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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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22 mars 2021

LE SPECTATEUR, PIGEON DE «ON N'EST PAS DES PIGEONS»?

Mercredi 17 mars,  On n'est pas des pigeons (ONPP), diffusé en direct et en prime-time sur La Une pour les dix ans du programme, n'était-il pas… une arnaque?

Ce soir-là, ONPP revendiquait clairement le fait d'être présenté et diffusé en direct. Pour le confirmer, dès le début de l'émission, le logo de La Une, dans le coin supérieur droit de l'image, était accompagné de la mention "Direct". Le présentateur-animateur rappellera d'ailleurs à de nombreuses reprises pendant l'émission qu'on est en direct, et que des événements vont se produire en temps réel sur le plateau. Ce que confirme une horloge électronique, située côté cuisine, et qui donne toujours l'heure exacte.

Un lancement attendu

Clou annoncé de cette émission anniversaire : un lâcher comparatif de valises depuis le haut de la tour Reyers, afin de déterminer si c'est bien la Samsonite qui, comme l'affirme sa pub, résiste le mieux aux chocs. Ce moment-show immanquable est annoncé dès  le début de l'émission, la tour Reyers figurant dans le split-screen montrant les différents lieux du tournage en direct (fig. 1). Quelques secondes plus tard, le lieu de l'expérience et les valises concernées seront filmés en gros plan tandis que le présentateur annoncera ce super-test (fig 2). 

Fig. 2

Fig. 1


Comme il se doit dans toute bonne production audiovisuelle, ce must de la soirée est diffusé à la fin du programme, ce qui devrait inciter le spectateur à ne pas zapper en cours de route. On ne manquera donc pas de lui rappeler de ne pas rater cette séquence. A la 33e minute, l'événement fera l'objet d'une présentation en direct, avec images de la tour Reyers filmée par un drone. A la 36e minute, on se retrouvera au sommet de la tour en compagnie de l'ancien présentateur de l'émission, chaudement habillé (c'est lui qui sera chargé de balancer dans le vide les valises à tester) (fig. 3). Quand on le présentera à l'antenne, il  fera même un petit signe "coucou" à la caméra.

Fig. 3


 

Une relance avec des images de la tour aura encore lieu 1h06 après le début de l'émission. Alors qu'un de ses collègues teste un plat concocté en direct, l'animateur de l'émission s'adressera au téléspectateur en ces mots: "Pendant que vous goûtez, regardez ce qui est en préparation en ce moment au sommet de la tour RTBF (…)  M. Samsonite, dans un instant, nous allons vous jeter du haut de la tour Reyers." A 1h07, l'image montre à nouveau l'ancien présentateur de l'émission saluer les téléspectateurs depuis le sommet de la tour. Aucun dialogue ne s'établit entre lui et le studio, mais le présentateur lui lance: "Salut Seb, à dans deux secondes, à l'extérieur du bâtiment." A 1h09, l'animateur ré-interpelle M. Samsonite, annonçant qu'on va le jeter de la tour. Ensuite, une voix off fait une annonce avant un écran pub: "Dans un instant, nous allons jeter plusieurs valises dans le vide (…). A tout de suite sur La Une". Le moment du lancer de valise a donc  quasiment fait l'objet d'un compte à rebours.

 Pluie et rhabillage

Après l'écran pub, on se retrouve à l'extérieur, au pied et au sommet de la tour. "Bonsoir ou rebonsoir, dit alors l'animateur. La soirée qui vous fait gagner des sous continue. On a complètement changé de décor, puisqu'on surplombe tout Bruxelles. On est sur la tour Reyers pour défier les grandes marques. Malheureusement je vous avoue, ce soir la vue est un poil bouchée". Et, comme il disait ces mots, voilà que la pluie s'abat de plus belle sur le toit de la tour. Il y pleut plus qu'à verse.

"Tiens? Etrange", ont peut-être alors pensé des téléspectateurs bruxellois en regardant par la fenêtre (si, à cette heure tardive, ils n'avaient pas encore baissé leurs volets). Chez nous, pas de pluie. Il doit y avoir un micro-climat près de ce cette tour." Mais bon, pas de quoi fouetter un chat. Peut-être pas sûr. Les observations relevées par l'IRM à Uccle révèlent en effet qu'il y a bien eu de fortes précipitations sur Bruxelles (8 mm sur un jour alors que la moyenne est de 1,8 mm/jour)… mais le mardi 16 mars. Le mercredi 17, il n'est tombé que 0,5 mm de pluie. Ce jour-là, le ciel s'est-il juste déversé sur la tour Reyers, et pile aux environs de 21h30?

fig. 4
A y regarder de plus près, on remarque aussi que certains des animateurs de l'émission sont de véritables champions olympiques dans la discipline "changement de tenue en un temps record". Alors que la durée de l'écran publicitaire fut extrêmement court (les annonceurs n'aiment visiblement pas ce type d'émission), la petit troupe de ONPP a non seulement réussi à se couvrir de gros manteaux et à se déplacer du studio de l'émission à l'extérieur de la tour (et, pour l'un d'entre eux, à grimper à son sommet!) mais, en plus, certain(e)s ont trouvé le temps de se déshabiller et se rhabiller. La chose est particulièrement patente (fig. 4) pour l'animatrice qui était vêtue d'un pantalon rouge particulièrement voyant lors des séquences en studio. Dehors, elle se retrouve en jeans bleu clair, en ayant aussi réussi à troquer en quelques secondes sa paire de chaussures noires à talons hauts contre des godasses plus sportives. Un autre animateur, chargé précédemment d'accomplir des tests en studio, est lui passé de chaussures brun clair à d'autres, où le noir domine largement. Quant à ce célèbre chroniqueur gastronomique, il a bien conservé la même cravate, mais il paraît avoir remplacé sa chemise blanche du studio contre une bleue (mais peut-être n'est-ce là un effet de lumière?).

Panne de logo

Ces quelques indices laissent un peu songeur. Et ne peuvent empêcher qu'on en vienne à se demander si, réellement, cette séquence de "lancer de valises" a bien été réalisée en direct à la suite de l'émission en studio, ou si elle n'aurait pas, par hasard, été pré-enregistrée. Cette mauvaise pensée quitte évidemment tout de suite les esprits honnêtes, car on ne peut envisager qu'une émission se voulant le Zorro de la consommation, dénonciatrice des arnaques en tous genres et chasseuse de vérité, ait elle-même tronqué celle-ci pour ses téléspectateurs. On ne peut pas y dire tout le temps que "on va se rendre tout de suite" à un "lancer de valises" si celui-ci a été pré-enregistré. Dans pareille émission, qui a sa réputation à tenir, on ne peut pas "faire croire" à du frais quand c'est du mis en boîte.

fig. 5
On est donc prêt à chasser ses vilaines idées quand on fait ce qu'aucun téléspectateur lambda ne fait d'ordinaire: comparer les petits logos d'identification que les chaînes collent désormais en haut de l'écran, pour que l'on sache bien à qui on a affaire. Comme dit plus haut, au cours des 70 minutes du début de l'émission, le logo "La une" est souligné par la mention "Direct". Sur Auvio, cela se voit très clairement. Qu'en est-il après ce fameux écran publicitaire-éclair? Il suffit de regarder sur Auvio. Et là, suprise. L'émission "originale" telle qu'on la voit en ligne se clôture lors de l'écran pub à 1h10 du début. Curieux tout de même. En cherchant un peu, on découvre, toujours sur Auvio, un autre fichier ONPP 17 mars, qui fait lui 16 minutes. C'est la fameuse partie avec la tour, mais qui comprend aussi d'autres séquences. Pas courant quand même qu'Auvio ait découpé ainsi cette émission en deux alors qu'elle ne fait qu'un tout. Enfin soit. Cherchons maintenant le fameux logo… Euh… eh bien il n'y a aucun logo pour cette partie de l'émission (fig. 5). Ni celui de La Une, ni la mention "direct". Tout s'est effacé. Ou n'a jamais existé. Comme TF1 retire le logo "direct" des parties de ses émissions de variétés où les artistes ont été pré-enregistrés, on peut se demander si, subtilement, il en a pas ici été de même. Et que les 16 minutes de ce deuxième fichier ne peuvent donc être considérés comme du direct.

Et si c'était pas vrai?

Si tel est le cas, bravo aux juristes. Jamais on ne pourra accuser l'émission de tromperie sur la marchandise, puisqu'elle n'affiche plus à ce moment la fameuse mention "Direct". Très bien. Sauf que, lors de la première partie de 1h10, les images des préparatifs du lancer étaient, elles, toutes accompagnées du logo "Direct". Pas top. Et puis, tout a été fait pendant la "première" partie pour laisser croire que la "deuxième" partie de l'émission se déroulait elle aussi en direct, et était la suite de ce qui avait été réalisé en studio. Dans les cas qu'étudie si souvent cette émission, les "promesses trompeuses" ne sont-elles pas autant dénoncées que les tromperies elles-mêmes? Faire croire à quelqu'un·e qui ne décortique pas l'image pixel par pixel que le récit montré tient bien d'une seule pièce et se situe dans la même temporalité est médiatiquement pertinent. Mais cela correspond-il à ce que l'on peut attendre d'un programme qui dit de lui qu'ONPP est "un cri du cœur et un cri de consommateur-acteur"? 

Bien sûr, tout ce qui précède n'est que suppositions et hypothèses. Il a peut-être très fort plu pendant quinze minutes sur Reyers ce soir-là. Certains membres de l'équipe ont peut-être réussi à se changer en un temps de record du monde. Et le logo "Direct" (ainsi que celui de La Une) n'ont peut-être pas été insérés pour une cause technique, ou parce qu'ils ne sont  pas "passés" lors du transfert sur Auvio, contrairement à aux mentions de la première partie. Et Auvio a peut-être découpé l'émission en deux parce qu'elle était trop longue, ou parce que le personnel en poste a cru qu'il s'agissait de deux émissions différentes, ou parce que ça faisait bien… Qui sait. On aimerait fortement espérer que ces "peut-être" soient des réalités. Car ONPP est souvent une super émission. Et on ne peut que l'aimer comme pépite du service public. Sauf, par exemple, quand, sous prétexte d'expliquer aux gens comment faire des économies, on leur apprend à arnaquer les petits commerçants du coin en négociant partout pour réduire des prix qui, en Belgique, sont fixes…

Frédéric ANTOINE.

21 mars 2021

QUI EST CE MYSTÉRIEUX NARRATEUR OMNISCIENT DE LA SÉRIE SUR SALAH ABDESLAM (RTBF-VRT) ?

 La RTBF entame ce lundi, jour 'anniversaire' des attentats des 2016, la série Salah, réalisée par la VRT à propos de M. Abdelsman. Un récit passionnant, mais qui tient surtout grâce à un étrange super-témoin… dont on ne sait rien.

Dans la version originale de cette série d'enquête-reportage diffusée par la VRT, "il" apparaît simplement sous l'intitulé de "familielid" ('membre de la famille'), ce qui ne veut en définitive pas dire grand chose à son propos, ni au sujet de sa proximité avec M. Salah Abdelsman (1). Ce "familielid"revient à de nombreuses reprises à l'écran dans le premier épisode de la série, un épisode destiné à inscrire le terroriste dans son univers et celui de sa famille, mais aussi à raconter les jours précédant les attentats de Paris. 

Le jeune homme dont question ici est filmé à contre-jour, dans ce qui ressemble à une cafeteria située aux derniers étages d'un bâtiment du centre de Bruxelles. S'exprimant dans un français de grande qualité, recourant à des termes précis et à des mots extrêmement choisis, il n'est sans doute pas Belge, ou issu de l'immigration marocaine en Belgique. A un moment, dans une de ses interventions, il utilise en effet l'expression "soixante-dix" au lieu de "septante".  Comme on le sait, la formule "soixante-dix", reposant sur la vieille règle de calcul par vingt  et  non par dix, est usitée en France et non en Belgique, mais… est enseignée dans les cours de français donnés en Flandre, où il s'agit d'enseigner la langue de Voltaire et non celle de Simenon. Fort de cela, il y a donc très de peu de chances que le personnage en question puisse être un proche direct de M. Abdeslman, même s'il est un membre de sa famille… Or, dans son récit, tout est là pour affirmer le contraire.

OMNISCIENT

Ce "familielid" semble en effet tout connaître de la vie du futur terroriste. Alors que divers témoins extérieurs à la famille sont interviewés par les auteurs de la série, qui recourent aussi à des reconstitutions d'interrogatoires clairement réalisées à partir de documents officiels, le "familielid" intervient fréquemment pour apporter une confirmation, une certification, aux dires des autres personnes. Comme s'il savait, mieux qu'elles-mêmes, ce dont elles parlaient. 

Mieux que cela, il donne l'impression d'avoir été présent à de nombreux  moments de la vie de M. Salah Abdeslam, notamment lors sa jeunesse à Molenbeek, comme s'il les avaient vécus avec lui. Et, surtout, il paraît avoir été avec lui et sa famille très proche pendant les derniers jours précédant les attentats de Paris. Il apporte ainsi un témoignage très fort à propos du "dernier baiser" que le frère du terroriste (qui décédera en kamikaze pendant les attentats) pose en pleine nuit, et alors que celle-ci est endormie, sur le front de sa mère avant de partir pour Paris. Son témoignage laisse à penser qu'il était dans la chambre de cette dame au moment où cela s'est passé. Or, c'est évidemment impossible. 

Il raconte aussi, comme s'il y avait assisté, la dernière rencontre entre M. Abdelsman et sa fiancée, moment où le terroriste lui laisse comprendre ses intentions et lui fait ses adieux. Et ce alors que les deux personnes concernées étaient clairement seules lors de ce rendez-vous. La fiancée de M. Abdeslman s'étant rapidement confiée à la police par la suite, il eût fallu que le "familielid" soit aussi fort proche de cette personne-là pour pouvoir rapporter cet événement intime. Il est en effet à peu près impossible que le "familielid" ait eu un contact direct avec M. Abdeslam entre cette séance d'adieux et le moment des attentats. A moins qu'il ait alors (ou plus tard) accompagné dans sa fuite. Mais il est alors fortement impensable que ce personnage livre à la VRT pareille interview alors qu'il serait, en fait, un complice d'Abdeslam, toujours en liberté et nullement inquiété…

A différents titres, on peut rapprocher le personnage du "familielid" du "narrateur omniscient" dont il est question dans les théories d'analyse du récit: quelqu'un qui "sait tout de la réalité qu’il décrit : il connaît les pensées, les sentiments, les avis de tous les personnages ainsi que les relations qui les lient les uns aux autres, leur passé et leur futur. Le narrateur a la possibilité, dans le cadre de l’action, de se déplacer dans l’espace et le temps" (2). Ce "familielid"est bien ce type de narrateur. A un détail près: normalement, il n'est pas le narrateur du reportage. Il est supposé n'en être qu'un des témoins.

ETRANGE TEMOIN

 "Membre de la famille", ce personnage donne donc l'impression de tout savoir et d'avoir été présent à tous les moments-clés, ce qui n'est pas possible. Ce qui pose la question du poids réel d'un témoignage qui se présente, tant par la forme de son récit que par l'expression qu'en donne l'auteur, comme étant "de première main". Alors qu'il ne peut l'être. 

La critique historique distingue clairement trois types de témoins: le "témoin direct", le "témoin indirect" et le "témoin indépendant". Le "familielid" auquel on a recours dans ce premier volet de la série y est présenté comme un "témoin direct". Or il est, au mieux, un "témoin indirect", et probablement plutôt un "témoin indépendant". Il n'est en effet pas quelqu'un qui a assisté à tous les événements qu'il narre. Ni sans doute quelqu'un qui aurait eu des rapports directs avec les principaux protagonistes de l'affaire, qui lui en auraient raconté certaines scènes (en tout cas, il ne déclare jamais que ce qu'il affirme lui a été rapporté par quelqu'un). Il est donc plutôt une personne qui, ayant collationné diverses informations venant de sources variées, les a "compilées" et en a refait une histoire. Cette enquête-reportage laisse toutefois une toute autre impression…

VRAI NARRATEUR

On pourrait s'étonner qu'une série de ce niveau utilise ce type de subterfuge. Si ce n'est pour l'utiliser afin de nourrir son récit. Car finalement, c'est bien d'abord à construire la narration que sert ce personnage inconnu. Alors que le film n'a pas de réel narrateur permanent, dans ce premier épisode, c'est le "familielid" qui remplit en fait ce rôle. C'est lui qui assure l'existence d'un fil rouge. Il est l'élément fournissant au récit sa cohésion et sa dynamique. 

On n'ose imaginer que, pour remplir ce rôle avec autant de brio, ce "familielid" ait été quelque peu "briefé" ou "aidé" par la production afin d'avoir la capacité de fournir pareil témoignage. Ni que les grands axes de ses interventions lui aient été  quelque peu "soufflées à l'oreille". De même, on ne peut évidemment penser une seule seconde que l'expression "soixante-dix" lui a été suggérée par des membres de l'équipe de production ayant acquis leur connaissance du français dans le cadre scolaire flamand. Tout cela n'est pas pensable. Nous sommes ici devant un journalisme de haute qualité, qui ne peut bien sûr être suspecté de la sorte. 

Reste donc, néanmoins, à se demander qui est bien ce curieux personnage, et d'où il tient cette connaissance si précise d'événements qui se sont déroulés dans le secret de l'intime…

Frédéric ANTOINE.

(1) Contrairement à la familiarité utilisée par la série tv, nous préférerons ici le désigner par son nom de famille. L'usage du prénom seul dans l'intitulé de cette série nous semble pouvoir poser question, car il induit de la part du spectateur vis-à-vis du terroriste une sorte de proximité, d'intimité, de familiarité, qui peut inférer sur les sentiments que le personnage peut inspirer. Et qui ne paraît peut-être pas de mise lorsque l'on traite pareille affaire.
(2) https://francais.lingolia.com/fr/atelier-decriture/point-de-vue-narratif

21 février 2021

« PERSEVERANCE » SUR MARS : UN SUPER CONTRE-FEU ANTI-COVID QUI TOMBE À PIC POUR LES JOURNALISTES


"Vite, un sujet d'info différent, pour qu'on ne nous reproche plus de créer un climat de pscyhose, de sinistrose et de morosité dépressive. Tiens, la Nasa envoie une sonde sur Mars. La belle affaire. Voilà qui apportera un peu répit au comptage des contaminés, des morts et des vaccinés !"

 De mémoire d'amateur de conquête spatiale, a-t-on jamais vu l'amarssissage d'une sonde spatiale suivie avec autant de passion que celui du brave rover Perseverance? La liste "officielle" (1) des engins que notre bonne vieille Terre a envoyés sur la planète qu'on disait "rouge" quand on ne la connaissait pas plus que ça compte une vingtaine de noms. Parmi ceux-ci, une dizaine sont accompagnés de la mention "atterrissage [si on peut dire-ndlr] réussi". Donc, ne pas se crasher quand on cherche à amarsir, ce n'est pas une première. D'autant que, depuis 2004, tous les engins terrestres qui ont été chargés d'amarsir ont réussi l'opération. Et encore, juste avant cette date, une sonde européenne s'était bien posée, mais n'avait pas su déployer ses panneaux, et une autre, américaine, qui s'était bien posée elle aussi, mais n'avait pas su se mouvoir comme cela était prévu. Bref, amarssir, c'est un peu de la routine.

Alors, pourquoi en avoir "fait des caisses" bien avant l'arrivée de notre persévérante petite sonde actuelle dans l'orbite de Mars? Et ensuite, pour quelle(s) raison(s) a-t-on couvert son amarssissage comme un événement planétaire (si l'on peut dire)? Cela aurait fait des années qu'un engin terrestre n'aurait plus été envoyé là-bas, qu'ils se seraient ces derniers temps tous écrasés dans des cratères, ou que Perseverance, comme semblerait l'indiquer son nom, aurait marqué le retour de l'intérêt des hommes pour cette planète… on aurait pu comprendre. Mais on destine régulièrement des sondes à se rendre sur Mars. Toujours selon la "liste officielle", il y a bien eu un petit passage à vide entre 2012 et 2018, mais depuis, notre Persévérant a déjà été précédé par un autre engin.

Too much?

Donc ce n'est pas vraiment la rareté ou l'originalité qui est à la base d'une nouvelle si captivante qu'elle a tenu toutes les rédactions en haleine jeudi dernier au soir, les chaînes info relayant même en direct le signal de la salle de contrôle du vol à Pasadena, comme si on revenait au temps béni de la télé de papa et des missions Apollo (sauf que là, c'était d'abord à Cap Canaveral et ensuite à Houston, s'il y avait un problème). Pour peu, on s'attendait à ce que les médias relaient aussi en chœur les paroles historiques qu'aurait pu prononcer Perseverance: "That was one small step for me, one giant leap for mankind"…

Alors oui, c'est la première mission "importante" sur Mars. Oui, la Nasa a mis le paquet et a bien communiqué. Oui, la conquête de Mars est devenue une réalité, et rêver d'y aller n'est plus un rêve. Mais tout de même, n'est-ce pas un peu too much? Il semble que non, parce que ça tombe bien, les aventures de la petite Persévérance en terre marsienne.

 S'évader par l'info

Depuis des semaines, les médias - et surtout les chaînes de télé - essaient tant bien que mal de de se dépêtrer de la mélasse covidienne qui leur colle aux basques. On a vu que, depuis décembre, les JT de certaines chaînes se forcent de regarder ailleurs que dans les hôpitaux, les homes et les salles de conférence de presse où l'on égrène chaque jour les mêmes comptages. Elles ont (enfin) compris que du covid à forte dose, cela augmente encore plus la contagion de l'anxiété qui est (aussi) en train de tuer, à petite dose, comme en homéopathie, l'enthousiasme et l'esprit positif de nos concitoyens. 

A force de couvrir professionnellement, comme il le faut, et sans rien laisser de côté, une actu désespérante, face à laquelle on ne peut agir qu'en portant un masque, en se lavant les mais, et en restant chez soi en voyant le moins de gens possible, les JT ont, inconsciemment et involontairement, encore un peu plus enfoncé des citoyens qui voient les infos sur la covid leur sortir par les oreilles.

Mot d'ordre donc : revirement à 180°. On a dès lors cherché d'autres infos, et positives si possible s'il vous plaît. On  a aussi choisi de remettre de l'international dans le conducteur des JT, et pas seulement lors de la prise du Congrès de Washington par les hooligans de Donald Trump. Là aussi, on a fait fort. Sur la RTBF et France (mais ces chaînes-là ne sont pas les seules à agir de la sorte) on a souvent choisi de porter le regard au loin, et de faire dans l'info-documentaire d'évasion, avec de belles séquences sur des sujets intemporels se déroulant au bout du monde. De quoi faire respirer, redécouvrir que, oui, la beauté existe encore, et qu'il y a toujours de "vrais" gens en dehors de ceux que l'on croise masqués quand on ose sortir de chez soi. Du dépaysement plutôt que de l'actu quotidienne? Parfois, sans doute. Mais après avoir été anxiogène (et on n'a pas attendu un docu-fiction discutable pour s'en rendre compte), n'est-il pas bon que l'info soit enfin aussi rassurance?

Pain béni

Alors, pour cela, l'amarssissage de Perseverance, c'est du pain béni. D'abord un peu de suspens, comme dans toute bonne info: crashera, ou crashera pas? Ensuite, le direct qui fait monter (un peu) l'adrénaline. Puis la délivrance: de superbes images, d'une définition sans pareille, dans lesquelles on cherche déjà à voir si on n'aperçoit pas une petite trace de quelque chose qui, un jour, aurait vécu là-bas. Ou, mieux encore, une amibe toujours en vie, déambulant seule ou en colonie. Je vous le dis: de l'info Aventure, avec un grand A. Pas d'humains, certes, toutefois à l'heure actuelle n'est-ce pas plus sûr. Mais un regard vers le futur, vers un nouveau monde, où tout serait possible et imaginable.

En temps de déprime covid, quoi de mieux? A croire que la Nasa avait programmé le lancement de sa sonde pour qu'elle arrive juste au bon moment pour remonter le moral des JT et des médias en général (2). Finalement, tout l'art des journalistes, c'est de trouver comment trouver et exploiter un bon sujet contre-feu quand la maison brûle, c'est-à-dire quand une actu vous cannibalise et qu'n ne sait plus s'en défaire. En l'occurrence, Perseverance est vraiment tombée à pic. Et, en plus, sans s'écraser. Quelle(s) aubaine(s).

Frédéric ANTOINE.

(1) C'est wikipedia qui le dit, donc restons tout même un peu prudents, mais bon .
(2) Même Google s'y est mis en inondant de feux d'artifice les pages consacrées à l'événement. Waw!

06 février 2021

TFI : COMMENT, SOUS UN PRÉTEXTE MENSONGER, METTRE DES « STARS À NU »


Des "stars" qui se montrent nues afin d\"inciter les téléspectateurs… à accepter d\"en faire autant chez le médecin lors d\"un dépistage du cancer de côlon: tel est le louable pitch de Stars à nu, diffusé ce vendredi 5/2 sur TF. Mais quel motif hypocrite pour diffuser en primetime un programme un peu voyeur! En effet, pour dépister le cancer du colon, on ne se dénude pas devant un médecin. En tout cas, pas à l\"état conscient.

Il n\"y a qu\"un moment où, dans Stars à nu, on dit la vérité: quand un médecin vient y expliquer aux "stars" participant au programme ce qu\"est le cancer du côlon et comment on le débusque. Il précise ainsi la première étape: un test à mener chez soi sur un échantillon de selles afin d\"y repérer l\"éventuelle présence de sang. Un test immunologique proposé à tous les Français de plus de 50 ans (en Belgique, ce test n\"est pas généralisé). Et il ajoute bien que, Si ce test s\"avère positif, le médecin traitant invitera son patient à faire une endoscopie. 

Soyons clair. L\"endoscopie se pratique en hôpital de jour. Préalablement a lieu un premier rendez-vous avec un gastro-entérologue, où on ne se déshabille pas du tout, mais où le médecin définit l\"utilité de l\"examen et ses modalités pratiques. Il y a ensuite un contact avec un anesthésiste, comme cela se passe avant toute intervention hospitalière. Là non plus, on n\"enlève pas le moindre vêtement. Enfin, le jour J, on est admis en hôpital de jour, on a accès à une chambre où une infirmière donne au patient une chasuble qu\"il portera pendant l\"examen, et l\"invite à la revêtir un fois qu\"il se sera déshabillé, bien sûr en son absence. Ensuite, l\"anesthésie commence, le patient s\"endort… et quand il se réveille, il est de nouveau dans sa chambre, l\"endoscopie est terminée. Il a devant lui une petite collation pour le remettre d\"aplomb (car avant l\"endoscopie, il a dû prendre pendant plusieurs jours d\"horribles boissons pour se vider les intestins, et n\"a rien pu manger depuis la vielle). Il se rhabille, seul. L\"infirmière vient voir si tout va bien, le chirurgien passe donner des nouvelles. Et le patient s\"en va avec la personne chargée de le ramener chez lui.

Nu? Jamais devant le médecin

Voilà, c\"est tout. Quand est-ce que, pour prévenir du cancer du côlon, on doit se mettre nu devant un médecin? Ja-mais. Jamais ! Le seul moment où l\"on se déshabille, c\"est, comme pour toute intervention en hôpital avec anesthésie générale, avant de "passer sur billard", si l\"on peut dire. A aucun moment, on ne doit retirer ses vêtements devant un médecin. La justification de ce show du vendredi soir est donc un prétexte, qui plus est fallacieux, pour faire croire que quelques "stars" ont des complexes à se montrer nues devant des caméras. Ah, la pudeur, que ne ferait-on pas en son nom!

A la fin de l\"émission, dans un cabaret parisien non cité, et devant un public dont on se demande bien comment il a été invité à cela, les "stars" prestent enfin leur petit numéro de danse puis enlèvent le haut, puis le bas. Au public, ils osent enfin montrer "tout" montrer, y compris leur virilité. Hélas, les téléspectateurs et les téléspectatrices n\"auront droit qu\"à leurs fesse s: la caméra ne montrera  les héros que de dos. L\"honneur est donc sauf, et chacune des stars se félicitera d\"avoir ainsi convaincu le public de désormais accomplir un petit striptease chez le médecin quand il viendra y pratiquer un test contre le cancer du côlon. Tous ces super-héros du nu, ainsi que la présentatrice dévouée de l\"émission, le diront en substance à l\"antenne: "Cela a été dur! Mais si ce que je fait ne peut sauver qu\"une vie, je suis content!" Sauf que, si les Français se montrent ainsi nus à leur médecin, ce n\"est jamais de la sorte qu\"on pourra savoir s\"ils ont ce cancer. Seul le chirurgien du côlon, souvent affairé derrière ses écrans, aura peut-être l\"occasion d\"apercevoir un peu des fesses du patient, cachées sous la toile du champ opératoire…

Des fesses de stars pour tout le monde

Mais ça aura fait une bonne soirée de télé, un peu trash rien que par le titre, mais devenue un service public indispensable grâce à son faux motif. En prétendant motiver les troupes se tous ces mâles qui n\"osent jamais se mettre à nu (comment font-ils dans les douches, après un match ou un entraînement sportif?). Et, surtout, en apportant un peu d\"image de virilité(s) au public féminin pour qui, in fine et sans le dire, est bien sûr prioritairement destiné ce show, comme tous les primetime de TF1.

Soyons de bon compte: l\"an dernier, le même programme évoquait la nudité et le dépistage du cancer de la prostate. Là, effectivement, cela peut jouer un rôle. Mais faut-il convoquer tous les cancers sous prétexte de pouvoir montrer des "stars" à poils à la télé? Ah, justement, la semaine prochaine c\"est au tour des dames de passer dans le programme. Des "star(e)s" vont aussi se mettre à nu, cette fois pour convaincre les femmes de se dénuder chez leur médecin pour se prévenir du cancer du col de l\"utérus. Car, bien sûr, aucune femme ne se dénude, même partiellement, actuellement chez son gynécologue. Celui-ci ne fait que les auscultes à distance. C\"est bien, connu. Merci donc à l\"émission, qui convaincra enfin les femmes de montrer leur sexe à leur médecin, au terme d\"un striptease suggestif!

Allez, TF1, ne cache pas tes programmes pseudo-lestes par de beaux motifs. Les appeler par leur nom serait plus simple, et plus honnête. Ce qui sauverait des vies face au cancer du côlon, c\"est de convaincre les gens de faire, chez eux, un test de selles. Là se trouvent les vraies réticences du plus grand nombre. Mais ça, évidemment, c\"est beaucoup moins sexy…

Frédéric ANTOINE

21 décembre 2020

La Une: des portraits des "reines des Belges", ou un documentaire Canada Dry?


La Une vient de consacrer deux soirées aux reines des Belges. Sous prétexte de narrer leur histoire de manière légèrement badine et convenue, ne s'agissait-il pas surtout de mettre les souveraines en opposition avec l'évolution de la femme belge et les mouvements féministes ?

Tout documentaire est une œuvre de création dont l'auteur peut revendiquer de ne pas vouloir porter un regard neutre sur son sujet mais, au contraire, de choisir de l'appréhender selon sa propre perception, quitte au besoin à quelque peu plier le réel pour qu'il s'adapte à la cause que l'on défend.  

Les reines des Belges, ou comme on l'aura lu à de nombreuses reprises sur Audio "les reines des belges" avec un petit b minuscule, n'échappe pas à la règle. Sauf que ce double documentaire s'inscrit sur La Une dans une case "histoire" où l'on s'attend plutôt à passer un bon moment "le temps d'une histoire", comme l'annonce le titre de l'émission, et non assister à un plaidoyer engagé porteur d'un regard politique particulier sur la réalité montrée.

Quand on traite des reines ou des princesses (le documentaire se plaît à mêler les deux situations dès ses premières images et se clôture de la même façon), la promesse de ce type de récit est plutôt convenue. Surtout si, parmi les "grands" analystes convoqués pour donner sens au commentaire, la production choisit de donner la parole à Stéphane Bern, au prince Michel de Grèce, ou à Marc Deriez, rédacteur en chef de Paris-Match (Belgique) (1). Surtout aussi si la narration, tout en apparente bienveillance, regorge de formules toutes-faites qui caractérisent ce type de genre télévisuel. 

Alors voilà, si elle n'est pas neuve, la démarche proposée ici est toutefois plutôt originale.

Un procès

Les reines des Belges est un documentaire Canada Dry. C'est-à-dire, comme l'affirmait dans les années 1970 la célèbre pub pour cette limonade, qu'il a le goût et la couleur d'un film historique sur les actrices de la monarchie belge, mais que, en fin de compte, ce n'est pas un produit de ce type. Ainsi que l'affirmait une autre pub de la même époque, celle-là produite par William Saurin, ici "l'important, c'est ce qu'il a y a dans la boîte". Et pas l'emballage. Alors que ce dernier laisse croire que le but de cette production est benoîtement de retracer des parcours de ces femmes ou de raconter des vies, ce double film entend, en fait, porter sur les personnages retenus un regard particulier, les soumettre à analyse. Et, en définitive, les mettre en quelque sorte en accusation. Ce documentaire, c'est un peu le procès des reines des Belges.

Que l'angle du regard, mais surtout l'intention finale des auteurs, aient déjà été affirmés et revendiqués dès l'intitulé de l'œuvre, ou qu'ils y aient transparu à partir des premières images, le spectateur et la spectatrice auraient su à quoi s'en tenir. Des titres du type : Les reines des Belges et le féminisme : des histoires parallèles, Les reines des Belges, des anti-féministes, Les combats des femmes belges : pas une affaire de reines ou Luttes des femmes: les reines des Belges aux abonnés absents, par exemple, auraient eu le mérite de la clarté (2). Le lénifiant Les Reines des Belges en est loin. Or, c'est réellement à cela que s'emploie ce documentaire : démontrer le décalage entre les existences des souveraines et l'évolution de la condition féminine en Belgique. Un choix éditorial est particulièrement présent dans le deuxième volet du documentaire, où l'histoire du féminisme belge est souvent évoquée en filigrane (ou contre-point) de celle des reines (3).   

Des témoins engagés

Le choix de certaines des personnalités convoquées par les auteurs pour témoigner ou analyser est indicatif à ce propos, notamment dans le chef d'une ex-présidente du Conseil national des femmes, qui n'intervient pas en tant que spécialiste des monarchies ou de l'histoire des princesses concernées, mais en raison de la lecture engagée qu'elle développe sur l'état de la société belge et sur la place qui y fut (ou non) accordée aux femmes. Dans une moindre mesure, la même remarque pourrait porter sur les choix de professeures de l'ULB réalisés par les auteurs, celles-ci étant clairement présentées comme des historiennes, mais étant elles aussi porteuses d'une parole féminine engagée. 

Les préceptes bien connus de la critique historique reposeraient-ils sur le fait de se contenter de recueillir la parole de quelques acteurs impliqués afin de construire une vérité historique? Ou ce type de construction de l'histoire n'est-elle ici pas de mise. Il n'est ainsi par exemple par certain que tous les spécialistes de l'histoire de Belgique contemporaine présenteraient de la même façon que les spécialistes qui s' expriment dans le film la manière dont fut résolu le refus de signature par le roi Baudouin de la loi de dépénalisation de l'avortement. Ni valideraient les commentaires qui suivent dans le film le récit de cet événement et du décès du monarque. Des thèmes qui, comme d'autres également présents dans le documentaire, ne sont pas directement lié à la vie des reines de Belgique, mais concernent un monarque en particulier, ou le rapport entre la monarchie belge et la condition féminine de manière plus générale…

Alors, sont-ce bien des reines des Belges dont parlait ce double documentaire? Ou ce sujet, théoriquement glamour et séducteur, prêt à réchauffer les cœurs et à faire couler quelques larmes à la veille de Noël, n'était-il pas seulement le bel emballage d'un autre projet, porteur d'un autre discours? L'œuvre des studios LDV, coproduite par la RTBF, est toujours visionnable sur Auvio, à défaut d'y être téléchargeable. L'occasion de se faire sa propre opinion…

Frédéric ANTOINE

 

 

(1) Marc Deriez qui, à chacune de ses apparitions dans le documentaire, assurera un beau placement de produit à son magazine dans un décor particulièrement choisi à ce propos.

(2) Le lecteur excusera j'espère des formules un peu rapides. Un aréopage de créatifs n'a pas planché pendant plusieurs jours pour les formuler au plus juste…

(3) Tout comme, à plusieurs moments, le documentaire ne s'attache par ailleurs pas à l'histoire des reines (ce qui est son objet déclaré), mais à celle des rois eux-mêmes.

17 décembre 2020

Le covid de Macron : les Belges aussi étaient sur la balle


10h33, ce jeudi 17 décembre. Relayant un communiqué de l'Elysée, l'AFP annonce qu'Emmanuel Macron a été testé positif au coronavirus. En quelques secondes, les alertes infos s'embrasent…

Il n'aura pas fallu dix minutes pour que la nouvelle se répande à toute vitesse via les alertes infos des applis pour smartphones. Impossible évidemment de faire le tour du monde des applis pour attribuer des prix planétaires à tous les gagnants de cette course de vitesse mais, sur base d'un suivi de médias belges et français ainsi que via l'appli Breaking news qui relaie les alertes des grands médias du monde, on saluera la rapidité de Sud-Info et de 7sur7.be, qui me mettront pas deux minutes à annoncer la nouvelle (et, pour le site de Sud-Presse, pour une fois, sans y accoler un "!"). Soit, sur base de notre petit échantillon (et en faisant confiance à l'horodatage de notre smartphone), pas mieux que Bloomberg, mais aussi bien que BFM Tv, qui se paiera le luxe de lancer deux alertes au cours de la même minute, en passant dans sont tite de "testé" à "diagnostiqué".

On saluera aussi la rapidité de La Libre et de la RTBF, qui coiffent d'une poignée de secondes Le Figaro lui-même, et des spécialistes de l'info continue comme France 24 ou France Info. Sur la contamination du président Macron, y a pas à dire, les Belges aussi sont sur la balle!

Hormis les deux journaux journaux de qualité déjà cités, force est de constater que les autres titres de qualité sont en général, et comme d'habitude, un peu moins rapides à réagir. Le Soir n'enclenchera son alerte que sept minutes après l'info, tandis que Le Monde attendra… onze minutes et Libération… près d'une vingtaine (en ayant l'humour d'inscrire "à chaud" en avant titre d'une info qui, à l'heure de la diffusion de l'alerte, ne l'était plus vraiment) (1). Libé prend ainsi presque autant son temps que le New York Times. On relèvera par contre la relative rapidité de communication du Quotidien du Peuple (People's Daily) de Beijing, et du Times of India, un des plus importants quotidiens dans le monde. Du côté des grandes agences, hormis l'AFP, évidemment hors catégorie, Reuters mettra six minutes à réagir, bien avant l'Associated Press (AP).

Diagnostiquer n'est pas jouer

Côté info, la nouvelle contenue dans l'alerte est en général plus que laconique. Tout en tenant compte du fait que notre échantillon est évidemment partiel, on peut y remarquer que certains médias, essentiellement anglo-saxons, veillent à donner la source de l'info ("la Présidence") alors que les alertes françaises et belges ne se soucient en général pas de ce "détail", à part France-Info. Les variations thématiques sur le contenu portent le plus souvent sur la question de savoir si le président a été "testé" positif ou "diagnostiqué" positif. Selon Le Larousse, le premier verbe signifie "soumettre quelqu'un, un produit, un appareil, etc., à un test". Tandis que le second veut dire "faire le diagnostic d'une maladie, l'identifier d'après les symptômes". En l'occurrence, c'est un test qui a déterminé la contamination du président, même si celle-ci était déjà envisageable sur base des symptômes que manifestaient le malade…

Les sources qui s'étendent dès l'alerte-info sur la mesure d'auto-confinement prise par le président (ou qui lui a été recommandée ou imposée?) sont peu nombreuses, et seul Le Monde apporte une précision temporelle, indiquant que le diagnostic a eu lieu ce jeudi matin. Quant aux raisons qui ont incité à faire le test, rares sont les médias qui les mentionnent dès l'alerte-info. Seules quelques alertes anglo-saxonnes précisent que le président montrait des symptômes de la maladie.

Le, La, ou rien du tout

Enfin, ce petit exercice comparatif confirme que l'unanimité n'est toujours pas de mise sur la manière de nommer la maladie. "Covid-19" est la façon la plus fréquente, écrit parfois tout en majuscules (2), généralement avec seulement un C majuscule, mais jamais tout en minuscules, alors que "covid" est en fait devenu un nom commun… C'est le genre du substantif dans notre belle langue française qui reste un champ de luttes non abouties. Le masculin, pas du tout recommandé par l'Académie (3), l'emporte sur "la Covid". Comme quoi les habitudes journalistiques n'ont cure des recommandations des spécialistes de la langue. En anglais, ces discussions sur le sexe des mots n'ont évidemment pas lieu d'être. Ceux qui veulent y échapper en français ont d'ailleurs, en tout cas dans cette alerte-info, souvent trouvé "la" parade. Ils ne parlent pas de covid mais du coronavirus. Sans mesurer, sans doute, que les deux termes ne sont pas synonymes, et que l'un indique la catégorie générale dans lequel l'autre s'inscrit (4)…

Une vingtaine de minutes après l'annonce de la nouvelle, dans le petit monde des alertes sur smartphones, il était déjà temps de passer à autre chose. A 10h52, BFM TV ne se préoccupait plus de la santé du président, mais de celle de son Premier ministre, "cas contact". Ainsi tourne la roue de l'info. A une alerte doit forcément succéder une autre, puis encore un autre… indéfiniment…

(1) Sur internet, l'article de Libération date son info de 10h45, soit 12 minutes après l'annonce, mais moins que la vingtaine de minutes précédant la mise en ligne de l'alerte…

(2) Cette nuance n'a pas été reprise dans le tableau ci-dessus. 

(3) "On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie (…) Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien" (http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19)

(4) Selon Le Robert, le coronavirus est un "genre de virus à ARN responsable d'infections respiratoires et digestives chez plusieurs espèces de mammifères dont l'être humain"

24 octobre 2020

Le départ de Bertrand-Kamal de Koh-Lanta : certains savaient-ils avant la diffusion?

Vendredi 23 octobre, 22h12 : Bertrand-Kamal quitte définitivement Koh-Lanta, sans pour autant avoir été éliminé lors d'un Conseil. Moins d'une minute plus tard, des médias en ligne publient déjà sur le sujet. Et pas seulement pour donner l'info brute. Sur internet, les nouvelles vont vraiment plus vite que l'éclair.

Lors du dernier épisode diffusé de Koh-Lanta Les 4 Terres, l'épreuve du 'jeu de confort' a fait dans le jamais vu. Le moins bon des concurrents qui y participaient y était cette fois directement éliminé de l' «aventure ». Le jeu n'était pas compliqué : à l'aide d'un grappin rattaché à une corde, il suffisait de ramener à soi trois blocs de bois. A ce sport, et la surprise générale, le Dijonnais Bertrand-Kamal, d'ordinaire parmi les plus forts (il a plusieurs fois mené sa tribu à la victoire) se révèle incroyablement à la traîne. Et finit par arriver bon dernier, bien derrière des concurrents moins forts et moins habiles. Il est 22h12. La foudre s'abat sur les téléspectateurs, ahuris. Comment la production a-t-elle pu jouer l'éventuel départ du héros de cette édition sur une épreuve aussi hasardeuse, et dont un des enjeux n'a jamais été une élimination individuelle ? Manifestement, jusque-là, le récit tel qu'écrit lors de la post-production visait à clairement valoriser ce candidat, à le mettre en avant, et à le placer du côté des historiques figures emblématiques du jeu. Et patatras, tout s'effondrait d'un coup. Impensable. Et pourtant…

TF1, dès la fin de l'épisode du jour, a diffusé une apostile comprenant une interview du père du candidat, qui est décédé le 9 septembre dernier. M. Loudrhiri y laissait bien comprendre que Bertrand-Kamal n'était pas ensuite revenu dans la course via une petite porte étroite, reprenant subitement la place d'un de ses compagnons forcé de renoncer pour raison médicale. Il n'y a donc pas eu derrière ce départ imprévu un coup scénaristique visant à créer un climax ponctuel qui aurait relancé l'intérêt de l'audience. Ou, du moins, celui-ci n'a-t-il pas pu se clôturer par un happy ending. L'édition de cet automne en perd clairement de son panache.

Prémonition

Ce qui est étonnant est l'instantanéité (voire la devancement) entre l'événement télévisuel que constitue ce départ en fin de 'jeu de confort' et l'arrivée de l'info sur internet. On sait les 'journalistes' web rapide. Mais ce point…

Grâce aux heures automatiques de postage enregistrées par les logiciels d'édition et/ou par Google, il est ainsi apparu que, ce vendredi, le site madamebuzz.fr avait annoncé l'élimination de Bertrand-Kamal… dès 21h27, soit plus de quarante minutes avant l'événement. Si l'on fait confiance à cet horodatage, ce média en ligne qui se targue de proposer « toute l'actualité des stars, des médias et des séries » aurait ainsi réussi à précéder l'événement. Mais pas seulement. Dans son article, il est aussi déjà capable de diffuser le message de réaction des parents du candidat face à ce départ ! On le concédera, il s'agit-là d'un véritable tour de force journalistique, pour ne pas dire un 'coup de Poudlard'. Nous aurions aimé savoir qui se cachait derrière ce site, s'il avait des liens avec des médias ou des sociétés associées à la production du programme, ou à TF1. Las. Les mentions légales du site sont plus que laconiques et aucun nom ou adresse ne permet de remonter la piste. Et, lorsqu'on a recours aux outils numériques qui permettent ce traçage, on en a vite pour ses frais. Tout au plus apprend-on que la version actuelle du site a été créée il y a un peu plus de quatre ans par la société OVH, domiciliée à Roubaix, et qu'elle est hébergée sur un serveur californien. Pour le reste : rien, par respect pour la 'privacy'. Pas de quoi faire fondamentalement avancer l'enquête…

Préméditation

On appréciera de la même manière la dextérité du site programme-tv.net qui réussit à mettre en ligne, au moment même de la défaite du candidat, un article qui annonce déjà que les autres aventuriers sont sous le choc et inconsolables. La parfaite concordance temporelle entre le temps de l'événement télévisuel et celui de sa mise en ligne (22h12) est remarquable de précision. Ce site là est moins difficile à identifier. Il est implanté en Hesse (RFA), à la même adresse IP que les versions en ligne de Voici, Gala, Femme Actuelle ou Capital. C'est-à-dire chez Prisma Presse, la branche française de Gruner+Jahr, le secteur 'magazines' de Bertelsmann. Avoir non seulement perçu le désarroi des autres concurrents au moment de la fin du jeu, mais réussir à la fois à écrire au même moment un texte à ce propos et le mettre en ligne à la même seconde est purement prodigieux !

On pourrait presque en dire autant de l'exploit réalisé par non-stop-peole.com (site associé au groupe Non Stop éditions, propriété du groupe audiovisuel Banijay) à qui il faut moins de six minutes pour récolter les premiers commentaires déçus postés sur Tweeter (cf. bas du tableau ci-dessus), écrire un texte à partir d'eux et passer le tout sur le web. Même à supposer que le texte se soit réellement basé sur des tweets publiés, peut-il pour autant titrer des quelques messages récoltés : « Twitter sous le choc et en larmes » ?

Face à tout cela, on féliciterait presque le webmaster de la version en ligne du journal gratuit 20 Minutes, à qui il a quand même fallu quatre minutes pour écrire un texte de commentaire, estimant que, désormais, Bertrand-Kamal s'inscrivait dans la lignée des héros de l'émission. Le voilà le vrai journalisme. Celui qui sait prendre son temps, marquer la distance, et apprécier l'événement en profondeur. (1)

Ah, il n'est pas mort le rêve lucky-luckeien des médias d'arriver à « tirer plus vite que son ombre ». Jusqu'à ce que, à force de vouloir précéder l'info 'réelle', on n'ait plus besoin qu'elle arrive pour diffuser une nouvelle sur le web. 

Comment ? Ah oui, oups, désolé. J'oubliais que cela s'appelait déjà une fakenews (2)…

Frédéric ANTOINE. 

(1) Même si le titre de cette info est, en partie inexact, car contrairement à ce qui est écrit le candidat a bien élé éliminé. Mais ne l'a pas été lors d'un Conseil…

(2) Tout ceci ne remet évidemment pas en cause le travail journalistique de médias qui ont réellement pris le temps de traiter la nouvelle, et qui ont publié leurs articles plusieurs heures après les faits, souvent le samedi 24 en matinée…


23 septembre 2020

Le télévie a-t-il vraiment été victime du Coronavirus?



 
Samedi dernier 19 septembre, l'opération Télévie de RTL Belgium s'est soldée par un résultat inférieur de 2.768.812€ par rapport à l'édition 2019 (-21%). L'opérateur avait de longue date annoncé que, covid olige, 2020 ne serait pas une année de records. Mais est-ce bien le virus seul qui est à la base de ce score en demi-teinte?

C'est la base de la mécanique de mobilisation du système Télévie : chaque année, l’Opération doit obligatoirement rapporter davantage que l'année antérieure. Il en est ainsi de tous les téléthons diffusés de par le monde depuis l'invention du genre charity television par Jerry Lewis en 1954, et reposant sur la subtile notion de la 'promesse de dons'. Sur RTL-TVI, il en est également ainsi : au cours de la soirée télévisée de clôture, la dynamique narrative de l'émission repose sur un unique suspens : dépassera-t-on cette fois (encore) le montant obtenu l'année dernière ? Si la réponse est toujours « oui », les chemins pour y arriver doivent nécessairement être tortueux, avec des risques d'échec dramatiquement mis en exergue par les animateurs afin d'inciter les spectateurs à donner encore et encore en appelant les standardistes bénévoles du 'centre de promesses'.

En fin de programme, la somme récoltée dépasse donc forcément celle de l'édition précédente. Tout le monde s'en congratule. Et on remercie la générosité de ceux qui ont permis cet exploit en faisant un don le jour même, alors que l'essentiel des montants permettant d'atteindre le résultat ne provient évidemment pas des quelques milliers de promesses enregistrées ce soir-là, mais de dons antérieurs faits par des organismes, des firmes et des services publics, ainsi que de l'argent récolté par les ‘Comités Télévie' qui « se mobilisent » douze mois durant.

Report programmé

Ce samedi 19 septembre, avec cinq mois de retard sur la date officielle, RTL-TVI clôturait son 32e Télévie. Pas en public et en conviant les bénévoles à la fête, comme cela se produisait d'ordinaire. Mais, afin de ne pas devoir gérer la distanciation sociale, en 'privé', en direct de la RTL House de Bruxelles, où plusieurs plateaux avaient été installés avec plus ou moins de bonheur. Les séquences au cours desquelles les donateurs et certains comités révélaient les montants donnés ou récoltés se déroulaient soit par visioconférence, soit via la présence en quatre lieux de Wallonie (et non à Bruxelles) d'animateurs de la station entourés de quelques membres de comités choisis.

Initialement, cet événement télévisuel annuel devait avoir lieu le 25 avril, c'est-à-dire en plein confinement. Mais, dès le 12 mars au matin, soit avant que ne soient réellement prises les premières mesures publiques officielles de lutte contre le covid (1), le service de presse de RTL Belgium annonçait déjà que la soirée de clôture serait reportée au 5 septembre. Le lendemain, la tournée du camion-tirelire destiné à recueillir des 'pièces rouges' aux quatre coins de Wallonie et à Bruxelles était annulée, mais on précisait que la récolte de pièces continuait dans les banques jusqu'au 5 septembre. En parallèle, les dix dernières représentations de la pièce du Télévie, initialement prévues en mars à Rouvroy, Marche-en-Famenne, Liège et Mons, étaient reportées à juin. Il faudra attendre le 24 avril pour que les organisateurs annoncent que la soirée de clôture serait finalement reportée au 19 septembre, et que la troupe de la pièce du Télévie ne remonterait pas sur les planches (2).

Un résultat fort anticipé

Bien avant le jour prévu pour la clôture de l'Opération, le discours des organisateurs avait fait comprendre que l'année 2020 ne serait pas celle des records. Le 7 avril déjà, l'administrateur général de RTL Belgium déclarait à l'Écho : « À n’en pas douter, il y aura un impact sur les dons. Il sera difficile de battre une nouvelle fois un record. » Néanmoins, il se montrait confiant : « Même lors de la crise de 2008-2009, alors qu’on s’attendait à un impact, le Télévie a constitué une priorité pour les Belges. À l’instar des étrennes de la Nouvelle année ou des anniversaires. » Plus récemment, lors de la conférence de presse de rentrée de la télévision privée, le patron de RTL confirmait son impression première : « On ne battra pas le record cette année-ci avec le nombre de choses annulées. Mais, on n'est là avec un cœur grand comme ça. » (3)

Le ton était donné. Et repris comme en refrain dès le début de l’émission de clôture par l'animateur principal du show, qui s'empressa de déclarer que « ce soir, nous ne serons pas dans une logique de record » et qu'on avait été « dans des conditions hyper difficiles pour recueillir de l'argent ». Dans cette perspective, le résultat final, inférieur de plus de 2,7 millions € à celui de 2019, était donc logique, et permettait même à certains membres du personnel de RTL d'estimer à l’antenne que ce, finalement, eh bien, ce Télévie était une réussite. Car il avait atteint un résultat qui n'était pas prévu, et avait dépassé tout ce que l'on pouvait espérer. Un commentaire dont on pourra qu'apprécier le caractère spontané et improvisé, alors que l'émission étant construite sur base d'un scénario bien huilé, tout y est écrit à l'avance. Hormis une promesse surprise d'un don de plusieurs millions d'euros qui serait miraculeusement tombée pendant la soirée, tous ceux qui ont pris part à ce show télévisé en connaissaient l'issue dès le commencement…

Peu de covid, beaucoup d’autres choses ?

Mais quelle est donc la culpabilité exacte du covid dans le résultat obtenu? La question pourra paraître déplacée, voire intolérable, tant certains considéreront que la réponse est d'évidence. Sauf qu'il faut peut-être replacer les choses dans leur contexte. Initialement, le Télévie devait se terminer le 25 avril. La mise sous confinement de la Belgique commence le 18 mars. Il y a donc moins de quarante jours entre l'arrêt des activités sur le territoire et la date fixée pour la clôture. Or, comme se plaît à le déclarer l'administrateur délégué de RTL Belgium à la fin de chaque soirée annuelle de clôture de l'Opération, le Télévie de l'année suivante commence le lendemain du jour où se termine le précédent. Le Télévie 2020 a donc démarré le 28 avril 2019, et non début 2020. Si l'on ajoute à cela que, dans les quarante jours problématiques précédant la clôture 2020, figuraient les quinze jours des vacances de Pâques pendant lesquelles les activités sociales tournent naturellement au ralenti, on peut considérer qu’une toute grande majorité des activités caritatives liées au Télévie avaient déjà eu lieu avant la mise en confinement. Lors de l'émission de clôture du 19 septembre, de nombreuses images d'illustration ont confirmé cette tenue antérieure d'un grand nombre d'événements. C’est d’ailleurs ainsi qu’une présentatrice a justifié le fait que, sur les images, personne ne portait de masque ou ne pratiquait de mesure de distanciation. Expliquer le montant récolté par l'impossibilité d'organiser des activités en temps de covid ne peut donc se justifier que pour une petite part de ce qui était prévu avant le 25 avril. 
 
À moins que, en déplaçant la clôture début septembre, l'idée n'eût été de laisser l'Opération ouverte tout l'été? Cette hypothèse peut en tout cas être confirmée à propos de la collecte des 'pièces rouges': celle-ci s'est bien prolongée dans les banques partenaires jusqu'en septembre 2020, et ne s'est donc pas arrêtée fin avril.

Enfin, côté production, la conception même de la soirée de clôture prévue le 25 avril était déjà bien en route avant le confinement. Les comptes étaient donc déjà sur le point d’être alors (pré)clôturés. Pour preuve, les séquences en voiture diffusés dans le show du 19 septembre, où Sandra Kim et Christophe Deborsu poussent à la chansonnette les représentants de plusieurs firmes donatrices du Télévie. Ces petits films ont manifestement été tournés à la fin de l'hiver et non en août ou en septembre 2020 : à l'arrière-plan des images, les arbres sont tous dépourvus de la moindre feuille…

Pas de chute libre

Un regard plus précis sur les montants récoltés tels qu’ils furent présentés lors des soirées 2019 et 2020 peut aussi amener à s'interroger sur l'argumentaire officiel. Mêmes si des comparaisons chiffrées systématiques entre les deux années sont impossibles (4), on dispose ainsi de quelques indicateurs significatifs.

Du côté des soutiens publics, ceux-ci semblent avoir été plutôt stables, voire en hausse : 'La Wallonie' (entendez : le gouvernement wallon) et la Loterie nationale ont offert la même somme les deux années. En 2020, le gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles a donné pas moins de 100.000€, et le 'Département Recherche' de la Région Wallonne 150.000€ (5).

Les sponsors traditionnels Cora et Match n’ont réduit la somme versée en 2020 que de 6 à 8% par rapport à 2019. Et le sponsor Allan Sports a, lui, apporté en 2020 31% de plus que l'année précédente.

La situation des comités locaux est plus complexe à estimer, puisque seuls certains d'entre eux sont passés à l'antenne et ont été cités dans les émissions de 2019 et 2020. Parmi les cas comparables, certains comités se révèlent en situation d'équilibre, avec des résultats identiques ou quasi-identiques en 2019 et 2020. Pour de nombreux comités, il apparaît aussi que les résultats 2020 sont à peine inférieurs à ceux de l'année précédente (moins de 10% de différence). Ce qui confirme que la plupart des activités ont bien été organisées avant la crise du covid, et ont rapporté à peu près les mêmes montants que par le passé.


2019

2020

≠2019-2020

≠% 2019-2020

Clermont (Canaris)

20150

20289

+139

+0,1%

Semi-marathon Ourse

20500

20800

+300

+0,1%

Blegny

43000

43000

0

0%

Véronique Cornet

35000

35000

0

0%

Gembloux

21152

21000

-152

-0,7%

10 villages un cœur

51245

50059

-1186

-2%

Isières

22036

20748

-1288

-6%

ULG CHU

242019

228404

-13615

-6%

Tous en scène

32331

30171

-2160

-7%

UCL Cliniques

51000

47000

-4000

-8%

Le Roeulx

35222

32222

-3000

-9%

ULB Hôpitaux

70013

63878

-6135

-9%


Il y a certes aussi des comités en situation plus problématique, avec des pertes allant de 20 à 40%. Dans ces cas-là, il y aurait lieu s’interroger sur les raisons exactes de ces différences : sont-elles intrinsèquement liées à la période covid? Ou sont-elles liées à d’autres facteurs ? Car, si le covid en est la seule cause, cela signifierait que ces comités ont coutume d’axer une part déterminante de leurs actions au cours de la brève période précédant directement la soirée de clôture…

 

2019

2020

≠ 19/20

≠%

Rochefort

36600

30300

-6300

-17%

Sophie Allard

25591

20009

-5582

-22%

Beauvechain

35000

27000

-8000

-23%

Perwez

41527

31563

-9964

-24%

Stars Rallye

118555

90275

-28280

-24%

Bois de Breucq

36000

25500

-10500

-29%

Anthisnes

44200

29000

-15200

-34%

Martine Allard

55205

33040

-22165

-40%

Philippeville

50000

30000

-20000

-40%

 
Parmi les données étudiées, les comités en perte faible ou nulle représentent environ 2/3 des sommes récoltées, et ceux qui sont en fortes pertes 1/3. En 2019, la part de ces derniers comités était évidemment plus importante. Les comités figurant dans cadre de l’échantillon analysé avaient apporté ensemble 1.086.000€ en 2019, et 929.000€ cette année (soit une baisse de 15%).

Par ailleurs, et en opposition avec ce qui précède, d’autres chiffres ont été très positifs cette année. En 2019, l’opération ‘pièces rouges’ avait rapporté 379.071,48€. En 2020, malgré de (ou à cause du) covid, le montant s’élève à 486.288€ (+107.216,52€). Quant à la vente sur Bel RTL des disques d’or, annoncée comme ayant permis de récolter 750.000€ l’an dernier, un communiqué officiel en fixe l’apport à 1.000.000€ en 2020 (+250.000€).

Il faut enfin ajouter à cela une autre donnée de taille : l’argent récolté par ce que l’on appelle dans le langage officiel ‘le personnel’ de RTL Belgium. Grâce à des activités menées tout au long de l’année, le montant récolté en 2019 était de 1.421.549€. Il fut cette fois de 1.293.047€ (-128.502€, soit une baisse de 9% seulement).

Des causes (beaucoup) moins évidentes ?

Tous ces éléments permettent-ils d’expliquer une chute finale de 21% des dons, baisse annonce à l’antenne comme étant inespérément faible ? Un élément complémentaire peut, peut-être, contribuer à lever un petit coin du voile : la performance de l’Opération au Luxembourg. En 2019, les responsables grand-ducaux s’étaient félicités du record atteint : plus de deux millions d’euros (2.005.842€). Cette fois, le Duché n’a pas atteint la moitié de ce résultat (975.136€). La perte de 1.030.706€ (-51%) est importante. Mais est-elle la seule cause d’un résultat 1/5 plus faible qu’en 2019 ?

Il semble en effet clair que l’émission 2020 a été conçue sur base d’un scénario préétabli reposant sur un obligatoire 'mauvais score' dû au covid. Comme s'il s'agissait de prouver que l'absence de record ne pouvait être dû qu'à la pandémie. Ainsi, lors des premières images du show 2019, c’est-à-dire vers 20h, le score affiché à l'écran était de 2.447.685,11 €. En 2020, il fut de 1.831.540,85€. Il est impossible de savoir ce que représente ce montant : est-il celui de promesses déjà récoltées ? Comprend-il déjà certains dons ? En tout cas, l'émission 2020 se positionnait dès le départ à -616.144,26€ par rapport à 2019, soit -25%.

Nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments pour déterminer l’impact réel du covid sur les dons récoltés. Mais les indices pointés ci-dessus nous poussent à nous demander si la tendance à un résultat 2020 inférieur (ou légèrement inférieur) aux années précédentes n’était pas déjà attendu par les organisateurs dès avant la crise du coronavirus. Et ce d’autant que, dans les faits, la période de collecte d’argent du Télévie 2020 n’a pas été d’un an mais… de 16mois ½. Sur base des seuls contenus diffusés, il est difficile de déterminer quelles seraient les causes d'une baisse de dons moins conjoncturelle qu’affirmé. Serait-elle liée à la situation de RTL par rapport à ses audiences, que l’on recense moins nombreuses ces derniers mois ? On pourrait en trouver un indice dans le fait d’avoir mentionné, lors de l’émission 2020, que Radio Contact se joignait pour la première fois à l’opération. Comme s’il y avait désormais lieu de rallier aussi à la cause ce public-là, pour pallier la chute de l’audience de Bel RTL.  
 
Le Télevie deviendrait-il moins l'affaire de tous les auditeurs et spectateurs de l'opérateur privé, et davantage celle de personnes directement touchées par les causes que l'Opération entend soutenir?

Changer le scénario?
 
Il restera demain à voir combien de temps durera réellement l’année du Télévie 2021. Si l’opérateur audiovisuel en revient à sa tradition, pour éviter de concurrencer Cap 48, celle-ci devrait se clôturer en avril de l’an prochain, et donc ne durer que huit gros mois. Avec, jusqu’à présent, moins de liberté que par le passé pour organiser des actions de bienfaisance rassemblant un grand public. Par rapport à 2020, le pari du record sera beaucoup plus périlleux encore à réaliser. À terme, cela posera question sur la nature du ressort dramatique sur lequel repose le Télévie : pourrait-il dès lors ne plus reposer sur la mécanique annuelle du dépassement du record antérieur ? La question, à tout le moins, peut être posée.

Frédéric ANTOINE 

(1) Pour rappel, c'est le 12 mars en soirée que le CNS a pris les premières mesures de lutte contre la propagation du virus, à partir du 13 que les universités ont décidé de mettre en œuvre l'enseignement à distance, et ce n'est que le 18 mars à midi que des mesures strictes de confinement ont été imposées à la population belge.

(2) Au total, il devait y avoir 23 représentations de la pièce, réparties dans 9 villes différentes. L'annulation concerne donc un peu moins de la moitié de la tournée. Il faut toutefois aussi rappeler que, avant le covid, la pièce avait déjà été diffusée en direct sur RTL-TVI le dimanche 16 février en soirée.

(3) La DH, 03/09/2020.

(4) Certains comités ont-ils disparu entre 2019 et 2020? Leurs résultats 2020 n'ont-ils pas été jugés suffisants pour être mis à l'antenne (il faut rappeler que seuls les comités atteignant une somme récoltée appréciable sont retenus pour un passage devant les caméras). Il y a eu aussi de nouveaux comités en 2020 par rapport à 2019. La petite observation réalisée dans le cadre de ce texte repose uniquement sur les données comparables. Il faut ajouter qu'une petite partie de l'émission de clôture 2019 n'étant plus accessible en ligne à l'heure actuelle, l'un ou l'autre point de référence théoriquement possible n'a peut-être pas pu être utilisé.

(5) Dans les documents audiovisuels disponibles, nous n'avons sauf erreur pas trouvé de trace de pareils dons en 2019.




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