Léon XIV et François face-à-face : les images qui parlent
Sa première apparition au balcon est, pour un nouveau pape, un moment de vérité, qui en dit plus que des discours sur sa personnalité, son image, et sur les types d'Église qu'il entend incarner. Consciemment ou inconsciemment.
Qu'il est révélateur, le tout premier contact ! Ce moment où, après avoir gravi quelques marches, voilà ne nouveau souverain pontife en face de la foule romaine et internationale qui l'acclame. Un moment est immortalisé par les directs tv. La collection des captures de ce premier contact en dit long, sur le pape et sur son rapport au monde.
Dans les cinq chromos qui figurent en tête de cet article, et dont la qualité visuelle n'est hélas pas identique, de Jean-Paul Ier à Léon XIV, cherchez l'intrus !
Il saute aux yeux : il n'y a qu'un petit bonhomme vêtu de blanc. Tous les autres portent une "mosette", la cape rouge qui symbolise l'autorité du pape et son appel à la compassion. De même, le petit homme en blanc n'a pas autour du cou une étole rouge foncé brodée d'or. Mais n'aura pas fallu longtemps pour que tout cela revienne…
AVANT D'ENTRER
Tournons les regards vers l'attitude adoptée par le nouveau pape au moment où il accède au balcon. Celle-ci se traduit en grande partie dans les gestes des mains. Jean-Paul Ier a les mains pieusement jointes et les avant-bras légèrement surélevés, comme dans une attitude de prière. Son successeur arrive plutôt les doigts croisés, les mains reposant sur le haut du ventre. Benoît XVI aura à peu près la même attitude, que l'on retrouve aussi chez Léon XIV, celui-ci portant toutefois ses deux mains un peu plus haut sur sa poitrine. Un signe de piété que d'une certaine satisfaction ? Ou plus simplement une incapacité à gérer ses main ? Le petit homme en blanc, lui, a levé la main droite dès qu'il a mis le pied le sur le balcon. Son attitude est donc totalement différente de ses collègues.
En entrant sur le balcon, le corps droit, Benoit XVI et Léon XIV regardent devant eux, comme s'ils fixaient le bout de la Via della Conciliazione, qui rejoint la place Saint-Pierre au château Saint-Ange. Le pape François, lui, a un regard un peu penché vers l'avant, regardant la foule proche de lui, à qui va son salut. Les deux papes dénommés Jean-Paul ont eux aussi la tête tournée vers la foule, en particulier Karol Wojtyla, qui se penche sur le bord du balcon.
LE PREMIER GESTE
Quelques secondes plus tard survient le premier "vrai" geste du nouveau pape vis-à-vis de la foule. Jean-Paul II disjoint les mains et ouvre les bras largement, sans les changer de position, ni lever les mains vers le ciel. Comme s'il accueillait quelqu'un, ou le monde.
Benoît XVI et Léon XIV commencent par avoir exactement le même geste, tant et si bien que, comme ils portent les mêmes habits, on aurait tendance à les confondre. Les bras sont levés, les mains sont ouvertes, paumes tournées vers l'avant et les doigts s'élevant vers le ciel. La signification de ce signe peut être diversement lue. Il peut être d'abord perçu un signe de victoire ("je suis l'élu", "j'ai gagné", à l'instar de l'attitude d'un sportif à la fin d'une compétition), un signe de contentement ou de satisfaction ("je suis heureux d'être là") ou de salut ("bonjour à vous tous qui êtes là"). Mais le gest peut aussi être polysémique…
Le petit homme en blanc, lui, a continué le geste de la main droite qu'il avait entamé avant même de s'installer au balcon. Mais cette main est moins à l'horizontale, elle penche un peu vers l'avant, comme si elle cherchait à couvrir le foule présente sur la place. La main gauche, par contre, est restée le long de son corps, ainsi que cela se passe quand on salue une personne en rue.
Alors que tous ses confrères conservent l'attitude adoptée pendant plusieurs secondes, Léon XIV, lui, abandonne très rapidement sa première pose et en prend une seconde, où il ne lève plus que la main droite, tandis que la gauche retrouve la place qu'elle avait lors de son arrivée au balcon, c'est-à-dire posée au niveau de sa croix pectorale. Le nouveau pape utilise-t-il le même signe que son prédécesseur ? Pas vraiment, car le bras de François, plutôt à l'horizontale et tourné vers la foule, ne peut être comparé avec le bras et la main à la verticale de son successeur. Certes il s'agit d'un signe de salut, mais plus distant et général. Le positionnement de l'autre main au niveau des pectoraux renforce cette différence, marquant à la fois une distance, mais aussi une certaine satisfaction ou une assurance de soi.
LÉON ET FRANÇOIS : LE DÉCOR
Quid de la prestation de François par rapport à celle de son successeur ? Même si l'annonce de leur élection a été ± faite à la même heure, l'apparition de François s'est déroulée de nuit, alors que le soleil n'était pas encore couché pour celle de son successeur. Le traitement télévisuel de deux événements, mais aussi l'atmosphère dans laquelle ils se sont déroulés, ont donc été différents. Le contexte dans lequel se sont déroulées le deux apparitions n'est donc pas étranger à leur diversité, mais ne peut toutefois seul l'expliquer. Un de ces éléments touche au "décor" de l'événement.

Lors de la présentation de François (à gauche), la façade de la basilique était éclairée par de puissants projecteurs. Il avait été choisi de ne pas fermer les lourdes tentures rouges qui se trouvent à l'arrière du balcon. La scène s'est donc déroulée en bénéficiant aussi d'une clarté provenant de l'intérieur de l'édifice. Pour Léon, au contraire, les tentures n'ont été écartées que le temps du passage du cortège pontifical. Ensuite, l'arrière de la scène a été refermé, comme c'était le cas auparavant, laissant le nouveau pape apparaître sur un fond rouge foncé, alors qu'il est porteur d'une mosette rouge et d'une étole rouge foncé. Grosse différence. Mais aussi grosse impression que, dans un cas, on ouvrait les fenêtres et on laissait l'air entrer au Vatican. Et dans, non…

Pour Léon, ce n'est qu'à la fin de la séquence, au moment de la bénédiction pontificale que les tentures seront entrouvertes. Mais, même alors, le fond du décor continuera à marquer sa différence: blanc cassé et plein de clarté du temps de François, brun sonbre pour Léon…
Pour reprendre le vocabulaire de la mise-en-scène, la place des "figurants" qui entourent le pape diffère aussi. François était entouré d'un grand nombre de prélats, conférant à sa prestation un aspect de collégialité et de confraternité. Les personnes qui entourent Léon sont en nombre plus limité, notamment du côté des personnages portant une calotte rouge. Le nouveau pape paraît ainsi plus seul, moins accompagné. Mais plus "régnant".
LÉON ET FRANÇOIS : LA CONTRE-VUE
Les choix opérés pour l'ouverture ou de la fermeture des tentures rouges exercent aussi un un impact important sur le type de représentation du nouveau pape montrable par l'image.
Alors que les images les plus attendues de pareil événement sont celles qui sont prises de face, et en plan qui ne soit si possible pas en contre-plongée, l'ouverture des rideaux avait permis, pour François, l'exploitation de plans en contre-champ, montrant le balcon vu de l'arrière, c'est-à-dire de l'intérieur du Vatican. La présence d'un petit homme tout de blanc vêtu sur un fond de pénombre nocturne ne manquait alors pas d'esthétisme, de même que celle des cardinaux habillés de rouge. Cette contre-image du pape tout blanc, dont on ne voit que le dos, a marqué l'imaginaire au point de devenir un des modes classiques de représentation de la fonction papale. L'image Eurovision ci-dessous lors de l'élection de François, en est une bonne illustration.

Rien de tel, évidemment, pour Léon (voir image de droite dans le diaporama ci-dessus). Comme les tentures sont fermées, il n'y aura pour lui de contre-champ possible qu'à un seul moment : à la fin de la séquence, lorsque le pape et sa suite s'apprêtent à quitter le balcon et qu'on a écarté les tentures. Le soleil de fin journée s'étire toutefois alors sur les toits des immeubles entourant la place Saint-Pierre. Les personnages n'apparaissent donc qu'en ombre chinoise, ce qui manque totalement d'intérêt, mais aussi de charme.
LÉON ET FRANÇOIS : DEUX INDIVIDUALITÉS
Au-delà des comportements lors de l'entrée sur le balcon, il y aussi tout ce que cette présentation au peuple romain et au monde révèle de la personnalité des élus. Nous n'entrerons pas ici dans une a analyse de contenu comparative de leurs propos, qui n'est pas notre sujet et qui n'aurait sans doute pas beaucoup de sens tant les prestations des deux papes furent de nature différente. L'une, tout en improvisation, en bonhommie et en naturel, l'autre tout en maîtrise, en préparation et en contrôle. Avec, la plupart du temps, la transparence de moins d'humanité. On pourrait aussi analyser les étapes de la prestation, et par exemple celle des prières que les papes ont récitées avec la foule. Alors que Léon XIV n'a récité que le "Je vous salue Marie", François avait accompagné cette prière à la Vierge du "Notre père".
En début de cérémonie, les gros plans sur les visages des deux papes, pris de profil par la caméra se trouvant sur le balcon, révèlent un peu de ce qu'ils sont.
François a la tête un peu penchée, son menton n'est pas à angle droit par rapport à son cou. Ses lèvres sont fermées, les joues un peu tirées vers l'arrière, comme marquées d'un léger sourire. Même si son regard paraît porter vers la foule sur la place (et non plus vers le château Saint-Ange), Léon garde toujours la tête bien droite. Ses lèvres sont fermées, son visage paraît sérieux. Le pape a aussi à nouveau posé ses deux mains sur sa poitrine.
S'il arrive que les deux hommes sourient, comme le montre le diptyque ci-dessus, en règle générale les moments de sourire sont plus fréquents lors de la présentation de François que lors de celle de Léon. Idem pour la fréquence du sourire des cardinaux qui les entourent. Les sourires de Léon sont plutôt des esquisses de sourires, toujours fortement maîtrisées.
DISCOURS OR NOT
La différence de naturel entre deux papes se révèle aussi dans leur manière de s'adresser à la foule.Le pape Léon, qui cherche à tout contrôler, s'adresse au public à l'aide d'un texte précis, préparé par avance et maîtrisé. La part d'improvisation dans sa prestation restera très très limitée. La gestuelle du pape est donc très réduite, ses mains étant concentrées sur les feuilles de son discours. A contrario, tout chez François était de l'ordre de l'improvisation, avec une gestuelle forte. François regarde la foule les yeux dans les yeux et, par-delà la foule, les téléspectateurs. Cela est d'autant plus frappant sur l'écran que, comme il fait nuit et comme le montre le chromo de gauche ci-dessus, les images de profil prises par la caméra située sur le balcon seront rares, faute de lumière. Fixé sur son texte, Léon ne s'adresse pas aussi directement à la foule et à l'audience, et ne réagit que si celle-ci l'interrompt par une acclamation. Il lui arrive aussi de se taire quelques instants, ce qui suscite une nouvelle acclamation. Le pape Léon fera par contre l'objet de nombreux très gros plans de profil, pris par la caméra située sur le balcon. Ils ne cacheront pas certaines des émotions ressenties par le prélat, même si celui-ci a tout fait pour les dissimuler.
Les deux prélats ont certes chacun une histoire sud-américaine, mais celle-ci ne s'est pas implémentée de la même façon, et le terreau dans laquelle elle a poussé est fort différent.
BÉNÉDICTIONS PERSONNELLES
Lors de la bénédiction, les deux papes marquent aussi leurs différences. François, un peu en retrait parmi la foule du balcon, bénit avec des geste retenus. Il a revêtu l'étole pontificale avant de bénir. Lisant la formule de bénédiction, Léon reprend l'attitude qu'il avait adoptée au moment de son arrivée : les bras sont tendus, les mains sont ouvertes, ainsi que les paumes, et les bras écartés. Après la bénédiction. François retire alors l'étole, et reprend la configuration du petit homme en blanc qu'il avait à son arrivée. Un petit homme qui se montre simplement face à la foule, les bras le long du corps. Léon là aussi retrouve une attitude déjà adoptée. Il regarde la foule, les mains croisées sur la poitrine au niveau de la croix pectorale.
LE CORPS QUI PARLE
Même s'il ne dit pas tout, le corps aussi parle, et fait l'homme, chaque homme. Ou marque la différence entre les hommes, avant même qu'ils ouvrent la bouche.
Il est frappant qu'une simple apparition de quelques minutes seulement puisse aider à pointer cette diversité. Et démentir (ou pas) ceux qui disent que l'un de ces papes est forcément l'héritier, et pas seulement le successeur, de l'autre…
Frédéric ANTOINE.