraient restées virtuelles, et non couchées sur le papier. Jurgen Habermas a clairement décrit cette évolution dans son ouvrage L'Espace public (4).

LA FIN DE "LA" PRESSE
 
Dans un monde tenant à sa liberté d'expression, il est évidemment essentiel que chaque entreprise dispose de  l'objet lui permettant d'imprimer. Les "entreprises de presse" concentreront en leur sein l'ensemble des stades de la production du "journal", et l'imprimerie y occupera une place essentielle.  À ses côtés, l'atelier de composition sera en lien direct avec la rédaction, le travail des linotypistes permettant le passage du manuscrit rédigé par le journaliste au texte en plomb qui pourra ensuite être placé sur la rotative. Les bâtiments de l'entreprise hébergeront donc aussi l'énorme machinerie permettant la production du journal papier. Et chacun de rivaliser de fierté à son propos. 
 
Ainsi battait le cœur de médias pour lesquels la liberté de s'exprimer allait de pair, comme dans les Constitutions, avec celle de propager cette expression par voie d'impression, c'est-à-dire "par voie de presse". Partant de l'outil permettant l'impression, le terme "la presse"  désignera finalement tout le secteur qui la concerne, allant jusqu'à identifier ceux qui en rédigent les contenus. Les journalistes sont ainsi devenus "La presse" parce que leurs textes prenaient vie lors de leur impression. 
De nos jours, cette assimilation d'une industrie à une de ses composantes n'a pas disparu. On dit toujours "Ces messieurs de la presse", on parle de "revue de la presse", de "carte de presse". Et on se bat toujours pour "la liberté de la presse". 
Mais, sur le terrain, que reste-t-il de cette identité d'un titre liée à sa machinerie d'édition ? Le journalisme est désormais bien loin des presses. Et celles-ci ne sont plus les lieux de l'affirmation de la liberté d'un titre à écrire ce qu'il estime utile, pertinent, et socialement signifiant.
Au sens premier du terme, "la liberté de la presse" se réduit à mesure que se confirment les monopoles d'impression. Pour la maintenir, peut-être faudrait-il trouver un autre nom…
 
Frédéric ANTOINE .

(1) www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2006-19-page-5.htm
(2) www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/presse 
(3) www.larousse.fr/encyclopedie/divers/libert%C3%A9_de_la_presse/186001
(4) Jurgen Habermas, L'espace public, Paris, Payot, 1988.

19 avril 2021

VOORUIT, OU COMMENT CHANGER DE POLITIQUE EN REVENANT 120 ANS EN ARRIERE


Si demain le PS changeait de nom pour se dénommer le Parti "Du Peuple", devrait-il indemniser les propriétaires du bistro-bar éponyme situé au 39 Parvis Saint-Gilles ? Lorsque l'on raconte la rocambolesque histoire du changement de nom du sp.a, qui rappelle que, en fait, Vooruit et le socialisme, cela n'a jamais fait qu'un?

"Le parti socialiste flamand, qui a troqué fin mars son acronyme sp.a pour "Vooruit", a financé le changement de nom du célèbre centre culturel gantois “Vooruit", qui s'était finalement résigné à se mettre en quête d'une nouvelle appellation, écrit samedi le quotidien De Standaard. Selon le journal Het Laatste Nieuws, le parti aurait déboursé près de 100.000 euros dans cet accord transactionnel." (1) L'info, qui a surtout circulé dans la presse flamande, laisse supposer que le sp.a a simplement racheté une marque comme les autres, parce qu'il la trouvait sympa, et avait donc indemnisé ses propriétaires actuels pour son usage exclusif. Un peu comme s'il avait choisi de s'appeler désormais "Duvel", "Sprite" ou "Ambiorix", en en acquérant le nom.

Retour aux sources

Normal donc de dédommager les propriétaires d'un centre culturel qui sont invités à changer de nom. Sauf que, en choisissant de se dénommer Vooruit, le sp.a ne rachète pas une simple marque, mais son histoire. En récupérerant cette locution adverbiale qui veut dire "En avant!", le parti opère un total retour aux sources. Vooruit était en effet le raccourci de Samenwerkende Maatschappij Vooruit Nr.1; coopérative socialiste créée à Gand en 1881. Cette ville industrielle était alors un des grands centres du socialisme flamand. Créé au sein de cette coopérative en août 1884, le journal éponyme Vooruit fut aussi le premier journal socialiste de toute Flandre. Un quotidien fondé par le socialiste gantois Edouard Anseele,  fils de cordonnier, "typographe puis journaliste, traducteur et romancier", mais aussi "fondateur du Vlaamse socialistische arbeiderspartij, premier secrétaire du Parti socialiste belge, fondateur, gérant puis président de la société coopérative Vooruit, cofondateur du Parti ouvrier belge". Anseele finira ministre d’Etat (2). 

De nombreux bâtiments gantois ont longtemps affiché sur leur façade les fameuses lettres ouges la marque Vooruit. Elles rappelaient partout dans la ville le poids qu'y avait l mouvement ouvrier. En 1910, lors de sa création par la coopérative, le bâtiment qui héberge le centre culturel dont on reparle aujourd'hui avait était conçu comme le feestlokaal de Vooruit (ainsi que cela était mentionné sur sa devanture) (3). Ce bâtiment sera inauguré en août 1914, reprenant pour le monde ouvrier le rôle tenu précédemment par une partie de la maison du Peuple (Onshuis) de Gand, que la coopérative avait construite sur le Vrijdagmakt, mais qui avait été incendiée et reconstruite pour d'autre finalités.

Une marque indélébile

On éprouve aujourd'hui de difficultés à mesurer l'importance que la marque Vooruit occupait dans l'espace gantois, ville à la fois industrieuse et cénacle privilégié de la bourgeoisie francophone de Flandre. On a aussi oublié que le quotidien Vooruit a subsisté jusqu'en 1978, assurant pendant des décennies avec le Volksgazet le rôle d'organes de presse du BSP, l'aile flamande du parti unitaire PSB-BSP. Un parti qui éclatera en deux partis différents aussi en 1978, alors que le quotidien gantois fusionnait avec Volksgazet pour créer De Morgen, première version. Le titre gantois subsistera jusqu'en 1991 en tant qu'édition régionale de De Morgen, ce titre étant racheté pour 1 franc symbolique par le libéral Persgroep en 1989.

Bien sûr, on vous parle ici d'un temps que les moins de 45 ans ne peuvent pas connaître. Vooruit en ce temps-là accrochait encore les Gantois. Alors, pourquoi racheter aujourd'hui une marque qui est ontologiquement liée à la naissance du socialisme en Flandre et à son rayonnement dans la cité des Floralies, mais qui n'a sans doute plus beaucoup de signification pour les jeunes générations, ni en dehors des campagnes gantoises? Pour retourner à l'époque dorée du socialisme rayonnant, ou pour donner à la formule un nouveau souffle, du passé faisant table rase? Et pourquoi devoir racheter en exclusivité un nom de marque que le socialisme flamand avait reçu sa naissance? Les subtilités des stratégies politiques flamandes échappent sans doute aux francophones. Tout comme le sens de l'affirmation du président Conner Rousseau, pour lequel le changement de nom doit marquer une rupture avec la “vieille politique”. Une rupture?

Frédéric ANTOINE.

(1)https://www.7sur7.be/belgique/le-parti-socialiste-flamand-a-dedommage-le-vooruit-pour-adopter-son-nom~ad1f745d/
(2) https://maitron.fr/spip.php?article150555 
(3) https://www.vooruit.be/nl/pQ0j4CM/geschiedenis

31 mars 2021

CÔTÉ DIFFUSION, LA PRESSE QUOTIDIENNE SORT ENFIN LA TÊTE HORS DE L'EAU

Bonne nouvelle pour les quotidiens francophones belges: quatre d'entre eux ont affiché des ventes en hausse en 2020. Grâce au numérique. Le Soir devient même le premier journal du sud du pays. Le covid a sûrement infecté positivement ces résultats. Mais, dans le paysage de la presse quotidienne, tout n'est pas rose pour autant.

Le CIM vient de divulguer les seuls chiffres que les éditeurs de presse tolèrent encore de rendre publics côté diffusion. Ces données "déclarées" par les entreprises de presse ne sont pas encore authentifiés par le CIM. Mais l'expérience montre que la différence entre les deux est en général minime.

Coté diffusion totale payante (DTP, qui regroupe les ventes "papier" et "numérique"), deux titres affichent clairement en 2020 une santé meilleure qu'en 2019: Le Soir, qui augmente ses ventes de 12.500, et La Libre de 5.000. L'Écho est aussi en légère hausse. Ces trois titres représentent le créneau "presse de qualité" du paysage du sud du pays. Les données actuelles donnent aussi La DH une très légère hausse, mais il faudrait plutôt parler de statuo quo. Il y a par contre deux titres qui continuent à baisser: Sud Presse (moins 4.500) et, surtout L'avenir (perte supérieur à 6.000). Au total, la diffusion payante des tous nos quotidiens se montre dès lors en hausse 7.500 ventes de par rapport à 2019.


 
Revanche vespérale

Autre nouvelle de poids: la hiérarchie entre les journaux est chamboulée. Longtemps, le quotidien ayant la diffusion payante la plus importante fut le groupe Sud Presse, suivi par L'avenir. Ces dernières années, cet ordre avait été inversé: L'avenir était passé devant son concurrent namurois. Cette fois, Le Soir surpasse tout le monde, et le sprint ne concerne pas la conquête de la première place, mais la deuxième, où L'avenir l'emporte là d'une courte tête sur Sud Presse. C'est une vraie révolution: le journal le plus vendu en Belgique francophone n'est désormais plus un titre populaire ou régional mais… un quality paper. Chose qu'on ne retrouve pas sur beaucoup de marchés dans le monde, où le titre le plus vendu est souvent un régional. Ou, comme en Flandre, un popular newspaper ayant aussi une forte assise régionale. Quelle fierté d'être Belge francophone, Fédération où c'est la qualité qui est maintenant en tête!

Là ne réside pas la seule originalité de ces chiffres 2020. Si l'on ne prend plus seulement en compte les ventes, mais l'ensemble de la diffusion (donc, aussi les exemplaires papier distribués gratuitement) on assiste à un autre petit chamboulement. Depuis des années, la Belgique francophone avait comme particularité (parmi d'autres) d'être un de ces pays où un titre de presse gratuite possédait une diffusion plus importante que n'importe quel titre payant. Eh bien, cela aussi appartient au passé. Désormais, là aussi, c'est Le Soir qui occupe la première place sur le podium. Metro n'est plus que numéro deux.



Bien sûr, ce classement concerne tous les types de diffusions papier et la seule diffusion numérique qui soit comptabilisable, c'est-à-dire celle qui est payante. Metro étant gratuit, il ne peut compléter son score "papier" par un résultat en ligne.

Rebond

Le caractère original de la presse en 2020, année "originale" aussi pour bien d'autres raisons, se perçoit mieux quand on l'inscrit dans la durée. Depuis dix ans, les diffusions payantes des titres ne cessaient de chuter, ce qui avait notamment poussé les éditeurs à devenir de plus en plus discrets à leur égard, et à chercher à mettre en avant les données d'audience, toujours croissantes, plutôt que celles de leur diffusion, toujours en baisse.


Pour plusieurs titres, le fond de la piscine a été atteint vers 2018-2019. Comme nous l'écrivions il y a un peu moins d'un an dans un des articles de ce blog, un léger frémissement semblait se manifester en 2019. Ainsi que le montre le graphique, l'inversement de tendance des courbes est clair en 2020 pour deux titres (Le Soir et La Libre), et La DH semble avoir stoppé sa descente. Par contre, après une période de stabilisation, les ventes de Sud Presse ont recommencé à chuter. L'Avenir, enfin, est depuis plus de dix ans sur une pente douce de perte de ventes, mais la celle-ci s'est infléchie vers le bas l'an dernier. La presse régionale et populaire reste donc en perte de vitesse. En partie parce qu'elle éprouve plus de difficultés à se monétiser en ligne.

La chasse est ouverte

Depuis le milieu des années 2010, les quotidiens belges ont ouvert la chasse à l'abonné numérique payant. Après des débuts balbutiants, liés à l'absence de techniques marketing efficaces pour capturer l'abonné, les résultats ont réellement été au rendez-vous en 2019, le tableau de chasse connaissant un bond impressionnant en 2020.

 
 
 Si Le Soir rafle la première place de tous les classements, son pourcentage d'abonnés numériques payants y est pour quelque chose. 56% des ventes du Soir se déroulent désormais de cette façon, soit une hausse de 20% par rapport à 2019. Le qutidien vespéral réalise ainsi un score hors-normes, par exemple par rapport à la presse flamande. Son concurrent quality paper La Libre est à peine moins loin, avec 42% de ses ventes en numérique (+12% depuis 2019). Chose étonnante pour un titre de presse populaire et sportive, qui se vend plutôt au numéro, les résultats de La DH sont, eux aussi, en croissance depuis 2019. Sud Presse, qui avait augmenté sa part numérique de vente en 2019, ne connaît qu'une très faible hausse en 2020. L'avenir, par contre, se trouve dans une configuration dramatique: alors que sa part numérique payante avait crû doucettement d'année en année, elle était déjà sur un plateau en 2018-2019. Et, en 2020, elle a régressé. Au moment où l'on ne cesse de claironner que le futur est au tout numérique, L'avenir paraît rester un vieux dinosaure de l'ère du papier, incapable de décoller vers l'avenir.
 
Virus positif?

Le premier confinement a assurément modifié les habitudes des usagers de la presse, et a amené certains d'entre eux à quitter le papier pour le numérique. 2020 ne semble toutefois pas être une année plus marquée que les précédentes par une réduction des recettes "papier". Les journaux vendent moins d'exemplaires papier depuis des années, et les pentes des courbes de tous les titres évoluent de manière constante. Y compris en 2020.



 
Sauf pour Le Soir, dont les ventes papier ont souvent connu des évolutions plus erratiques, et chutent cette fois de 28% entre 2019 et 2020. Soit près d'un tiers de la diffusion payante print du titre. En comparaison, Sud Presse et La DH ne perdent en print qu'entre 15 et 12%, et La Libre et L'Avenir aux alentours des 5%. Une partie des hausses de diffusion numérique payante est évidemment liée à la baisse de la vente papier. Mais les titres qui gagnent en diffusion payante totale en 2020 dépassent la simple compensation. C'est très clairement le cas pour Le Soir et La Libre, qui (re)trouvent de nombreux nouveaux acquéreurs. Sud Presse, et encore plus L'Avenir non seulement perdent des acheteurs papier rapport à 2019, mais aboutissent aussi au total à une perte de leurs clientèles. Dans le premier cas, assez classiquement, le quotidien populaire ne compense pas son déficit print par un gain en abonnés numériques. Dans le second cas, le régional namurois diminue aussi son nombre d'abonnés numériques. Il est donc perdant sur toute la ligne.

Forçage de chicons?

Que restera-t-il de ce relativement bon crû 2020 à la fin de cette année? On ne peut qu'être admiratif devant le gain d'abonnés numériques du Soir (+17621), de La Libre (+6543) ou de de La DH (+3865). Il faut toutefois préciser que tous ces abonnements ne sont pas de même nature. Comme le précisent cette année les data fournies par le CIM, la part la plus importante des abonnements numériques est de type "replica", ("paid digital replica"), mais il y aussi un autre type, le simple  abonnement numérique au site ("paid Web only access"). 
On peut aussi s'interroger sur la durée des abonnements enregistrés. Sont-ils annuels, ou comprennent-ils tous les abonnements de courte durée proposés à titre promotionnel, voire gratuitement? Dans ces cas, impossible de savoir quel sera leur pérennité, tant on sait l'utilisateur numérique versatile, et pas nécessairement enclin à passer à l'abonnement de longue durée ni à accepter le système de prélèvement automatique par lequel les entreprises de presse essaient de les cadenasser.
On est aussi étonné de ne trouver aucune comptabilisation identifiable des abonnements web au Soir "offerts" par Proximus à ses clients. Partant du fait que c'est l'opérateur de télécommunications qui les offre, et non l'entreprise de presse, ils ont dû lui être achetés. Or, la colonne "paid Web only access" du Soir ne comptabilise que 174 abonnements… A moins qu'ils ne soient en définitive offerts par Rossel, et donc ne figurent pas dans ces data qui, pour le digital, ne communiquent que les données "paid".

Ces chiffres peuvent en tout cas apporter de l'espoir aux deux entreprises de presse de Belgique francophone. La plupart de leurs médias ne boivent plus la tasse. Ou presque. Mais, pour autant, il ne faut pas se réjouir trop vite: la fin du papier n'est pas pour demain. Même si, pour la plupart des titres, les ventes en kiosque ont chuté en 2020 (le virus étant passé par là), le papier représente encore une belle part des ventes des journaux. L'Avenir vend encore plus de 63.000 exemplaires papier chaque jour, et Sud Presse 55.000. Le Soir est à près de 33.000, et La DH et La Libre à 25.000 exemplaires. L'extinction des rotatives n'est donc pas, normalement, à l'ordre du jour. Car ces acheteurs-là sont coriaces. En 2020, ils avaient toutes les raisons de basculer vers le numérique. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils sont vraiment bien attachés à leur "objet" papier. Et une aussi belle occasion de les pousser de force dans le digital ne reviendra (espérons-le) de si tôt…
On voit donc mal IPM ou Rossel mettre à mort des titres dont une partie substantielle des ventes porte toujours sur des objets physiques. Leurs lecteurs ont de fortes chances de décéder en même temps que les rotatives. Même si le numérique lui permet de sortir la tête de l'eau, la presse va donc devoir continuer encore un certain temps à être entre deux chaises…

Frédéric ANTOINE.

17 décembre 2020

Le covid de Macron : les Belges aussi étaient sur la balle


10h33, ce jeudi 17 décembre. Relayant un communiqué de l'Elysée, l'AFP annonce qu'Emmanuel Macron a été testé positif au coronavirus. En quelques secondes, les alertes infos s'embrasent…

Il n'aura pas fallu dix minutes pour que la nouvelle se répande à toute vitesse via les alertes infos des applis pour smartphones. Impossible évidemment de faire le tour du monde des applis pour attribuer des prix planétaires à tous les gagnants de cette course de vitesse mais, sur base d'un suivi de médias belges et français ainsi que via l'appli Breaking news qui relaie les alertes des grands médias du monde, on saluera la rapidité de Sud-Info et de 7sur7.be, qui me mettront pas deux minutes à annoncer la nouvelle (et, pour le site de Sud-Presse, pour une fois, sans y accoler un "!"). Soit, sur base de notre petit échantillon (et en faisant confiance à l'horodatage de notre smartphone), pas mieux que Bloomberg, mais aussi bien que BFM Tv, qui se paiera le luxe de lancer deux alertes au cours de la même minute, en passant dans sont tite de "testé" à "diagnostiqué".

On saluera aussi la rapidité de La Libre et de la RTBF, qui coiffent d'une poignée de secondes Le Figaro lui-même, et des spécialistes de l'info continue comme France 24 ou France Info. Sur la contamination du président Macron, y a pas à dire, les Belges aussi sont sur la balle!

Hormis les deux journaux journaux de qualité déjà cités, force est de constater que les autres titres de qualité sont en général, et comme d'habitude, un peu moins rapides à réagir. Le Soir n'enclenchera son alerte que sept minutes après l'info, tandis que Le Monde attendra… onze minutes et Libération… près d'une vingtaine (en ayant l'humour d'inscrire "à chaud" en avant titre d'une info qui, à l'heure de la diffusion de l'alerte, ne l'était plus vraiment) (1). Libé prend ainsi presque autant son temps que le New York Times. On relèvera par contre la relative rapidité de communication du Quotidien du Peuple (People's Daily) de Beijing, et du Times of India, un des plus importants quotidiens dans le monde. Du côté des grandes agences, hormis l'AFP, évidemment hors catégorie, Reuters mettra six minutes à réagir, bien avant l'Associated Press (AP).

Diagnostiquer n'est pas jouer

Côté info, la nouvelle contenue dans l'alerte est en général plus que laconique. Tout en tenant compte du fait que notre échantillon est évidemment partiel, on peut y remarquer que certains médias, essentiellement anglo-saxons, veillent à donner la source de l'info ("la Présidence") alors que les alertes françaises et belges ne se soucient en général pas de ce "détail", à part France-Info. Les variations thématiques sur le contenu portent le plus souvent sur la question de savoir si le président a été "testé" positif ou "diagnostiqué" positif. Selon Le Larousse, le premier verbe signifie "soumettre quelqu'un, un produit, un appareil, etc., à un test". Tandis que le second veut dire "faire le diagnostic d'une maladie, l'identifier d'après les symptômes". En l'occurrence, c'est un test qui a déterminé la contamination du président, même si celle-ci était déjà envisageable sur base des symptômes que manifestaient le malade…

Les sources qui s'étendent dès l'alerte-info sur la mesure d'auto-confinement prise par le président (ou qui lui a été recommandée ou imposée?) sont peu nombreuses, et seul Le Monde apporte une précision temporelle, indiquant que le diagnostic a eu lieu ce jeudi matin. Quant aux raisons qui ont incité à faire le test, rares sont les médias qui les mentionnent dès l'alerte-info. Seules quelques alertes anglo-saxonnes précisent que le président montrait des symptômes de la maladie.

Le, La, ou rien du tout

Enfin, ce petit exercice comparatif confirme que l'unanimité n'est toujours pas de mise sur la manière de nommer la maladie. "Covid-19" est la façon la plus fréquente, écrit parfois tout en majuscules (2), généralement avec seulement un C majuscule, mais jamais tout en minuscules, alors que "covid" est en fait devenu un nom commun… C'est le genre du substantif dans notre belle langue française qui reste un champ de luttes non abouties. Le masculin, pas du tout recommandé par l'Académie (3), l'emporte sur "la Covid". Comme quoi les habitudes journalistiques n'ont cure des recommandations des spécialistes de la langue. En anglais, ces discussions sur le sexe des mots n'ont évidemment pas lieu d'être. Ceux qui veulent y échapper en français ont d'ailleurs, en tout cas dans cette alerte-info, souvent trouvé "la" parade. Ils ne parlent pas de covid mais du coronavirus. Sans mesurer, sans doute, que les deux termes ne sont pas synonymes, et que l'un indique la catégorie générale dans lequel l'autre s'inscrit (4)…

Une vingtaine de minutes après l'annonce de la nouvelle, dans le petit monde des alertes sur smartphones, il était déjà temps de passer à autre chose. A 10h52, BFM TV ne se préoccupait plus de la santé du président, mais de celle de son Premier ministre, "cas contact". Ainsi tourne la roue de l'info. A une alerte doit forcément succéder une autre, puis encore un autre… indéfiniment…

(1) Sur internet, l'article de Libération date son info de 10h45, soit 12 minutes après l'annonce, mais moins que la vingtaine de minutes précédant la mise en ligne de l'alerte…

(2) Cette nuance n'a pas été reprise dans le tableau ci-dessus. 

(3) "On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie (…) Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien" (http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19)

(4) Selon Le Robert, le coronavirus est un "genre de virus à ARN responsable d'infections respiratoires et digestives chez plusieurs espèces de mammifères dont l'être humain"

01 décembre 2020

RTL BELGIQUE 100% AUX MAINS DU GROUPE RTL. CE N'EST PAS UNE BONNE NOUVELLE


Un communiqué de presse du RTL Group envoyé de Luxembourg/Cologne et daté de ce 1er décembre annonce que la société est sur le point de devenir l'unique propriétaire de RTL Belgium, en rachetant l'ensemble des parts des autres actionnaires belges. C'est non seulement un tournant dans l'histoire de RTL en Belgique mais cela ouvre désormais la possibilité d'une soumission totale de RTL Belgique à sa maison-mère, voire à son absorption par d'autres sociétés du groupe RTL, comme M6.

« RTL Group a annoncé aujourd'hui qu'il avait convenu en principe avec ses coactionnaires des activités de télévision et radio belges du Groupe d'acquérir leurs parts dans RTL Belgium contre un paiement en numéraire et en actions propres de RTL Group. Cela portera la participation de RTL Group dans RTL Belgium à 100%. Actuellement, RTL Group est déjà l'actionnaire majoritaire de RTL Belgium. »

Le premier paragraphe du communiqué de presse du RTL Group est on ne peut plus explicite. Il signe essentiellement, mais pas uniquement, la fin de la collaboration entre la filiale belge du groupe luxembourgo-allemand avec la presse écrite belge. RTL Group va en effet racheter toutes les parts d'Audiopresse dans RTL Belgique, c'est-à-dire les 36% du capital de l'entreprise que se partageaient les éditeurs Rossel, IPM et Mediahuis. Mais le géant des médias allemand libère aussi, au moins en partie les chaînes de radio de RTL Belgique de toute dépendance. Il n'est toutefois pas clair de savoir s'il met fin au montage qui, via la société Radio H, mettait aussi autour de la table le groupe Rossel et Lemaire Electronics, la société de Francis Lemaire, fondateur historique de Radio Contact avec Pierre Houtmans.

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Hier

On se souviendra que, à l'origine, la création d'Audiopresse avait été imposée par les autorités de la Communauté Française afin de permettre aux éditeurs de presse de Belgique francophone de récupérer, via les dividendes gérés par la société, les pertes théoriques engendrées en recettes publicitaires par l'autorisation accordée à RTL d'exploiter un réseau de télévision privée sur son territoire. A l'heure actuelle, ce mécanisme permet toujours à deux éditeurs francophones, mais aussi à un éditeur flamand, de bénéficier de cette manne. Dans les premiers temps, cet apport des groupes de presse à la télévision privée s'était aussi concrétisé dans les contenus. La couverture de l'info régionale de RTL avait ainsi été confiée à la presse, et plusieurs journalistes des quotidiens belges s'étaient alors transformés en hommes de télévision. Des émissions de RTL étaient aussi patronnées par la presse. Au fil du temps, tout cela a disparu, au profit d'un partenariat essentiellement en numéraire.

Côté radio, l'implication de Rossel et de Francis Lemaire dans le capital de Radio H était lié aux apports historiques de ces deux groupes dans la création des stations qui seront pilotées par RTL. L'ancêtre de Bel RTL n'est autre que Rossel FM (ou FM Le Soir), radio créée par le groupe de presse à l'époque où les éditeurs de journaux estimaient, à la suite de Radio Vers L'Avenir, ne pouvoir être absents de la libéralisation des ondes. C'est sur base du réseau FM de Rossel et des autorisations dont il disposait que s'est créée la petite sœur belge de RTL Paris. Pour Cherchant à compléter la palette par une radio populaire, RTL avait réussi la même association avec les fondateurs de radio Contact, première grande radio privée de divertissement lancée au tournant des années '80 par des proches du parti libéral dans le but avoué de concurrencer le service public.  

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Demain

(si RTL prend le contrôle de l'ensemble du secteur radio)


PAS UNE VRAIE SURPRISE

Des velléités de mettre fin à ces structures d'intérêts imbriqués étaient dans l'air depuis un certain temps. En radio, cela fait plus d'un an que, devant la baisse de rentrées générées parles radios de RTL Belgique, Francis Lemaire cherchait à vendre. (Reste à voir si le groupe RTL rachète simplement les parts de RTL Belgique dans radio H, ou aussi celles des autres actionnaires. L'information n'est pas tout à fait clair à ce point de vue). En télévision, certains éditeurs ne cachaient pas que les recettes qu'ils pouvaient retirer de leur participation à RTL Belgique n'étaient pas à la hauteur de leurs espoirs. 

A vrai dire, les montages financiers autour de RTL Belgique et d'Audiopresse sont complexes. Comme le montre le schéma présenté en ligne par le CSA belge (1), ils comprennent en effet à la fois des sociétés en Belgique et au Luxembourg, sociétés qui n'ont pas été intégrées dans les schémas simplifiés présentés ci-dessus. En miroir des sociétés belges, il existe ainsi au Luxembourg une société RTL Belux, une autre dénommée RTL Belux SA & Cie, ainsi qu'un Audiopresse Lux.  La société Audiopresse Belgique est, par exemple, à la fois actionnaire de RTL Belgium et de Audiopresse Lux (2). Au cours de ces dernières années, Audiopresse Belgique a souvent réalisé un bénéfice autour des six millions €, mais celui-ci était en baisse depuis 2016 et particulièrement faible (un peu plus de 34000€) l'an dernier. Une investigation approfondie de la cause de cette situation n'a pas pu être réalisée dans le cadre de la rédaction de ce présent texte.

Même sans tenir compte de cet événement 2019, on peut constater que l'apport financier que les trois groupes de presse principaux (qui possèdent environ 30% du capital de la société)  retirent de cette participation n'est pas très élevé : moins de deux millions €/an, alors que, par exemple, le groupe IPM affiche, en 2019, une chiffre d'affaires de plus de 118 millions €…

La solution retenue (vente en cash plus possibilité d'acquérir des actions du RTL Group) permettra aux entreprises de presse de disposer immédiatement d'une somme appréciable, de continuer si elles le désirent à retirer un dividende d'une éventuelle participation au RTL Group ou, si elles le préfèrent, de remettre elles-mêmes ces actions sur le marché.

LES MAINS LIBRES

L'opération paraît particulièrement stratégique pour RTL qui, bien qu'étant opérateur des sociétés belges actives tant en radio qu'en télévision, était toutefois quelque peu dépendant du bon vouloir de ses coactionnaires. Le rachat total des parts permet au groupe allemand d'avoir les mains totalement libres et donc de ne devoir rendre de compte à personne à propos de la gestion de ses télévisions (et sans doute de ses radios) et, surtout, de leur avenir. En radio, les stations du groupe n'affichent plus la forme d'hier et, en télévision, l'actionnaire jusqu'ici principal (et demain unique) de RTL Belgique n'ont jamais caché que, en raison de la petite taille et de la faible richesse du marché belge francophone, la rentabilité de la société leur posait problème. D'où les opérations de restructuration, les licenciements et le lancement du plan Evolve destinés à faire accroître la rentabilité de l'entreprise et le bénéfice que peut en retirer le groupe Bertelsmann. Dans ce contexte, l'hypothèse d'une modification en profondeur de RTL Belgique via son rattachement au groupe français M6 a déjà été évoquée. Lors du plan Evolve, certains responsables au sein de RTL Belgique n'avaient pas caché que celui-ci constituait à leurs yeux la seule solution pour éviter la cession de l'entreprise à sa grande sœur française. 

M6 BELGIQUE

En Suisse romande, il n'existe pas de RTL Suisse, mais bien un M6 Suisse, qui relaie les programmes de M6 France en y intégrant des écrans publicitaires locaux. L'histoire et la ténacité des créateurs de RTL Belgique avaient à l'époque permis que l'opérateur européen s'installe dans la patrie de celui qui était alors son principal actionnaire (Albert Frère) sans dépendre d'un acteur étranger. L'internationalisation des marchés et la voraclté financière du méga-groupe Bertelsmann pourraient modifier cette donne. Outre sa présence en Suisse, qui remonte au début des années 2000, il y a quatre ans, le groupe M6 rachetait les radios de RTL France, créant ainsi sur l'hexagone un groupe radio+tv intégré. Il pourrait fort bien récupérer RTL Belgique, soit pour l'absorber dans une configuration complète de type M6 Suisse, ce qui serait dramatique pour le personnel, soit pour réaliser une version belge de M6 comprenant, outre les écrans publicitaires, l'un ou l'autre programme spécifique pour le sud de la Belgique, comme les JT et certains magazines. En effet, il semblerait difficile de ne pas tenir compte des succès d'audience de RTL Belgique (Jt, magazines d'informations, télé-réalités 'made in Belgium'). Déjà, de nombreux programmes à succès de M6 sont achetés par RTL Belgique pour être diffusés sur ses chaînes. Et le RTLplay belge n'est qu'un couper-coller du M6Play français. Il suffirait de prolonger ces premiers pas.

 Si l'hypothèse d'un rachat ou d'une absorption devenait réalité, les coûts de production des chaînes belges du groupe RTL seraient évidemment fortement revus à la baisse, les productions propres fondant très largement, et les droits de diffusion des produits de stock, comme les fictions, seraient par ailleurs simplement négociés à une échelle légèrement plus élevée qu'ils ne le sont aujourd'hui par M6 pour la France. Mais, bien évidemment, la solution minimaliste consistant en une complète quasi-disparition des chaînes belges de RTL au profit de la simple diffusion sur le territoire belge des stations du groupe M6 parsemés d'écrans publicitaires spécifiques serait, pour le groupe, une véritable poule aux œufs d'or. Reste à voir si le spectateur, lui, y retrouverait son compte et maintiendrait avec autant de fougue sa fidélité à cet opérateur que les autorités publiques estiment être un garant de la "pluralité" sur le marché belge…

RTL PARIS

Si l'opération télévision peut paraître tentante, voire inévitable, il ne faut pas perdre de vue qu'il pourrait aussi, au moins en partie, en être de même pour les radios de RTL Belgique si le rachat de RTL Belgique entraîne la disparition complète de la société Radio H. Les radios de RTL Belgique pourraient alors, elles aussi, au moins partiellement, se franciser. Et le pied est déjà mis à l'étrier. Plusieurs programmes porteurs de RTL France, à commencer par Les Grosses Têtes, sont purement et simplement relayés par Bel-RTL. Cet été, un pas supplémentaire a été franchi lors de la diffusion, en simultané sur les deux stations, d'un même jeu de mi journée, coanimé par un ressortissant français et une ressortissante belge. Il y a donc déjà de l'intégration dans l'air. Les contenus radiophoniques sont toutefois par essence plus locaux ou nationaux, et jouent sur la proximité directe avec leur audience. De simples relais des stations françaises du groupe M6 semblent donc, en l'état, moins probable. 

Enfin, tout ceci ne concernerait que les médias audiovisuels classiques, secteur où RTL Belgique excellait jusqu'à ces dernières années. La filiale belge du groupe luxembourgo-allemand n'a jamais aussi bien réussi dans les nouvelles technologies et les formes médiatiques plus digitales. Une reprise en main par le groupe-mère pourrait signifier la possibilité d'opérer des choix drastiques de ce côté.

MISE EN VENTE

Il y a enfin une autre piste possible : l'hypothèse de la mise en vente de RTL Belgique plutôt que sa cession interne à un des acteurs du groupe. Celle-ci serait tentante si l'entreprise était en bonne forme, porteuse de projets d'avenir, et se situait sur un marché à taux de rentabilité économique élevé. Tel ne semble pas être tout à fait le cas. Depuis plusieurs années, RTL Belgique s'essouffle, ne parvient plus à innover, et décline essentiellement de vieilles recettes, dont l'usure devient visible à terme. Le marché sur lequel l'entreprise évolue n'est pas très prometteur, et son audience, importante à l'échelon d'une partie de la Belgique, est faible à un niveau macro-économique. L'entreprise est fragile, et déjà en partie tétanisée par ses craintes sur son avenir. Elle pourrait être un oiseau pour le chat. Mais si c'est pour se défaire d'une RTL Belgique malade à bas prix, son principal actionnaire devait-il pour autant d'abord en racheter toutes les parts? 

Si tel était le cas, il y aurait lieu d'identifier d'éventuels repreneurs. Peu de chances que ceux-ci soient des multinationales ou de grands acteurs français. L'hypothèse Rossel a déjà été évoquée. Mais ce groupe, qui excelle dans la déclinaison de métiers qu'il maîtrise, peut-il d'un coup se mettre sur le dos le chameau que constituent trois chaînes tv et, peut-être, deux réseaux radio? Si là aussi la poule aux œufs d'or était au rendez-vous, la question pourrait être posée. Mais, en l'état actuel, la gallinacée semble un peu avare de sa production, et ses œufs sont loin d'être en or massif. Il y a donc lieu de se demander si le groupe de presse Rossel n'a pas d'autres moyens que celui-là pour accroître ses marchés et fortifier ses avoirs.

Frédéric ANTOINE.


 


(1) www.csa.be/groupe-media/groupe-rtl/

(2) rapport de gestion à l'AG des actionnaires d'Audiopresse Belgique.

22 octobre 2020

Admise ou transférée ? Quand le récit prend la place du fait

Admission à l'hôpital : définition - docteurclic.comBranle-bas de combat médiatique ce jeudi 22 au matin : l'ancienne Première ministre, hospitalisée, est en soins intensifs. L'info tombe via un média, et la presse francophone dégaine à son propos la traditionnelle formule magique "admise en soins intensifs". Admise, vraiment?

Une bonne demi-heure. En gros, c'est ce qu'il aura fallu pour que la présence de la ministre des Affaires étrangères en soins intensifs fasse le tour des médias belges. La première trace de l'info (voir tableau chronologique ci-dessous) apparaît horodatée de 10h26 sur les sites de deux médias flamands, dont celui de la VRT qui est à la source de la nouvelle via un contact avec le porte-parole de la ministre, et au même moment sur celui de Sud-Info. 

Le site du groupe Sud-Presse, fidèle à son habitude, ponctue son titre, qui indique seulement la présence de la femme politique dans ce service médical, d'un point d'exclamation : "Atteinte du coronavirus, Sophie Wilmès est aux soins intensifs!". L'article précise que RTL avait annoncé sa présence à Delta dès le mercredi, et le sous-titre ajoute que, selon la VRT, l'état de l'ancienne Première ministre est stable. Dans leurs titres, les deux médias flamands utilisent la formule "op intensieve zorg", littéralement "en soins intensifs".

Deux minutes plus tard, la langue de Vondel joue davantage dans la nuance au Standaard, pour qui Mme Wilmès "ligt op intensieve zorg", que l'on traduira tout de même aussi par "est en soins intensifs", le verbe précisant ici l'état allongé dans lequel se trouve évidemment la patiente n'ayant pas de pertinence dans la langue de Victor Hugo.

Même prudence factuelle une minute plus tard dans La DH, qui la présente dans son titre comme "hospitalisée en soins intensifs". Appartenance au même groupe de presse oblige, La Libre sort l'info exactement à la même heure. Mais indique, elle, l'ancienne Première "admise" en soins intensifs. Belle formule que nous fournit-là la langue de Voltaire. Au point d'en faire une tournure entrée dans le français courant. Mais est-ce la même information que précédemment? Les premiers médias communiquant la nouvelle se contentaient de dire : Mme Wilmès "y est". Ici, on évoque son admission. "Admettre", écrit Larousse, c'est "Laisser à quelqu'un, à un animal le passage ou l'entrée quelque part". Et, "être admis", c'est (assez paradoxalement dans le cas présent) "Avoir satisfait à certaines épreuves d'un examen ; être reconnu apte". Plus proche sans doute de la réalité, la définition du "dictionnaire.sensagent.leparisien.fr" parle, lui, d' "accepter de recevoir quelqu'un". 

Formule consacrée

Pour les médias, la formule est comme consacrée. En avril dernier, lorsque Boris Johnson avait subi le même mauvais sort, Le Parisien, par exemple, avait titré "Boris Johnson admis aux soins intensifs" (07/04). Mais, a contrario, Le Figaro avait, lui, écrit "Boris Johnson transféré aux soins intensifs" (06/04). Nuance.

Le subtil usage du participe passé 'admise', employé ici dans un condensé de voie passive, permet (ou ne permet pas) d'indiquer quand a eu cette admission. Au moment où tombe l'alerte sur les smartphones ou que paraît le premier papier bref sur le site web, la malade vient-elle d'être admise, est-elle admise, ou a-t-elle été admise (et depuis quand)? Et où était-elle avant? Impossible de le savoir. "Admise" laisse supposer au lecteur que la ministre a dû être amenée d'urgence à l'hôpital ce jeudi matin. Or, elle y était dès la veille…

Pour les très nombreux médias qui utilisent la formule, le récit commence au moment où l'info paraît. Et, évidemment, se vit au temps présent. Comme si cette admission-là faisait débuter l'histoire, alors que la malade avait été hospitalisée la veille…

Où est donc vraiment l'info: dans le fait qu'elle vient d'être admise? Ou dans le fait que l'on apprend qu'elle se trouve dans le service? Admission et administration de soins sont-ils synonymes, et chronologiquement concomitants?

Qu'importe, pourra-t-on dire. Inutile de couper les cheveux en quatre. A chacun de comprendre la nouvelle comme il le veut. Ce qui compte, c'est que c'est grave.

Mais est-ce aussi simple? Sur le fond de la nouvelle, ce n'est pas vraiment la même chose. Dans le cas présent, le "transféré" utilisé pour Johnson par Le Figaro n'eût-il pas été plus séant, approprié, et correctement informatif? Mais peut-être moins tentant pour faire mouche…

Le sens de la formule est une belle chose. Mais est-ce le cœur du journalisme?

Frédéric ANTOINE


 

 


26 mai 2020

PRESSE QUOTIDIENNE BELGE : LA DIFFUSION, ÇA VA MIEUX (EN TOUT CAS AVANT LE COVID)

Après des années de chute, les chiffres de ventes de la presse quotidienne belge francophone se sont moins mal portés en 2019. Certains patrons de presse revoyaient déjà la vie en rose. En tout cas avant la crise du covid.

Quel sera l'impact du coronavirus sur la diffusion payante de la presse? Si les états-majors des journaux francophones belges ont sûrement un œil sur la question, les données officiellement accessibles ne permettent pas de répondre actuellement à la question.
Depuis fin 2016 en effet, les éditeurs sont devenus très avares d'informations sur l'état de leurs ventes. Seul un "brand report" annuel révèle depuis lors quelques data sur chaque titre, alors que précédemment le CIM rendait largement accessibles des rapports trimestriels grâce auxquels les médias se plaisaient, plusieurs fois par an, à commenter les baisses des ventes de la presse. Désormais, seuls les chiffres d'audience, qui eux sont toujours à la hausse, bénéficient d'une large diffusion.

Dans ce contexte, on a accueilli avec attention la déclaration faite fin janvier dans son journal par le directeur général du Soir, affirmant notamment que "pour 2020, nous nous dirigeons vers le cap des 100.000 personnes qui, de manière hebdomadaire, se connecteront sur nos plateformes numériques de contenus payants" (1).

La phrase a fait grand bruit, et un rapide raccourci a fait circuler un peu partout en Belgique que Le Soir comptait, dès à présent, cent mille abonnés numériques. Ce qui n'est pas tout à fait ce qu'expriment les propos reproduits ci-dessus. Ces usagers seront-ils des personnes réglant directement à Rossel le montant d'un abonnement numérique? Recourront-ils ponctuellement des accès payants à la pièce? Ou cette comptabilisation prend-elle aussi en compte les lecteurs qui, grâce à leur abonnement Proximus, bénéficient désormais via "my e-Press" d'un accès en ligne gratuit au Soir ou au Laatste Nieuws (2)?

Inversion de tendance

Laissons là aussi la question ouverte pour porter un regard rapide sur  l'état de la diffusion de la presse francophone belge (à ne pas confondre avec celui de son lectorat) et son évolution au cours des dix dernières années. Cette situation est résumée dans le graphique figurant en tête de ce texte. Il tient compte des données CIM authentifiées disponibles jusqu'en 2018 et des déclarations d'éditeurs (non encore authentifiées) pour 2019. Selon ces chiffres, la diffusion payante totale des cinq titres généralistes du sud du pays a baissé de près de 30% en dix ans. Mais la courbe, dont la pente descendante était régulière jusqu'en 2018, commence à se relever en 2019. Comme si l'on avait alors touché le fond, et que le plongeur était désormais en train de remonter.

L'étude de la diffusion payante totale (papier+numérique) par titre nuance cette impression d'ensemble: si tous les journaux ont connu une baisse de leurs ventes, l'importance de celle-ci n'est pas identique et, depuis 2018, les situations diffèrent quelque peu selon les quotidiens. La dégringolade des ventes du groupe Sud Presse a été vertigineuse, mais s'est stabilisée en 2018. Celle de L'avenir a été plus lente, et le titre était même parvenu à stabiliser ses ventes en 2017, avant de plonger à nouveau l'an dernier. Le Soir a connu une évolution en dents de scie, mais remonte la pente. La Dernière Heure a, elle aussi, beaucoup perdu, mais ralentit fortement sa chute en fin de période. Quant à La Libre, son essouflement était déjà bien entamé depuis deux décennies. Il a été plus faible au cours des dix dernières années, le journal étant même en rebond depuis 2017.

Le papier qui s'effrite

Sur l'ensemble période, c'est la presse populaire qui enregistre les moins bons résultats.  La Dernière Heure connaît la proportion de baisse des ventes la plus forte, suivie par les titres de Sud Presse. Le Soir perd près d'un quart de ses ventes et L'Avenir 20%. La Libre Belgique limite quelque peu les dégâts, tout ces chiffres concernant la diffusion payante totale des titres, c'est-à-dire à la fois celle des exemplaires papier (vendus au numéro et par abonnement) et celle des ventes en ligne (essentiellement sous forme d'abonnement).

Si l'on ne prend en compte que les ventes papier, les pertes sont plus marquées. La chute de ses ventes papier (-38%) explique à elle seule la forte baisse de diffusion des titres de Sud Presse, qui perd en 2018 son hégémonie sur le marché au profit du groupe L'Avenir. En pourcentage, c'est toutefois La Dernière Heure qui connaît la baisse papier la plus forte. Ces deux titres sont ceux qui, par le passé, comptaient le pourcentage d'abonnés le plus faible. La diminution des ventes papier du Soir et celle de La Libre est à peu près identique en pourcentage. L'Avenir est le titre dont l'érosion papier est la plus faible (moins de 15%), les habitudes d'usage de son fidèle lectorat et sa moyenne d'âge n'y étant pas étrangères.

En ligne, une explosion relative

Longtemps, le niveau de diffusion payante des quotidiens n'a pas été boosté par leurs ventes digitales. Il y a dix ans, celles-ci étaient quasi nulles, seul le modèle du "tout gratuit" étant alors cultivé comme une véritable religion par les médias. Devant l'échec du financement du numérique par la publicité, le "tout payant" ou le "paywall+payant" ont ensuite été appliquée. Les pentes des courbes, toutes ascendantes depuis le début de la dernière décennie, sont cependant loin d'être en croissance constante. Les coups de pub sans lendemain, la difficulté de persuader un usager du gratuit de basculer sur le payant ou la volatilité de l'abonné numérique, nombreux à être infidèles sur le long terme, expliquent le parcours sinueux de certaines courbes. Depuis 2017, la tendance à la hausse est toutefois, en général, redevenue plus constante.

Comme sur les marchés étrangers, les quotidiens de qualité sont ceux qui réussissent le mieux à attirer de nouveaux abonnés numériques payants ou à faire basculer vers le digital des usagers du papier.   Ses 36% d'abonnés numériques rapprochent Le Soir des quotidiens de la PQN française, qui affichent également désormais des scores élevés de vente en ligne. Confirmant la tendance, le pourcentage de La Libre lui est à peine inférieur. Les titres de presse populaire éprouvent plus de difficultés à récolter des abonnés numériques payants, le lecteur de ces titres étant classiquement moins enclin à s'engager sur le long terme. Le cas de L'Avenir est plus interpellant. Le groupe régional avait entamé, plutôt tardivement, une lente mais constante collecte d'abonnés numériques. Mais celle-ci marque le pas en 2019 et est, l'an dernier, le groupe de titres ayant le pourcentage d'abonnés numériques le plus faible en Belgique francophone. Ces éléments ne peuvent échapper aux éventuels repreneurs du groupe, tant pour évaluer son état de santé que pour expliquer ses actuelles difficultés financières.

Frédéric ANTOINE.

(1) https://plus.lesoir.be/276904/article/2020-01-31/olivier-de-raeymaeker-directeur-du-soir-notre-modele-se-rapproche-plus-de-disney
(2) https://www.proximus.be/fr/id_cr_my_epress/particuliers/r-orphans/actualite-inclus-dans-les-packs.html

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