User-agent: Mediapartners-Google Disallow: User-agent: * Disallow: /search Allow: / Sitemap: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/sitemap.xml

Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

25 mai 2020

Télé ou réalité? L'amour est de retour dans le pré sur RTL-TVI. En oubliant les mesures de distanciation sociale?

Dimanche 24 mai, RTL-TVI diffusait l'émission d'ouverture de sa douzième saison de  la télé-réalité L'amour est dans le pré, version belge, celle où sont présentés chacun et chacune des agriculteurs et agricultrices qui recherchent l'âme sœur. Le programme affirme avoir tenu compte de toutes les mesures de distanciation sociale demandées. Mais est-ce si simple?

Selon La Libre Belgique (1), le tournage devait se dérouler pendant la semaine de Pâques et a finalement eu lieu une semaine avant diffusion, soit celle comprenant le jeudi de l'Ascension. Le quotidien donne la parole à l'animatrice, qui explique : "Dès que le déconfinement a été amorcé et que l’on a eu l’autorisation de tourner, on en a profité. On a tout bouclé à la dernière minute. Les dernières semaines ont donc été intenses." Toujours selon l'article, toutes les mesures de sécurité ont "évidemment été prises" pendant leur réalisation: "On a tourné en équipe réduite et avec des masques. La distanciation sociale était d’application mais les agriculteurs et moi n’avons pas porté de masque à l’écran."

Il n'est pas sûr qu'une simple vision du produit fini, faite dans des conditions de réception 'normales', confirme ces intentions. Et il n'est dès lors pas certain que le message de santé publique véhiculé par l'émission paraisse tout à fait conforme aux recommandations des autorités.

En application des mesures de distanciation prescrites, le programme évite clairement les embrassades et les serrements de main. Lors de ses premières rencontres avec celles et ceux que l'on dénommera ici 'les candidats' de l'émission, la présentatrice est très explicite à cet égard. Elle dit à chaque fois regretter de ne pouvoir être plus amicale, et marque clairement la distance en se positionnant à l'écart de ses interlocuteurs. De même, les tournages dans les exploitations agricoles sont réalisés soit en extérieur, soit dans de grands hangars. Aucune interview de participant n'a lieu en intérieur. Des mesures de distanciation sont aussi parfois évoquées au détour d'une conversation, lorsqu'un des intervenants parle de la situation actuelle, qui oblige par exemple à ne pas voir un aïeul ou à établir plusieurs scénarios pour l'organisation d'un futur mariage.

Distance (ir)réelle

Cela mis à part, à l'image, l'émission d'ouverture de cette saison a tout des airs des précédentes. Comme si, depuis l'an dernier, rien ou presque n'avait changé. Et que le monde était toujours le même.

On en serait parfois à oublier la la fameuse distanciation sociale, fixée dans tous les textes légaux, même les plus récents, et donc, semble-t-il, concomitants ou postérieurs à la période présentée comme celle des tournages (2).
Le spectateur peut ainsi avoir l'impression que les protagonistes perdent de temps à autre un peu de vue que cette mesure impose toujours 1,5 m de distance entre deux personnes.
A de nombreuses occasions, les images suggèrent que cette mesure n'est pas respectée, que ce soit lors de certaines interviews (par exemple sur un petits banc de pierre, ou sur l'herbe d'un pré), ainsi que lors de déplacements et d'activités où pareil éloignement entre deux interlocuteurs est physiquement impossible pour que cela 'fonctionne' médiatiquement parlant.

On pourrait objecter que ce n'est qu'un effet d'image, l'art de l'usage des focales des objectifs permettant de créer l'impression de rapprochement entre les plans et de
supprimer la profondeur de champ d'une image. Ce qui, visuellement y réduit l'impression de distance.
Lorsque les plans sont pris en champ/contrechamp, ou en amorce épaule, notamment, cet effet de focale peut être évoqué. Mais pas lorsque l'image montre de face ou de trois quarts deux personnes, ou davantage.

Alors que, dans les studios de télévision, cette distance-barrière est en général bien respectée, est visible à l'image, et crée même parfois des impressions de vide entre des protagonistes réunis en petit nombre sur un plateau, pareille configuration paraît moins aisémenent de mise dans la nature. Ce qui explique sans doute pourquoi bon nombre de productions audiovisuelles (mais donc pas toutes…) sont toujours actuellement à l'arrêt.

Porter le masque ne pourrait-il pas, en cas d'ultime nécessité, pallier quelque peu cette impossibilité matérielle de distance? En tout cas pas dans l'émission observée où, comme le confiait l'animatrice à La Libre Belgique, personne ne porte de masque "à l'écran". Ce choix repose sur l'hypothèse que cette distinction entre le cadre télévisuel et celui de la vie réelle sera clairement perçue par le spectateur, ce qui est loin d'être certain. Mais même si tel était le cas, en est-il de même pour le virus lui-même? Celui-ci suspend-il ses capacités contaminatrices dès que survient le "clap" de début d'une prise de vue?

Sous le même toit

La plupart des séquences de la télé-réalité mettent en scène des personnes vivant sous le même toit. Elles constituent à ce titre un "groupe", autorisé comme tel dans les textes officiels. Mais qu'en est-il de la rencontre entre tous ces groupes (il y a dix candidats dans l'émission) et l'animatrice (qui ne porte pas de masque), et ses équipes de tournage (dont on ne sait si les membres sont en mesure de respecter avec leurs hôtes et entre eux les mesures de distanciation imposées)? Le générique final du programme, particulièrement laconique pour une production aussi lourde, ne mentionne pas les noms des membres des équipes de tournage. Il est impossible de savoir si ce sont les mêmes techniciens qui ont tourné de lieu ou lieu ou si, à chaque fois, il a été fait appel à des équipes différentes pour réduire les risques de disséminationdu virus. En effet, si les textes officiels permettent, depuis le 10 mai, de recevoir chez soi quatre personnes maximum, le fait que ces mêmes personnes puissent-elles même rencontrer une dizaine de familles différentes accroît sensiblement leur capacité de contamination.

L'article 2 de la version du 20 mai 2020 de l'arrêté ministériel (3) mentionnant notamment que ces personnes reçues dans un foyer doivent être toujours les mêmes, cela veut-il dire ici que les dix familles qui ont accueilli les équipes de tournage ne peuvent depuis lors plus recevoir quelqu'un d'autre chez eux?

Cette question de contact avec des personnes étrangères au foyer peut aussi être soulevéee pour au moins le contenu d'une des séquences in situ de l'émission: celle où de jeunes voisins d'un des agriculteurs viennent lui rendre visite, sont interviewés par l'animatrice, et jouent dans la cour de sa ferme, un des enfants portant une tenue de travail et pilotant un petit tracteur-jouet. Le participant au programme n'ayant lui-même pas d'enfants, les jeunes qui l'ont rejoint ne peuvent être de sa famille. Ceux-ci sont-ils trois des quatre personnes que le candidat peut légalement recevoir chez lui? Ou, avec l'ensemble de l'équipe de tournage, ne dépasse-t-on pas largement le nombre autorisé?

Tous devant l'écran

Et puis, il y a les questions que soulève le fil rouge du programme: la réunion entre l'animatrice et une série de participants à l'émission de l'année passée, afin de visionner ensemble les portraits des différents candidats 2020. L'émission commence par ces retrouvailles, semble-t-il en extérieur d'un gite, autour d'un foodtruck. Puis tout le monde se rendra dans un salon pour regarder les images.

Huit personnes sont invitées par l'animatrice dans cette 'résidence secondaire' dont elle ne semble pas être la propriétaire. Cette réunion fil rouge a-t-elle été enregistrée après le 20 mai à 20h, moment où l'autorisation de se rendre dans 'sa' résidence secondaire a été donnée? Aucun indice à l'image ne permet de le savoir, comme si la chose n'avait en somme aucune importance.

Selon le §2 de l'article 2 de l'Arrêté ministériel du 20 mai, "Un ménage, peu importe sa taille, est autorisé à accueillir chez lui ou au sein de sa résidence secondaire jusqu’à quatre personnes. Ces quatre personnes sont toujours les mêmes. Celles-ci font partie ou non d’un même ménage.Quand une personne d’un ménage est invitée chez une autre personne ou au sein de sa résidence secondaire, c’est l’ensemble de son ménage qui s’engage et même si elle se rend seule au rendez-vous." Dans le cas présent, le tournage a eu lieu dans un endroit qui n'est pas une résidence, et les personnes filmées sont au nombre de 9, auxquelles il faut ajouter l'ensemble de l'équipe de tournage.

A nouveau, au début, les conditions de distanciation sont presque parfaitement remplies. On se salue de loin, chacun des personnages ou des couples reste à une distance plutôt raisonnable de l'autre. Personne, par contre, ne se lave les mains avec du savon ou du gel hydroalcoolique, alors que l'on va se passer de l'un à l'autre boissons et biscuits apéritifs… Une fois au salon, le respect du 1,5 m de distance est plus problématique, même si l'animatrice procède au placement de ses invités. Ainsi, par exemple, dans le grand canapé situé à l'avant-gauche du cadre, trois personnes prennent place: un couple dont les membres sont proches l'un de l'autre, et un personnage célibataire. Le couple est appuyé sur de gros coussins qui occupent la gauche du canapé. Y a-t-il  donc vraiment 1,5 m d'écart entre le premier groupe de deux et l'individu isolé? A l'image, le doute est possible.

Parce qu'il s'agit d'un programme de télévision, peut-on mettre entre parenthèses ou relativiser les règles de sécurité, considérant que 'la vie à la télé' ce n'est pas 'la vraie vie'?  Et ce, alors que le contrat que la télé-réalité propose à son spectateur est de lui montrer la vie d'un monde, celui des agriculteurs et agricultrices en quête d'amour? Les règles imposées par les autorités ne sont pas simples à comprendre par la population. Si une émission grand public, diffusée en prime time, les adapte à sa façon et les applique avec une certaine légèreté, comment ne pas comprendre que personne n'ait envie de suivre dans la 'vraie vie' les obligations et les fortes recommandations officielles?

Masquer le cou ou marquer le coup

Quelques dizaines de minutes après la fin de L'amour est dans le pré, La Première (RTBF) proposait son programme Le printemps grandeur nature, lui aussi tourné pendant la crise du covid. Dès le début de l'émission, son animateur se retrouve en pleine nature, ostensiblement à une grande distance de son invité. Pour ne pas chuter dans un ravin, il doit même se tenir à une corde pendant toute la durée d'une interview. Ensuite, dès que commence leur descente vers la vallée, présentateur et guide revêtent en gros plan un masque, qu'ils porteront pendant le déplacement. La différence du message est flagrante.
Dans la suite du programme toutefois, le respect des consignes paraîtra plus difficile. Lorsqu'il sera question de partir en promenade avec des ânes en compagnie de quelques autres personnes, conserver le 1,5 m de distance entre interlocuteurs paraît, là aussi, moins aisé. D'autant que, lors de cette balade, les beaux masques revêtus en début de programme semblent s'être perdus en cours de route…

Pendant le confinement, dès qu'un programme de télévision français montrait, hors fiction, des personnes en dialogue proche, des petits groupes de gens, ou une foule, les chaînes s'empressaient de faire défiler en bas d'écran un bandeau précisant que l'émission avait été tournée ou enregistrée avant la mise en œuvre des mesures gouvernementales liées à la crise du covid.
Les deux productions dont il est question ici ont été (ou disent avoir été) tournées après le début des procédures de déconfinement. Dans son interview par La Libre, l'animatrice de l'émission affirme que la production a reçu "l'autorisation de tourner". Peut-être êut-il été intéressant de préciser qui l'avait accordée, et sous quelles conditions?
Et, si tel est bien le cas, insérer en début et/ou en cours de programme un panneau indiquant que le programme avait été réalisé suite autorisation officielle, en mentionnant  quelle autorité l'avait accordée, aurait pu faire taire les craintes. Mais cette précision aurait-elle alors réduit à néant les suspicions qu'avaient déjà bon nombre spectateurs à propos des mesures qu'on leur impose. Ou aurait-elle encore davantage remis en cause la légitimité des discours officiels?



(1) https://www.lalibre.be/culture/medias-tele/la-douzieme-saison-de-l-amour-est-dans-le-pre-en-mode-confinement-on-a-du-se-passer-d-agriculteurs-francais-5ec9110e7b50a60f8bdab421
(2) Notamment les arrêtés ministériels des 15 et 20 mai 2020 "modifiant l’arrêté ministériel du23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19"
(3) https://crisiscentrum.be/sites/default/files/content/mb_2004.pdf

Ce que vous avez le plus lu