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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

21 mars 2023

Radioguidage surréaliste : le chantier fantôme de l'E411

Surréaliste. Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le décalage qui existait, ce lundi matin, entre les annonces radio catastrophistes sur une mise à deux bandes de l'E411 dans les deux sens, et le R.A.S. qu'on pouvait constater sur le terrain. 
Les gens de radio(guidage)  sont-ils dans une tour d'ivoire ?
 
 
Lundi 20 mars, 06h05 du matin. Sous la douche, écoute du JP de La Première qui annonce que "Un gros chantier débute ce matin sur l'autoroute E411 entre Namur et le Brabant wallon" et que "La première phase, c'est de Daussoulx à Aische-en-Refail en direction de Bruxelles". 
 
Aïe, c'est juste l'itinéraire prévu. Petite panique. D'autant que le journaliste annonce : "Il faut s'attendre à des ralentissements, principalement aux heures de pointe."
 
PANIQUE À BORD
 
Pas une minute à perdre donc. D'autant que, à 06h22, la présentatrice du flash Mobilinfo rappelle : "Vous allez rouler sur deux voies uniquement dans chaque sens jusqu'à l'hiver prochain", et ajoute: "On va voir si ça provoque beaucoup d'embarras de trafic. On va voir cela déjà aujourd'hui. Pour l'instant, en tout cas c'est fluide là-bas."
 
Devant le pain au chocolat du petit matin, la panique monte. Renforcée par la première séquence de la rubrique "Le tour des régions", totalement consacrée à cet "événement du jour". Dans son billet, le journaliste confirme que "Les travaux en deux phases ont débuté ce matin". Interviewée,  Éloïse Winandy, de la SOFICO le répète (avec une petite nuance temporelle, qu'on ne relève pas sur le coup): "La première phase du chantier va démarrer ce matin."
 
                                    (capture d'écran La Première sur La Trois,±06h10)
06h40. Les travaux ont commencé ? Il est plus que temps de prendre le volant. Le rappel des titres de 06h30 a en effet une nouvelle fois répété l'info, redisant que "La circulation s'effectuera sur deux voies dans les deux sens de circulation".
 
06h55. Montée sur l'autoroute à hauteur de Wierde. La circulation est fluide. Mais il faut se préparer au pire. À 7h08, dans le JP, serine une nouvelle fois que "C'est un vaste chantier de réhabilitation qui commence aujourd'hui."
 
07h12. Arrivée à Daussoulx. Alors là on envisage la cata. On guette les Warnings, les feux- stops et les coups de frein. Mais on a beau scruter partout : un quelconque chantier ? Que nenni. Tout roule comme sur du velours, et sur trois bandes de circulation vers Bruxelles, s'il vous plaît. Dans l'autre sens, il semble n'y avoir que deux bandes disponibles. Mais, en tout cas, vers la capitale, tout est au vert. Pour combien de temps ?
 
Progression prudente dans ce qui est annoncé comme la zone de chantier. 
"Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? «Je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie…»" (Charles Perrault). 
À une moyenne d'un peu moins de 120 km/h, trois bandes de véhicules progressent vers Bruxelles, sans encombre.

                                            (capture d'écran La Première sur La Trois, 07h46)

07h20. On serait alors assis sur une chaise que l'on en serait tombé d'un coup en entendant le dialogue qui se déroule dans le flash MobilInfo  :
"— C'est Marjorie Billo qui vous guide à travers les éventuels embarras de circulation. Et il y en a, hein, Marjorie, notamment sur l'E411! 
Oui parce qu'aujourd'hui vous roulez sur deux voies, à partir de ce week-end, entre Daussoulx et Thorembais dans les deux sens. (…). Pour l'instant, voilà, on sent qu'il y a du monde pour traverser le chantier, mais pas encore trop de ralentissements."
 
DES MONDES PARRALÈLES
 
On se pince pour le croire : alors que la circulation s'écoule ici peinarde sur trois voies, on vient de dire aux automobilistes se trouvant à cet endroit qu'ils ne roulaient que sur deux bandes. "Ceci n'est pas une pipe", comme aurait dit Magritte…
Le même flash affirme aussi que les voitures traversent un chantier. Coup d'œil à gauche (et même à droite): pas l'ombre d'un élément de chantier à l'horizon. Même pas le moindre panneau.
 
Entre MobilInfo, les studios de La Première et les navetteurs de l'E411, on doit être dans des mondes peut-être parallèles, mais en tout cas pas semblables.
 
07h30, descente à Wavre (attention au flash!). On remonte et on continue la route vers Bruxelles. Le chantier fantôme n'est pas devenu réalité. 
Alors que, vers Overijse, se dessinent les vrais bouchons avant la fin de l'autoroute, nouveau coup de magie radiophonique.  
À 07h48, retour du Mobilinfo :
" — Et ces soucis sur l'E411… ", demande le journaliste en studio
Oui c'est vrai qu'il y a ce chantier quand même qui est en place entre Daussoulx et Thorembais, répond l'animatrice du service au radio guidage. Elle rappelle aux auditeurs : "Alors vous roulez sur deux voies dans les deux sens (…)." Et elle termine :  "Pour l'instant, voilà, vous circulez, mais de manière apparemment fluide sans trop d'embarras, c'est déjà bon à savoir."
 
Et pour cause que la circulation est fluide ! il n'y a pas l'ombre d'un chantier, ni d'une réduction de bandes de circulation vers Bruxelles. "Apparemment sans trop d'embarras". Apparemment? Ou réellement, parce qu'il n'y a pas de travaux?
 
Encore heureux que de, pliés en quare de rire derrière leur volant, des auditeurs de La Première n'ont pas provoqué d'accidents…

Ce matin-là, le traitement de l'info sur le chantier de l'E411 était sur-réel. Trop beau pour être vrai. Puisqu'il ne l'était pas. Et tellement beau que, le lendemain matin, mardi, la situation n'avait toujours pas changé. Les navetteurs vers Bruxelles roulaient une nouvelle fois sur trois voies, et seuls quelque part deux panneaux de signalisation perdus proposaient sur cent mètres une limitation de vitesse et un rétrécissement qui n'a jamais eu lieu. Et vogue la galère.
 
DÉCROCHAGE EN CRESCENDO (1)
 
Un élément intéressant est ici la progression de l'irréalité de l'information. Si, à 06h00 du matin, l'info est déjà donnée comme immédiate ("Un gros chantier débute ce matin"), entre 06h00 et 07h00, la nouvelle de la remise à niveau de l'E411 est plutôt donnée au futur, même si le risque d'embarras de circulation est évoqué au présent. L'info se présente sur le mode d'une annonce. À l'auditeur de saisir si le futur alors utilisé sur MobilInfo (et dans la longue chronique régionale)  est un futur proche ("La première phase va démarrer ce matin") ou un futur lointain ("La Sofico va procéder à…").
À 07h00, le chantier est uniquement présenté au présent. ("Un vaste chantier de réhabilitation qui commence aujourd'hui")
À 07h20, tout bascule. Plus question de futur ou de phasage du chantier, le rétrécissement à deux voies et les embarras qui en découlent sont présentés comme se déroulant au moment même où l'on parle, le message délivré par par l'infotrafic faisant office d'opération d'authentification et de validation. Le basculement est alors accompli. Ce qui était une potentialité à 06h20 du matin et qui avait glissé vers le vraisemblable une quarante minutes plus tard devient une totale réalité radiophonique à partir de 07h20. 
Alors que la "vraie" réalité est, elle, totalement différente…

COMMENT EST-CE POSSIBLE?

Cet événement extra-ordinaire incite évidemment à se poser quelques questions. Et d'abord : mais où sont les auditeurs ? Comment se fait-il que, dès l'aurore, aucun automobiliste namuro-bruxellois auditeur de la plus prestigieuse station de radio de Belgique n'ait pris la peine d'appeler la radio pour lui faire part de son étonnement (ou de son émerveillement)? 
La Première est-elle écoutée le matin dans les voitures qui vont de Namur à Bruxelles? 
 
Si la station a une audience de de type, celle-ci doit soit être amorphe, soit blasée, soit incapable de savoir comment signaler l'erreur, et à qui. Seuls peut-être des personnes ayant des entrées "personnelles" à la RTBF auraient-elles pu imaginer prévenir la rédaction et MobilInfo. Mais, on le sait, téléphoner au volant n'est pas vrrrraiment conseillé par les pandores qui contrôlent les routes… (2)

On peut aussi se demander si ce type d'information "prédictive" ne méritait pas une petite vérification. Apparemment, tout le monde s'est ici basé sur une représentation erronée de la réalité, sans qu'il ait été à un quelconque moment envisagé de vérifier "sur le terrain" une annonce provenant sans doute des services de la Sofico. Il y a des communiqués de presse qui ont, apparemment, des relents d' Évangile…

On peut encore s'interroger sur le véritable travail du service MobilInfo, qui en vient à annoncer avec conviction d'énormes contre-vérités. La situation vécue lundi est d'autant plus rocambolesque que, sauf erreur, MobilInfo se trouve au centre Perex, qui se trouve lui-même à Daussoulx, c'est-à-dire là où auraient dû débuter les fantasmagoriques travaux dont la radio a parlé dans toute sa matinale.

Perex est-il un bunker? N'y a-t-il là personne pour regarder par une fenêtre, pour voir non seulement qu'il n'y a pas de file, mais qu'aucun aménagement n'a été fait à la voirie dans le sens Namur-Bruxelles pour réduire la circulation à deux voies ?

Ce cas vécu ne peut qu'inspirer quelques craintes. Si, à propos de simples travaux sur une autoroute, le service MobilInfo réussit à mener l'auditeur sur une autre planète, que pourrait-il en être dans d'autres circonstances ? Quelle crédibilité accorder alors à ses annonces et… à certaines infos de la radio ?

Le lundi soir, un long reportage diffusé au journal télévisé de La Une annonçait que les travaux allaient débuter… fin de la semaine. Le cameraman de l'équipe avait eu beau braquer sa caméra dans tous les sens, il n'avait pu capter ni bouchon ni ralentissement.

La Belgique sera toujours le pays du surréalisme…

Frédéric ANTOINE.

(1) Ce § a été rajouté, pour clarifier le propos, le 22/03 à 11h30.
(2) L'auteur de ces lignes a informé un journaliste de la station lors de son arrivée à Bruxelles, vers 08h20. A 08h30, le résumé des nouvelles de La Première annonçait toujours que l'E411 était réduite à deux voies entre Namur et Thorembais…


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