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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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19 septembre 2020

RTL SE DÉFILE… DE L'AIR


Un communiqué de presse tombé le 18 septembre en début d'après-midi annonçait que le Conseil d'administration RTL Belgium avait décidé de « renoncer à l’aide du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de là, au projet dans son ensemble ». La filiale belge de la multinationale luxembourgo-allemande préfère ne pas toucher le jackpot plutôt que de devoir rendre des comptes…

Alors que le 30 juin dernier RTL Belgium criait au loup et au secours, clamant haut et fort que, sans un soutien financier des pouvoirs publics belges, l'entreprise était menacée d'économies drastiques, voire de disparition, moins de trois mois plus tard, la même entreprise renverse son discours du tout au tout et dit que, finalement, eh bien elle n'a pas besoin de cet argent.

On croit rêver

On savait qu'avec le covid, des êtres fragiles pouvaient frôler la mort et, parfois, s'en sortir ensuite. Mais qu'un géant de la communication affecté par le virus s'annonce lui-même guéri quelques semaines après s'être diagnostiqué exsangue relève du miracle (industriel). La raison officielle, expliquée dans le communiqué: « Depuis le mois d’août, les signes d’une reprise économique tendent à faire disparaître une des raisons de l’accord de principe. En effet, contrairement aux prévisions, la situation financière dramatique de RTL ne semble pas s’être installée dans la durée. »

RTL était-elle donc aussi souffrante qu'elle ne disait au début de l'été? Ou sa maladie n'était-elle pas d'abord imaginaire et non 'dramatique'?

À moins que les prévisionnistes de l'entreprise n'aient été ce point aveugles qu'il leur était alors impossible de percevoir que, dès le mois d'août, les annonceurs seraient à nouveau au rendez-vous?

Il est fortement tentant de considérer le volte-face du Conseil d'administration de la société comme un aveu. Une reconnaissance du fait que sa situation financière n'avait jamais été si grave qu'elle l'avait dit. Début juillet, plusieurs voix s'étaient exprimées pour rappeler que RTL Belgique n'était pas un radeau de la Méduse isolé, mais constituait un des esquifs d'une immense flotte dont le navire amiral, le RTL Group, était largement bénéficiaire. Ces commentaires ont peut-être contribué à rappeler aux responsables de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) qu'on ne pouvait comparer cette entreprise au sort des 'petits' médias belges comme les TVLC ou LN24 touchés par le covid.

Les informations qui ont alors été révélées sur l'état des bénéfices réalisés par IP Belgique, qui est intimement associé à RTL Belgique, ont sans doute de même contribué à relativiser la réalité de la catastrophe économique qu'annonçaient les hérauts de l'entreprise.

Dividendes or not

Dans ces conditions, on peut supposer qu'une des conditions émises par la FWB pour accorder un substantiel prêt à l'opérateur privé a rapidement posé problème. Pour rappel, les aides publiques étaient subordonnées au fait que l'entreprise soutenue n'alloue par de dividendes à ses actionnaires pour l'exercice 2020. Si RTL Belgique avait été au bord du gouffre, elle aurait tout fait pour obtenir la subsidiation, quitte à aller à Canossa. Le fait de renoncer au soutien lève immédiatement une question: l'aide demandée à la FWB n'avait-elle pas comme fonction non de contribuer à maintenir des emplois, mais d'aboutir dans l'escarcelle des actionnaires de la société, c'est-à-dire in fine le RTL Group et les groupes de presse de Belgique francophone?

En l'occurrence, renoncer à l'aide est une sorte d'aveu. De refus de se soumettre aux conditions imposées par l'Etat. Inutiles donc, ces dizaines de millions d'euros que les contribuables belges francophones allaient offrir à cette société. Désormais, ce sera comme par le passé: c'est en achetant des produits en tout genre que, sans le savoir vraiment, les consommateurs financeront la société audiovisuelle, les sommes payées par les firmes pour les écrans pub sur RTL faisant bien évidemment partie des coûts compris dans le prix de vente des différentes marchandises.

On avait cru à un retour au bercail de la brebis perdue. Que nenni. RTL Belgique préfère continuer à diffuser via sa si tolérante licence luxembourgeoise, à laquelle elle s'était engagée à renoncer… mais moyennant des conditions moins dures que celles qui l'attendaient. L'entreprise aurait reçu l'argent public sans aucune contrepartie, voire peut-être simplement en abandonnant sa licence grand-ducale, elle n'aurait sans doute pas fait la fine bouche.


Reste qu'un argument avancé fin juin était que, de toutes façons, l'opérateur privé devrait un jour ou l'autre rentrer dans l'orbite de contrôle du CSA belge, suite à l'imminente adaptation de la directive européenne SMA. Visiblement, de ce côté, le géant allemand a dû obtenir quelques informations, ou quelques garanties…

Frédéric ANTOINE

16 juillet 2020

Philippot à France Télévision, les souris danseraient-elles boulevard Reyers?



Dans la liste des huit candidats à la présidence de France Télévision qui seront auditionnés par le CSA français, un nom sort du lot: celui de l'administrateur général de la RTBF, Jean-Paul Philippot. Que
le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) avait reconduit à son poste il y a cinq mois, pour un quatrième mandat de six ans.
L'homme n'est pas encore dans le fauteuil de Delphine Ernotte, mais son départ n'arrangerait-il pas bien l'actuelle majorité politique de la FWB?

On devrait savoir pour le 24 juillet au plus tard qui succédera à Delphine Ernotte à la tête de France Télévision. Elle-même, ou l'un de ses challengers, parmi lesquels celui qui semble avoir le plus d'étoffe n'est autre que Jean-Paul Philippot. Aucun des autres candidats ne peut en effet faire preuve d'une expérience de management d'un groupe de médias de service public aussi large et longue que celle de l'administrateur général de la RTBF. Son seul défaut à l'égard de ses concurrents hexagonaux est, peut-être, qu'il ne soit pas Français. Chose qui, hormis dans le monde de l'humour, des variétés et du cinéma, reste tout de même une tare pour bon nombre de compatriotes de Descartes et de Mirabeau. Alors que l'inverse est loin d'être vrai, la RTBF n'ayant jamais rechigné, sous Jean-Paul Philippot, à faire appel à des Français pour y occuper des postes à responsabilités. En Belgique, cette stratégie a, à diverses reprises, permis de surpasser des luttes de chapelle et des ambitions personnelles de candidatures internes. Peut-être l'actuel pouvoir français pourrait-il, pour une fois, être tenté de procéder de même manière face à ce Liégeois devenu Bruxellois dans l'âme, qui vient juste de fêter ses 60 ans.

MOMENTUM

L'élection de cet ingénieur commercial Solvay, dont la carrière s'est toujours focalisée sur les soins d'urgence (dans le secteur hospitalier d'abord, dans l'audiovisuel public ensuite) n'est pas acquise. Mais imaginons qu'elle le soit. Confirmant sa candidature à France Télévision, Jean-Paul Philippot a bien veillé à faire savoir à son personnel que celle-ci n'était "aucunement un aveu de désengagement et de désintérêt pour la RTBF". Cependant, n'est-ce pas pour lui le meilleur moment pour obtenir, ailleurs que sur le petit territoire de la FWB, l'ultime bâton de maréchal qui lui manque? Ayant quitté la présidence de l'UER en 2018, après dix ans de mandat, peut-il lui rester une autre marche (accessible) à gravir?

Quitter la RTBF à ce moment précis lui permettrait aussi de ne pas devoir ferrailler à l'avenir avec un gouvernement de la FWB qui adopte, ces derniers temps, des attitudes interpellantes vis-à-vis de l'actuelle gestion du service public de l'audiovisuel. En février dernier, personne n'aurait compris que ce gouvernement ne reconduise pas, une nouvelle fois, l'administrateur général sortant. Il n'y avait pas d'autre choix. Mais cette décision était-elle un cri du cœur? Assurément non.

BACK TO PURITY

Les recommandations du gouvernement faites au CA de la RTBF lors de sa (re)nomination laissaient bien entendre que, cette fois, M. Philippot serait en liberté surveillée. Avant cela, les propos tenus dans la déclaration de politique générale de ce gouvernement avaient, elles aussi, fait comprendre que le temps de la gestion de la RTBF "à la Philippot" était révolu, et qu'il allait falloir adapter les règles du jeu.

Les décisions prises par ce même gouvernement début juillet 2020 à propos des restrictions de ressources publicitaires imposées à l'audiovisuel public n'ont, en fait, que concrétisé ces intentions. En tentant, même plutôt symboliquement, de limiter la place de la publicité sur les ondes de la RTBF, celles-ci ont comme propos de remettre sur ses rails un opérateur public plus pur, moins tenté de céder aux sirènes des marchés et de la concurrence. Le message politique est clair: l'audiovisuel public doit se recentrer sur ce qui doit faire sa spécificité, quitte à ne pas jouer dans la même cour que les opérateurs privés. Alors que, pour la première fois en 2019, les PDM de La Une dépassaient celles de RTL-TVI, le gouvernement semble indiquer que là ne réside pas l'essentiel.

Que ces restrictions publicitaires imposées à la RTBF tombent au même moment que le cadeau financier accordé par ce même gouvernement à la filiale belge d'une entreprise privée audiovisuelle luxembourgo-allemande peut aussi être lu comme une confirmation de cette volonté de recentrage du service public sur sa pureté essentielle. Au privé de faire du privé, quitte à ce qu'on lui accorde de l'argent public pour y arriver, et au public de faire du 'vrai' service public, quitte à perdre en audience, en concurrence et en moyens.

REAL POLITICS

On peut comprendre que pareils signaux ne jouent pas le rôle de sirènes pour Jean-Paul Philippot, qui a, lui, toujours milité pour et développé une vision très real politics du service public de la radio-télévision. Une vision qui tient compte de la nature économique actuelle du marché de la télévision, qui combat pour que l'audiovisuel public ait les moyens de se battre au moins à armes égales avec le privé, qui choisit d'investir pour le futur plutôt que d'épargner, et qui considère le fait d'être suivi par une audience appréciable comme le meilleur signe de légitimité possible de l'acteur public.

Comme l'UER, l'actuel administrateur général de la RTBF n'a jamais été partisan de médias publics épurés à l'extrême, fiers de leur quintessence, mais n'étant suivis que par une poignée d'auditeurs et téléspectateurs convaincus. Pas sûr que, à l'heure actuelle, ce point de vue soit unanimement partagé par les politiques.

Le 9 octobre 2019, c'est-à-dire peu de temps après l'installation du nouveau gouvernement de la FWB, le bruit d'un éventuel départ de l'administrateur général de la RTBF pour France Télévision avait déjà couru. Tant et si bien qu'on peut se demander si celui-ci ne fait pas partie d'un deal convenu entre l'intéressé et le pouvoir politique de la FWB en février dernier: une reconduction, certes, pour ne pas manifester de désaveu officiel. Mais aussi un encouragement au départ vers de plus hautes sphères, laissant dès lors aux partis politiques en place les mains libres pour penser sereinement au choix d'un·e nouvel·le patron·ne de l'audiovisuel public francophone belge. Quelqu'un (ou quelqu'une) qui correspondrait davantage à la vision plus épurée de l'institution, défendue au moins par certains des partenaires de la majorité.

Ceci n'est bien sûr qu'une hypothèse, faite en chambre, et ne reposant sur aucune confidence. C'est une pure construction intellectuelle. Mais, si l'administrateur général de la RTBF terminait bien sa carrière sur les bords de la Seine et non de la Senne, il est clair que cela permettrait aux souris du boulevard Reyers de danser d'une nouvelle manière. A commencer par celle qui, selon l'ancienne comptine enfantine, "courait dans l'herbe" et que l'on attrapait par la queue.

Frédéric ANTOINE.

02 juillet 2020

LA PUB RTBF AU RÉGIME: QUELLE ÉTRANGE COÏNCIDENCE

Alors que la FWB s'apprête à offrir 40 millions d'euros au luxembourgeois RTL Group, le même gouvernement dépose sur la table un avenant au contrat de gestion de la RTBF destiné à réduire les ressources que l'opérateur public peut escompter obtenir de la vente d'espaces publicitaires. Etrange, vous avez dit étrange?

Tous les médias dont une partie des ressources dépend de l'insertion de publicités commerciales ont souffert de la crise du covid. Dans l'audiovisuel, la situation n'est pas différente pour l'opérateur public, les grands réseaux privés, les chaînes thématiques ou les télévisions locales.

Face à ce marasme généralisé, on aurait pu s'attendre à ce que l'Etat s'engage dans un plan d'aide généralisé, ou dégage un montant global de soutien, ou encore propose à tous les opérateurs intéressés de faire appel à son intervention.

Sauf erreur, cela ne semble pas être le cas, seul le RTL Group se voyant jusqu'ici promettre l'octroi d'une aide substantielle qui, si elle pourra peut-être permettre d'éponger un peu le déficit covid, n'endiguera les autres problèmes dans lesquels la filiale belge l'entreprise luxembourgeoise est empêtrée depuis plusieurs années. On pense notamment à ses difficultés endémiques de passage vers le numérique, à la concurrence des plateformes payantes, à l'avidité de son actionnaire en matière de dividendes, ou à l'absorption d'une partie du marché pub en FWB par le groupe TF1, opérant via la régie publicitaire de RTL Belgique elle-même…

DOUBLE PEINE

Quand, au même moment, on apprend que le gouvernement de la FWB, fidèle à sa déclaration de politique générale, va proposer de modifier le contrat de gestion de l'opérateur public pour y réduire la possibilité d'obtenir des recettes de publicité commerciale, on commence à se poser des questions. La concomitance des deux informations est trop belle pour paraître fortuite. On comprend donc que certains parlent à ce propos d'une "double peine" pour la RTBF. D'une part, voir que son concurrent étranger, membre d'un géant mondial des médias, bénéficier pour la première fois de l'histoire d'une aide publique alors que le service public n'a pas droit à la même sollicitude. D'autre part, au contraire, se voir privé de recettes commerciales qui lui permettaient d'exercer ses activités, l'Etat étant de longue date incapable de fournir un financement suffisant pour ne pas avoir à recourir à ce genre de recettes.

Pratiquement, la rencontre de ces deux mesures est sans doute due à un hasard de calendrier. Mais, même en ce cas, un peu de sensibilité, voire de tactique politique, aurait peut-être permis d'au moins éviter l'impression donnée, et les interprétations que cette coïncidence inspire…

CERVEAUX DISPONIBLES

Au-delà de cela, les deux choix opérés par le gouvernement de la FWB révèlent la représentation qu'il se fait du rôle des acteurs privés et publics au sein du paysage médiatique audiovisuel.

De longue date, certains des partis au pouvoir en FWB ont dénoncé l'impact de la publicité sur l'offre de programmes de l'entreprise qui en dépend. Celle-ci infère sur la grille, le type de programmes proposé, leurs contenus… A ce propos, la fameuse phrase de feu Patrick Lelay (TF1) sur le "temps de cerveau disponible" qui préside au choix des programmes de télévision diffusés entre les spots publicitaires est devenue une référence classique, d'autant plus forte qu'elle venait en droite ligne d'un des orfèvres en la matière. Dans les médias privés, cette interaction de la publicité sur l'offre de contenu est inhérente au modèle.
En vertu de la théorie économique des "two sided markets", on peut considérer que, en échange d'une gratuité d'accès aux contenus, le consommateur de ce type de médias accepte, sciemment, implicitement ou inconsciemment d'être instrumentalisé et utilisé par l'opérateur en tant que monnaie d'échange vis-à-vis de ses annonceurs. Et ceci, que cela paraisse éthique ou non (1).

La question éthique (ou philosophique) peut, par contre, être soulevée dans le cas de médias publics, majoritairement (si pas totalement) financés par de l'argent public. L'usager d'un média public, réputé être 'au service du public', est-il un objet, dont le profil de consommateur peut impunément être vendu par l'opérateur à son annonceur? En fonction de leur positionnement politique ou de leurs convictions, tous les partis peuvent avoir, à ce propos, une lecture différente, ou évaluer de manière variée l'importance de cette problématique.

Les choix du gouvernement de la FWB sont visiblement inspirés par ce type de regard éthique ou philosophique. Mais, l'Etat étant incapable de soutenir l'ensemble du financement de son opérateur public, le gouvernement 'se contente' de minimiser l'impact de la publicité sur l'offre proposée par ce dernier.

DES ETINCELLES

Il paraît plus étrange que cette minimisation soit imposée en cours de contrat avec l'opérateur. Un contrat est supposé valide pendant toute la durée pour laquelle il a été fixé. Il cliche les règles du jeu, afin de permettre à l'opérateur de programmer sa stratégie sur l'ensemble de la période concernée. Modifier les règles en cours de partie remet évidemment ces modalités en cause, et met l'opérateur en position difficile. On pourrait alors considérer qu'il appartient à l'Etat lui-même de compenser les réductions de ressources imposées à l'entreprise.  Est-ce le cas? N'étant pas dans le secret des dieux, nous n'avons pas de réponse à ce propos, mais il semble que cela ne soit pas le cas.

Si l'on ajoute à cela la perte de revenus liée à la crise covid, non compensée elle aussi, il ne peut venir à l'esprit qu'une seule interprétation: ces événements ne sont-ils pas autant d'étincelles ou d'allumettes destinées à manifester la volonté de l'Etat d'amener l'opérateur public à revoir, face à une réduction de recettes, son offre et sa stratégie? A se remettre en cause?

Un énorme chantier pourrait être amorcé à ce sujet. L'opérateur public doit-il tout faire? Est-il obligé d'être présent sur tous les fronts, et de chercher à répondre coup par coup à toutes les initiatives de ses concurrents? Ou le service public doit-il se recentrer, se focaliser sur ce qui est davantage de l'ordre de l'essentiel (en ayant déterminé ce que le terme recouvre)? En fonction des réflexions développées par certains partis, que ce type de question circule ne doit pas être exclue.

Avant d'arriver à cela, il devrait se tenir à ce sujet une large consultation, dont les considérations socio-économiques ne peuvent être absentes. Mais tout cela devrait être programmé, organisé, et prendre du temps. Ne pourrait-on imaginer de nouveaux "Etats généraux de l'audiovisuel public", au même titre qu'il y eut, il y a de nombreuses années, une initiative politique de nature à peu près identique?
En l'état, face à de pareils enjeux, les projets actuels paraissent peut-être plus qu'un peu précipités…

Frédéric ANTOINE.



(1) Ce qui pose d'autant plus la question d'une aide apportée par l'Etat à ce type d'opérateur privé…




01 juillet 2020

RTL "redevient" belge. Parce qu'elle le vaut bien?

La presse a annoncé ce 30 juin que la Fédération Wallonie Bruxelles et RTL Belgium avaient conclu un accord au terme duquel, en échange de son "retour" dans le giron belge, la société bénéficierait d'une aide importante de l'Etat. Une info à nuancer. Mais dont on ne peut s'empêcher de se demander à qui elle profite.

En fin de journée, le mardi 30/06, le service de presse de RTL Belgium a envoyé, à quelques minutes d'intervalle, deux communiqués de presse au contenu assez proche, annonçant que l'entreprise et le gouvernement de la FWB "avaient convenu d’un protocole d’accord visant à permettre à RTL Belgium de faire face à l’impact que le COVID-19 a eu sur ses activités". Le premier communiqué laissait sous-entendre que cet accord était déjà mis en œuvre. Le second comprenait un paragraphe supplémentaire précisant que "ce protocole est encore sujet à une approbation de l'Europe sur les aides d'Etat". Nuance…

Le communiqué de presse du cabinet du ministre Linard, beaucoup plus détaillé, était aussi beaucoup moins péremptoire que celui de l'entreprise. On peut notamment y lire que "des négociations vont donc être entamées en vue de conclure une convention entre la FWB et RTL Belgium". Il n'est donc nullement question ici d'un protocole d'accord, mais seulement de la mise en œuvre de négociations. Nuance…

Toutefois, au-delà d'une exégèse des formules utilisées, le fond de l'affaire est bien le même: "en cas de rattachement de RTL Belgium à la FWB" et à condition de s'engager sur une série de points dont "le respect la législation de la FWB, dont le prochain cadre fixé par la transposition de la directive SMA", l'Etat belge, par l'entremise de la FWB, s'engagera à fournir "une aide destinée à préserver la pérennité de RTL Belgium".

LE RETOUR DE L'ENFANT PRODIGUE

La FWB s'efforce depuis la crise du covid à soutenir tant que possible les médias de Belgique francophone, les journalistes, et le monde de la culture. Etait-il normal qu'elle réponde aux appels lancés par RTL Belgium?

On ne peut à ce propos perdre de vue que, pour des motifs purement économiques, RTL Belgium avait choisi de claquer la porte de ses liens avec les autorités belges en 2005 pour se replier sur l'autorisation dont elle bénéficie sur ses historiques et hospitalières terres luxembourgeoises. Un petit duché dont les autorités de contrôle des médias sont assurément plus laxistes que leur alter ego belge. On ne peut, de plus oublier que, à l'époque, en vertu de la législation européenne, personne n'avait pu trouver à redire au fait que l'entreprise ne soit alors plus soumise à des obligations et à un contrôle sur le territoire auquel ses chaînes s'adressaient, et où elle avait l'essentiel de ses activités.

Une nouvelle version de la directive européenne, qui avait à l'origine rendu cela possible, devrait prochainement être adoptée au Parlement de la FWB et, selon certains observateurs, rendre à peu près obligatoire que RTL Belgium réintègre le giron des autorités belges.

Mais cela impliquait-il que, en contre-partie du retour de l'enfant prodigue, la FWB lui déploie le tapis rouge et s'empresse de faire un geste à son égard?

MADE IN GERMANY

Prenons un peu de hauteur. Faut-il rappeler que 66% du capital de RTL Belgium sont entre les mains du RTL Group, société luxembourgeoise elle-même détenue à 76,28% par le géant allemand des médias Bertelsmann, possédé par la famille allemande Mohn (1)?

On répondra sans doute à cela que 34% du capital de RTL Belgium sont, tout de même, entre des mains belges, puisque par l'entremise d'Audiopresse, cette part de l'entreprise est détenue par des groupes de presse belges. Mais il faut aussi garder en mémoire que, de ces 34%, près du tiers est détenu par le groupe médias flamand Mediahuis, qui n'a aucune implantation ni rapport institutionnel direct avec la Belgique francophone…

Peut-on aussi mettre de côté le fait que, en obéissant à la logique de rentabilité maximale imposée par son actionnaire principal, et sous prétexte de mise sur pied d'un plan de développement digital, l'entreprise a mené fin 2017 une sévère opération de 'nettoyage' de son personnel ('plan Evolve') qui lui a… permis de doubler ses bénéfices en 2018 (2), et donc de satisfaire l'attente en dividendes de ses actionnaires?

Peut-on aussi omettre de rappeler que l'opération d'économies menée en 2018 a, en pratique, entraîné une réduction claire des productions 'belges' sur les chaînes du groupe ainsi que de leur ancrage en FWB? L'offre de programmes en prime time, exposée dans un précédent article de ce blog, démontre que, hormis les JT, bon nombre des émissions de ces chaînes, figurant en haut des podiums d'audience, n'ont pas de rapport avec la FWB. A de nombreux égards, RTL Belgium est déjà à l'heure actuelle sur la voie d'une filialisation de M6 France. L'appui que la FWB pourrait s'engager à apporter à la société allemande a-t-il comme but d'arrêter cette hémorragie, ou simplement de sauver ce qui peut l'être? On pense ici aux petits magazines qui suivent les jt du soir, aux télé-réalité comme L'amour est dans le pré ou Mariés au premier regard et, bien sûr, aux jt et au talk-show politique du dimanche midi.

QUEL PLURALISME?

RTL Belgium a su, à et égard, jouer sur la corde sensible du monde politique: la question du pluralisme. Le communiqué de presse de l'entreprise est éloquent à cet égard. Une de ses trois phrases insiste sur ce point, évoquant sa volonté de "préserver le pluralisme de l’information audiovisuelle en Communauté française, un pluralisme dont RTL a toujours été et reste le premier garant". En écho, le communiqué du cabinet de la ministre des médias mentionne que "RTL Belgium contribue de manière spécifique à ce pluralisme".

Alors que la logique du service public est d'assurer en son sein une représentation pluraliste de la société (d'où la notion de "pluralisme interne"), les autorités politiques et l'entreprise privée prennent, elles, la défense du "pluralisme externe". Une notion au nom de laquelle un opérateur audiovisuel privé fut autorisé en Belgique francophone en 1987 par le gouvernement du PRL Philippe Monfils (les plus anciens se souviennent sans doute de la fameuse campagne de pub menée à l'époque par RTL avec comme slogan "L'autre vérité", moyen de vulgariser la notion de 'pluralisme externe').

"Pluralisme" doit-il être lu dans les communications faites le 30/06 dans le sens de "pluralisme politique"? On peut en tout cas supposer que les autorités de l'Etat ne sont pas insensibles au fait de disposer sur RTL d'autres tribunes (ou de davantage de tribunes) que s'il n'existait plus que la seule RTBF. Aider RTL aurait alors comme but essentiel de préserver  "le pluralisme"(?) de l'info. Vu le volume et la composition du personnel de l'entreprise, l'exigence exprimée par la FWB, demandant que RTL assure une "garantie du maintien de l’emploi" semble aller dans ce sens: sauver ce qu'il y reste d'un pôle journalistique déjà mis au régime précédemment.
A titre de comparaison, le personnel de RTL Belgium comptait 'seulement' 297,6 équivalents TP en 2018, contre 350,4 l'année précédente (3). La RTBF, elle, rémunérait 2.009 ETP en 2019 contre 2.038 en 2018 (4).

ET LN24?

Bien sûr, RTL TVI réalise pour l'instant les meilleures audiences en soirée, et ses jt sont en règle générale plus regardés que ceux de La Une. I est donc politiquement difficile de ne pas être sensible à cette donnée du problème. Toutefois, jusqu'à présent, la règle générale était que l'Etat n'accordait aucune aide aux entreprises audiovisuelles privées. Le cordon autour de ce secteur est donc en train de tomber. Il peut peut-être, à certains points de vue, paraître pertinent d'accorder de l'argent à une société dépendant d'un géant mondial des médias, qui possède de par le monde 126.000 employés et qui a réalisé un chiffre d'affaires global de 18 milliards d'euros l'an dernier, et un milliard d'euros de bénéfice (5).
Mais alors, il semblerait aussi légitime de se demander si d'autres opérateurs n'auraient pas droit, peut-être avant RTL, à être soutenus par l'Etat. A commencer par LN24, qui petit à petit réussit à trouver sa place sur le marché de la télévision, mais manque de moyens pour s'y développer et assurer pleinement sa mission d'information.
Si l'argument politique est celui du pluralisme, et ce d'abord dans le monde de l'info, cette chaîne all news, qui est devenue un lieu d'expression et de débat de plus en plus indiscutable et couru, mériterait sans doute plus d'être encouragée et soutenue qu'une filiale d'une entreprise allemande dont le principal souci reste la rentabilité, où le réflexe de base est ontologiquement de nature commerciale, et dont la programmation est d'abord guidée par le souci de distraire ses téléspectateurs.

Frédéric ANTOINE.

(1) Capital du RTL Group:
Bertelsmann Capital Holding:76.28%
Silchester International Investors LLP: 5.01%
Treasury shares: 0.76%
Public: 17.95%
(2) Les comptes annuels 2019 n'ayant pas encore été déposés à la BNB (ou n'y étant pas accessibles), l'actualisation de ces données est à cette heure impossible.
(3) Comptes annuels 2018 et 2017.
(4) Rapport annuel RTBF 2019.
(5) https://www.bertelsmann.com/news-and-media/news/bertelsmann-increases-revenues-achieves-best-ever-operating-result-in-2019.jsp

















30 mai 2020

l'Etat belge à la rescousse de TF1?

En période de crise médiatique, un des seuls moyens entre les mains de l' État pour soutenir les médias privés est d'y acheter des espaces et d'y diffuser de la publicité institutionnelle. Le coronavirus n'échappe pas à cette technique. Mais cela doit-il aller jusqu'à aider une multinationale médiatique étrangère?

Crise covid et consommation des médias font bon ménage. Mais confinement ne rime pas aussi aisément avec financement, surtout si celui-ci est de nature publicitaire. La situation de ce marché se redresse un peu ces dernières semaines. En télévision, l'occupation de certains écrans par de la publicité publique y contribue. Le 30 avril dernier, la FWB adoptait ainsi un plan d'aide aux médias où elle s'engageait notamment  "à acheter des espaces publicitaires pour une campagne de communication d’intérêt public dans l’ensemble des médias écrits et audiovisuels nationaux, régionaux et locaux, afin de répondre à la baisse drastique de leurs revenus publicitaires" (1).

Aide locale, acteurs internationaux

Est-ce dans ce cadre que le Forem développe actuellement une campagne de communication à la télévision? On ne le sait pas (2). Mais, que cette action de communication du Forem s'inscrive ou non comme un soutien spécifique aux médias en période de covid, on ne peut contester que cet achat d'espace pour diffuser des messages d'intérêt général à propos de ce service constitue une aide apportée par l'État aux organismes de télévision. En donc à des acteurs privés, dont les liens directs avec une implantation en Belgique francophone ne sont pas toujours avérés.

Faut-il rappeler que l'essentiel du capital de RTL Belgique appartient à un groupe allemand, qu'il relève d'une licence de diffusion en Belgique accordée par le Luxembourg, et que les organigrammes de l'entreprise ne cachent pas divers allers-retours entre la Belgique et le Grand-Duché?
Personne ne contestera toutefois que l'entreprise  produit en Belgique, et pour la Belgique, une part de ses émissions, même si celle-ci n'est pas en croissance. Une argumentation tentant à justifier la diffusion sur les chaînes du groupe RTL Belgique de messages d'intérêt général financés par une autorité publique locale mériterait donc au moins d'être discutée.

Pour TF1, plus directement visée ici, la question est bien davantage ouverte, voire béante. Certes, depuis la rentrée 2018, la chaîne privée française du groupe Bouygues développe sur le territoire belge un décrochage de son programme français qui prétend distinguer les contenus belges de ceux proposés sur l'hexagone. Mais il ne faut toutefois pas un long temps de vision pour conclure que la seule différence entre les deux chaînes se situe au niveau de leurs écrans publicitaires. Hormis cela, le reste du contenu, c'est-à-dire ce qui motive l'intérêt des Belges francophones pour cette chaîne, est strictement identique des deux côtés de la frontière. Le public belge est simplement devenu un marché de plus pour cette chaîne privée, une clientèle que TF1 entend valoriser (sinon exploiter) économiquement.

Soutien sans frontières

C'est dans le cadre de ces écrans publicitaires, et en l'occurrence à tout le moins en primetime, que l'on a pu très récemment voir, sur TF1, un spot publicitaire du Forem.
Quelle a été la régularité de cette diffusion, et à quels moments précis ces messages ont-ils été émis? On demandera ici au lecteur un peu de mansuétude: une observation de ce qui se passe dans la médiasphère belge francophone n'oblige ni ne permet d'assurer une veille permanente et totale de cet univers 24h/jour 7j/7. Et la non-intégration de ces écrans dans le replay en ligne ne permet pas de recouper, a posteriori, ce qu'a révélé la vision live.

A moins que cet espace ne lui ait été généreusement offert (chose ce que le téléspectateur n'aurait aucun moyen de savoir), tout porte à croire que le Forem a acheté ces emplacements sur TF1. Certes, ce géant des médias a, lui aussi, souffert de la crise du covid. Et les dividendes attendus par ses actionnaires seront sans doute moins élevés fin 2020 que fin 2019. Mais est-ce une raison pour les pouvoirs publics de courir au secours de ce groupe? Si la question peut déjà être posée pour l'État français, elle l'est évidemment a fortiori pour l'État belge, dont le Forem est une émanation.

Le monde des médias crie à l'aide en Belgique. Les autorités cherchent, via les moyens à leur disposition et en fonction des faibles marges de manœuvre dont elles disposent, à répondre à ces SOS. Et, au même moment, une des agences relevant du pouvoir public en Wallonie investit de l'argent wallon dans le soutien d'un groupe médiatique international. Groupe dont la seule véritable  ambition est de s'emparer d'une partie du marché publicitaire belge francophone, déjà réduit à une peau de chagrin.

Une brillante analyse réalisée par l'agence Space (3) a récemment démontré comment la reprise en main par IPB de la commercialisation de la pub de TF1 en Belgique avait augmenté, à l'automne 2019, les ventes d'espaces belges sur cette chaîne. Ce qui avait entraîné une hausse des rentrées engrangées par le géant français, hausse qui a essentiellement affecté… RTL-TVI, dont les liens directs et historiques avec IPB sont pourtant évidents.
Partant de là, le Forem a-t-il acheté chez IP un 'package' d'espaces sur les chaînes du groupe RTL et TF1 Belgique? Sa présence sur TF1 ne serait-elle donc qu'une 'conséquence malheureuse' de ce marché? Ce blog est incapable de la dire. Mais, même dans ce cas, et sauf si IP a fait cadeau de cet espace, il semblerait que TF1 a bien été soutenu, pour ne pas dire financé, par un service public dépendant de l'État belge…

Frédéric ANTOINE.


(1) https://linard.cfwb.be/home/presse--actualites/publications/publication-presse--actualites-29.publicationfull.html
(2) La coïncidence de cette campagne avec les décisions politiques récentes pouraitt le laisser supposer. Toutefois, le Forem étant  "le Service public wallon de l'Emploi et de la Formation professionnelle" (https://www.leforem.be/a-propos/le-forem-en-detail.html), il ne dépend pas de la FWB, mais du gouvernement wallon. Par contre, comme ce n'est pas la Wallonie mais la FWB qui exerce les compétence d'aide aux médias, peut-être l'action de l'un des gouvernements est-elle soutenue par l'autre, et vice-versa?
(3) "Gross tv investments South evolution"in: https://www.space.be/seen

26 mai 2020

PRESSE QUOTIDIENNE BELGE : LA DIFFUSION, ÇA VA MIEUX (EN TOUT CAS AVANT LE COVID)

Après des années de chute, les chiffres de ventes de la presse quotidienne belge francophone se sont moins mal portés en 2019. Certains patrons de presse revoyaient déjà la vie en rose. En tout cas avant la crise du covid.

Quel sera l'impact du coronavirus sur la diffusion payante de la presse? Si les états-majors des journaux francophones belges ont sûrement un œil sur la question, les données officiellement accessibles ne permettent pas de répondre actuellement à la question.
Depuis fin 2016 en effet, les éditeurs sont devenus très avares d'informations sur l'état de leurs ventes. Seul un "brand report" annuel révèle depuis lors quelques data sur chaque titre, alors que précédemment le CIM rendait largement accessibles des rapports trimestriels grâce auxquels les médias se plaisaient, plusieurs fois par an, à commenter les baisses des ventes de la presse. Désormais, seuls les chiffres d'audience, qui eux sont toujours à la hausse, bénéficient d'une large diffusion.

Dans ce contexte, on a accueilli avec attention la déclaration faite fin janvier dans son journal par le directeur général du Soir, affirmant notamment que "pour 2020, nous nous dirigeons vers le cap des 100.000 personnes qui, de manière hebdomadaire, se connecteront sur nos plateformes numériques de contenus payants" (1).

La phrase a fait grand bruit, et un rapide raccourci a fait circuler un peu partout en Belgique que Le Soir comptait, dès à présent, cent mille abonnés numériques. Ce qui n'est pas tout à fait ce qu'expriment les propos reproduits ci-dessus. Ces usagers seront-ils des personnes réglant directement à Rossel le montant d'un abonnement numérique? Recourront-ils ponctuellement des accès payants à la pièce? Ou cette comptabilisation prend-elle aussi en compte les lecteurs qui, grâce à leur abonnement Proximus, bénéficient désormais via "my e-Press" d'un accès en ligne gratuit au Soir ou au Laatste Nieuws (2)?

Inversion de tendance

Laissons là aussi la question ouverte pour porter un regard rapide sur  l'état de la diffusion de la presse francophone belge (à ne pas confondre avec celui de son lectorat) et son évolution au cours des dix dernières années. Cette situation est résumée dans le graphique figurant en tête de ce texte. Il tient compte des données CIM authentifiées disponibles jusqu'en 2018 et des déclarations d'éditeurs (non encore authentifiées) pour 2019. Selon ces chiffres, la diffusion payante totale des cinq titres généralistes du sud du pays a baissé de près de 30% en dix ans. Mais la courbe, dont la pente descendante était régulière jusqu'en 2018, commence à se relever en 2019. Comme si l'on avait alors touché le fond, et que le plongeur était désormais en train de remonter.

L'étude de la diffusion payante totale (papier+numérique) par titre nuance cette impression d'ensemble: si tous les journaux ont connu une baisse de leurs ventes, l'importance de celle-ci n'est pas identique et, depuis 2018, les situations diffèrent quelque peu selon les quotidiens. La dégringolade des ventes du groupe Sud Presse a été vertigineuse, mais s'est stabilisée en 2018. Celle de L'avenir a été plus lente, et le titre était même parvenu à stabiliser ses ventes en 2017, avant de plonger à nouveau l'an dernier. Le Soir a connu une évolution en dents de scie, mais remonte la pente. La Dernière Heure a, elle aussi, beaucoup perdu, mais ralentit fortement sa chute en fin de période. Quant à La Libre, son essouflement était déjà bien entamé depuis deux décennies. Il a été plus faible au cours des dix dernières années, le journal étant même en rebond depuis 2017.

Le papier qui s'effrite

Sur l'ensemble période, c'est la presse populaire qui enregistre les moins bons résultats.  La Dernière Heure connaît la proportion de baisse des ventes la plus forte, suivie par les titres de Sud Presse. Le Soir perd près d'un quart de ses ventes et L'Avenir 20%. La Libre Belgique limite quelque peu les dégâts, tout ces chiffres concernant la diffusion payante totale des titres, c'est-à-dire à la fois celle des exemplaires papier (vendus au numéro et par abonnement) et celle des ventes en ligne (essentiellement sous forme d'abonnement).

Si l'on ne prend en compte que les ventes papier, les pertes sont plus marquées. La chute de ses ventes papier (-38%) explique à elle seule la forte baisse de diffusion des titres de Sud Presse, qui perd en 2018 son hégémonie sur le marché au profit du groupe L'Avenir. En pourcentage, c'est toutefois La Dernière Heure qui connaît la baisse papier la plus forte. Ces deux titres sont ceux qui, par le passé, comptaient le pourcentage d'abonnés le plus faible. La diminution des ventes papier du Soir et celle de La Libre est à peu près identique en pourcentage. L'Avenir est le titre dont l'érosion papier est la plus faible (moins de 15%), les habitudes d'usage de son fidèle lectorat et sa moyenne d'âge n'y étant pas étrangères.

En ligne, une explosion relative

Longtemps, le niveau de diffusion payante des quotidiens n'a pas été boosté par leurs ventes digitales. Il y a dix ans, celles-ci étaient quasi nulles, seul le modèle du "tout gratuit" étant alors cultivé comme une véritable religion par les médias. Devant l'échec du financement du numérique par la publicité, le "tout payant" ou le "paywall+payant" ont ensuite été appliquée. Les pentes des courbes, toutes ascendantes depuis le début de la dernière décennie, sont cependant loin d'être en croissance constante. Les coups de pub sans lendemain, la difficulté de persuader un usager du gratuit de basculer sur le payant ou la volatilité de l'abonné numérique, nombreux à être infidèles sur le long terme, expliquent le parcours sinueux de certaines courbes. Depuis 2017, la tendance à la hausse est toutefois, en général, redevenue plus constante.

Comme sur les marchés étrangers, les quotidiens de qualité sont ceux qui réussissent le mieux à attirer de nouveaux abonnés numériques payants ou à faire basculer vers le digital des usagers du papier.   Ses 36% d'abonnés numériques rapprochent Le Soir des quotidiens de la PQN française, qui affichent également désormais des scores élevés de vente en ligne. Confirmant la tendance, le pourcentage de La Libre lui est à peine inférieur. Les titres de presse populaire éprouvent plus de difficultés à récolter des abonnés numériques payants, le lecteur de ces titres étant classiquement moins enclin à s'engager sur le long terme. Le cas de L'Avenir est plus interpellant. Le groupe régional avait entamé, plutôt tardivement, une lente mais constante collecte d'abonnés numériques. Mais celle-ci marque le pas en 2019 et est, l'an dernier, le groupe de titres ayant le pourcentage d'abonnés numériques le plus faible en Belgique francophone. Ces éléments ne peuvent échapper aux éventuels repreneurs du groupe, tant pour évaluer son état de santé que pour expliquer ses actuelles difficultés financières.

Frédéric ANTOINE.

(1) https://plus.lesoir.be/276904/article/2020-01-31/olivier-de-raeymaeker-directeur-du-soir-notre-modele-se-rapproche-plus-de-disney
(2) https://www.proximus.be/fr/id_cr_my_epress/particuliers/r-orphans/actualite-inclus-dans-les-packs.html

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