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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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20 mars 2021

IPM PLACE SES JALONS A L'AVENIR

La nomination du nouveau rédacteur en chef du quotidien namurois peut laisser présager la manière dont son propriétaire imagine l'avenir du titre.

Le 15 mars dernier, les médias du groupe IPM ont annoncé la nomination d'un nouveau rédacteur en chef pour le quotidien L'Avenir, devenu officiellement propriété du groupe bruxellois au début de cette année. Le choix de la personne chargée de diriger une rédaction est forcément porteuse de sens. Ce dernier est en effet non seulement désigné pour animer la rédaction, mais aussi pour en orienter les choix éditoriaux, voire pour y mettre en œuvre ceux qui ont été définis par la direction du groupe.

En l'occurrence, le choix opéré par les instances d'IPM peut, peut-être, laisser entrevoir les intentions de la maison-mère à l'égard de sa filiale wallonne, ou à tout le moins pousse à se poser des questions à cet égard.

Du "sérail"

L'option retenue a été celle de doter L'Avenir d'un rédacteur en chef "du sérail". Pas du sérail du groupe L'Avenir, mais du groupe IPM. On n'a pas opté pour la désignation à la tête du journal d'une personne issue de sa propre rédaction, connaissant bien le produit avec ses qualités et ses faiblesses, et ayant vécu les difficiles années que le quotidien vient de connaître suite aux tiraillements entre les journalistes, leur ex-propriétaire et le directeur des rédactions qui, là aussi, avait été parachuté à Bouge.

Mais la personne n'a pas, non plus, été choisie hors du cénacle d'IPM. On aurait pu imaginer que, comme le fit Nethys, IPM se soit tourné vers l'extérieur pour trouver la personne providentielle chargée de booster le quotidien wallon et de l'envoyer sur orbite. Les personnalités brillantes, qui ont déjà piloté des rédactions ou connaissent bien les spécificités de la presse régionale, ne manquent ni en Belgique ni en France, par exemple. 

IPM a donc décidé de choisir en interne un de ses hommes. Nous aurions eu envie d'écrire "un de ses pions", mais la qualification péjorative du terme, que Larousse définit comme "Personne, élément qui ne joue qu'un rôle minime, qui est manipulé, dont on dispose arbitrairement", nous empêche évidemment de recourir à ce mot. Nous n'écrirons pas non plus "une de ses femmes" car ce groupe n'a pas coutume, dans ses activités de presse, d'attribuer à la gent féminine un grand nombre de responsabilités essentielles (1).

Un professionnel de terrain

IPM délègue donc à L'Avenir un de ses hommes. On ne peut y voir qu'une volonté de veiller à ce que L'Avenir s'inscrive bien dans les rails du groupe propriétaire, et ne cherche à jouer cavalier seul. Le passé a en effet montré que la rédaction du titre wallon ne manquait pas de velléités d'indépendance. Il s'agit ici qu'elle reste bien dans les rangs. Ce rôle est la moindre des fidélités que la direction d'une entreprise puisse attendre de la personne à qui elle offre une promotion au sein de son groupe.

Au sein d'IPM, deux choix s'offraient à l'actionnaire. Détacher à L'Avenir un gestionnaire ou un journaliste. C'est ici la seconde option qui a été retenue, et on peut s'en réjouir, car il s'agit bien de piloter une rédaction chargée de produire de l'information, et non d'abord de la gérer. 

Restait dès lors à déterminer d'où viendrait la perle rare. On aurait pu imaginer que l'heureux élu soit issu des rangs de La Libre. Non tant parce que les deux titres partagent le même passé d'appartenance au giron catholique, mais pour la vision qu'ils ont en commun de ce qu'est une information de qualité, originale et exigeante. Le slogan du titre namurois, que son propriétaire a maintenu dans les spots publicitaires diffusés pour l'instant (alors qu'il existe depuis 2015), n'affirme-t-il pas que "L'avenir est au contenu"? Evidemment, La Libre n'a (plus) aucune ambition d'être un quotidien à composante régionale. Cela ne plaidait donc pas en faveur d'une sélection de ce côté.

Le choix s'est donc fait du côté de La DH-Les Sports. Ce quotidien affiche neuf éditions régionales en ligne et sept éditions sur papier. Il s'agit donc d'un titre revendiquant un ancrage dans la presse régionale, ce qui n'est pas sans poser question en rapport avec le rachat de L'Avenir… mais aussi avec la nomination, à la tête de sa rédaction, d'un personne qui occupait le rôle d'adjoint du rédacteur en chef de La DH.

Orienter L'Avenir

Par cette sélection, IPM a-t-il choisi de mettre à la tête de L'Avenir une personne ayant fait une partie de sa carrière dans la presse régionale parce que c'était le moyen d'être le plus en phase avec l'identité de la rédaction du titre namurois? L'idée paraît évidente, même si le curriculum vitae de la personne concernée révèle qu'elle a principalement été active dans l'actualité judiciaire et le fait divers.

D'autres scenarii ne sont-ils envisageables? Le directoire d'IPM entend-il ainsi veiller à ce que L'Avenir pratique dorénavant une locale plus populaire (et donc proche de celles des techniques de La DH), ce qui pourrait permettre de rajeunir (et d'urbaniser) le lectorat d'un titre beaucoup trop confortablement enfoncé dans ses vieilles pantoufles? 

Dans un autre sens, IPM n'aurait-il pas un jour le projet de "dé-régionaliser" la DH, en confiant à L'Avenir seul le pôle local du groupe, mais en mixant dans ses contenus les caractéristiques populaires du titre bruxellois et la localité du journal namurois? Un bon rédacteur en chef serait bien utile dans cette perspective. Dans pareil scénario, on pourrait imaginer que la DH se voie recentrée sur l'info-géné et, surtout sur le sport, et non sur le local.


A l'inverse, le projet final se serait-il pas de bipolariser la couverture régionale du groupe, en distinguant d'une part une locale plus urbaine, plus associée aux faits divers et au judiciaire, qui serait aussi liée aux grands clubs de sports, et serait portée par la DH et, d'autre part, une locale plus semi-rurale, plus traditionnelle, qui resterait l'affaire de L'avenir? Mais faut-il recourir à une nomination interne provenant justement de La DH pour mettre en œuvre pareil projet?

A moins que, au lieu de tout cela, la logique et la rationalité économique, qui prévaut souvent chez IPM, n'amènent à terme à la disparition des deux titres, et à leur fusion dans un projet commun alimenté par les deux produits actuels. La possible disparition à ± moyen terme des éditions papier, qu'annonce de longue date le management d'IPM, pourrait y contribuer. Tout comme elle pourrait aussi, a contrario, aboutir à une disparition de La DH "papier", mais au maintien (au moins temporaire) de L'Avenir sur ce support, en raison du profil de son lectorat.

L'avenir de L'avenir n'est pas encore écrit. Mais, comme mentionné dès le début de ce texte, la délégation sur les hauteurs de la capitale wallonne d'un haut responsable de La DH ne peut empêcher de se poser des questions. Rien que des questions. Sans aucune autre intention.

Frédéric ANTOINE.

(1) sinon dans ses branches marketing et autres activités, où les femmes occupent d'importantes fonctions.

11 janvier 2021

PAYSAGE MÉDIAS : ÇA S'ÉCLAIRCIT DU CÔTÉ DES PROPRIÉTAIRES…

Participations croisées, co-actionnariat, partages nord-sud… Le marché belge des médias s'est longtemps distingué par la complexité de ses structures de propriété. En quelques mois, ça pas mal changé. Dernier élément en date : Rossel, désormais seul patron du quotidien gratuit Metro.

Fin des histoires compliquées et de certaines des associations entre acteurs du Sud et du Nord du pays. Désormais on va y voir plus clair, et on saura qui est qui. Juste avant Noël, le groupe flamand Mediahuis annonçait ainsi avoir cédé ses 50% de Metro à son autre co-actionnaire historique, Rossel. Le groupe bruxellois devient ainsi le propriétaire unique du seul titre belge paraissant dans deux des langues nationales (mais avec des contenus plutôt différents). Le cas de 7sur7.be, édité par le groupe flamand PDG n'est donc plus unique : voilà un deuxième éditeur d'une des parties du pays à posséder seul un organe de presse quotidienne publié dans la langue de l'autre communauté.

Cet éclaircissement de propriété en suit d'autres. En mars dernier, l'actionnariat de Plus Magazine s'était lui aussi remodelé. Le groupe Bayard, qui avait fondé la formule en créant jadis Notre Temps, a alors cédé ses parts à Roularta. On pourrait y ajouter le rachat des éditions luxembourgeoises St-Paul par Mediahuis, survenu en avril 2020. Mais, dans ce cas, c'est plutôt la structure qui se complique, puisque l'éditeur flamand, qui avait tout fait pour se défaire de ses avoirs francophones (hormis participation dans l'audiovisuel) s'est là retrouvé propriétaire de médias, grand-ducaux certes, mais en partie au moins publiés en langue française…

On ne peut non plus exclure de cette énumération le rachat des éditions de L'Avenir par IPM, officialisé ces derniers jours. Finis les méli-mélo autour de Nethys et de son intercommunale faîtière. Il est maintenant clair que, comme en Flandre, il n'y a plus désormais que deux groupes de presse quotidienne généraliste en Belgique francophone. De quoi gérer le marché d'une belle manière oligopolistique.

Mais la plus grande opération de clarification de 2020 restera sans doute peut-être le rachat du solde de RTL Belgium par sa maison-mère, le RTL Group. Là aussi, les embrouillamini précédents, notamment autour de la nébuleuse Audiopresse, appartiendront bientôt au passé. 

Rares seront donc bientôt les médias belges dont l'actionnariat restera entre plusieurs mains, avec des intérêts partagés entre les acteurs. Les cas les plus patents subsistant sont liés au groupe Roularta, fondamentalement flamand mais bilingue dans les faits, avec Rossel pour Mediafin (L'écho, De Tijd)   et avec Bayard pour Belgomedia (Télépro). Mais pour combien de temps encore?

Frédéric ANTOINE

03 août 2020

VOO: pour Orange ou pour Telenet? Plus qu'une question d'argent, un choix politique et philosophique


Ce 29 juin, le tribunal de l'entreprise de Liège suspendait la vente de 51% de VOO à la multinationale US Providence Equity, Dans la foulée, dans son dernier numéro, Trends-Tendances consacre un intéressant article au nouvel avenir qui peut désormais s'offrir à VOO (1). Mais, si l'entreprise de télécoms passait à Orange ou à Telenet, tout serait loin d'être pareil.
Le choix que devra faire Nethys sera donc aussi philosophique et politique.

Ce n'est pas encore fait. Mais il est acquis que la procédure de cession de VOO par Nethys va être reprise à zéro, et que l'appel d'offre sera, cette fois, transparent. Selon Renaud Witmeur, directeur général ad interim du C.A. de Nethys, il n'est pas acquis non plus que la solution précédente, consistant à ne pas céder la totalité du capital de VOO, sera maintenue. Mais le futur de l'opérateur n'est clairement plus dans le giron de l'entreprise liégeoise et de son intercommunale faîtière. La décision du tribunal de l'entreprise reposant sur une plainte déposée par Orange, rejointe ensuite par Telenet, il est clair que les deux acteurs télécoms seront cette fois sur les rangs des candidats au rachat.

EXTENSIONS STRATÉGIQUES


L'un et l'autre sont déjà présents sur le marché belge, mais dans des proportions différentes. Si Orange y propose une offre Tv+Internet+Mobile, son implantation dans le pays est d'abord liée à son rachat d'un réseau de téléphonie, et moins à son insertion dans l'univers de la télévision. Reprendre VOO changerait évidemment tout, et permettrait à l'acteur français de décliner en Belgique les mêmes types d'offres que celles qu'il propose en France.
Telenet, pour sa part, est déjà l'ogre du marché des telecoms en Flandre, et en partie à Bruxelles. Davantage qu'Orange, qui est essentiellement un fournisseur d'accès et de "tuyaux" de communication, Telenet a déjà un pied bien implanté dans l'autre pendant du marché, celui des contenus. Non seulement, comme VOO avec BeTv, il y contrôle le secteur historique de la pay-tv. Mais il s'est de longue date lancé dans la conquête de la télévision commerciale et est aujourd'hui, avec Vier, Vijf et Zes, le principal concurrent de la télévision publique VRT et des chaînes privées possédées par DPG, avec qui il a conclu en février 2020 un accord afin de lancer un "Vlaamse Netflix".

En aquérant VOO, Orange ferait lui aussi son entrée dans le cercle des fournisseurs de contenus, même si, à l'heure des plateformes numériques, l'intérêt qu'il y a à détenir un bouquet de pay-tv est sans doute aujourd'hui beaucoup moins intéressant qu'hier. Pour Telenet, racheter VOO permettrait un contrôle de tout le marché belge de la télédistribution, et de mener une concurrence frontale et unique à Proximus Pickx, ainsi que, de manière générale, à l'offre quadruple play de Proximus.

Telenet part à conquête du reste du marché belge. Orange part pour sa part à la conquête d'une partie de la Belgique. Avec, peut-être, le rêve d'un jour aussi absorber la partie flamande (mais ça, ce n'est pas gagné).

POLITIQUE ET PHILOSOPHIE

Au-delà de ces projets stratégiques, une autre différence sépare les deux potentiels candidats à la reprise de VOO: la nature de l'entreprise et son projet. Certes, les deux acteurs sont des opérateurs privés, fonctionnant selon les lois du marché, dans le cadre d'une économie libérale. Mais ils n'ont pas le même profil.


Telenet est aujourd'hui contrôlé par l'entreprise américaine Liberty Global. A très faible dose, celle-ci était déjà dans le capital du câblo-opérateur flamand depuis des années. Il y est monté en puissance en 2005 et en a acquis la majorité en 2007. A l'heure actuelle, Telenet est piloté par la société américaine, un des leaders mondiaux dans la gestion des réseaux de câblodistribution. Avec ses 58%, Liberty Global ne se contente pas de contrôler, mais aussi de diriger l'opérateur flamand. Autour de ce pilier fort, de petites parts de capital sont possédées par de nombreux fonds d'investissements non-belges, surtout américains et britanniques. Certains de ces fonds sont par ailleurs aussi propriétaires d'une partie du capital de Liberty Global, qui est contrôlée par des fonds d'investissements et des mutual funds. Quelques hedge funds possèdent aussi une très petite part de la société télécoms US. Les dix fonds d'investissements et les 10% des fonds mutuels les plus présents dans le capital de la société en possèdent ensemble plus de 75%. Celui qui détient la part la plus importante, Harris  Associates, gère ses placements via diverses sociétés dont notamment Oakmark, également actionnaire de Liberty Global.

Telenet est clairement dépendante d'une entreprise multinationale américaine, fonctionnant selon les logiques propres à ce marché. Céder VOO à Telenet revient à conforter cette domination mondiale des sociétés US qui dictent leurs lois au marché.

UN VIEUX RELENT PUBLIC


Orange n'appartient pas du tout à la même galaxie. La société Orange Belgique est contrôlée à près de 53% par la société mère éponyme, située en France. De nombreux fonds de placements étrangers sont aussi propriétaires d'une petite partie du capital de la société, dont des acteurs britanniques et américains. On retrouve parmi eux certaines sociétés qui sont aussi propriétaires d'une partie de Telenet: le Vanguard Group américain, ou la société de placements des fonds de la Banque de Norvège gérant les activités pétrolières de ce pays.
Orange Belgique est aussi, pour moins de 1%, entre des mains belges, celles de Degroof Petercam Asset Management.

En France, Orange est aux telecoms quelque chose de très proche de ce qu'est Proximus en Belgique. Bien avant Proximus, il y a avait la RTT, la Régie d'Etat des Télégraphes et des Téléphones. Outre-Quiévrain, avant Orange, il y avait les PTT.  Dans les deux cas, des monopoles d'Etat chargés de gérer des systèmes de communication. A l'heure actuelle, l'Etat belge possède toujours 53% de Proximus. L'Etat français contrôle lui, directement et via sa banque publique d'investissement, près de 23% du capital de Orange. L'essentiel du reste est en bourse (freefloat), mais entre les mains d'acteurs institutionnels.

Choisir Orange, ce n'est pas retourner à l'ère du monopole public. On se souvient d'ailleurs d'une époque où France Telecom avait été montrée du doigt pour les cas de suicides dans son personnel, mis sous pression pour des raisons de rentabilité. Tout n'y est donc pas rose et désintéressé. Mais l'acteur public n'y est pas totalement absent. De plus, la société est, à l'origine, issue du même bassin linguistique et culturel que le sud de la Belgique. Enfin, Orange est une entreprise implantée en Europe, et c'est de là qu'est organisée sa gestion. Et non à Wall Street.

Au-delà de considérations financières reposant sur le montant du chèque que chaque repreneur mettra sur la table, des enjeux plus larges devraient donc ici être pris en compte. Surtout lorsqu'on se souvient que, derrière Nethys, il y a toujours une intercommunale, Enodia. Et qu'après la pose du câble électrique, son ancêtre l'ALE avait entrepris, dans le cadre de sa mission de service à la société, de placer le câble de télédistribution sur toutes les façades de la province de Liège…

Frédéric ANTOINE.



(1) https://trends.levif.be/economie/magazine/quel-avenir-pour-voo/article-normal-1314847.html

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