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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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09 octobre 2025

TV Locales : et si on arrêtait de se précipiter ?

L’empressement avec lequel le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est emparé du dossier des télévisions de proximité a de quoi surprendre, de même que la rapidité avec laquelle le Parlement de la FWB en a été saisi. Si l’objectif est bien d’  « assainir » le secteur à l’horizon 2031 (à supposer qu’il faille l’assainir), n’est-il pas encore temps d’arrêter les horloges pour dresser, sans contestations possibles, un véritable état des lieux de la situation du secteur et de ses composantes à la suite d’un audit clair et indiscutable. Et qui pourrait ouvrir vers des perspectives différentes.

 Vis-à-vis des télévisions de proximité, les démarches gouvernementales n’ont  pas pris le temps de tarder : annonce de l’intention de réduire le nombre de TVL à peine un peu plus de 4 mois après l’installation du gouvernement ; projet de réforme officiellement présenté 10 mois après l’installation ; accord gouvernemental sur le dossier juste un an après l’installation ; première lecture au Parlement 14 mois après l’entrée en fonction du gouvernement.

LA FORME ET LE FOND 

Dans la rapidité de ce mouvement, les démarches de concertation avec les acteurs concernés ont essentiellement été entreprises post quem, c’est-à-dire après l’annonce des intentions de la réforme, et non suite à une étude approfondie du dossier et à des contacts préliminaires avec les acteurs, de telle sorte que la réforme se présente davantage comme une démarche imposée au secteur des télévisions de proximité que comme une initiative proactive (et positive) à son égard. Et ce, même si, selon les sources ministérielles, « les travaux de réforme ont débuté dès 2024 par une tournée de l’ensemble des médias de proximité » et que « s’en sont suivis 8 groupes de travail, en plénière ou techniques par petits groupes » (1).

On ne peut ainsi nier que les objectifs de la réforme (gel de la subsidiation, révision des aides en personnel, réduction du nombre d’opérateurs…) avaient été fixés avant que se mette en œuvre une dynamique de « dialogue » avec les représentants des diverses télévisions, et que celui-ci s’est surtout préoccupé des modalités de mise en œuvre de cette réforme et non de son fond. Alors qu’il eût peut-être été pertinent de commencer par cela.

MACRO OU MICRO-ÉCONOMIES

Le secteur est-il, comme affirmé le 18/07/2025 lors de la présentation du projet au Gouvernement, « actuellement en difficulté » ? Plusieurs sources, disant reproduire des extraits de la note ministérielle établie en mai 2025, reprennent aussi une citation selon laquelle « malgré l’aide croissante des institutions publiques, un média de proximité sur deux sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles est en situation de déficit structurel ». Il semble que cette affirmation ait par la suite été reprise par plusieurs parlementaires. Car cet argument constitue un des éléments essentiels avancés pour justifier un impératif « assainissement » du secteur destiné à lui éviter de disparaître.

Si l’on se réfère au rapport de contrôle annuel des médias de proximité pour 2024 que vient de publier le CSA (2), cette affirmation semble contredite. L’organe de contrôle écrit en effet : « Le CSA constate enfin une amélioration de la situation financière de la plupart des MDP au regard du précédent bilan. Sept éditeurs ont remis un budget financier en équilibre, quatre sont en léger déficit sans que cela n’affecte leur solidité financière à court terme. Un éditeur présente toutefois une situation financière préoccupante. »

Les comptes annuels des ASBL qui chapeautent chaque télévision de proximité, tels que déposés à la BNB, confirment cette analyse pour 2024 et sont même un peu plus optimistes puisqu’ils comptabilisent 8 télévisions en boni, une (Ma Télé) dont on ne connaît pas la situation (3), et 3 en mali. 

Si, l’an dernier, de nombreux MDP (médias de proximité) ont tenu le cap de l'équilibre financier, il faut reconnaître que, sur le long terme, la situation financière des télévisions de proximité a pu être plus critique. Les résultats des exercices depuis le milieu des années 2000, tels que mentionnés dans les comptes annuels BNB, montrent une situation moins stable qu’à l’heure actuelle. À de nombreuses occasions par le passé, plusieurs télévisions de proximité ont affiché un déficit annuel.


 

Une lecture plus fine de ces chiffres, réalisée télévision par télévision, démontre toutefois que, dans de nombreuses occasions, le déficit d’une année a souvent immédiatement été comblé les années suivantes. Les périodes où les déficits sont les plus fréquents se situent surtout au début des années 2010, et au tournant des années 2020.

 

Certaines stations n’ont jamais connu (ou presque) d’année difficile.

 

 

D’autres, par contre, ont davantage connu des moments difficiles, parfois plusieurs années de suite, ou plusieurs séquences d’années de déficit de suite.

 

Et c’est là que l’on retrouve le souvenir de MDP aux finances parfois « inquiétantes ». Mais il est à souligner, comme le fait le CSA, que cette situation est devenue rare à l’heure actuelle. L’affirmation selon laquelle le secteur est en déficit chronique et exige une reprise en main rapide aurait pu s’appliquer par le passé, il y a une dizaine d’années notamment.

En comparaison, certains discours actuels semblent reposer sur des représentations mentales bien ancrées dans les esprits, mais qui manquent peut-être de quelque actualisation. On ne peut en effet plus parler, depuis plusieurs années, d’un état de « déficit structurel » concernant une majorité des MDP.

AFFINER LE SENS DES CHIFFRES

Un déficit ne signifie par ailleurs pas que les finances d’une ASBL sont en mauvaise posture. Une analyse des « pertes ou bénéfices » des MDP à reporter au terme de l’exercice 2024 démontre ainsi que, à l’exception d’une station de télévision, toutes les autres ont pu reporter des bénéfices des années antérieures.

 

Une analyse des « pertes ou bénéfices à reporter » portant sur un laps de temps plus long aurait probablement fourni des résultats de nature assez similaire.

Il y a aussi lieu de ne jamais perdre de vue que les données comptables n’ont qu’une valeur relative en tant qu’indicateur de « bonne santé » dans le cas d’ASBL, le but même de ce type d’association étant de pas de faire du lucre, mais d’équilibrer ses finances. Ce à quoi répondent la très grande majorité des acteurs du secteur des MDP, l’état des finances de certaines télévisions hennuyères étant toutefois ce qui pourrait faire l’objet de critiques. Mais est-ce une raison pour en réduire le nombre ? Ne pourrait-on, au contraire, les accompagner pour les mener vers de meilleures pratiques ?

En ce qui concerne les « chiffres d’affaires » et la « marge nette » des MDP, les données sont, au niveau des comptes annuels BNB, plus difficiles à apprécier, car les rapports de certaines TVL ne mentionnent parfois pas le chiffre d’affaires et se contentent de dresser un bilan des subsides reçus. Le CSA doit disposer d’autres sources, puisque son dernier rapport de contrôle mentionne que, en moyenne, 73,6 % des revenus des médias de proximité proviennent de subsides publics, et 26,4 % de revenus propres ou contributions des distributeurs. Le CSA note aussi la forte disparité de masse salariale selon les MDP, et mentionne qu’environ 36,4 % de cette masse salariale est financée par des aides à l’emploi.

Ces données précises étant disponibles auprès de l'organe de contrôle, tout comme de l’administration de la FWB, il eût été utile de pouvoir les analyser de manière diachronique MDP par MDP, afin de relever la disparité des situations et les évolutions en cours.

Le sujet des aides à l’emploi dont bénéficient les MDP constitue apparemment un point épineux dans le débat actuel, les annonces officielles n’ayant pas manqué de le mettre cela en exergue, en évoquant la disparité des situations des différents MDP vis-à-vis des aides APE. Alors que des intentions d’assainissement de ce type d’aide figurent explicitement dans les projets présentés par le ministre en charge des médias, il faut rappeler que ce domaine ne relève pas vraiment des compétences de la FWB. Celle-ci accorde bien des aides à l’emploi aux MDP, mais l’essentiel de l’aide dans ce domaine est du type APE, qui dépend des Régions. Dans ses exposés, le ministre en charge des médias a annoncé (4) qu'une réforme des aides à l'emploi était « en cours de discussion » du coté du ministre responsable de ce dossier à la Région Wallonne. Mais cette éventuelle réforme, dont on dit qu'elle devrait « objectiver » les aides que reçoivent les TVL ne peut en tout cas pas être considérée comme relevant du ministre des médias. Quant à Bruxelles, en l’absence de nouveau gouvernement, c’est toujours le ministre faisant fonction qui gère les ACS.

UNE GOUTTE D'EAU…

Pour terminer ce chapitre financier, et en tout cas en ce qui concerne les aides apportées par la FWB aux MDP, tout le monde s’accorde pour déterminer que l’enveloppe du subside de fonctionnement s’élève à 10,454 millions € (en 2023), 10,449 millions € (en 2024) auxquels s’ajoutent diverses aides (y compris à l’emploi dans le secteur non marchand pour 4,91,millions €), ce qui fixe l’aide totale 2023 de la FWB à un peu plus de 16 millions €, et de 17 millions € en 2024.

Sur un budget total  2024 de la FWB de 14,634 milliards €, le secteur Santé, Affaires sociales, Culture, Audiovisuel et Sport représente ± 15%. Sur le total du budget de la FWB, les 17 millions € d’aide accordés aux MDP représentent donc 0,12%.

Cette constatation rejoint l’analyse figurant dans le tout récenr rapport du comité d’experts auprès de la FWB, dans lequel ceux-ci relèvent (5), dans le budget 2025, que l’ensemble de dépenses audiovisuelles de la FWB ne représentent que 3% de son budget total, et que (6) « le budget annuel de l’ensemble des médias de proximité équivaut à 3,5% du budget alloué à la RTBF ». Ce qui amène les experts à écrire, a minima, qu’il convient de « relativiser la portée » des économies qui seraient faites de ce côté, et « de s’assurer que ces efforts n’affectent pas la qualité du service offert en matière d’informations de proximité ».

On peut supposer qu’il ne s’agit là que d’un commentaire policé, inspiré par la prudence. Car une lecture objective des chiffres ne peut que pousser à s’interroger sur les véritables raisons du choix politique d’avoir décidé de réserver les premières mesures de restrictions budgétaires à un secteur qui ne représente qu’une part aussi infime du budget de la FWB, et une goutte d’eau dans la dotation accordée à l’opérateur audiovisuel public (statut que, rappelons-le, n’ont pas les MDP).

UNE CARTOGRAPHIE DE PROXIMITÉ

L’étude de l’ensemble de ces éléments, préalablement au dépôt d’un projet de restructuration, aurait pu permettre d’établir un tableau de bord complet du secteur, opérateur par opérateur, afin d’éviter les approximations (ou les impressions d’approximations). La question des emplois et de leur financement, qui semble aussi motiver le fond du projet de réforme, aurait ainsi sans doute pu être mieux éclairée.

Le même travail aurait aussi pu permettre une cartographie, tant générale que particulière, du secteur, en s’attachant à la fois à l’étude de la couverture territoriale de chaque MDP et de son volume de population, mais aussi de ses caractéristiques sociodémographiques. Ce qui aurait permis de conférer tout son sens à la notion de « proximité ».

À ce propos, le choix de réorganiser le secteur sur une base provinciale peut poser question, alors que l’on parle au même moment d’une suppression des instances politiques provinciales et de « reconfiguration » des provinces. Il y aurait eu lieu de s’interroger sur le choix de ce critère administratif comme critère de base de la division des territoires des MDP. D’autres critères auraient pu être pris en compte, par exemple celui des bassins « naturels », géographiques et culturels, avec lesquels se confondent les zones de couverture de certains (petits) MDP. Ces bassins ne correspondent en effet pas aux frontières des provinces, en recouvrent parfois deux, et sont souvent plus restreints que l’étendue des entités purement administratives que sont les provinces.

Dans la même optique, en raison du fait que l’on a affaire à des « médias de proximité », on pourrait s’interroger sur la pertinence de recours au critère du volume de population couverte afin de définir le nombre de MDP, en fixant une « barre » arbitraire au million d’habitants, d’autant que ce critère ne correspond pas nécessairement aux bassins naturels et culturels du sud de la Belgique. La notion de « proximité » ne dépend en effet pas seulement d’un critère territorial, mais est aussi déterminée par des critères de nature économico-socio-culturelle.

MÉDIAS DE TERROIR

Pour mener à bien leur mission de proximité, on peut estimer que les télévisions devraient être encore plus « locales », c’est-à-dire être ancrées dans un terroir et non dans une territorialité. C’est de la sorte que les MDP pourraient réellement contribuer au renforcement des identités des bassins géographiques naturels où elles se trouvent.

Alors que l’on ne parle que d’économies, de réduction des opérateurs et des moyens, cette proposition ne peut que paraître paradoxale. Mais elle entend montrer que, tandis que l’individualisme et le repli sur soi et son téléphone portable n’ont jamais été si développés que dans le monde actuel, les MDP devraient voir leurs missions revues. Ne pas être « simplement » chargés d’informer un bassin de population déterminé comme s’ils n'étaient que des excroissances minimales de l’opérateur audiovisuel public national. Mais se voir confier la tâche de recréer de la vie et du lien social dans des zones socioculturellement cohérentes. Ne pas être les hérauts de la misère, des drames et des tristesses d’une « zone » de population, mais les promoteurs d’un retour au vivre ensemble (et au bonheur ?) à une échelle humaine. C’est-à-dire à celle des MDP les plus menacés à l’heure actuelle, parce que les plus petits, mesurés au volume de population de leurs zones de couverture…

Frédéric ANTOINE.

(1) En réalité, une grande partie de ces visites de terrain ont surtout eu lieu dans le courant du mois de janvier 2025.
(2) Rapport du 02/10/2025.
(3) Ce point ne fait l’objet d’aucun montant chiffré dans son compte annuel tel que publié par la BNB, tant et si bien qu’on peut l’estimer = 0.
(4) « J’ai également informé les opérateurs, dans une volonté de totale transparence, qu’une réforme des Aides à la Promotion de l’Emploi (APE) est en cours de discussion sous la houlette du Ministre wallon de l’Emploi. Elle devra être l’occasion d’objectiver les montants alloués aux médias de proximité, jusque-là attribués sans critères clairs et selon le bon vouloir des Ministres. » (communiqué officiel 03/06/2025).$
(5) p.19.
(6) p.32. 

 

11 janvier 2023

Sur La Une (RTBF): The Dancer ou The Advertiser?

 

The Dancer,
le nouveau show type  'télé-réalité dansante' de La Une, a bien des atouts pour plaire, et est assurément un beau spectacle. Mais ce programme coûte-t-il si cher qu'il faille le truffer de publicités commerciales d'un nouveau genre? Ici, la pub ne rentre pas seulement par la porte, mais aussi par la fenêtre. Et parfois bien subtilement… Même si ce n'est pas une originalité de La Une (*)
Mais rendons d'abord hommage à la qualité du programme, et à ses originalités.
 
The Dancer version RTBF est, comme le précise son générique final, une superbe franchise du format éponyme créé par Fremantle UK et Sico Entertainment. Et dont la version la plus accessible sur la Toile est celle qu'a diffusée il y a + un an la RTVE, l'opérateur audiovisuel public espagnol. En de nombreux points, celle-ci ressemble à la belge, y compris dans le type de casting flamboyant des membres du jury (et surtout de sa composante féminine).
 
Nous n'avons pas la place pour présenter ici le programme en détail. Mentionnons simplement qu'il est donc composé de prestations de danseurs et danseuses ± amateurs ou ± professionnels. La première étape du programme est destinée, comme dans The Voice, par exemple, à éliminer les plus mauvais et à constituer ensuite autour des membres du jury des équipes dont les membres s'affronteront dans les étapes suivantes. D'ordinaire, dans ce genre de programme, les membres du jury sont seuls à opérer cette sélection, l'étape d'interaction où le public vote pour les candidats n'apparaissant que plus tardivement. Ici, si 75% du public présent en studio vote pour le candidat lors de sa prestation d'une durée de 2 minutes, il est retenu dans un premier temps. Les membres du jury ne feront ensuite leur sélection que parmi les participants sélectionnés.
 
                                                                            (logo version hispanique)
 
UNE RICHE ÉCRITURE
 
On se croit donc un peu à ce stade dans The Voice, à la différence près que, à certains moments (et comme dans toute bonne télé-réalité), la compétition n'apparaît qu'être un prétexte pour créer de l'émotion autour du candidat et de son histoire. On pleure beaucoup sur le plateau, avant et après la prestation, et ces éléments prenants participent sans doute grandement à l'addiction que le spectateur peut avoir le programme, une fois qu'il s'est familiarisé avec lui.
 
Le concept repris par Fremantle Belgique fonctionne bien, et s'avère plus riche, par exemple, que Belgium's got talent (ou son équivalent français). Cette richesse ne se retrouve pas seulement dans les décors très léchés ou l'univers général du programme, mais aussi, sinon surtout, dans sa construction narrative, qui a l'originalité de multiplier les angles si on compare The Dancer aux autres programmes classiques du genre. 
 
Alors que, s'ils en ont, ces productions de télé-réalité comptent en général un présentateur, The Dancer recourt à un couple de deux personnes, qui n'occupent pas vraiment un rôle central, mais sont plutôt chargées de cadrer les émotions (auxquelles elles participent) et, surtout, de borner les phases du récit. Les membres du jury, particulièrement actifs dans l'animation du plateau, apportent un deuxième point de vue sur l'histoire à laquelle ils participent. Leur rôle est central. La "secrétaire" de la production, qui accueille les candidats dans son bureau avant leur prestation, est la porteuse du troisième niveau de récit. Elle remplace un peu les séquences backstage des productions classiques, mais en occupant une place beaucoup plus importante (1). Mais ici, 
 
En pus, il y ici encore d'autres récits, produits par d'autres acteurs. Le quatrième récit est généré par un(e) ami(e) du compétiteur, à la fois via une vidéo présentée avant sa prestation, mais aussi en étant présent(e) dans le studio où se déroule l'émission, et constamment cadrée lors des étapes de la prestation. Enfin, et ce n'est pas la moindre originalité, le programme est parsemé de commentaires "live" (si l'on peut dire) provenant de divers couples de spectateurs faisant partie du public. Le spectateur à domicile s'identifie ainsi à celui qui est dans la salle. La communion est parfaite;

Inutile de dire que cette diversité de récits s'entremêle, contribuant largement à la dynamique du programme.
 
POMMES ET POIRES
 
Une analyse des rôles exacts de chaque producteur de récits serait passionnante à réaliser, ainsi qu'une étude sur les concurrents, subtilement castés et invités à se produire dans un ordre qui participe évidemment à l'écriture du scénario du programme. Tant et si bien qu'on en finit par se dire que, dans cette émission comme dans d'autres du mêmer (type Belgium's got talent),  on compare des pommes et des poires, entre une troupe qui présente une prestation d'ensemble, un quatuor ou un quintet de danseurs dynamiques et un petit couple de pensionnés exécutant une valse viennoise. Deviner qui le public a retenu et éliminé pourrait être fait avant même le début de chaque prestation. 
Mais enfin, est-ce si important? Le plaisir du spectateur est-il là?
 

DÉPLACEMENTS DE PRODUITS

L'originalité de The Dancer se trouve enfin… dans son usage des messages publicitaires. Comme tout bon programme qui se respecte, cette production à laquelle la RTBF est associée est évidemment truffée d'interruptions publicitaires, dont l'emplacement est bien inscrit dans la structure du scénario de l'épisode. Cela, on connaît par coeur. Le panneau "ce programme contient du placement de produit", diffusé avant le début de l'émission (et également dit en voix-off, sans doute pour les enfants en âge préscolaire) fait également référence à des choses maintenant connues, la production ayant même la bienveillance d'énumérer les marques dont les produits seront placés dans le programme. 

Mais, lorsqu'on regarde The Dancer, ce placement de produit (s'il s'agit de lui) prend une tournure assez spéciale, et très peu vue jusqu'ici (en tout cas à notre connaissance sur le service public): ce n'est pas le produit qui apparaît sur l'écran, mais un bandeau publicitaire qui occupe tout à coup le bas de l'image. Le bandeau contient un message, mais ne montre pas un produit. Est-on encore dans le genre "placement de produit"? Cette nouvelle forme de production publicitaire contribue à l'originalité de ce show car elle nécessite un travail subtil de conception du message, qui doit être à la fois concis, accrocheur, et faire référence à une marque sans nécessairement à nommer. Tout un nouveau terrain de jeu pour les créatifs des boîtes de pub…

Mais pour le spectateur, c'est surtout compris comme une nouvelle invasion de son espace visuel par de la pub. Non content d'en avoir avant, après, ainsi que toutes les douze minutes (ou ±) d'un programme, voici maintenant que la pub s'immisce dans le programme lui-même. Non en montrant un produit, mais en ajoutant un message textuel au contenu de l'image et du son que l'on consomme en même temps. Peut-on à la fois suivre ce qui se passe à l'image et assimiler les paroles tenues si, au même moment, on doit déchiffrer un contenu textuel qui occupe une partie de l'écran? La question est ouverte.

Ce système est en tout cas
un superbe moyen de forcer les téléspectateurs à ingurgiter de la pub même quand ils n'en veulent pas, puisqu'elle est insérée dans l'image du programme. Fini les visionnements a posteriori via les services de VOO ou de Pickx où l'on zappe les écrans pub. Ici, on en est prisonnier. On ne peut pas ne pas la voir (2).
 
Amis publiphobes, ce nouveau type de matraquage n'est pas fait pour vous. A la fin de The Dancer, le trop-plein de commercial risque de vous sortir par les narines. Ou de ne pas du tout vous donner envie de danser. Ce qui est sans doute une des missions du service public.

Frédéric ANTOINE.

Ce texte du 11/01 a été complété le 12/01 à 17h55.

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(1) Dans les émissions classiques, une seule et même personne assure parfois la partie backstage et la présentation générale.
(2) Idem sur Auvio, où n'existent pas les écrans pub insérés au sein du programme lors de la diffusion en linéaire.
 
(*) Suite à la publication de ce texte sur ce blog, un lecteur précise: "Vous estimez que ces bandeaux n’ont été tres peu vus à votre connaissance sur les antennes de la RTBF. En réalité, ce principe existe depuis 2014 et la saison 3 de The Voice. . A l’époque, en juin 2013, le renouvellement de The Voice était menacé à cause de la suppression du PP.  La RTBF a alors utilisé ce moyen. Et, en 2015, quand le PP a été illico ré-autorisé, ces bandeaux sont neanmoins restés. Désormais, PP et bandeaux pub cohabitent."


06 janvier 2022

La RTBF pour tout le monde, c'est bientôt fini ?

La RTBF pourrait arrêter la diffusion hertzienne de ses chaînes tv à la fin de cette décennie. Devoir s'abonner pour pouvoir capter des contenus, est-ce compatible avec le statut d'un opérateur public ? Peut-on être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts ?

Selon un article paru ce 5 janvier dans la revue Broadband tv news (1), la RTBF entend "switch off its digital terrestrial broadcasts by the end of the decade", un projet qui est "part of a new strategic plan adopted by the RTBF Board of Directors". On savait déjà que, pour l'opérateur public, la fin de la radio analogique était programmée dans le courant de cette décade (reste à voir si le DAB+ finira un jour par vraiment séduire l'audience…). Mais, en tout cas à notre connaissance, il n'était pas encore établi que le service public comptait aussi éteindre tous ses émetteurs de TNT.


 NI RIVALITÉ, NI EXCLUSION
 


 Si tel est le cas, cela pose un sérieux problème par rapport à l'identité de ce qu'est un service public audiovisuel. Celui-ci est en effet supposé offrir à tout le monde un accès égalitaire, c'est-à-dire gratuit, à ses programmes. C'est ce qui caractérise le statut de "bien public" que la fameuse matrice de Paul Samuelson (2) définit comme non rival et non exclusif. La consommation de ce bien par une personne n'empêche pas d'autres de le consommer (contrairement aux biens privés), et tout le monde doit y avoir accès, sans barrière à l'entrée, c'est-à-dire sans devoir payer. 



 Même si la réception hertzienne de la télévision est très minoritaire dans notre pays, en coupant ses émetteurs, la RTBF annihilerait le statut d'égalité entre tous les citoyens.

L'article 3 de son statut (3) définit la mission de service public comme étant "assurée en priorité par une offre au public, notamment à l'ensemble des francophones de Belgique, de programmes de radio et de télévision, par voie hertzienne, par câble, par satellite ou tout autre moyen technique similaire qui permet d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers, à tous les programmes généraux et spécifiques de l'entreprise correspondant à sa mission de service public". 


 Ce texte nomme explicitement la transmission hertzienne, tout en parlant aussi de câble et de satellite, mais pour autant que ces moyens permettent "d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers".


 ZÉRO TICKET D'ENTRÉE


 Les ondes allant où bon leur semble, la diffusion hertzienne permet une réception partout, à tout moment, et directe. C'est-à-dire sans devoir pour cela s'acquitter d'un quelconque payement, qui fait passer le bien dans le domaine de l'exclusion. Sans réception hertzienne, l'accès aux contenus est conditionné au recours à un gatekeeper, de type privé, que celui-ci soit un opérateur du câble ou un fournisseur d'accès à l'internet. L'un et l'autre transforment le bien public en bien privé, puisqu'ils imposent à l'usager le paiement d'un abonnement pour avoir accès à l'ensemble des services qu'ils proposent. Puis, éventuellement, un second paiement, pour atteindre un service en particulier ou pour avoir accès à un contenu spécifique en particulier. 


 Or, on ne doit pas être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts.


 Faire dépendre la transmission des contenus d'un opérateur public d'acteurs privés ne correspond pas non plus à ce que l'on peut attendre d'un agent public. Que ce soit sur le plan de la logique politique et sociale, mais aussi sur celui de la sécurité. Le jour où une panne, un sabotage ou un acte révolutionnaire mettrait les câbles hors service, par quel biais s'exprimerait alors la télévision publique? Aucun.  


Il n'aurait plus de moyen d'entrer en contact avec ses usagers. 


 Si demain survient un accident nucléaire, un tsunami, un tremblement de terre ou toute autre catastrophe et que les Belges allument leur téléviseur afin de s'informer auprès de l'opérateur public, que verront-ils? Rien. Parce que câble sera muet. Et il en sera de même de l'internet. Inutile de se fier à son modem. Seuls subsisteront les messages hertziens, diffusés par des émetteurs qui sont conçus pour continuer leur mission en cas de panne du réseau électrique. Tout comme l'opérateur public, qui a le moyen de produire des contenus en toutes circonstances. Alors qu'aucune obligation de continuité de service n'est imposée aux entreprises privées de télécommunications, qui seraient bien en mal de l'assurer.


 UNE ANORMALITÉ

 
 La proportion de téléviseurs reliés à une antenne est faible ? Certes. Mais, par leur simple câble, certains téléviseurs actuels permettent déjà une réception directe de signaux télévisuels émis en numérique. Et pour tous les autres, il suffit de brancher un petit fil à la sortie coaxiale. Et hop, miracle, en passant en réception hertzienne, on captera une image.


 Certes, en cas de crise, on se repliera sans doute aussi sur la radio, à condition de disposer de récepteurs DAB+ (sinon, tant pis pour vous. Vous mourrez devant votre transistor FM dans les émanations toxiques, sans avoir pu savoir comment faire pour y échapper). Mais on aura besoin de la tv pour concrétiser les informations, pour l'illustrer, l'humaniser.


 Certes, la plupart des gens s'acquittent d'un abonnement pour leur smartphone, pour l'internet, la télé, le téléphone. C'est presque devenu "normal" de payer pour disposer de ces services. Mais, pour les médias publics, cela reste une simple possibilité parmi d'autres. Et non une normalité.


 L'ARGENT vs RAISON D'ÉTAT


 Alors oui, en Flandre,  depuis le 1er décembre 2018, on est déjà dans cette configuration incroyable (4). Et la VRT s'est payée le luxe de dire à ses téléspectateurs qu'il y avait "des alternatives" à la réception hertzienne pour continuer à voir ses programmes. Des alternatives, oui. Mais qui ne sont pas de même nature que le produit d'origine. Quant à la justification de cet abandon, elle était essentiellement financière (5) : en Flandre, il n'y aurait "que" 45.000 foyers qui utiliseraient la réception hertzienne. Ce qui reste à démontrer sur le terrain, car ces cas ne sont pas vraiment identifiables, tant ils peuvent être diversifiés. Et cela et n'augure en rien les situations futures.


 Bien sûr, posséder et gérer des émetteurs coûte cher. Si cher que, en Flandre, la VRT avait déjà en 2008 vendu son parc d'émetteurs à Norkring, avant de céder sa diffusion en DAB+ au hollandais Broadcast Partners. Il est évidemment tentant de justifier le futur switch off dans le sud du pays par les mêmes arguments que dans le nord. Se libérer de la charge des émetteurs permet d'investir dans le futur de la télé…


 Mais, au niveau des pouvoirs publics, peut-on accepter de laisser tomber cette composante essentielle de la mission de service public, pour de simples raisons économiques? La raison d'État, elle, imposerait de la maintenir. Par nature. Par principe. Et par précaution.


 Frédéric ANTOINE.
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(1) https://www.broadbandtvnews.com/2022/01/05/rtbf-wants-to-switch-off-fm-and-dvb-t/ 

(2) SAMUELSON P., “ The Pure Theory of Public Expenditure ”, in The Review of Economics and Statistics, Vol. 36, No. 4. (Nov., 1954), pp. 387-389.

(3) https://ds1.static.rtbf.be/article/pdf/2018-11-09-decret-portant-statut-de-la-rtbf-coordination-officieuse-de-justel-1548073211.pdf
(4) https://www.vrt.be/nl/aanbod/kijk-en-luister/radio-luisteren/dvbt/
(5) "We begrijpen bij de VRT dat een deel van de DVB-T kijkers op zoek moet naar een alternatief. Als openbare omroep moeten we keuzes maken en onze middelen als een goede huisvader beheren. Daarom kiezen we ervoor om te investeren in een toekomstgerichte technologie, zoals internet, waarmee we ons aanbod voor zo veel mogelijk mensen beschikbaar maken. De DVB-T kijkers zullen we op weg helpen naar het alternatief." (https://www.vrt.be/nl/over-de-vrt/nieuws/2018/10/31/vrt-stopt-op-1-december-met-haar-dvb-t-signaal/)


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