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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

26 décembre 2023

La progra de fin d'année : le ronron des rites obligés


Les fêtes de fin d'année appuient leur succès sur une ritualité transmise de génération en génération. La programmation qu'offre alors la télé n'y est pas étrangère. Avec ses 14% de PDM et ses 174.000 spectateurs le soir de Noël sur…La Trois, La bonne planque confirme que, d'année en année, la tv ne cesse de sacraliser ces rituels, avec la récurrence d'une offre de programmes similaires, voire identiques. 

Onzième score d'audience du 25/12/2023, La bonne planque dépasse (de peu), en primetime, l'audience de Virginie (RTLTVI), de Joséphine (TF1) ou du concert de Noël de La une. Certes, le soir de Noël, les audiences ne sont pas mirobolantes, mais quand même. Pourquoi chercher à faire du neuf alors qu'on attire toujours les spectateurs à coup de vieilles productions, qu'elles relèvent du théâtre (Beulemans et consorts) ou du cinéma (De Funès et compagnie). Eh oui, c'est cela les fêtes de fin d'année : une attente de rites télévisuels, c'est-à-dire l'espoir d'un éternel retour du même. Ou plus exactement des mêmes programmes que l'on ne cesse de voir à la télé entre Noël et Nouvel An depuis qu'elle est devenue l'amie des foyers.

À NE PAS PLANQUER !

Propriété de la RTBF (plus exactement aujourd'hui de la Sonuma), l'historique captation de La bonne planque au théâtre du Vaudeville de Bruxelles en 1964 (il y a aura… 60 ans dans quelques mois) est devenue mythique grâce à la prestation de Bourvil et au fait que c'était quasiment la première fois que la télévision plantait ses caméras électroniques dans un théâtre pour y enregistrer un spectacle dans sa continuité (1). On dit que, achetée par l'ORTF en 1965 pour occuper son antenne alors que son personnel était en grève, la pièce fit un malheur (ce qu'aucune mesure d'audience ne peut venir confirmer…), et qu'elle inspira Pierre Sabbagh pour la création de l'émission Au théâtre ce soir qui, dès 1966, choisit de diffuser à la tv les pièces jouées au Théâtre Marigny [cf. A. Deridder, 2022 (2)]. 

La RTBF n'a cessé depuis de rediffuser cette captation, essentiellement en période de fin d'année. Le manque de données disponibles ne permet pas de tracer le rythme exact de ces rediffusions, mais il y en a notamment eu sur La Une le 31/12/1996, le 31/12/1999, fin de l'année 2005, et ce sans oublier, le 23/12/2003, la diffusion en direct de Liège de pièce, mais cette fois revisitée par Pirette. Ces derniers temps, La Bonne planque s'était, semble-t-il, un peu planquée, mais a donc fait son grand retour (3).

UN SERVICE AU PUBLIC

Cette pièce de boulevard n'est évidemment pas le seul signe de la ritualité (ou des rites laïcs) qui entoure(nt) depuis plus de cinquante ans les moments festifs de fin d'année. Dans un remarquable article publié juste avant Noël sur le site de la RTBF par Ambroise Carton (4), et pour lequel cet ancien étudiant m'a fait l'honneur d'une petite interview, ce journaliste pointe de manière très intéressante de nombreux indicateurs de cette circularité de l'offre télévisuelle en temps de Noël. Que la RTBF publie une analyse de programmation télévisée digne d'une étude scientifique, ou presque, cela faisait longtemps que ça n'était plus arrivé. Jadis, l'opérateur public avait bien un "service d'études" qui réalisait de véritables recherches, publiées notamment dans l'historique revue Les cahiers RTB, Etudes de la radio-télévision. C'était un véritable service au public. Mais cette revue a disparu en 1988, et le service éponyme un peu après.  À partir de là, seules les études stratégiques ont eu la cote Bd Reyers, c'est-à-dire celles liées à l'audience et aux scores à vendre aux annonceurs. Du moins à l'extérieur de l'institution, aucune recherche sur la programmation ne semble avoir vu le jour récemment. Aussi faut-il saluer l'étude de la programmation de Noël réalisée par Ambroise Carton, qui y a consacré un temps considérable, passant des journées entières à consulter Télémoustique à la KBR pour retrouver l'annonce des programmes des jours de fête. En les croisant avec d'autres données (citées à la fin de son article), il réalise un beau travail de recherche.

MAGIE DE PACOTILLE

Lors du congrès de la Ligue des Familles 1987, organisé autour du thème "familles et médias" (5), j'avais eu l'occasion d'expliquer que, ce qui ressemblait alors le plus à une programmation familiale en télévision, c'étaient celles des 24 et 25 décembre. Il n'est pas certain que, près de 35 ans plus tard, l'impression générale émanant de l'offre de programmes des chaînes généralistes serait foncièrement différente. Famille, bonne humeur, oubli des soucis et plongée dans une "magie de Noël" (de pacotille) sont toujours au programme de la Nativité.

Pour la saint Sylvestre et le 1er janvier, on ne dira peut-être pas tout à fait la même chose. Quoique la moralisation forcée de la société (et donc des médias) est aussi passée par là.  Les plus anciens s'en souviendront : dans la télé d'hier, l'offre de programmes du 31 décembre était moins "family viewing" et plutôt réservée aux adultes. Cette programmation plus légère (pourrait-on dire) se terminait rituellement par la retransmission à 24h02 d'un show filmé dans un des célèbres cabarets parisiens. Et pas seulement pour les strass et les paillettes, mais aussi parce que, à cette époque-là, c'était quasiment la seule occasion annuelle de voir un (ou plusieurs)  bout(s) de sein(s) sur le petit écran…

MONTREZ CE SEIN

Désormais, les spectacles de cabarets ont été remisés dans le tiroir aux souvenirs. Hier, le 31, le ton était plutôt au rire, quitte à ce qu'il soit un peu graveleux. La télé du réveillon était alors plutôt une affaire d'hommes et de champagne. Aujourd'hui, on ne boit plus à la télé, et le rire bon enfant est de rigueur tout au long des fêtes, comme l'attestent les invasions des bêtisiers de fin d’année, qui n'échappent à aucune chaîne et commencent parfois dès la Noël. En Belgique, le rire est aussi synonyme de show de l'immanquable Pirette. Hier, la période était aussi propice à la diffusion des films de comédies musicales américaines, que l'on voyait peu à l'écran. Cette tradition s'est étiolée, tout comme celle de proposer en primetime, un autre soir que le 31, des captations de spectacles de cirque (qu'on se souvienne de La piste aux Etoiles de Gilles Margaritis). Aujourd'hui, s'il reste en journée une case pour un show de cirque à la télé, c'est le plus souvent uniquement lié au festival du cirque de Monte-Carlo. Point final.

PYROTECHNIE vs NAPHTALINE

Chez nous, les shows des 24 et 31 décembre sentent souvent bon la naphtaline. Et pour cause : ils ont été mis en boîte bien avant leur diffusion. La veille de l'an, les couloirs des chaînes sont quasi vides. Pas question de mobiliser du personnel à un moment pareil. Cela n'a pas toujours été le cas. À diverses reprises, des chaînes ont diffusé en direct le feu d'artifice tiré à minuit à Paris ou à Bruxelles (notamment lors du passage à l'an 2000). On sait que la pyrotechnie passe mal à la Tv. Mais aujourd'hui, plus de belle bleue ou de belle rouge suite aux coups de minuit. Même plus une speakerine pour faire, en temps réel vrai de vrai, le décompte des dernières secondes avant l'an neuf. Vivement des animateurs I.A. Eux, ils seront là en temps réel !

Et pourtant, ce n'est pas partout pareil. En Allemagne, la ZDF couvre en direct toute la soirée de la saint Sylvestre le show qui se déroule Porte de Brandebourg à Berlin, tandis que l'ARD propose une soirée de variétés où sont insérés  le décompte et le feu d'artifice de Berlin. Longtemps, la BBC a déployé un matériel impressionnant pour en live toute  la soirée du 31 à Londres. Désormais le concert qui précède le réveillon et se donne traditionnellement à la Roundhouse de Camden est enregistré (cette année : Rick Astley, le 12 décembre). Mais il se terminera juste avant que Big Ben ne se réveille et qu'on soit parti pour trente minutes de show d'artifices devant une foule de plusieurs millions de personnes. Mais bon, ça c'est pas pour la Belgique (6)…

 
Frédéric Antoine

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(1) "La Bonne planque" a été enregistrée au théâtre du Vaudeville de Bruxelles en 1964. Diffusée pour la première fois à la télévision française en 1965, elle inaugurera un nouveau type de programme populaire, "Au théâtre ce soir". (https://auvio.rtbf.be/emission/la-bonne-planque-26725)

(2)"La différence entre l’orientation stratégique de la télévision belge et celle de la chaîne française est notable : les productions télévisuelles du programme Au théâtre, ce soir seront enregistrées quasi exclusivement à partir du même et unique théâtre, le Théâtre Marigny, situé sur les Champs-Élysées, spécialement équipé pour les enregistrements. La télévision française feint ouvertement le théâtre. Les pièces présentées sont exclusivement montées pour la télévision qui prend en charge tant la distribution que la mise en scène. L’enregistrement se fait en présence d’un public qui assiste à un spectacle qui, somme toute, ne sera plus visible par la suite que sur le petit écran. La chaîne française s’engage donc activement dans des productions de théâtre populaire visant une très large audience. Les considérations de la production télévisuelle priment sur celles d’une production théâtrale. La stratégie de la télévision belge se distinguera, quant à elle, par la diversité des théâtres avec lesquels elle va collaborer. L’explication de cette collaboration plurielle réside, d’abord, dans les rapports qui s’établirent entre la télévision et le théâtre grâce à un autre média et, ensuite, dans des considérations économiques." (A. DERIDDER, « Les captations télévisuelles de représentations théâtrales : limites d’une esthétique et stratégies de production à la télévision publique belge francophone (1953-1990) », Textyles, revue des lettres belges de langue française, 63/2022 (https://doi.org/10.4000/textyles.6152)

(3) Un vague souvenir me laisse croire que la pièce a aussi été rediffusée pendant un confinement covid, mais que n'a-t-on programmé alors…

(4) https://www.rtbf.be/article/il-y-a-quoi-a-la-tele-pour-noel-redecouvrez-les-programmes-de-votre-enfance-dans-cet-article-interactif-personnalise-11302730

(5) Les médias ont-ils l'esprit de famille ?, Bruxelles, Ligue des familles, 1988.

(6)"Devine qui vient dîner mardi prochain ? La télévision est douée de pouvoirs surnaturels. Tout en découpant la dinde, voilà que scintillent déjà les programmes du prochain Réveillon, celui de Nouvel An. Un avant-goût pour nous réconcilier avec le petit écran,... ou consommer la rupture. Peut-on imaginer le passage à la nouvelle année sans les bas résille du Crazy Horse, des bêtisiers et un karaoké ? Non, bien sûr. Et surtout, n'oubliez pas votre Concert de Nouvel An ! Les chaînes repassent donc les plats, sans surprise. Sinon de-ci de-là, quelques épices pour relever la tradition du marathon télé-champagne et des embrassades sous les cathodes." (Dominique LEGRAND, "L'air de Nouvel An, d'une fête à l'autre", Le Soir, 24/12/1996) 


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