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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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11 novembre 2022

Mort d'un policier : quand la grande actu tombe dans l'ombre de la nuit


Pas simple de gérer une info quand elle tombe dans la soirée. Le meurtre d'un policier bruxellois, jeudi 10 dans la soirée, démontre que la réactivité des médias n'a pas été au top.

Aux environs de 19h15, rue d'Aerschot, un jeune policier est frappé de plusieurs coups de couteau et décède. Son collègue est grièvement blessé. Dans l'impossibilité de trouver l'heure exacte où la nouvelle est communiquée par Belga (sans abonnement payant, ce n'est pas simple…), on peut estimer que l'info est arrivée dans les médias vers 19h50. Le JT de La Une est alors diffusé en direct. Malgré l'importance de l'événement, il n'y sera jamais fait allusion à cette info au cours des 15 minutes qui s'écoulent entre 19h50 et 20h35. Et il n'y aura pas d'émission spéciale par la suite sur le sujet. Sur RTL TVI, le journal était terminé, mais il n'y aura pas là non plus d'émission sur l'événement. Les soirées des deux chaînes se dérouleront normalement, comme si de rien n'était. Sans mort de policier.

Plus étonnant, il en est de même sur LN24, supposée être sur l'événement en direct tout au long de la journée. Mais pas de 20 à 22h, où la station diffuse des documentaires. Là aussi aucun bandeau ne défilera en bas de l'écran (pour donner cette info, ou d'autres). Il faut attendre 22h pour que la journaliste présentant un JT qui sera ensuite rediffusé, donne l'info face caméra très succinctement. Pas d'envoyé sur place, par d'images, de reportage, d'interview. Rien que une photo qui sera celle utilisée par presque tous les médias du monde qui traiteront de l'événement (et qui ne montre rien de très précis).  RTBF et RTL TVI n'ont pas encore trop à craindre de leur concurrence apparentée au groupe IPM… Ce soir-là, l'info tv n'était pas au rendez-vous.

PRENDRE SON TEMPS

Et les médias "classiques" ? Sur le smartphone à notre disposition, la première alerte provient de Sud Info à 19h55, rapidement suivie par celle du Soir (= les 2 médias de Rossel). L'alerte suivante tombe sur notre smartphone 20 minutes plus tard, en provenance de RTL Info. Il faut attendre un peu moins de 40 minutes pour qu'une alerte arrive de La Libre, puis de 7/7.be. L'alerte de L'Avenir arrivera plus de 40 minutes après celle de Sud Info, et celle de la RTBF un peu moins de 50 minutes, comme celle de La DH. Il semblerait y avoir comme du retard dans l'air…

CONFIRMATIONS…

Lors d'une précédente chronique sur ce blog, ce type de relevé des heures de réception des alertes sur un smartphone avait été discuté par un lecteur. Nous le complétons donc ici par un relevé de l'heure affichée en tête de l'article publié sur l'appli du médias, et auquel l'alerte renvoie directement.

Les résultats sont légèrement différents, mais confirment tous que, en soirée, la réactivité des médias devant une actu de ce genre n'est pas parfaite.

Comme pour les alertes, les médias du groupe Rossel sont les plus rapides à publier un article sur le sujet (Le Soir ne fera qu'une brève avant d'être plus précis 30 minutes plus tard). Il y a quasi similarité entre l'article et l'alerte. A La Libre, l'article est écrit vers 20h30 (soit 33 minutes plus tard que la brève du Soir), avant que l'alerte ne nous soit transmise. Idem chez 7/7, qui publie près de 35 minutes plus tard que Sud Info. L'Avenir fait paraître son texte 2 minutes avant que nous recevions son alerte, soit près de 3/4 d'heure après Sud Info. La RTBF publiera son texte et son alerte en même temps, à plus de 50 minutes du premier. Pour RTL Info, il semble y avoir un illogisme entre l'heure de l'alerte (20h25) et le l'heure notifiée en tête d'article (20h39). Il faut préciser que l'heure retenue ici est celle explicitement indiquée comme étant cette de la première publication, et pas celle des mises à jour. Et que, sauf erreur de réception, LN24 n'a envoyé aucune alerte à propos de cette info. A 20h11, son alerte concernait le "Doc en prime" diffusé à l'antenne, dont le titre correspondait assez à l'actu du moment: "Demain, serons-nous tous myopes"…

Face à cet événement, certains médias se sont vraiment montrés très prudents avant de le rendre public. Précaution extrême de mise ? A moins que, simplement, tous n'aient pas eu les mêmes moyens, une veille de 11 novembre à 20h, pour traiter une actu chaude ?

Frédéric ANTOINE.



20 octobre 2022

LIZZ resigns : (presque) tous sur la balle


L'annonce de la démission de la Première ministre britannique a rapidement déclenché des alertes info sur les smartphones. Mais tous les médias belges francophones n'ont pas réagi aussi rapidement…

En Grande Bretagne, la future démission de Lizz Truss semblait dans l'air bien avant cet après-midi, et les médias étaient tout matos dehors bien avant qu'elle ne sorte sur le pas de la porte du 10 Downing Street, en tout début d'après-midi (sans doute après son Last Lunch as Prime Minister).

À 01h33 PM heure de Londres, la BBC annonce que Lizz Truss est devant le pupitre, et va s'adresser aux Britanniques. La présentation de la démission a lieu à 01h34 PM, et tout est fini à 01h37 PM. L'info est si extraordinaire (jamais un chef de gouvernement de sa Gracieuse Majesté n'avait baissé les bras aussi vite) qu'elle mérite bien un "Breaking news" et une alerte sur les smartphones. La politique des médias n'est-elle pas aujourd'hui de pratiquer le "mobile first"?

LE TEMPS D'UN ŒUF À LA COQUE

Alors, qu'est-ce que cela donne? On ne peut pas être abonné aux alertes de tous les médias. L'observation qui figure ici n'est donc pas exhaustive mais comprend tous les médias francophones belges couvrant l'actu chaude en continu.

Trois minutes auront suffi à certains médias pour annoncer la nouvelle. Parmi les alertes dont nous disposons, le quotidien Libération (Paris) aura été le plus rapide, ce qui peut paraître étrange pour un média qui se veut plus "quality" que hot news.

Pour la Belgique francophone, l'alerte la plus rapide, à peine quelques secondes après Libé, est N24. La chaîne confirme ainsi qu'elle est bien une télévision qui entend sauter sur l'info, et être immédiatement sur la balle. Le Breaking news, c'est son affaire. En tout cas pour l'actu en question. Une belle promesse pour l'avenir.

Ensuite, les choses 'traînent' un peu. Si plusieurs médias français (ou du Québec) lancent leur alerte à Actu+4, en Belgique francophone, il faut attendre Actu+5 pour que des alertes tombent sur les smartphones. Et d'abord celle de la RTBF, qui démontre ainsi que, tout comme LN24, elle est elle aussi sur la balle de tous les événements.

Le Soir est à peine moins rapide, démontrant que ce n'est pas parce qu'on est un quality paper qu'on ne peut pas être prompt sur la transmission de l'info, surtout quand celle-ci est sûre et ne mérite pas divers recoupements. Les régionaux de Rossel, réunis dans Sud Info, réagissent quasiment aussi vite que Le Soir. Le quotidien de la rue Royale est ainsi plus rapide que les grands quality papers français Le Monde et Le Figaro qui se targuent souvent de ne pas faire la course à l'annonce d'un événement.

ALERTES À LA TRAÎNE

Le site 7/7.be donne la nouvelle à Actu+10, ce qui est une réaction moyenne. Tous les titres de IPM se trouvent au-delà de ce timing. Si on comprend que La Libre entretienne son image de quality paper en ne cherchant pas à être le premier à livrer l'info, il ne devrait peut-être pas en être de même de son "compère" La DH. Mais comme il semble que la gestion de tout ce qui est numérique soit assez proche entre les deux titres, Libre et DH communiquent la nouvelle à Actu+12, ce qui est tout de même assez tardif (6 minutes plus tard que Le Soir, et 9 minutes de plus que LN24, qui appartient au même groupe). 

L'Avenir, qui appartient aussi à IPM, est encore plus lent: il publie sont alerte pour téléphones à Actu+16! Une démonstration de l'intérêt très relatif qu'il porte à l'actualité internationale. Alors que tous les médias alertaient sur la démission  londonienne, L'Avenir publiait une alerte sur l'annonce du cancer d'un homme politique wallon avant d'informer sur le départ de Lizz Truss. De quoi démontrer quelles sont ses priorités.

Doit-on en dire autant de RTL Info, qui se veut normalement en ligne directe avec le hot news, mais qui a réagi à Actu+20 minutes, alors que les autres médias avaient déjà tourné la page ou se focalisaient sur l'aftermath de l'info: quels candidats au poste, Boris Johnson a-t-il des chances, etc? De quoi la tardive réaction de la rédaction de RTL est-elle le signe, alors que sa nouvelle direction déclare que l'actu est un des piliers du groupe, et le restera?

LACONIQUE OU PLUS PRÉCIS?

Bien sûr, il y a le fait de réagir, puis il y a le contenu. Car même dans une alerte smartphones, on peut en dire peu ou plus. Beaucoup se limitent à   "Royaume-Uni: La Première ministre Lizz Truss annonce sa démission", certains médias insérant tout le message dans le corps du texte (Libération, France Info, Le Figaro), et d'autres jouant sur un avant-titre en plus du titre (LN24) (1). Le Soir est dans la même tonalité minimaliste, avec une formule plus raccourcie mais tout aussi informative: "La Première ministre britannique, Lizz Truss, annonce sa démission". 

Certains entendent en dire davantage. BFM ajoute que Lizz Truss était "fragilisée", ce qui apporte une réponse au "Pourquoi" de la liste des 5W qu'on doit normalement retrouver dans une info. 

Plusieurs médias mettent l'accent sur le caractère particulier de la situation: la brièveté du règne de Lizz Truss. La RTBF dit qu'elle démissionne "après moins de deux mois". 7/7 parle de "seulement 45 jours".

On pourrait croire que, arrivées tardivement après les autres alertes, celles de La DH et de La Libre auraient été plus peaufinées, détaillées ou complètes. Ce n'est pas le cas. Elles se contentent du même contenu informationnel bref, sans y ajouter le moindre détail. Tout comme la lanterne rouge de notre classement horaire, RTL Info, qui, 20 minutes après l'événement, se contente de dire que "la Première ministre britannique Lizz Truss démissionne".

Enfin, même dans une alerte info, on peut trouver de quoi dramatiser la nouvelle. Sud Info commence ainsi son message par les mots "Crise gouvernementale au Royaume-Uni". L'anxiogène mot "crise", présent ici, ne sera pas utilisé par les autres médias. Si les alertes infos se contentent généralement du factuel, sans faire d'accroche, chez Sud Info, mettre en avant le caractère sensationnel de l'info semble inscrit dans les règles d'écriture.

Frédéric ANTOINE.

(1) D'ordinaire, l'avant-titre des alertes info donne simplement le nom du média émetteur, voire ne comprennent que la mention: "alerte info". Certains médias, comme LN24 (ou Sud Info) se contentent de donner leur identité via le cadre graphique situé à gauche de l'alerte info, et utilise l'avant-titre pour apporter un premier élément contextuel d'info ("Grande-Bretagne", pour LN24, ce qui est assez précis. "Monde", qui l'est beaucoup moins, pour Sud ìnfo) . (texte corrigé à ce propos ce 21/10 suite à une remarque faite par LN24 lors de la publication le 20 en soirée)
 

18 octobre 2022

La dictature de l'illu qui tue l'info

 

Depuis que l'info se consomme en ligne, elle est accompagnée d'une sorte d'impératif catégorique: elle doit obligatoirement être illustrée. Coûte que coûte. Au risque de voir l'illu faire dévier ou tuer le sens de l'info. Mais personne n'a l'air de s'en soucier. Cas d'école.

Le 15 octobre, une fusillade se produit dans un camp d'entrainement de l'armée russe, dans les environs de la ville de Belgorod, proche de la frontière ukrainienne. Il y a au moins 11 morts et 15 blessés, selon le ministère russe de la Défense, qui parle d'attentat. L'info est relayée par les médias du monde entier. En vertu de la "dictature de l'illu", pour la "vendre" au lectorat, elle doit impérativement être illustrée. Mais comment faire, alors que l'événement n'a, évidemment, pas été photographié par des reporters de guerre au-dessus de tout soupçon ?

UNE IMAGE, DU CONTENU

En scrollant sur les sites d'info, l'inanité de cette obsession iconique saute aux yeux. Forcés de fournir une image, les responsables des sites qui publient des articles sur cette fusillade oublient un élément-clé du journalisme : celui qui veut que toute image de presse soit porteuse d'un contenu informationnel, c'est-à-dire qu'elle contribue à l'information du lecteur. En journalisme, une image n'est pas une "simple" illustration, un élément de décoration mis à côté d'un texte pour faire joli ou attirer le regard. L'image peut bien sûr être esthétique et attractive. Mais elle doit, d'abord, apporter de l'information qui complète ce qui figure dans l'article qu'elle accompagne. Et si possible ne pas être en redondance avec le contenu de celui-ci.

Dans ce cadre, ce que montre l'image est évidemment essentiel. Mais il ne prend souvent sens que grâce à la légende qui la suit. Souvent, c'est la légende qui donne sens à l'image. Ce n'est pas tout à fait comme ça que l'envisage la sémiologie, mais on pourrait dire que, en quelque sorte, l'image est de l'ordre du signifiant, et la légende du signifié. Sans légende, l'image reste polysémique. On peut y mettre ce que l'on veut. La légende cadre la signification de l'image et lui permet d'apporter son "plus" informationnel.

LA LÉGENDE AUX OUBLIETTES

Or dans bien des cas, sur les sites d'info, le légendage des photos est désormais passé aux oubliettes.  On "tape" la photo comme ça, au-dessus du texte, au lecteur de comprendre en quoi celle-ci apporte quelque chose à celui-là. Au mieux  on misera sur le fait que le titre de l'article, qui suit souvent l'insert iconique, suffira à donner du sens à l'image, l'important n'étant pas que l'image informe mais qu'elle attire le regard et donne envie de lire le texte.  Jusqu'au point d'en pervertir ou nier le contenu?

Dans les fils info, l'absence de légende est ontologique. Le lecteur n'a à sa disposition qu'un titre court et une illu, l'essentiel étant qu'il clique pour accéder au contenu (ou au paywall…).  Exemples extraits des sites de La DH et de La Libre (qui sont, économies d'échelle obligent, quasiment similaires):



 

 

Les photos des fils infos ouvrent toujours l'article auquel on accède. Et c'est ici que l'observation de l'impératif illustratif brille par toute sa splendeur.

 UN MYSTÈRE PAS TRÈS NET


La Libre et La DH recourent à la même illu, non légendée, insérée après le chapeau de l'article. La photo montre des militaires descendant d'un hélicoptère. Quel rapport avec la fusillade dans un camp militaire près de Belgorod ? La question reste ouverte. Seul lien direct : la présence de soldats. Des militaires ukrainiens ont-ils débarqué dans le camp par hélico pour lancer une attaque ? Sont-ce les militaires russes du camp qui se protègent derrière un hélicoptère ? Mystère. L'image laisse supposer un lien entre l'événement et la présence d'un hélico, or celui-ci n'est évoqué nulle part dans l'article.

Une rapide recherche sur le web démontre que cette photo n'est pas liée à l'événement qu'elle illustre. Plusieurs sites d'info l'ont utilisée, sans la légender, avant la mi-octobre 2022 (Swiss Info, le 7/10, The Hill, le 8/10…). D'autres sites ont publié la photo en mentionnant seulement sa source (Ukrayina.pl le 06/08, Latercera.com, le 04/08…). Quelques sites ont précisé qu'il s'agisait d'une image d'illustration (Wiadomosci Gazeta, le 02/09, Ukrayina.pl, le 06/08…). Des informations déjà plus précises que ce qui figure sur les sites de La Libre et  de La DH, où il est seulement fait état d'un copyright AP. Et qui démontrent que l'image remonte au moins au 4 août, et non au moment de la fusillade.

AUTOPSIE D'UNE ILLU MUETTE

En approfondissant les recherches, on découvre que plusieurs sites ont légendé l'image. Certaines de ces légendes sont peu précises, comme celle de la chaîne d'info allemande n-tv, dès le 10/08 : " Ein neues Armeekorps soll nach erheblichen russischen Verlusten mehr Soldaten in die Ukraine bringen."(1) D'autres paraissent hors sujet, comme celle de Indiatvnews (04/09) : "Local authorities “will do everything necessary to make the signing of the contracts as convenient as possible,” the official statement said." (2), ou celle figurant sur le site de la chaîne publique allemande ZDF : "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt." (3)

Mais il y a des légendes précises, qui apprennent ce qu'est réellement le contenu de cette photo (4) . Les infos les plus détaillées accompagnent souvent les publications les plus anciennes, c'est-à-dire les plus proches de l'événement qu'a réellement capté l'objectif du photographe. Le site eupennois Ostbelgien utilise l'image dès le 30/07, avec la légende suivante: "30 juillet 2022, Ukraine, --- : Dans cette vidéo encore, des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une opération dans un lieu tenu secret en Ukraine. Photo : -/Service de presse du ministère russe de la Défense/AP/dpa" (5). Le 31/07, pravda.sk (Slovaquie) reprend l'image avec une légende plus courte et descriptive: "Des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une mission dans un lieu tenu secret en Ukraine. L'image a été fournie par le service de presse du ministère russe de la Défense. / Foto: SITA/AP, Ministerstvo obrany RF". Le 1er août, le site du quotidien norvégien ABC Nyheter légende la photo comme suit : "Cette photo, publiée par le ministère russe de la Défense en juillet, montrerait des soldats russes dans la région du Donbass en Ukraine. Selon les services de renseignement britanniques, la Russie est probablement en train de déplacer des forces du Donbass vers le sud de l'Ukraine. Photo : Ministère russe de la Défense / AP / NTB Photo : NTB".

UNE PHOTO PÉRIMÉE ?

Ainsi, il apparaît que cette photo a été prise au cours du mois de juillet, et visiblement rendue publique par le ministère russe de la Défense le 30/07. Cette image est issue d'une vidéo montrant des soldats russes en action. Le journal slovaque Pravda, fondé en 1920, publie le 01/08 une « fotogaleria » de 6 images issues de cette vidéo, et mentionne qu'elles figurent  « sur les prises de la vidéo ». Le lieu où la vidéo a été tournée est "tenu secret", mais se situe en Ukraine, sans doute dans le Donbass.

On est donc très loin de l'info dont cette photo est l'illustration. Certes, elle montre des soldats russes, mais ceux-ci ne sont pas en Ukraine, ne participent pas à une fusillade, et nse sont sans doute pas dans un camp d'entrainement. De plus, il y a au moins deux mois et demi d'écart entre l'image et le texte. Enfin, la source citée, AP, est incomplète, et ne permet pas de saisir que le cliché provient du ministère russe de la Défense.

 UN INCENDIE FORT 'HORS SUJET'

L'exemple développé ici dans le cas de deux quotidiens est loin d'être le seul où un gap existe entre l'info et son illustration. L'Avenir, qui appartient au même groupe IPM, a pour sa part choisi d'illustrer l'info par une image, située sous le chapeau, et représentant un incendie. Elle est prudemment légendée : "La région de Novgorod." Si légende il y a, celle-ci a-t-elle un rapport avec l'événement ? En fait, un seul: photo et info se situent bien dans la même région. Comme si on illustrait une actu sur la gare de Liège par une photo du casino de Chaudfontaine, en légendant: "La région de Liège."

Mise à part cette relative exactitude géographique, la photo  choisie est plutôt mensongère dans son rapport à l'info, car la fusillade n'a pas suscité d'incendie. Celui-ci est lié à une "frappe" qui a touché une station électrique de la région de Novgorod le 14/10. Or, l'affaire qui nous occupe a eu lieu le 16. Selon des médias qui ont légendé cettee image (6), celle-ci aurait été prise par le gouverneur régional Viatcheslav Gladkov et diffusée sur Telegram. Aucun rapport donc avec "l'attentat" dont parle l'article.

 

MÊLI-MÊLO D'INFOS

L'Avenir n'est pas le seul à faire cette association erronée, qui pousse à la confusion. Ainsi, par exemple, à l'autre bout de la planète, le Bangkok Post illustre par la même image un article intitulé "Russia says 11 killed in 'terrorist attack' at military site". La légende de la photo entend ici éviter la confusion, en expliquant que le gouverneur de Belgorod a diffusé des photos des dégâts causés par 'une attaque' sur une sous-station électrique. Bel effort de nuance, sauf que le type d'attaque dans les deux cas n'a rien de commun… 
Autre exemple : le quotidien parisien La Croix, qui illustre par cette fameuse photo d'incendie, à première vue non légendée, un article titrant sur les nouvelles frappes dans la région de Belgorod, en ouvrant son article en parlant des frappes ayant eu lieu le dimanche, alors que la photo remonte au vendredi. Si on clique sur la photo, une légende apparaît et cela change tout! Car elle explique que la photo a été prise le 14/10 par le gouverneur et concerne une centrale en feu suite aux frappes. Pour avoir l'explication, il faut donc d'abord disposer d'un mode d'emploi, ou être un habitué. Néophytes de La Croix, s'abstenir…
 
 JUSTE UNE IMAGE ?

L'illu de 7sur7.be représente un soldat à lunettes, portant un écusson russe, à l'affût, braquant son arme. Sa légende a le mérite du laconisme. En mention nan seulement "Archives d'illustration" (avec un 's' étrange à archives), on se prémunit de toute critique. Personne ne saura exactement ce que la photo représente, mais on se doute que "c'est juste une image", et pas "une image juste", comme Jean-Luc Godard se plaisait à le dire. Une image amplement utilisée ces derniers jours pour illustrer des articles sur la guerre d'Ukraine, plusieurs médias l'utilisant, tout comme 7sur7, pour accompagner un article sur la fusillade, souvent sans légende, comme le Moscownewsnet, Connexionblog,  ou  le site du Irish Sun
 
En quelques heures de recherches, il a été impossible de déterminer davantage l'histoire de ce cliché et son origine. Il semble avoir surgi au moment de l'événement, on en tout cas ne pas avoir été utilisé précédemment. Mais d'où vient-il?

Son usage dans ce cas-ci pose la question de l'apport de l'image à l'info. On parle en effet de fusillade ou d'attentat envers des soldats russes. Est-ce ce que l'image laisse supposer? Elle représente un soldat russe en position de combat, et non en situation d'agressé.
 
 DE FAMEUX AGRESSEURS…
 
Deux médias belges francophones ont choisi la même photo pour illustrer l'événement : Le Soir et la RTBF. Dans les deux cas, nous sommes dans l'après-événement. Ici, pas de personnage, mais ce que l'on considère être l'aftermath de l'attaque: des bâtiments calcinés, voire détruits. Ce qui semble à première vue un fameux succès pour une agression menée par seulement deux "terroristes", selon les termes russes.

Formellement, les deux pages se ressemblent plutôt : exactement le même titre, et même absence de légende pour un cliché, lui aussi totalement identique… mais impossible à identifier. La même présentation se retrouve notamment sur le site belgium.dayfr, qui dépend de l'opérateur israélien On 24 News. Il reprend en légende de la même photo… le titre de l'article, sans plus. Cette même image sera aussi reprise, sans plus de légende, pour illustrer un article du site roumain d'information stiripesurse.ro intitulé "Des dizaines de localités en Ukraine ont été touchées par les Russes au cours des dernières 24 heures". Ce qui n'a aucun rapport avec la fusillade d'un camp militaire russe. 

Les recherches avec Google Lens ne permettent pas d'approfondir davantage la question de l'origine de cette photo. Il semble, par contre, qu'elle ait été très très peu utilisée pour illustrer l'événement, hormis par les deux médias belges et le site california18 fondé par l'acteur indien Tarun Kumar. Un site qui a eu l'honnêteté de mentionner sous la photo : "Default author image".

TOMBE LA NEIGE…

Dans notre classement des décrochages les plus marquants entre un article et son illustration, la palme reviendra dans ce cas-ci à RTL Info, où la photo choisie a de quoi faire rêver à plus d'un titre (si l'on peut dire). Paysage de villages sous la neige, bulbe de clocher doré… On est loin des horreurs de la guerre. Quand, subtilement, le graphisme insère dans ce paysage de carte postale une citation qui fait figure de sous-titre à l'article, annonçant que, suite à l'attentat "près de la frontière ukrainienne" (avec un U majuscule à l'adjectif…), les deux terroristes ont été abattus. Le tout entre guillemets. 
 
Impossible d'éviter la question : quel rapport entre l'église, la neige, et l'actu ?

Non, l'attentat ne concernait pas l'église, même si on pourrait le supposer puisque nulle part dans la titraille on ne parle d'un camp d'entrainement russe. Non, les morts ne sont pas des fidèles venus assister à l'office. On pourrait le supposer, car il n'est jamais question dans la titraille de "soldats" ou de "militaires". Donc, à quoi sert cette image d'église?

Et puis, il y a la neige. Une actu "près de frontière ukrainienne", un jour de neige. Le samedi 15 octobre, faisait-il si froid dans cette région pour que la neige y tombe en masse? Alors que l'Europe de l'Ouest croule sous les vagues de chaleur, l'Est serait-il touché par une météo frigorifique, du genre de celle que les Russes attendent en détruisant tous les sites de production énergétique d'Ukraine pour tuer de froid toute la population ?

LA MÉTÉO DES PISTES

Pour en avoir le cœur net, vérifions. Quel temps fait-il actuellement à Belgorod? Les sites de prévision météo, ce n'est pas cela qui manque…

Alors d'accord, on n'a pas la météo du 15/10, puisque ce jour-là on n'avait pas encore la matière de cet article, mais en tout cas ce mardi 18/10, il devait y faire 17° max, et 7° min. Sauf erreur, pas de quoi faire tomber de la neige. Et il aurait fallu une fameuse dépression atmosphérique juste avant le 18 pour que le 15 il gèle et neige. D'ailleurs, ce n'est pas prévu dans la région en octobre, comme le démontrent les statistiques mensuelles de températures.
En moyenne, à Belgorod, le minimum est de 5° jusqu'au 20/10 puis ça descend un peu. Et les maxima ne descendent jamais sous les 8°. Selon les stats, le 15 octobre, il fait en moyenne entre 14° et 5°. Flocons pas possibles. Cette photo n'a pu être prise à cette époque. Elle n'a aucun lien avec l'actu qu'elle illustre.
 
Y A PLUS DE SAISONS

Quelques recherches avec Google Lens le confirment. On retrouve ainsi la même photo, davantage de saison, dès le 6 février 2022 pour illustrer un papier sur la site de la NPR, la radio publique des USA. Un article en italien de Swiss.info légende la même illustration de manière claire: cette photo représente "le dôme doré d'une église dans le village russe de Shebekino, à la périphérie de Belgorod et à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, dans une image prise le 27 janvier 2022" (7). Là, tout y est. Ce n'est pas l'église de Belgorod, mais celle d'un village de la périphérie, et elle a été prise fin janvier 202é… soit avant le début des hostilités.

Beau tour de force de l'utiliser en plein mois d'octobre. Et pour illustrer un article sur une fusillade survenue dans un camp de l'armée russe. Il fallait y penser… et penser à ce que lecteur peut en retirera, au-delà d'une impression de calme et de douceur. Mais soyons de bon compte: RTL Info n'a pas été seule à taper "Belgorod" sur des banques d'images pour tomber sur cette photo.




 

Le panorama enneigé a servi à un média pour faire le bilan de bombardements pour la journée du 16/10. Sur le site du quotidien français La Dépêche, elle accompagne un papier sur l'incendie d'une station électrique (avec une légende situant la frappe "aux abords de Belgorod", donc peut-être quelque part sur la photo?). Pour Europe1, enfin, l'image est sensée illustrer un dépôt de pétrole en feu (mais avec une légende qui focalise sur "la région de Belgorod, terrain de conflits". Bref, un beau paysage, cela peut être mis à toutes les sauces. Le photographe qui s'est baladé par là avant que les Russes envahissent l'Ukraine a eu un sacré flair!

BRISER SES CHAÎNES ?

Dans plusieurs des nombreux cas évoqués ici, une simple légende aurait déjà constitué un premier pas pour que l'on comprenne le lien entre l'image et le texte. Les exemples où une légende a été ajoutée à la photo démontrent que l'illu y gagne en intérêt ou en relativisation de son importance. 

Mais, indépendamment de cela, il subsiste ce fameux diktat de l'illustration. Qui fait sûrement plaisir aux yeux, mais pas à l'info. 

Pourra-t-on un jour le surpasser? Ou peut-on espérer que les médias aient un sursaut, et trouvent le moyen d'au moins vivre avec, sans en être simplement l'esclave  prêt à (presque) tout pour satisfaire son maître?… 

Frédéric ANTOINE

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(1) Un nouveau corps d'armée doit amener plus de soldats en Ukraine après d'importantes pertes russes.
(2) Les autorités locales "feront tout ce qui est nécessaire pour rendre la signature des contrats aussi pratique que possible", indique le communiqué officiel.
(3) De violents combats se poursuivent dans la région. Les résidents locaux suivent les demandes des autorités d'évacuer la zone. Des bus et des trains sont prévus à cet effet.
(4) Notamment CBC 30/08 : "In this handout photo taken from video and released by Russian Defence Ministry Press Service on July 30, Russian soldiers leave a helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine. (Russian Defence Ministry Press Service/The Associated Press)". nw.de (21/08):
"Russische Soldaten verlassen einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht näher genannten Ort. | © Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpaUsnews.com". Usnews.com (08/08): "Russian Army soldiers leave a military helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine, on July 30.(Russian Defense Ministry Press Service/AP)". ZDF 03/08: "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt.
(5) "30.07.2022, Ukraine, ---: Auf diesem Videostandbild verlassen Soldaten der russischen Armee einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht genannten Ort in der Ukraine. Foto: -/Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpa"
(6) Par exemple: rtbf.be, rtlinfo, Le Parisien, Le Figaro, Lapresse.ca…
(7) "La cúpula dorada de una iglesia del pueblo ruso de Shebekino, a las afueras de Belgorod y a pocos kilómetros de la frontera ucraniana, en una imagen tomada el 27 de enero de 2022".










31 mars 2021

CÔTÉ DIFFUSION, LA PRESSE QUOTIDIENNE SORT ENFIN LA TÊTE HORS DE L'EAU

Bonne nouvelle pour les quotidiens francophones belges: quatre d'entre eux ont affiché des ventes en hausse en 2020. Grâce au numérique. Le Soir devient même le premier journal du sud du pays. Le covid a sûrement infecté positivement ces résultats. Mais, dans le paysage de la presse quotidienne, tout n'est pas rose pour autant.

Le CIM vient de divulguer les seuls chiffres que les éditeurs de presse tolèrent encore de rendre publics côté diffusion. Ces données "déclarées" par les entreprises de presse ne sont pas encore authentifiés par le CIM. Mais l'expérience montre que la différence entre les deux est en général minime.

Coté diffusion totale payante (DTP, qui regroupe les ventes "papier" et "numérique"), deux titres affichent clairement en 2020 une santé meilleure qu'en 2019: Le Soir, qui augmente ses ventes de 12.500, et La Libre de 5.000. L'Écho est aussi en légère hausse. Ces trois titres représentent le créneau "presse de qualité" du paysage du sud du pays. Les données actuelles donnent aussi La DH une très légère hausse, mais il faudrait plutôt parler de statuo quo. Il y a par contre deux titres qui continuent à baisser: Sud Presse (moins 4.500) et, surtout L'avenir (perte supérieur à 6.000). Au total, la diffusion payante des tous nos quotidiens se montre dès lors en hausse 7.500 ventes de par rapport à 2019.


 
Revanche vespérale

Autre nouvelle de poids: la hiérarchie entre les journaux est chamboulée. Longtemps, le quotidien ayant la diffusion payante la plus importante fut le groupe Sud Presse, suivi par L'avenir. Ces dernières années, cet ordre avait été inversé: L'avenir était passé devant son concurrent namurois. Cette fois, Le Soir surpasse tout le monde, et le sprint ne concerne pas la conquête de la première place, mais la deuxième, où L'avenir l'emporte là d'une courte tête sur Sud Presse. C'est une vraie révolution: le journal le plus vendu en Belgique francophone n'est désormais plus un titre populaire ou régional mais… un quality paper. Chose qu'on ne retrouve pas sur beaucoup de marchés dans le monde, où le titre le plus vendu est souvent un régional. Ou, comme en Flandre, un popular newspaper ayant aussi une forte assise régionale. Quelle fierté d'être Belge francophone, Fédération où c'est la qualité qui est maintenant en tête!

Là ne réside pas la seule originalité de ces chiffres 2020. Si l'on ne prend plus seulement en compte les ventes, mais l'ensemble de la diffusion (donc, aussi les exemplaires papier distribués gratuitement) on assiste à un autre petit chamboulement. Depuis des années, la Belgique francophone avait comme particularité (parmi d'autres) d'être un de ces pays où un titre de presse gratuite possédait une diffusion plus importante que n'importe quel titre payant. Eh bien, cela aussi appartient au passé. Désormais, là aussi, c'est Le Soir qui occupe la première place sur le podium. Metro n'est plus que numéro deux.



Bien sûr, ce classement concerne tous les types de diffusions papier et la seule diffusion numérique qui soit comptabilisable, c'est-à-dire celle qui est payante. Metro étant gratuit, il ne peut compléter son score "papier" par un résultat en ligne.

Rebond

Le caractère original de la presse en 2020, année "originale" aussi pour bien d'autres raisons, se perçoit mieux quand on l'inscrit dans la durée. Depuis dix ans, les diffusions payantes des titres ne cessaient de chuter, ce qui avait notamment poussé les éditeurs à devenir de plus en plus discrets à leur égard, et à chercher à mettre en avant les données d'audience, toujours croissantes, plutôt que celles de leur diffusion, toujours en baisse.


Pour plusieurs titres, le fond de la piscine a été atteint vers 2018-2019. Comme nous l'écrivions il y a un peu moins d'un an dans un des articles de ce blog, un léger frémissement semblait se manifester en 2019. Ainsi que le montre le graphique, l'inversement de tendance des courbes est clair en 2020 pour deux titres (Le Soir et La Libre), et La DH semble avoir stoppé sa descente. Par contre, après une période de stabilisation, les ventes de Sud Presse ont recommencé à chuter. L'Avenir, enfin, est depuis plus de dix ans sur une pente douce de perte de ventes, mais la celle-ci s'est infléchie vers le bas l'an dernier. La presse régionale et populaire reste donc en perte de vitesse. En partie parce qu'elle éprouve plus de difficultés à se monétiser en ligne.

La chasse est ouverte

Depuis le milieu des années 2010, les quotidiens belges ont ouvert la chasse à l'abonné numérique payant. Après des débuts balbutiants, liés à l'absence de techniques marketing efficaces pour capturer l'abonné, les résultats ont réellement été au rendez-vous en 2019, le tableau de chasse connaissant un bond impressionnant en 2020.

 
 
 Si Le Soir rafle la première place de tous les classements, son pourcentage d'abonnés numériques payants y est pour quelque chose. 56% des ventes du Soir se déroulent désormais de cette façon, soit une hausse de 20% par rapport à 2019. Le qutidien vespéral réalise ainsi un score hors-normes, par exemple par rapport à la presse flamande. Son concurrent quality paper La Libre est à peine moins loin, avec 42% de ses ventes en numérique (+12% depuis 2019). Chose étonnante pour un titre de presse populaire et sportive, qui se vend plutôt au numéro, les résultats de La DH sont, eux aussi, en croissance depuis 2019. Sud Presse, qui avait augmenté sa part numérique de vente en 2019, ne connaît qu'une très faible hausse en 2020. L'avenir, par contre, se trouve dans une configuration dramatique: alors que sa part numérique payante avait crû doucettement d'année en année, elle était déjà sur un plateau en 2018-2019. Et, en 2020, elle a régressé. Au moment où l'on ne cesse de claironner que le futur est au tout numérique, L'avenir paraît rester un vieux dinosaure de l'ère du papier, incapable de décoller vers l'avenir.
 
Virus positif?

Le premier confinement a assurément modifié les habitudes des usagers de la presse, et a amené certains d'entre eux à quitter le papier pour le numérique. 2020 ne semble toutefois pas être une année plus marquée que les précédentes par une réduction des recettes "papier". Les journaux vendent moins d'exemplaires papier depuis des années, et les pentes des courbes de tous les titres évoluent de manière constante. Y compris en 2020.



 
Sauf pour Le Soir, dont les ventes papier ont souvent connu des évolutions plus erratiques, et chutent cette fois de 28% entre 2019 et 2020. Soit près d'un tiers de la diffusion payante print du titre. En comparaison, Sud Presse et La DH ne perdent en print qu'entre 15 et 12%, et La Libre et L'Avenir aux alentours des 5%. Une partie des hausses de diffusion numérique payante est évidemment liée à la baisse de la vente papier. Mais les titres qui gagnent en diffusion payante totale en 2020 dépassent la simple compensation. C'est très clairement le cas pour Le Soir et La Libre, qui (re)trouvent de nombreux nouveaux acquéreurs. Sud Presse, et encore plus L'Avenir non seulement perdent des acheteurs papier rapport à 2019, mais aboutissent aussi au total à une perte de leurs clientèles. Dans le premier cas, assez classiquement, le quotidien populaire ne compense pas son déficit print par un gain en abonnés numériques. Dans le second cas, le régional namurois diminue aussi son nombre d'abonnés numériques. Il est donc perdant sur toute la ligne.

Forçage de chicons?

Que restera-t-il de ce relativement bon crû 2020 à la fin de cette année? On ne peut qu'être admiratif devant le gain d'abonnés numériques du Soir (+17621), de La Libre (+6543) ou de de La DH (+3865). Il faut toutefois préciser que tous ces abonnements ne sont pas de même nature. Comme le précisent cette année les data fournies par le CIM, la part la plus importante des abonnements numériques est de type "replica", ("paid digital replica"), mais il y aussi un autre type, le simple  abonnement numérique au site ("paid Web only access"). 
On peut aussi s'interroger sur la durée des abonnements enregistrés. Sont-ils annuels, ou comprennent-ils tous les abonnements de courte durée proposés à titre promotionnel, voire gratuitement? Dans ces cas, impossible de savoir quel sera leur pérennité, tant on sait l'utilisateur numérique versatile, et pas nécessairement enclin à passer à l'abonnement de longue durée ni à accepter le système de prélèvement automatique par lequel les entreprises de presse essaient de les cadenasser.
On est aussi étonné de ne trouver aucune comptabilisation identifiable des abonnements web au Soir "offerts" par Proximus à ses clients. Partant du fait que c'est l'opérateur de télécommunications qui les offre, et non l'entreprise de presse, ils ont dû lui être achetés. Or, la colonne "paid Web only access" du Soir ne comptabilise que 174 abonnements… A moins qu'ils ne soient en définitive offerts par Rossel, et donc ne figurent pas dans ces data qui, pour le digital, ne communiquent que les données "paid".

Ces chiffres peuvent en tout cas apporter de l'espoir aux deux entreprises de presse de Belgique francophone. La plupart de leurs médias ne boivent plus la tasse. Ou presque. Mais, pour autant, il ne faut pas se réjouir trop vite: la fin du papier n'est pas pour demain. Même si, pour la plupart des titres, les ventes en kiosque ont chuté en 2020 (le virus étant passé par là), le papier représente encore une belle part des ventes des journaux. L'Avenir vend encore plus de 63.000 exemplaires papier chaque jour, et Sud Presse 55.000. Le Soir est à près de 33.000, et La DH et La Libre à 25.000 exemplaires. L'extinction des rotatives n'est donc pas, normalement, à l'ordre du jour. Car ces acheteurs-là sont coriaces. En 2020, ils avaient toutes les raisons de basculer vers le numérique. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils sont vraiment bien attachés à leur "objet" papier. Et une aussi belle occasion de les pousser de force dans le digital ne reviendra (espérons-le) de si tôt…
On voit donc mal IPM ou Rossel mettre à mort des titres dont une partie substantielle des ventes porte toujours sur des objets physiques. Leurs lecteurs ont de fortes chances de décéder en même temps que les rotatives. Même si le numérique lui permet de sortir la tête de l'eau, la presse va donc devoir continuer encore un certain temps à être entre deux chaises…

Frédéric ANTOINE.

17 décembre 2020

Le covid de Macron : les Belges aussi étaient sur la balle


10h33, ce jeudi 17 décembre. Relayant un communiqué de l'Elysée, l'AFP annonce qu'Emmanuel Macron a été testé positif au coronavirus. En quelques secondes, les alertes infos s'embrasent…

Il n'aura pas fallu dix minutes pour que la nouvelle se répande à toute vitesse via les alertes infos des applis pour smartphones. Impossible évidemment de faire le tour du monde des applis pour attribuer des prix planétaires à tous les gagnants de cette course de vitesse mais, sur base d'un suivi de médias belges et français ainsi que via l'appli Breaking news qui relaie les alertes des grands médias du monde, on saluera la rapidité de Sud-Info et de 7sur7.be, qui me mettront pas deux minutes à annoncer la nouvelle (et, pour le site de Sud-Presse, pour une fois, sans y accoler un "!"). Soit, sur base de notre petit échantillon (et en faisant confiance à l'horodatage de notre smartphone), pas mieux que Bloomberg, mais aussi bien que BFM Tv, qui se paiera le luxe de lancer deux alertes au cours de la même minute, en passant dans sont tite de "testé" à "diagnostiqué".

On saluera aussi la rapidité de La Libre et de la RTBF, qui coiffent d'une poignée de secondes Le Figaro lui-même, et des spécialistes de l'info continue comme France 24 ou France Info. Sur la contamination du président Macron, y a pas à dire, les Belges aussi sont sur la balle!

Hormis les deux journaux journaux de qualité déjà cités, force est de constater que les autres titres de qualité sont en général, et comme d'habitude, un peu moins rapides à réagir. Le Soir n'enclenchera son alerte que sept minutes après l'info, tandis que Le Monde attendra… onze minutes et Libération… près d'une vingtaine (en ayant l'humour d'inscrire "à chaud" en avant titre d'une info qui, à l'heure de la diffusion de l'alerte, ne l'était plus vraiment) (1). Libé prend ainsi presque autant son temps que le New York Times. On relèvera par contre la relative rapidité de communication du Quotidien du Peuple (People's Daily) de Beijing, et du Times of India, un des plus importants quotidiens dans le monde. Du côté des grandes agences, hormis l'AFP, évidemment hors catégorie, Reuters mettra six minutes à réagir, bien avant l'Associated Press (AP).

Diagnostiquer n'est pas jouer

Côté info, la nouvelle contenue dans l'alerte est en général plus que laconique. Tout en tenant compte du fait que notre échantillon est évidemment partiel, on peut y remarquer que certains médias, essentiellement anglo-saxons, veillent à donner la source de l'info ("la Présidence") alors que les alertes françaises et belges ne se soucient en général pas de ce "détail", à part France-Info. Les variations thématiques sur le contenu portent le plus souvent sur la question de savoir si le président a été "testé" positif ou "diagnostiqué" positif. Selon Le Larousse, le premier verbe signifie "soumettre quelqu'un, un produit, un appareil, etc., à un test". Tandis que le second veut dire "faire le diagnostic d'une maladie, l'identifier d'après les symptômes". En l'occurrence, c'est un test qui a déterminé la contamination du président, même si celle-ci était déjà envisageable sur base des symptômes que manifestaient le malade…

Les sources qui s'étendent dès l'alerte-info sur la mesure d'auto-confinement prise par le président (ou qui lui a été recommandée ou imposée?) sont peu nombreuses, et seul Le Monde apporte une précision temporelle, indiquant que le diagnostic a eu lieu ce jeudi matin. Quant aux raisons qui ont incité à faire le test, rares sont les médias qui les mentionnent dès l'alerte-info. Seules quelques alertes anglo-saxonnes précisent que le président montrait des symptômes de la maladie.

Le, La, ou rien du tout

Enfin, ce petit exercice comparatif confirme que l'unanimité n'est toujours pas de mise sur la manière de nommer la maladie. "Covid-19" est la façon la plus fréquente, écrit parfois tout en majuscules (2), généralement avec seulement un C majuscule, mais jamais tout en minuscules, alors que "covid" est en fait devenu un nom commun… C'est le genre du substantif dans notre belle langue française qui reste un champ de luttes non abouties. Le masculin, pas du tout recommandé par l'Académie (3), l'emporte sur "la Covid". Comme quoi les habitudes journalistiques n'ont cure des recommandations des spécialistes de la langue. En anglais, ces discussions sur le sexe des mots n'ont évidemment pas lieu d'être. Ceux qui veulent y échapper en français ont d'ailleurs, en tout cas dans cette alerte-info, souvent trouvé "la" parade. Ils ne parlent pas de covid mais du coronavirus. Sans mesurer, sans doute, que les deux termes ne sont pas synonymes, et que l'un indique la catégorie générale dans lequel l'autre s'inscrit (4)…

Une vingtaine de minutes après l'annonce de la nouvelle, dans le petit monde des alertes sur smartphones, il était déjà temps de passer à autre chose. A 10h52, BFM TV ne se préoccupait plus de la santé du président, mais de celle de son Premier ministre, "cas contact". Ainsi tourne la roue de l'info. A une alerte doit forcément succéder une autre, puis encore un autre… indéfiniment…

(1) Sur internet, l'article de Libération date son info de 10h45, soit 12 minutes après l'annonce, mais moins que la vingtaine de minutes précédant la mise en ligne de l'alerte…

(2) Cette nuance n'a pas été reprise dans le tableau ci-dessus. 

(3) "On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie (…) Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien" (http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19)

(4) Selon Le Robert, le coronavirus est un "genre de virus à ARN responsable d'infections respiratoires et digestives chez plusieurs espèces de mammifères dont l'être humain"

22 octobre 2020

Admise ou transférée ? Quand le récit prend la place du fait

Admission à l'hôpital : définition - docteurclic.comBranle-bas de combat médiatique ce jeudi 22 au matin : l'ancienne Première ministre, hospitalisée, est en soins intensifs. L'info tombe via un média, et la presse francophone dégaine à son propos la traditionnelle formule magique "admise en soins intensifs". Admise, vraiment?

Une bonne demi-heure. En gros, c'est ce qu'il aura fallu pour que la présence de la ministre des Affaires étrangères en soins intensifs fasse le tour des médias belges. La première trace de l'info (voir tableau chronologique ci-dessous) apparaît horodatée de 10h26 sur les sites de deux médias flamands, dont celui de la VRT qui est à la source de la nouvelle via un contact avec le porte-parole de la ministre, et au même moment sur celui de Sud-Info. 

Le site du groupe Sud-Presse, fidèle à son habitude, ponctue son titre, qui indique seulement la présence de la femme politique dans ce service médical, d'un point d'exclamation : "Atteinte du coronavirus, Sophie Wilmès est aux soins intensifs!". L'article précise que RTL avait annoncé sa présence à Delta dès le mercredi, et le sous-titre ajoute que, selon la VRT, l'état de l'ancienne Première ministre est stable. Dans leurs titres, les deux médias flamands utilisent la formule "op intensieve zorg", littéralement "en soins intensifs".

Deux minutes plus tard, la langue de Vondel joue davantage dans la nuance au Standaard, pour qui Mme Wilmès "ligt op intensieve zorg", que l'on traduira tout de même aussi par "est en soins intensifs", le verbe précisant ici l'état allongé dans lequel se trouve évidemment la patiente n'ayant pas de pertinence dans la langue de Victor Hugo.

Même prudence factuelle une minute plus tard dans La DH, qui la présente dans son titre comme "hospitalisée en soins intensifs". Appartenance au même groupe de presse oblige, La Libre sort l'info exactement à la même heure. Mais indique, elle, l'ancienne Première "admise" en soins intensifs. Belle formule que nous fournit-là la langue de Voltaire. Au point d'en faire une tournure entrée dans le français courant. Mais est-ce la même information que précédemment? Les premiers médias communiquant la nouvelle se contentaient de dire : Mme Wilmès "y est". Ici, on évoque son admission. "Admettre", écrit Larousse, c'est "Laisser à quelqu'un, à un animal le passage ou l'entrée quelque part". Et, "être admis", c'est (assez paradoxalement dans le cas présent) "Avoir satisfait à certaines épreuves d'un examen ; être reconnu apte". Plus proche sans doute de la réalité, la définition du "dictionnaire.sensagent.leparisien.fr" parle, lui, d' "accepter de recevoir quelqu'un". 

Formule consacrée

Pour les médias, la formule est comme consacrée. En avril dernier, lorsque Boris Johnson avait subi le même mauvais sort, Le Parisien, par exemple, avait titré "Boris Johnson admis aux soins intensifs" (07/04). Mais, a contrario, Le Figaro avait, lui, écrit "Boris Johnson transféré aux soins intensifs" (06/04). Nuance.

Le subtil usage du participe passé 'admise', employé ici dans un condensé de voie passive, permet (ou ne permet pas) d'indiquer quand a eu cette admission. Au moment où tombe l'alerte sur les smartphones ou que paraît le premier papier bref sur le site web, la malade vient-elle d'être admise, est-elle admise, ou a-t-elle été admise (et depuis quand)? Et où était-elle avant? Impossible de le savoir. "Admise" laisse supposer au lecteur que la ministre a dû être amenée d'urgence à l'hôpital ce jeudi matin. Or, elle y était dès la veille…

Pour les très nombreux médias qui utilisent la formule, le récit commence au moment où l'info paraît. Et, évidemment, se vit au temps présent. Comme si cette admission-là faisait débuter l'histoire, alors que la malade avait été hospitalisée la veille…

Où est donc vraiment l'info: dans le fait qu'elle vient d'être admise? Ou dans le fait que l'on apprend qu'elle se trouve dans le service? Admission et administration de soins sont-ils synonymes, et chronologiquement concomitants?

Qu'importe, pourra-t-on dire. Inutile de couper les cheveux en quatre. A chacun de comprendre la nouvelle comme il le veut. Ce qui compte, c'est que c'est grave.

Mais est-ce aussi simple? Sur le fond de la nouvelle, ce n'est pas vraiment la même chose. Dans le cas présent, le "transféré" utilisé pour Johnson par Le Figaro n'eût-il pas été plus séant, approprié, et correctement informatif? Mais peut-être moins tentant pour faire mouche…

Le sens de la formule est une belle chose. Mais est-ce le cœur du journalisme?

Frédéric ANTOINE


 

 


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