Passer du format berlinois au demi-berlinois correspond à diviser la surface du journal par deux. Une page en berlinois fait 44 cm de haut sur 29 de large. En demi-berlinois, on est plutôt à du 21 x 29. On glisse donc de ± 1200 cm2 à ± 600. Une réduction qui s'opère essentiellement sur la hauteur de la page.
En Belgique francophone, seuls les titres de Rossel (L' Écho y compris) aiment le format berlinois. Chez IPM, La DH et La Libre sont en tabloïd (33 x 23). L'Avenir, lors de son arrivée à l'imprimerie de Rossel, avait dû choisir le demi-berlinois. Metro s'y est aussi mis. SudInfo se glissant dans le même créneau que le journal namurois, il paraissait normal que ses titres finissent par passer au demi-berlinois, moins coûteux en papier que le berlinois.
Certains s'étonnent qu'un groupe de presse se préoccupe encore du futur de son édition papier, la consultation de l'info en ligne semblant aujourd'hui être devenue le seul mode d'appropriation des nouvelles, que ce soit via les sites des entreprises de presse ou, pour les plus jeunes, uniquement via les réseaux sociaux.
PASSER À LA CAISSE
Il est vrai, et on l'a souvent écrit sur ce blog, que depuis 2020, la commercialisation des journaux en ligne est devenue un vrai challenge, pour les titres, et certains ont réussi à bien monétiser leurs contenus dans des abonnements numériques. Sauf que la manne des ventes en ligne ne bénéficie pas à tous. À l'instar de ce qui se passe ailleurs dans le monde, l'abonnement digital sourit surtout aux titres de qualité, ainsi qu'à la presse spécialisée. Les médias locaux et populaires réussissent moins bien à persuader leurs lecteurs de passer à la caisse.
Ainsi, selon les derniers chiffres disponibles, une part appréciable des acheteurs de SudInfo et de L'Avenir continuent à préférer le papier à l'achat numérique. En 2021, 87% des ventes de L'Avenir étaient toujours en format papier, et 78% des ventes des titres de ce qui s'appelle désormais SudInfo. Pourtant, en tout cas pour les titres de Rossel, ce n'est pas faute de ne pas avoir cherché à hameçonner l'abonné potentiel par tous les moyens au tournant des années 2020. À ce moment-là, le pourcentage d'abonnés numérique avait cru. Mais, comme on l'observe pour d'autres titres, il semble que, de ce côté, on est arrivé sinon à un plafond, au moins à un palier. On disposera bientôt du "CIM Press Brand Report 2023", désormais la seule source d'info disponible sur la diffusion de la presse. On pourra alors vérifier si les tendances perçues jusqu'à 2021 se confirment.
LE PAPIER CHOUCHOU
Quoi qu'il en soit, face à de telles données, on comprend que les entreprises de presse continuent à choyer leurs acheteurs de papier ! Même si, au total, on leur en vend en quantité moins que par le passé, et pour un prix plutôt élevé.
(€, chiffres arrondis), (prix par mois) |
Accès web |
Accès web + replica |
Accès web + replica + journal papier à domicile |
L’avenir |
7,25 |
14,5 |
36 |
SudInfo |
6 |
11 |
36 |
Différence |
+1,25 (L’avenir) |
+3,5 (L’avenir) |
0 |
Dans cette compétition, SudInfo se montre toujours moins cher que L'Avenir… sauf pour le prix de l'abonnement "full", qui est identique dans les deux offres. Ce qui interroge: pourquoi ne pas être en compétition aussi sur l'offre comprenant la livraison du journal papier ?
Cette petite comparaison révèle aussi que les entreprises concernées estiment le prix de vente (en abonnement) de leur journal papier à ± 1,5 €/jour. Alors qu'en achat au numéro, le journal coûte 2€. Le prix de la production d'info en ligne représente 6-7€, et le prix propre de la production de l'exemplaire prototype du journal, avant sa production physique, à 5-7€. Pour l'abonné, le surprix lié à la production et à l'acheminement du journal papier se situe à 21-22€/mois. Soit près de 0,9€/jour.
ALLÉCHER ET CLARIFIER
Changer de format implique évidemment aussi de revoir la mise en page. Cette opération de rénovation s'avère d'autant plus importante si le titre compte une quantité appréciable de ventes au numéro en kiosque (chez le marchand de journaux). Ce type de vente est en décroissance constante depuis une bonne quinzaine d'années, notamment suite à la disparition de nombreux points de vente, mais aussi à cause des changements de comportement des lecteurs… et des éditeurs eux-mêmes.
Les entreprises ont en effet milité pour se voir réduire la vente au numéro, génératrice de coûts supplémentaires et d'éléments imprévisibles. Toutefois, ces ventes subsistent et nécessitent chaque jour de trouver le moyen d'alpaguer le lecteur occasionnel ou d'éviter de perdre le lecteur fidèle. Cette difficulté n'est que peu impactante pour L'avenir qui, en 2021, ne réalisait en kiosque que 10% de ses ventes print. Par contre, à la même époque, Sudpresse était toujours dépendant à 30% de ses ventes au numéro dans les librairies.
Cela explique l'attention que ce groupe de titres porte aux contenus de sa Une, qui doit être alléchante. Comme le montre l'illustration ci-dessous, un travail incontestable a été réalisé de ce côté, avec un recentrement du positionnement du titre.
SudPresse avait l'habitude de fréquemment modifier sa Une, notamment pour son titre de manchette, voyageant du côté droit au côté gauche de la page. Mais, pour le reste, la mise en page s'était maintenue ces dernières années dans un profil de Une de type "mosaïque vitrine", comprenant un nombre d'infos et d'accroches important.Une grosse révolution s'était manifestée l'an dernier, lorsque le groupe avait choisi d'insérer un édito sur la première page, ce qui est contraire au principe de la Une vitrine et rapprochait le titre populaire du journal Le Soir, dont une des spécificités est d'afficher un édito en première page. L'insert de cette originalité n'a sans doute pas séduit, car elle disparaît de la nouvelle Une 2023, évidemment plus petite et donc moins propice à la publication de textes. L'édito en Une apportait une touche de "sérieux" aux titres de SudInfo, et manifestait la volonté d'exprimer des avis, et d'inciter à l'échange…
La Une 2023 fait le choix de la clarté, avec une manchette incontestable qui occupe tout le haut de la page. On peut considérer que l'info verticale à droite en bas de page est sa "contre-manchette", dans la mesure où, lorsque le titre principal d'une édition n'est pas identique à celui des autres éditions, cette manchette-là se retrouve en "contre-manchette". Mais, comme on le voit ci-dessous, cette situation est rare.
Le jour de l'analyse, 8 des 11 éditions possédaient la même manchette, ce qui pourrait laisser penser que la politique choisie est de mettre en tête de page un "fait divers" général, les variations de titraille, avec coloration locale, concernant plutôt les petits titres. Une comparaison avec les éditions de la veille relativise cette impression : le 15/2, 6 des 11 éditions "seulement" affichaient la même manchette. Il semble que, lorsqu'un titre régional se distingue particulièrement, il accède à la manchette de cette édition, l'info générale qui occupe la manchette ailleurs étant reléguée dans ce que nous avons qualifié de "contre-manchette".
L'observation des Unes du jour de l'analyse relève aussi que, davantage que la manchette et son illustration, qui ne sont pas présentes dans toutes les éditions, une seule illu (et son titre) se retrouvent dans chacune d'entre elles : la photo d'une jeune femme en bikini sur une plage et son titre, Miss Belgique, véritable star sur TikTok. Comme quoi, on ne se refait pas…
Pas plus qu'on ne se refait pas dans les choix de sujets : faits divers, justice, sports et faits de société.
NI UNE, NI DEUX…
Au total, la Une de SudInfo paraît plus ouverte, aérée, que celle de L'avenir, qui donne une impression de "renfermé", de "non liberté", suite à la présence de "capsules" (cadres qui entourent les infos) qui isolent chaque info, l'enferment dans son encadré, et multiplient les traits noirs aux quatre coins de la page.
Peut-être dira-t-on que tout cela est un hasard, car les deux titres ne visent pas le même public, ou le même type de public ? En partie c'est sans doute vrai. Mais ils sont en tout cas de plus en plus en concurrence sur les mêmes terrains.
On dira peut-être aussi que tout cela est sans intérêt dans un monde où on ne lit plus le journal. On aura montré ici que la place du papier n'est pas si anecdotique que cela. Mais, surtout, cela démontre que la notion même d'édition n'est pas en train de se dissoudre dans les torrents d'infos qui déferlent via les fils info et les réseaux. Oui, éditer les nouvelles, cela existe toujours. Et le plus étonnant est que c'est toujours ce que recherchent celles et ceux qui s'abonnent en numérique. Ce n'est pas tant avoir accès à l'info qui les motive que de pouvoir lire le journal en ligne comme s'ils l'avaient en main.
Si l'édition n'est pas morte, le journalisme non plus n'est pas sur le point de passer le clavier à gauche.
Frédéric ANTOINE.