The Dancer, le nouveau show type 'télé-réalité dansante' de La Une, a bien des atouts pour plaire, et est assurément un beau spectacle. Mais ce programme coûte-t-il si cher qu'il faille le truffer de publicités commerciales d'un nouveau genre? Ici, la pub ne rentre pas seulement par la porte, mais aussi par la fenêtre. Et parfois bien subtilement… Même si ce n'est pas une originalité de La Une (*)
Mais rendons d'abord hommage à la qualité du programme, et à ses originalités.
The Dancer version RTBF est, comme le précise son générique final, une superbe franchise du format éponyme créé par Fremantle UK et Sico Entertainment. Et dont la version la plus accessible sur la Toile est celle qu'a diffusée il y a + un an la RTVE, l'opérateur audiovisuel public espagnol. En de nombreux points, celle-ci ressemble à la belge, y compris dans le type de casting flamboyant des membres du jury (et surtout de sa composante féminine).
Nous n'avons pas la place pour présenter ici le programme en détail. Mentionnons simplement qu'il est donc composé de prestations de danseurs et danseuses ± amateurs ou ± professionnels. La première étape du programme est destinée, comme dans The Voice, par exemple, à éliminer les plus mauvais et à constituer ensuite autour des membres du jury des équipes dont les membres s'affronteront dans les étapes suivantes. D'ordinaire, dans ce genre de programme, les membres du jury sont seuls à opérer cette sélection, l'étape d'interaction où le public vote pour les candidats n'apparaissant que plus tardivement. Ici, si 75% du public présent en studio vote pour le candidat lors de sa prestation d'une durée de 2 minutes, il est retenu dans un premier temps. Les membres du jury ne feront ensuite leur sélection que parmi les participants sélectionnés.
(logo version hispanique)
UNE RICHE
ÉCRITURE
On se croit donc un peu à ce stade dans The Voice, à la différence près que, à certains moments (et comme dans toute bonne télé-réalité), la compétition n'apparaît qu'être un prétexte pour créer de l'émotion autour du candidat et de son histoire. On pleure beaucoup sur le plateau, avant et après la prestation, et ces éléments prenants participent sans doute grandement à l'addiction que le spectateur peut avoir le programme, une fois qu'il s'est familiarisé avec lui.
Le concept repris par Fremantle Belgique fonctionne bien, et s'avère plus riche, par exemple, que Belgium's got talent (ou son équivalent français). Cette richesse ne se retrouve pas seulement dans les décors très léchés ou l'univers général du programme, mais aussi, sinon surtout, dans sa construction narrative, qui a l'originalité de multiplier les angles si on compare The Dancer aux autres programmes classiques du genre.
Alors que, s'ils en ont, ces productions de télé-réalité comptent en général un présentateur, The Dancer recourt à un couple de deux personnes, qui n'occupent pas vraiment un rôle central, mais sont plutôt chargées de cadrer les émotions (auxquelles elles participent) et, surtout, de borner les phases du récit. Les membres du jury, particulièrement actifs dans l'animation du plateau, apportent un deuxième point de vue sur l'histoire à laquelle ils participent. Leur rôle est central. La "secrétaire" de la production, qui accueille les candidats dans son bureau avant leur prestation, est la porteuse du troisième niveau de récit. Elle remplace un peu les séquences backstage des productions classiques, mais en occupant une place beaucoup plus importante (1). Mais ici,
En pus, il y ici encore d'autres récits, produits par d'autres acteurs. Le quatrième récit est généré par un(e) ami(e) du compétiteur, à la fois via une vidéo présentée avant sa prestation, mais aussi en étant présent(e) dans le studio où se déroule l'émission, et constamment cadrée lors des étapes de la prestation. Enfin, et ce n'est pas la moindre originalité, le programme est parsemé de commentaires "live" (si l'on peut dire) provenant de divers couples de spectateurs faisant partie du public. Le spectateur à domicile s'identifie ainsi à celui qui est dans la salle. La communion est parfaite;
Inutile de dire que cette diversité de récits s'entremêle, contribuant largement à la dynamique du programme.
POMMES ET POIRES
Une analyse des rôles exacts de chaque producteur de récits serait passionnante à réaliser, ainsi qu'une étude sur les concurrents, subtilement castés et invités à se produire dans un ordre qui participe évidemment à l'écriture du scénario du programme. Tant et si bien qu'on en finit par se dire que, dans cette émission comme dans d'autres du mêmer (type Belgium's got talent), on compare des pommes et des poires, entre une troupe qui présente une prestation d'ensemble, un quatuor ou un quintet de danseurs dynamiques et un petit couple de pensionnés exécutant une valse viennoise. Deviner qui le public a retenu et éliminé pourrait être fait avant même le début de chaque prestation.
Mais enfin, est-ce si important? Le plaisir du spectateur est-il là?
DÉPLACEMENTS
DE PRODUITS
L'originalité de The Dancer se trouve enfin… dans son usage des messages publicitaires. Comme tout bon programme qui se respecte, cette production à laquelle la RTBF est associée est évidemment truffée d'interruptions publicitaires, dont l'emplacement est bien inscrit dans la structure du scénario de l'épisode. Cela, on connaît par coeur. Le panneau "ce programme contient du placement de produit", diffusé avant le début de l'émission (et également dit en voix-off, sans doute pour les enfants en âge préscolaire) fait également référence à des choses maintenant connues, la production ayant même la bienveillance d'énumérer les marques dont les produits seront placés dans le programme.
Mais, lorsqu'on regarde The Dancer, ce placement de produit (s'il s'agit de lui) prend une tournure assez spéciale, et très peu vue jusqu'ici (en tout cas à notre connaissance sur le service public): ce n'est pas le produit qui apparaît sur l'écran, mais un bandeau publicitaire qui occupe tout à coup le bas de l'image. Le bandeau contient un message, mais ne montre pas un produit. Est-on encore dans le genre "placement de produit"? Cette nouvelle forme de production publicitaire contribue à l'originalité de ce show car elle nécessite un travail subtil de conception du message, qui doit être à la fois concis, accrocheur, et faire référence à une marque sans nécessairement à nommer. Tout un nouveau terrain de jeu pour les créatifs des boîtes de pub…
Mais pour le spectateur, c'est surtout compris comme une nouvelle invasion de son espace visuel par de la pub. Non content d'en avoir avant, après, ainsi que toutes les douze minutes (ou ±) d'un programme, voici maintenant que la pub s'immisce dans le programme lui-même. Non en montrant un produit, mais en ajoutant un message textuel au contenu de l'image et du son que l'on consomme en même temps. Peut-on à la fois suivre ce qui se passe à l'image et assimiler les paroles tenues si, au même moment, on doit déchiffrer un contenu textuel qui occupe une partie de l'écran? La question est ouverte.
Ce système est en tout cas un superbe moyen de forcer les téléspectateurs à ingurgiter de la pub même quand ils n'en veulent pas, puisqu'elle est insérée dans l'image du programme. Fini les visionnements a posteriori via les services de VOO ou de Pickx où l'on zappe les écrans pub. Ici, on en est prisonnier. On ne peut pas ne pas la voir (2).
Amis publiphobes, ce nouveau type de matraquage n'est pas fait pour vous. A la fin de The Dancer, le trop-plein de commercial risque de vous sortir par les narines. Ou de ne pas du tout vous donner envie de danser. Ce qui est sans doute une des missions du service public.
Frédéric ANTOINE.
Ce texte du 11/01 a été complété le 12/01 à 17h55.
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(1) Dans les émissions classiques, une seule et même personne assure parfois la partie backstage et la présentation générale.
(2) Idem sur Auvio, où n'existent pas les écrans pub insérés au sein du programme lors de la diffusion en linéaire.
(*) Suite à la publication de ce texte sur ce blog, un lecteur précise: "Vous estimez que ces bandeaux n’ont été tres peu vus à votre connaissance sur les antennes de la RTBF. En réalité, ce principe existe depuis 2014 et la saison 3 de The Voice. . A l’époque, en juin 2013, le renouvellement de The Voice était menacé à cause de la suppression du PP. La RTBF a alors utilisé ce moyen. Et, en 2015, quand le PP a été illico ré-autorisé, ces bandeaux sont neanmoins restés. Désormais, PP et bandeaux pub cohabitent."