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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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08 juillet 2021

DPG-Rossel: la raison cachée du deal de la décennie ?

 N'y aurait-il pas un enjeu caché derrière le rapprochement de Rossel et DPG dans le dossier RTL Belgium? Si tel était le das, celui-ci pourrait s'appeler IP Belgium. Une poule aux œufs d'or dont personne ne parle, mais qui peut expliquer bien des choses.
 
IP Belgium est une filiale à 99,9% de RTL Belgium. On ne cite quasiment jamais son nom dans le dossier du rachat du RTL Belgium, comme si "l'important", économiquement parlant, se trouvait du côté des chaînes de télévision et de radio. Or, d'un point de vue financier, la régie IP est bien plus intéressante que sa société mère.
 
Ces dernières années, IP a généré entre huit et dix millions d'euros de bénéfice par an. La moyenne annuelle du solde positif de la régie entre 2004 et 2020 est de 8.397.211 €. Comme le montre le graphique ci-dessus, ses résultats étaient plus élevés avant 2017 qu'après cette date. Cette année-là, les responsables de RTL Belgium ont en effet décidé d'arrêter la branche "magazines" des activités de la régie et l'ont recentrée sur l'audiovisuel. Ce choix a réduit le boni mais a tout de même permis à IP de rapporter encore pas mal d'argent (voir ci-après). Par ailleurs, chose combien appréciable et imprévue, 2020, année de tous les dangers suite à la covid, ne s'est pas trop mal terminée. IP a l'an dernier engrangé un bénéfice de plus de 7,29 millions €. Pas mal!, comme s'en sont eux-mêmes félicités les patrons de l'entreprise, rendant hommage au rebond d'achat d'espaces pub survenu en novembre et décembre 2020.
 
Pas comme RTL
 
Pas mal aussi au regard des résultats de RTL Belgium en tant que telle. En moyenne annuelle entre 2014 et 2020, la société belgoluxembourgoallemande avait produit un bénéfice de 5.457.275 €, et ce surtout grâce aux résultats des années 2014-2017. Depuis lors, le boni annuel de l'entreprise est en chute libre, malgré un léger rebond en 2019, dû aux "allègements" de charge en personnel produits par le plan Evolve.
 
La comparaison entre les bonis produits par les deux acteurs du paysage médiatique est frappante (1). Et explique ce que le rachat de la société mère et de ses filiales peut susciter comme intérêt. 
 

Si l'on cumule les bénéfices des deux entreprises, la part de IP dans les bénéfices gérés manifeste son importance. Sur la période 2014-2020, elle représente nettement plus de 60%, et cette proportion croît au fil des années pour atteindre 80% en 2020.
 
Dominant sur le marché
 
La situation de IP est incomparable par rapport à celle de RMB, la régie liée à la RTBF. Par rapport au bras publicitaire de RTL Belgique, celui de l'opérateur public est un petit poucet, au moins en ce qui concerne les bénéfices générés.
 
 
 
Si l'on cumule les bénéfices des deux régies, la part du total occupée par IP se situe ces dernières années entre 80 et 90%. Entre 2016 et 2020, le boni annuel moyen dégagé par la régie de l'opérateur publique n'atteint pas le million €. Le bénéfice de IP est près de 8 fois plus important. En 2020, la différence entre les apports des deux régies est plus forte encore puisque, contrairement à la régie de RTL, largement bénéficiaire, celle de la RTBF a, elle, été déficitaire. Ce qu'elle n'est d'ordinaire jamais, évidemment.

Dans le même tiroir
 
Le périmètre des activités de la RMB, plus étroit que celui de IP explique en partie cette situation, et ce même si le champ de cette dernière a, lui, aussi été réduit à l'audiovisuel en 2017 (2). Le petit organigramme ci-dessous permet de mesurer l'ampleur de la variété des supports pour lesquels IP peut prospecter et proposer du placement publicitaire. RTL n'est pas, et de loin, le seul client de IP. En télévision, le pari d'être aussi la régie de TF1 et de TMC permet de faire tomber dans la caisse de RTL Belgiqque les recettes perdues par TVI et consorts et venant de la pub sur les chaînes françaises. Idem en radio: lorsque Nostalgie dépasse les radios de RTL en audience, no problemo pour RTL Belgique. La radio "oldies" étant aussi dans le portefeuille de IP, les recettes ne provenant pas de Bel et allant à Nostalgie restent dans le même tiroir…

Non content de ratisser large en francophonie, IP est aussi présent, en radio, du côté flamand. Même si son rayon d'action est plus réduit en Flandre, la régie peut donc être considérée comme bicommunautaire, ce qui a dû plaire à DPG, qui gère déjà la pub sur les réseaux privés de radio qu'il possède. Avec le rachat de RTL, le voici aussi indirectement à la manœuvre pour d'autres réseaux et radios flamands, dont Nostalgie et Family Radio. De quoi contrôler une bonne part le marché.
 
Poule wallonne ou coq flamand?
 
Posséder IP constitue donc bien un des enjeux du rachat de RTL Belgium. A la fois par l'important retour sur investissement que la régie fournit à ses propriétaires, mais aussi par l'apport qu'elle fournit à DPG dans le cadre de sa domination des médias audiovisuels en Flandre. 
L'avenir déterminera si le deal de la décennie ne vise pas à déplumer cette poule aux œufs d'or au profit d'un coq de poulailler flamand, plus imposant encore. Ou si l'intention est simplement de rendre la poule IP toujours plus productive, tout en la laissant pondre comme sans lui tordre le cou.

Frédéric ANTOINE.
 

(1) Nous nous permettons cette comparaison car, dans les comptes de RTL Belgium tels que déposés à la BNB, rien n'indique que ceux-ci sont consolidés, contrairement à ceux d'autres acteurs du paysage médiatique belge, comme Rossel par exemple.
(2) Mais on doit noter que la RMB a dans son portefeuille quelques sites liés à des organes de presse magazine, comme Paris-Match.be, par exemple. 


 


28 juin 2021

RTL BELGIUM: ROSSEL AU PAYS DE L'AUDIOVISUEL


Que faire encore quand on a déjà tout ce qui relève de son core business? Eh bien, investir ailleurs, quitte à entrer dans une jungle dont on ignorait à peu près tout. Rossel co-propriétaire de RTL Belgium, c'est un peu Rendez-vous en terre inconnue au pays des grands fauves.

Le RTL Group, DPG et Rossel ont confirmé ce lundi 28 juin au matin quel serait le futur RTL Belgium. Les supputations émises la semaine dernière sont donc confirmées. RTL Belgium is back to home, pour autant que son véritable "home" ait un jour été belge et non luxembourgeois. Demain, ses chaînes de télévision n'échapperont plus à la tutelle du CSA, et s'il vient encore à l'idée d'un·e ministre de distribuer de l'argent entre les médias de la francophonie belge, la société sera automatiquement comprise parmi les bénéficiaires.

Au niveau de la petite Belgique, ce rachat était en somme la seule solution restante pour sauver le soldat RTL. Seulse les deux plus grandes entreprises médias du pays avaient les épaules suffisamment larges pour décider de se mettre un tel fardeau sur le dos. Et ce même si, comme le rappelle L'Echo, la société est finalement plutôt en bonne santé. Et même si, comme personne ne le mentionne ou presque, ce sont surtout les bons chiffres de la régie IP qui assureront un intéressant retour sur investissement pour les copropriétaires.

Le banquet des ogres

Ce rachat est aussi l'aboutissement logique du processus de concentration des médias à l'œuvre dans tous les pays occidentaux, et auquel la Belgique n'échappe pas. Depuis une vingtaine d'années, le paysage médiatique belge se ratatine d'année en année, au nord comme au sud. Si le nombre de médias (ou de marques médias) ne diminue pas vraiment, le nombre d'opérateurs ne cesse, lui, de se réduire. Tant et si bien que les indices de concentration des médias belges sont devenus alarmants (comme ils le sont aussi ailleurs). Dans un paysage où, au Nord comme au Sud, la diversité s'est réduite à deux acteurs, que reste-t-il d'envisageable?

Des deux côtés du pays, le plus gros des acteurs de la scène des médias privés a racheté tout ce qui relevait de son core business, ancré dans les publications de presse et dont le berceau est l'édition de presse quotidienne. Ayant à peu près tout absorbé, tout en laissant de côté une partie du marché des périodiques, ces opérateurs ont, dans un premier temps, été voir ailleurs. C'est ainsi que DPG est devenu l'ogre de la presse hollandaise, mais a aussi un pied au Danemark. Rossel est parti à la conquête de la presse régionale française, secteur où ses avoirs dépassent en valeur ce qu'il possède en Belgique. Mais on ne peut pas dire que la campagne de France a été une grande victoire. A de nombreuses reprises, tout a été fait pour que l'entreprise belge rate le coche. Dame, en France, on préfère les acteurs belges plutôt que les investisseurs belges… 

L'audiovisuel par défaut

Le marché de l'écrit un peu arrivé à saturation, que restait-il, sinon l'audiovisuel? DPG y était de longue date, associé dès le début à la naissance de VTM (comme tous les éditeurs flamands) puis étant longtemps resté copropriétaire de Medialaan, avec Roularta. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir leur seul actionnaire de cette société qui rassemble la plus grande partie de l'audiovisuel privé flamand (tv+réseaux de radio). Rossel s'est bien lancé dans la radio privée dès que celle-ci a paru devenir un marché intéressant pour les groupes de presse, dans les années 1980. Mais, comme d'autres éditeurs, la société avait alors vite compris que faire de la radio, ce n'était pas comme éditer un journal. C'est ainsi qu'il a accepté de céder ses fréquences à la société qui s'est mise sur pied pour créer Bel RTL et absorber radio Contact. En télévision, Rossel a participé comme les autres éditeurs au deal Audiopresse, naïvement imaginé par l'Etat francophone afin de 'compenser' la perte de revenus publicitaires pour la presse lors de l'autorisation dans le sud du pays d'un opérateur privé, en 1986-1987. Un beau cadeau puisque, ce fameux gâteau publicitaire, RTL Luxembourg le grignotait déjà depuis des années. Son 'arrivée' sous l'étiquette TVI n'a donc pas vraiment bousculé la presse, mais elle lui a permis de s'associer sans investir dans la télé privée. Sans investir enfin pas tout à fait. Au début, les groupes de presse ont vraiment été associés à l'éditorial chez RTL Belgium. Mais là aussi il est vite paru que faire de la bonne info de presse n'était pas identique à faire de la bonne info tv. Les éditeurs ont donc touché des dividendes sans rien faire. Et sans rien apprendre.

 "Un" nouveau géant

Et voilà qu'aujourd'hui, Rossel devient le (co)patron d'une entreprise qui édite de la télévision, de la radio, et des contenus audiovisuels en ligne… Alors que DPG a, lui, les mains dans le cambouis depuis des années. On ne peut sans doute pas comparer Rossel à Alice au pays de l'Audiovisuel, mais l'union entre les deux plus grands acteurs médiatiques privés belges n'a-t-il pas un peu du conte du Petit chaperon rouge? Le titre du Soir, journal de référence du groupe Rossel, annonçant  ce 28/06 la naissance d'"un nouveau géant des médias en Belgique", donne une clé de lecteur de l'ensemble: ce n'est pas tant le rachat de RTL Belgium qui importe que la constitution d'un groupe "national" de médias audiovisuels privés, rassemblant à la fois des médias du nord (ceux de DPG) et du sud (propriété de PDG+Rossel). L'immense spécialiste du marché publicitaire des médias Bernard Cools ne s'y trompe pas lorsqu'il note, dans Le Soir, que le nouveau "groupe" proposera une offre publicitaire conjointe couvrant tout le pays. Et le spécialiste de parler de "fusion" de la régie  IP avec celle de DPG, et parle de "du jamais vu" en Belgique.

Le rachat de RTL Belgium paraît donc comme la part visible d'un iceberg qui pourrait voir fusionner les médias audiovisuels privés du nord et du sud. Ce qui serait, là aussi, du jamais vu. Une sorte de retour au "monde d'avant" (la fédéralisation). Comme si, lorsqu'il s'agissait de lutter contre les GAFAM, les divergences linguistiques et culturelles retournaient au vestiaire. Une bonne chose? A condition que ce grand deal dont on parle aujourd'hui serve bien tout le monde. Et qu'il n'ait pas comme premier grand but de sauver l'audiovisuel privé flamand face aux plateformes, mais aussi face à Telenet, qui n'est jamais que la filiale belge du groupe US Liberty Global.

Alors, dans tout cela, quel poids aura Rossel, et quel rôle sera confié à l'ex-RTL Belgium? L'article du Soir, très bien informé, parle de synergies profitables dans de nombreux domaines. En vertu de ce qui vient d'être évoqué, il faudra probablement vite se demander: profitable oui, mais pour qui d'abord?

Frédéric ANTOINE.

 

23 juin 2021

RTL : BELGIUM STANDS ALONE

Demain, RTL Belgique ne sera finalement pas associé à  RTL Nederland. John de Mol a raflé la mise à DPG. L'avenir de TVI sera donc uniquement belge. Plus que jamais, il faudra que "Eendracht maakt macht" (L'union
fait la force).  (1)

Un aimable (et compétent!) lecteur de ce modeste blog, que je remercie, m'a transmis hier soir une information du Hollywood Reporter selon laquelle RTL Nederland tomberait dans l'escarcelle de John de Mol (cocréateur de la télé-réalité) et de son groupe Talpa, déjà bien implanté aux Pays-Bas autour de la marque Veronica (2). Bref, comme l'écrit le média américain, de Mol a comme but de créer un "Dutch Tv Giant" à l'image de la fusion M6-TF1. Adieu donc l'hypothèse évoquée ici ce 22/3 de voir DPG remporter la mise sur le sol batave et ainsi parvenir à constituer un petit empire audiovisuel belgo-hollandais à dominante flamande.

Qu'à cela ne tienne, le royaume audiovisuel privé dirigé par DPG, et dont Rossel sera en quelque sorte le vassal, ne sera donc "que" belge. Le Hollywood Reporter pourra peut-être bientôt titrer que l'ancien Persgroep a participé au rachat de RTL Belgium afin de constituer un "Belgian Tv Giant" noir-jaune-rouge, c'est-à-dire transcommunautaire. Sauf que, dans un petit pays même "réunifié", le poids de la "forteresse belge" vis-à-vis des géants du monde des plateformes en ligne restera toujours infime. Et encore plus difficile à protéger des attaques ennemies. Les rapprochements stratégiques entre les médias du groupe VTM et ceux de l'ex-RTL Belgique deviendront donc de plus en plus impératifs.

 Panique en cuisine

Tout cela sous le regard de TF1 et de M6 qui tireront une partie des ficelles de ce petit théâtre belgo-belge auquel ils ont vendu, pour un temps limité, les licences d'exploitation de certains de leurs programmes. La durée de ces contrats terminée, à moins de les renouveler à prix d'or, les opérateurs français n'ont pas intérêt à accepter de les prolonger. Idem pour les accords de diffusion sur RTL Belgium de très nombreux programmes du groupe M6. Bien sûr, tout cela n'est pas pour demain, et ne surviendra pas avant que soit validée et réalisée la fusion TF1-M6. Mais, dans deux à trois ans, que pourront faire les petites chaînes belges sans Top Chef (3), Un diner presque parfait, Les reines du shopping, Panique en cuisine, Le meilleur pâtissier, Recherche maison ou appartement, Maison ou appart à vendre, Chasseur d'apparts… pour ne citer que les plus récents ou récurrents. Faire un petit tour sur RTL Play est plus qu'instructif pour relever la liste de toutes les productions que TVI, Club et Plug 'empruntent' à M6, mais aussi au groupe TF1. On n'ose imaginer le même RTL Play le jour où l'opérateur belge n'en aura plus les droits. Quant aux scores d'audience des émissions, il en prendra lui aussi un coup. Hormis Top Chef, ce sont plutôt les versions belges de formats aussi diffusés sur M6 qui occupent le Top 10 des audiences annuelles de TVI. Mais, en 2019 par exemple, des productions françaises trustaient presque tout le Top 10 de Plug…

Vases communicants

Alors, derrière tout cela, peut-être faut-il chercher ailleurs pour comprendre. Par exemple du côté de la régie IP, filiale à 99,99% de RTL Belgium, mais qui est la véritable vache à lait. Et dont on ne parle jamais. Non seulement elle pourrait constituer le véritable enjeu des opérations actuelles. Mais, à terme, elle pourrait contenter tout le monde. Déjà à l'heure actuelle, elle réalise le paradoxal exploit d'être à la fois la régie des chaînes de RTL Belgique et de TF1 Belgique, qui est leur concurrent direct. Ce que TVI et consorts perdent en spots pubs au profit de TF1 revient donc, au moins en partie, dans la bourse du groupe via IP. Pourquoi, demain, la régie ne deviendrait-elle pas aussi celle de M6 Belgique, si "la petite chaîne qui monte" parisienne en venait à décider de s'implanter aussi en Belgique? Ce serait finalement une bonne affaire, même si cela ne résoudrait pas la question de "comment remplir les grilles".

Ah, le principe des vases communicants, il n'y a que cela de vrai. Du moins tant que les tuyaux entre les vases ne se bouchent pas… 

Frédéric ANTOINE.

(1) Titre de l'article posté hier 22/06/2021.

(2) Oui, celle de la radio pirate éponyme qui sera ensuite un des piliers des médias publics hollandais avant de s'en retirer pour devenir un opérateur privé.

(3) Déjà actuellement diffusé sur RTL-TVI avec 5 jours de retard par rapport à M6…


25 mars 2021

RTL GROUP SE REPLIE SUR SON PRÉ CARRÉ. LE STAND-ALONE BELGE SE PRÉCISE

Il est désormais à peu près sûr que RTL Belgique ne sera pas vendu dans les valises du groupe M6. La petite société belge devra séduire seule son nouvel acquéreur. Et ce alors que le groupe RTL choisit d'opérer un "repli stratégique" sur l'Allemagne.



Le message supposé rassurant envoyé hier mardi à son personnel par le CEO de RTL Belgique, affirmant que les informations circulant sur l'avenir de l'entreprise n'étaient que des spéculations, n'a évidemment convaincu personne. Il semble bien acquis que Bertelsmann entend à l'avenir limiter le RTL Group à son pré carré, c'est-à-dire à l'Allemagne. Une déclaration du CEO du groupe, citée dans L'Echo (1), est à ce propos plus que indicative : "Nous voulons être un consolidateur en Allemagne". Et elle rejoint à demi-mots ce que le patron de RTL Belgique écrivait lui-même hier, reconnaissant que le dossier de L'Écho "confirme néanmoins le thème développé depuis plusieurs mois par le CEO de RTL Group, Thomas Rabe, à savoir « Face à l’évolution de l’industrie audiovisuelle dans le monde, le groupe RTL, dans les différents marchés dans lesquels il est présent, investiguera les possibilités de consolidation de ses activités, qui peuvent se présenter sous différentes formes.»"

NATIONAL PLUTÔT QU'EUROPÉEN

Jusqu'à présent, le RTL group avait toujours misé sur une stratégie de développement international de ses activités, celle-ci reposant essentiellement sur un pôle "diffusion de programmes" caractérisé par une implantation nationale forte (2). C'est par la création de filiales nationales, souvent leaders sur leur marché, que le groupe est devenu incontournable à l'échelon européen. Les derniers choix de son management marquent un revirement à 180° de ce type de développement. L'heure semble désormais être au "repli stratégique" sur le territoire allemand, afin d'y bâtir un empire tellement fort qu'il soit capable de rivaliser, à l'échelon d'un pays, avec les opérateurs mondiaux et les plateformes multinationales. Avec une idée claire: être si fort chez soi qu'on parvienne ainsi à bouter hors du territoire ces acteurs internationaux qui s'y sont implantés au détriment des locaux. Jouer à la Jeanne d'Arc de l'audiovisuel. Un peu comme si, du côté des pays, on décidait tout à coup d'abandonner l'option de l'Union européenne pour en revenir au États-nations et au nationalisme individuel.

Qui plus est, l'option nationaliste de Bertelsmann paraît devenir contagieuse, et inspirer d'autres marchés. Elle pourrait expliquer, par exemple, ce qui est en train de se passer en France autour de la vente de M6, dont le magazine Capital, citant Le Canard Enchaîné et La Lettre A, annonce qu'elle est entrée dans sa dernière phase (3). Et que le candidat le plus sérieux à la reprise des 49% du RTL Group dans M6 ne serait autre que… TF1! Comme l'explique le magazine économique, cette supériorité du groupe Bouygues est logique: puisqu'il est le principal concurrent de M6, il dispose des meilleures armes pour l'absorber au moindre coût.

MASTODONTES NATIONAUX

Cet éventuel rachat pose évidemment un "tout petit" problème de respect des règles de concurrence. Dans une Europe où l'on fait tout pour éviter que ne croisse encore la concentration (notamment dans les médias), voir un groupe exercer un quasi-monopole sur un marché national a de quoi quelque peu faire hausser les sourcils. S'il se réalise, le scénario évoqué en Allemagne, où Bertelsmann pourrait racheter son concurrent ProSiebenSat1, serait tout aussi anti-concurrentiel. Il va aussi sans dire que la constitution de tels conglomérats géants ne seraient pas non plus vue d'un bon œil par des consommateurs de médias de plus en plus méfiants, et déjà prêts à l'heure actuelle à n'accorder plus aucune confiance aux opérateurs classiques. Qui pourra s'étonner qu'un jour seuls les réseaux sociaux soient considérés comme dignes de confiance, si on en vient à un schéma "mastodonte privé unique vs service public"? Bien sûr, on n'en est pas là. Mais, s'il se réalise, l'éventuel avalage de M6 par son concurrent n°1 serait catastrophique à ce propos. Il conduirait aussi forcément à terme à une réduction drastique de l'offre. Et ce même au cas où, comme le prétend TF1, les deux entreprises resteraient statutairement distinctes.

SEUL SUR L'ÉTAL


Et le petit RTL Belgique, dans tout cela? L'annonce de la clôture de la procédure de vente de M6 confirme bien qu'aucun acheteur français n'a voulu intégrer la filiale belge dans son offre. Il n'y aura donc pas de vente groupée. RTL Belgique est laissé seul sur l'étal de l'hôtel des ventes. Même si le RTL Group espère en retirer un bon prix, il y a de fortes chances pour que le petit rejeton belge soit finalement vendu à vil prix, afin que le géant allemand s'en défasse rapidement et puisse mettre en place sa stratégie de repli national. Bien sûr, RTL Belgique est à l'heure actuelle un acteur incontournable des médias en Belgique. Les audiences de plusieurs de ses émissions font rêver la concurrence. Mais certaines s'effritent. Et, surtout, l'entreprise manque cruellement de souffle depuis qu'elle s'est défaite des membres de son management qui soutenaient un ancrage local fort. RTL se répète plutôt qu'innover. Elle en est toujours à considérer que c'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes (dernier exemple en date: le retour de Place Royale sur RTL TVI après avoir d'abord été relancé sur Bel RTL). Comme déjà écrit ici, on ne peut non plus oublier les apports essentiels des programmes de M6 à ses succès d'audience. Enfin, à l'heure où LN24 commence à s'installer sur le marché, son bastion dans l'info pourrait bien, lui aussi, devenir de plus en plus fragile. Et, comme il constitue la clé de voûte de ce qui fait l'identité de l'entreprise dans le petit monde des médias de chez nous, remettre cette pièce clé en cause pourrait mener à l'effondrement de l'édifice.

Les Français n'ont pas fait un cadeau à RTL Belgique en forçant l'entreprise à se vendre en stand-alone, alors qu'elle ne vit pas ces derniers temps ses plus beaux jours et qu'elle n'est pas, à l'heure actuelle, dans ses plus beaux atours. La mariée pourrait clairement être plus belle. Et, si mariage il y a, il ne sera pas "Au premier regard". Ce sera une union de raison. Ou de désillusion. Pour le meilleur ? Ou pour le pire?

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-mise-a-l-etalage-une-operation-inscrite-dans-les-astres/10293145.html
(2) RTL a également développé un pôle "production", en rachetant des sociétés réputées au plan mondial et en invitant ses filiales à s'y fournir en programmes, mais cet élément reste marginal par rapport à la stratégie d'implantation locale (càd nationale) de la société.
(3) https://www.capital.fr/entreprises-marches/vente-de-m6-les-dessous-de-loffre-de-tf1-1397981

24 mars 2021

REQUIEM POUR RTL BELGIQUE

Fin d'un monde. Après en avoir racheté tout le capital, le RTL Group met sa filiale belge en vente.  

Pour la céder avec M6 est le scénario le plus logique pour RTL Belgique, mais pas pour M6 semble-t-il. Sans M6, que pourraient faire toutes seules ces petites chaînes belges? 

Il y a peut-être un autre plan…

C'est la fin d'un monde, mais le dénouement prévisible d'un scénario annoncé, que s'est mis en place depuis plusieurs années, et qui s'est accéléré l'année passée. Adieu le beau rêve du "vendeur de clous" de Charleroi Albert Frère de faire de Télé-Luxembourg une chaîne belge. En fumée l'ambition de Jean-Charles Dekeyser de créer en Belgique l'équivalent de RTL Grandes Ondes. Les logiques économiques à l'œuvre dans l'empire Bertelsmann sont implacables, et n'ont que faire des amitiés historiques belgo-françaises remontant à l'époque de Radio Luxembourg. Le RTL Group est une entreprise mondiale, et surtout germanique. Il n'a donc cure du conserver ce penchant francophile qui était lié depuis les années 1930 aux activités historiques de la CLR (Compagnie Luxembourgeoise de Radiodiffusion), devenue CLT lorsqu'elle décidera aussi de se lancer dans la tv…

RTL BELGIUM, REMY SANS FAMILLE?

Le quotidien L'Echo, visiblement très bien renseigné sur le dossier (1), confirme ce que nous écrivions ici en décembre dernier (2) lorsque le RTL Group avait décidé de racheter les parts de RTL Belgique qui ne lui appartenaient pas, et de contrôler de la sorte à 100% sa filiale belge. A l'origine, cette récupération avait bien comme but d'être en phase avec le sort voulu par le groupe pour sa filiale française M6. Non pour fusionner la part belge avec le groupe français et low-costiser l'offre belge, mais pour faire un gros package avec les deux entreprises, et vendre l'ensemble au plus offrant. Des bruits de mise en vente de M6 avaient filtré depuis la fin janvier. Ils amenaient, évidemment, à s'interroger sur le sort réservé dans ce cas aux 100% que le RTL Group possédait désormais RTL Belgique. Tout est donc maintenant plus clair.

On comprend ainsi mieux pourquoi RTL Belgium avait si rapidement repoussé l'offre faite en mai dernier par la Fédération Wallonie Bruxelles de lui accorder une plantureuse "aide covid" en échange d'un retour des chaînes du groupe TVI sous le contrôle du CSA belge. Lorsque, en septembre 2020, la direction de RTL Belgium a donné à cette offre une fin de non-recevoir, elle savait déjà que la filiale belge était condamnée. Pourquoi aurait-elle dès lors dû acceptr de passer sous les fourches caudines du CSA belge, alors que le futur propriétaire de RTL Belgium, si futur il y a, ne serait plus dans les conditions de bénéficier également d'une licence d'émission au Luxembourg… 

LE MODELE TF1

Mais voilà… on apprend dans le même article de L'Echo que, depuis peu, le RTL Groupe aurait décidé d'abandonner l'idée du package et voulait désormais séparer les deux dossiers de cessions. Il comptait bien au départ vendre le tout en une fois… mais aucun éventuel acheteur français n'a souhaité se charger du fardeau du petit poucet belge. Et pour cause: assumer les coûts d'une télévision 'belge' relativement autonome de M6 seulement destinée à 4 millions de personnes, cela revient trop cher le téléspectateur. Le nouveau propriétaire de M6 préfère attendre que RTL Belgique disparaisse du paysage. Il pourra alors faire la même chose que TF1: destiner à la Belgique un signal de ses chaînes françaises où seul les écrans publicitaires seront différents et ciblés. Tout bénéfice pour un coût quasi nul. 

En cas de mort totale de RTL Belgium, les téléspectateurs belges auront en effet toujours envie de retrouver les programmes de M6 dont débordent les grilles de RTL TVI et de ses petites sœurs. Quoi de plus simple dès lors que de continuer à les leur proposer, mais 100% made in Paris. Avec, de temps à autre, comme sur TF1, un petit candidat belge glissé dans les émissions autant afin de faire sourire les Français que pour dire aux "clients" belges: "On ne vous oublie pas" (car c'est bien de clientèle qu'il s'agit ici).

UN AMATEUR DANS LA SALLE?

Le scénario de la mort à court terme de RTL Belgium n'emballerait toutefois pas le RTL Group. C'est vivant, et non mort, que le géant allemand veut vendre sa poussière d'empire audiovisuel, afin de faire un "max de bénef" Les sources consultées par L'Echo semblent dire que RTL espère retirer un plus haut profit en séparant les deux ventes qu'en les groupant. Est-ce bien le cas alors que le désintérêt des Français pour les avoirs belges semble avoir beaucoup pesé dans le choix des scénarios de vente? 

Pour que ce souhait de plus-value se réalise, il faudrait d'abord qu'un acheteur soit intéressé par RTL Belgium. Les groupes de presse belges, tout heureux de récupérer leurs billes en cédant Audiopresse au RTL Group en décembre dernier, sont-ils cette fois prêts à mettre fortement la main au portefeuille pour glisser plus qu'un pied dans l'audiovisuel privé de notre mini sous-patrie? 

En faisant le tour du pauvre paysage médiatique de la Belgique francophone, au vu de ce que IPM a déjà dû trouver pour s'offrir les Editions de L'Avenir, il serait étonnant que le groupe de la rue des Francs ait encore le souffle de se lancer dans la course. Tous les regards se tournent dès lors vers le seul autre groupe qui nous reste: Rossel. De de côté, la chose est loin d'être exclue. Au lendemain du rachat des parts belges dans RTL Belgium par le RTL Group, une déclaration de l'administrateur général du groupe à un des journaux qui lui appartiennent laissait plus que la porte ouverte: « Il y a eu de notre part des propositions de rachat de l’ensemble des opérations mais RTL n’a pas voulu envisager une vente (…). A partir de là, il fallait juste négocier les conditions de sortie. » (3) Aujourd'hui, ce qui ne paraissait pas possible hier l'est devenu…

Le groupe de la rue Royale, qui avait jadis cédé ses radios pour créer Bel RTL, va-t-il reprendre à sa charge tout RTL Belgium? Rossel est en tout cas insatiable, et toujours en quête de secteurs pour se développer. Jusqu'à présent, on y est estimait que, en Belgique francophone, tout ce qui était à prendre avait déjà été pris (Cine-Télé-Revue clôturant le tableau de chasse, le groupe ayant bien compris qu'on ne lui aurait pas pardonné de racheter en plus les Editions de L'Avenir). Alors oui, l'audiovisuel privé belge, pourquoi pas? Mais Rossel ne se mettrait-il pas un chameau sur le dos? Les résultats actuels du groupe ne sont semble-t-il, pas très convaincants… sauf en ce qui concerne le secteur publicitaire lié à IP, qui est encore une poule aux oeufs d'or. 

Si Rossel n'entrait pas dans la danse, c'est du côté flamand que de l'intérêt pourrait se manifester. L'ogre Telenet, qui lorgne toujours sur VOO, pourrait aussi avoir envie de bourrer ses tuyaux de contenus francophones. Ce groupe américain serait alors opérateur télévisuel des deux côtés de la frontière linguistique. Il n'y a par contre pas de chance que DPG Media, ex-Pergroep, se lance dans l'aventure. Même s'il est aujourd'hui le seul propriétaire des chaînes de VTM, avec lesquelles le RTL Group a des échanges, DPG a laissé tombé tous ses avoirs écrits en francophonie. Pourquoi y reviendrait-il dans la radio-tv?

ADIEU LUXEMBOURG, ADIEU

Quel que soit le futur, une chose est sûre. Si RTL Belgium ne disparaît pas faute d'acheteur, le nouveau propriétaire sera tenu de continuer à entretenir des liens étroits avec le groupe M6 (ou son équivalent futur). RTL TVI fait ses plus fortes audiences de prime time, celles qui lui rapportent le plus par ses écrans pub, avec des produits français de M6, ou au pire grâce à leurs déclinaisons belges. Une part de ses cases d'access sont aussi occupées par des produits M6, et les émissions du groupe français nourrissent de même fortement les autres chaînes de RTL Belgium. En radio, Bel RTL 'emprunte' chaque jour plusieurs heures d'antenne à RTL Paris, dont l'émission la plus porteuse (et donc la plus rentable) de l'après-midi: Les grosses têtes. Et ne parlons pas de RTL Play, qui n'est une copie de M6 Replay. Bien sûr, RTL Belgium achetait déjà ces produits à M6. Mais dans un cadre de groupe. 

Que se passera-t-il demain? Si RTL Belgium s'en sort, il y a fort à parier que, pour réduire les coûts, son actionnaire fera passer le groupe à l'essoreuse à salade. La radio et la télévision sont des médias où les coûts fixes sont largement prédominants. Pour diminuer les dépenses, il faut donc, pardonnez l'expression, "trancher dans le gras". Réduire le nombre de chaînes et de stations radio serait le plus simple car, côté économies, la direction actuelle de RTL Belgium a déjà été bien loin à l'os dans ce qui était imaginable, et ce pour satisfaire au mieux le RTL Group. Et pour que celui-ci, en échange de tous ces sacrifices, finisse par simplement décider de s'en défaire… On peut donc redouter que, à terme, les effectifs du groupe ne fondent comme chocolat glacé au soleil.

En tout cas, si RTL Belgium subsiste demain, le groupe et ses médias ne porteront sans doute plus le nom "RTL". C'est donc bien la fin d'un monde. Et les dernières pages de la chronique d'une mort annoncée.

Frédéric ANTOINE.


(1)Michel SEPHIHA, Peter HAECK, "RTL Belgique est à vendre", L'Echo 24/03, 3h45. (https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-belgique-est-a-vendre/10293107?utm_source=SIM&utm_medium=email&utm_campaign=&utm_content=&utm_term=&M_BT=7144010073)

(2) RTL Belgique à 100%entre les mains du RTL Group: ce n'est pas une bonne nouvelle (https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/12/rtl-belgique-100-aux-mains-du-groupe.html)

(3) Fin du mariage entre RTL et la presse écrite, article non signé in Le Soir (https://plus.lesoir.be/341025/article/2020-12-01/fin-du-mariage-entre-rtl-et-la-presse-ecrite)



01 décembre 2020

RTL BELGIQUE 100% AUX MAINS DU GROUPE RTL. CE N'EST PAS UNE BONNE NOUVELLE


Un communiqué de presse du RTL Group envoyé de Luxembourg/Cologne et daté de ce 1er décembre annonce que la société est sur le point de devenir l'unique propriétaire de RTL Belgium, en rachetant l'ensemble des parts des autres actionnaires belges. C'est non seulement un tournant dans l'histoire de RTL en Belgique mais cela ouvre désormais la possibilité d'une soumission totale de RTL Belgique à sa maison-mère, voire à son absorption par d'autres sociétés du groupe RTL, comme M6.

« RTL Group a annoncé aujourd'hui qu'il avait convenu en principe avec ses coactionnaires des activités de télévision et radio belges du Groupe d'acquérir leurs parts dans RTL Belgium contre un paiement en numéraire et en actions propres de RTL Group. Cela portera la participation de RTL Group dans RTL Belgium à 100%. Actuellement, RTL Group est déjà l'actionnaire majoritaire de RTL Belgium. »

Le premier paragraphe du communiqué de presse du RTL Group est on ne peut plus explicite. Il signe essentiellement, mais pas uniquement, la fin de la collaboration entre la filiale belge du groupe luxembourgo-allemand avec la presse écrite belge. RTL Group va en effet racheter toutes les parts d'Audiopresse dans RTL Belgique, c'est-à-dire les 36% du capital de l'entreprise que se partageaient les éditeurs Rossel, IPM et Mediahuis. Mais le géant des médias allemand libère aussi, au moins en partie les chaînes de radio de RTL Belgique de toute dépendance. Il n'est toutefois pas clair de savoir s'il met fin au montage qui, via la société Radio H, mettait aussi autour de la table le groupe Rossel et Lemaire Electronics, la société de Francis Lemaire, fondateur historique de Radio Contact avec Pierre Houtmans.

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Hier

On se souviendra que, à l'origine, la création d'Audiopresse avait été imposée par les autorités de la Communauté Française afin de permettre aux éditeurs de presse de Belgique francophone de récupérer, via les dividendes gérés par la société, les pertes théoriques engendrées en recettes publicitaires par l'autorisation accordée à RTL d'exploiter un réseau de télévision privée sur son territoire. A l'heure actuelle, ce mécanisme permet toujours à deux éditeurs francophones, mais aussi à un éditeur flamand, de bénéficier de cette manne. Dans les premiers temps, cet apport des groupes de presse à la télévision privée s'était aussi concrétisé dans les contenus. La couverture de l'info régionale de RTL avait ainsi été confiée à la presse, et plusieurs journalistes des quotidiens belges s'étaient alors transformés en hommes de télévision. Des émissions de RTL étaient aussi patronnées par la presse. Au fil du temps, tout cela a disparu, au profit d'un partenariat essentiellement en numéraire.

Côté radio, l'implication de Rossel et de Francis Lemaire dans le capital de Radio H était lié aux apports historiques de ces deux groupes dans la création des stations qui seront pilotées par RTL. L'ancêtre de Bel RTL n'est autre que Rossel FM (ou FM Le Soir), radio créée par le groupe de presse à l'époque où les éditeurs de journaux estimaient, à la suite de Radio Vers L'Avenir, ne pouvoir être absents de la libéralisation des ondes. C'est sur base du réseau FM de Rossel et des autorisations dont il disposait que s'est créée la petite sœur belge de RTL Paris. Pour Cherchant à compléter la palette par une radio populaire, RTL avait réussi la même association avec les fondateurs de radio Contact, première grande radio privée de divertissement lancée au tournant des années '80 par des proches du parti libéral dans le but avoué de concurrencer le service public.  

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Demain

(si RTL prend le contrôle de l'ensemble du secteur radio)


PAS UNE VRAIE SURPRISE

Des velléités de mettre fin à ces structures d'intérêts imbriqués étaient dans l'air depuis un certain temps. En radio, cela fait plus d'un an que, devant la baisse de rentrées générées parles radios de RTL Belgique, Francis Lemaire cherchait à vendre. (Reste à voir si le groupe RTL rachète simplement les parts de RTL Belgique dans radio H, ou aussi celles des autres actionnaires. L'information n'est pas tout à fait clair à ce point de vue). En télévision, certains éditeurs ne cachaient pas que les recettes qu'ils pouvaient retirer de leur participation à RTL Belgique n'étaient pas à la hauteur de leurs espoirs. 

A vrai dire, les montages financiers autour de RTL Belgique et d'Audiopresse sont complexes. Comme le montre le schéma présenté en ligne par le CSA belge (1), ils comprennent en effet à la fois des sociétés en Belgique et au Luxembourg, sociétés qui n'ont pas été intégrées dans les schémas simplifiés présentés ci-dessus. En miroir des sociétés belges, il existe ainsi au Luxembourg une société RTL Belux, une autre dénommée RTL Belux SA & Cie, ainsi qu'un Audiopresse Lux.  La société Audiopresse Belgique est, par exemple, à la fois actionnaire de RTL Belgium et de Audiopresse Lux (2). Au cours de ces dernières années, Audiopresse Belgique a souvent réalisé un bénéfice autour des six millions €, mais celui-ci était en baisse depuis 2016 et particulièrement faible (un peu plus de 34000€) l'an dernier. Une investigation approfondie de la cause de cette situation n'a pas pu être réalisée dans le cadre de la rédaction de ce présent texte.

Même sans tenir compte de cet événement 2019, on peut constater que l'apport financier que les trois groupes de presse principaux (qui possèdent environ 30% du capital de la société)  retirent de cette participation n'est pas très élevé : moins de deux millions €/an, alors que, par exemple, le groupe IPM affiche, en 2019, une chiffre d'affaires de plus de 118 millions €…

La solution retenue (vente en cash plus possibilité d'acquérir des actions du RTL Group) permettra aux entreprises de presse de disposer immédiatement d'une somme appréciable, de continuer si elles le désirent à retirer un dividende d'une éventuelle participation au RTL Group ou, si elles le préfèrent, de remettre elles-mêmes ces actions sur le marché.

LES MAINS LIBRES

L'opération paraît particulièrement stratégique pour RTL qui, bien qu'étant opérateur des sociétés belges actives tant en radio qu'en télévision, était toutefois quelque peu dépendant du bon vouloir de ses coactionnaires. Le rachat total des parts permet au groupe allemand d'avoir les mains totalement libres et donc de ne devoir rendre de compte à personne à propos de la gestion de ses télévisions (et sans doute de ses radios) et, surtout, de leur avenir. En radio, les stations du groupe n'affichent plus la forme d'hier et, en télévision, l'actionnaire jusqu'ici principal (et demain unique) de RTL Belgique n'ont jamais caché que, en raison de la petite taille et de la faible richesse du marché belge francophone, la rentabilité de la société leur posait problème. D'où les opérations de restructuration, les licenciements et le lancement du plan Evolve destinés à faire accroître la rentabilité de l'entreprise et le bénéfice que peut en retirer le groupe Bertelsmann. Dans ce contexte, l'hypothèse d'une modification en profondeur de RTL Belgique via son rattachement au groupe français M6 a déjà été évoquée. Lors du plan Evolve, certains responsables au sein de RTL Belgique n'avaient pas caché que celui-ci constituait à leurs yeux la seule solution pour éviter la cession de l'entreprise à sa grande sœur française. 

M6 BELGIQUE

En Suisse romande, il n'existe pas de RTL Suisse, mais bien un M6 Suisse, qui relaie les programmes de M6 France en y intégrant des écrans publicitaires locaux. L'histoire et la ténacité des créateurs de RTL Belgique avaient à l'époque permis que l'opérateur européen s'installe dans la patrie de celui qui était alors son principal actionnaire (Albert Frère) sans dépendre d'un acteur étranger. L'internationalisation des marchés et la voraclté financière du méga-groupe Bertelsmann pourraient modifier cette donne. Outre sa présence en Suisse, qui remonte au début des années 2000, il y a quatre ans, le groupe M6 rachetait les radios de RTL France, créant ainsi sur l'hexagone un groupe radio+tv intégré. Il pourrait fort bien récupérer RTL Belgique, soit pour l'absorber dans une configuration complète de type M6 Suisse, ce qui serait dramatique pour le personnel, soit pour réaliser une version belge de M6 comprenant, outre les écrans publicitaires, l'un ou l'autre programme spécifique pour le sud de la Belgique, comme les JT et certains magazines. En effet, il semblerait difficile de ne pas tenir compte des succès d'audience de RTL Belgique (Jt, magazines d'informations, télé-réalités 'made in Belgium'). Déjà, de nombreux programmes à succès de M6 sont achetés par RTL Belgique pour être diffusés sur ses chaînes. Et le RTLplay belge n'est qu'un couper-coller du M6Play français. Il suffirait de prolonger ces premiers pas.

 Si l'hypothèse d'un rachat ou d'une absorption devenait réalité, les coûts de production des chaînes belges du groupe RTL seraient évidemment fortement revus à la baisse, les productions propres fondant très largement, et les droits de diffusion des produits de stock, comme les fictions, seraient par ailleurs simplement négociés à une échelle légèrement plus élevée qu'ils ne le sont aujourd'hui par M6 pour la France. Mais, bien évidemment, la solution minimaliste consistant en une complète quasi-disparition des chaînes belges de RTL au profit de la simple diffusion sur le territoire belge des stations du groupe M6 parsemés d'écrans publicitaires spécifiques serait, pour le groupe, une véritable poule aux œufs d'or. Reste à voir si le spectateur, lui, y retrouverait son compte et maintiendrait avec autant de fougue sa fidélité à cet opérateur que les autorités publiques estiment être un garant de la "pluralité" sur le marché belge…

RTL PARIS

Si l'opération télévision peut paraître tentante, voire inévitable, il ne faut pas perdre de vue qu'il pourrait aussi, au moins en partie, en être de même pour les radios de RTL Belgique si le rachat de RTL Belgique entraîne la disparition complète de la société Radio H. Les radios de RTL Belgique pourraient alors, elles aussi, au moins partiellement, se franciser. Et le pied est déjà mis à l'étrier. Plusieurs programmes porteurs de RTL France, à commencer par Les Grosses Têtes, sont purement et simplement relayés par Bel-RTL. Cet été, un pas supplémentaire a été franchi lors de la diffusion, en simultané sur les deux stations, d'un même jeu de mi journée, coanimé par un ressortissant français et une ressortissante belge. Il y a donc déjà de l'intégration dans l'air. Les contenus radiophoniques sont toutefois par essence plus locaux ou nationaux, et jouent sur la proximité directe avec leur audience. De simples relais des stations françaises du groupe M6 semblent donc, en l'état, moins probable. 

Enfin, tout ceci ne concernerait que les médias audiovisuels classiques, secteur où RTL Belgique excellait jusqu'à ces dernières années. La filiale belge du groupe luxembourgo-allemand n'a jamais aussi bien réussi dans les nouvelles technologies et les formes médiatiques plus digitales. Une reprise en main par le groupe-mère pourrait signifier la possibilité d'opérer des choix drastiques de ce côté.

MISE EN VENTE

Il y a enfin une autre piste possible : l'hypothèse de la mise en vente de RTL Belgique plutôt que sa cession interne à un des acteurs du groupe. Celle-ci serait tentante si l'entreprise était en bonne forme, porteuse de projets d'avenir, et se situait sur un marché à taux de rentabilité économique élevé. Tel ne semble pas être tout à fait le cas. Depuis plusieurs années, RTL Belgique s'essouffle, ne parvient plus à innover, et décline essentiellement de vieilles recettes, dont l'usure devient visible à terme. Le marché sur lequel l'entreprise évolue n'est pas très prometteur, et son audience, importante à l'échelon d'une partie de la Belgique, est faible à un niveau macro-économique. L'entreprise est fragile, et déjà en partie tétanisée par ses craintes sur son avenir. Elle pourrait être un oiseau pour le chat. Mais si c'est pour se défaire d'une RTL Belgique malade à bas prix, son principal actionnaire devait-il pour autant d'abord en racheter toutes les parts? 

Si tel était le cas, il y aurait lieu d'identifier d'éventuels repreneurs. Peu de chances que ceux-ci soient des multinationales ou de grands acteurs français. L'hypothèse Rossel a déjà été évoquée. Mais ce groupe, qui excelle dans la déclinaison de métiers qu'il maîtrise, peut-il d'un coup se mettre sur le dos le chameau que constituent trois chaînes tv et, peut-être, deux réseaux radio? Si là aussi la poule aux œufs d'or était au rendez-vous, la question pourrait être posée. Mais, en l'état actuel, la gallinacée semble un peu avare de sa production, et ses œufs sont loin d'être en or massif. Il y a donc lieu de se demander si le groupe de presse Rossel n'a pas d'autres moyens que celui-là pour accroître ses marchés et fortifier ses avoirs.

Frédéric ANTOINE.


 


(1) www.csa.be/groupe-media/groupe-rtl/

(2) rapport de gestion à l'AG des actionnaires d'Audiopresse Belgique.

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