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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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27 mars 2023

Le monopole de l'impression de presse à Rossel : c'est grave, docteur ?

Début avril, La Libre Belgique et La Dernière Heure seront-elles aussi imprimées à Nivelles chez Rossel, qui devient ainsi le seul imprimeur des journaux de Belgique francophone. L'économie y trouve sûrement son compte. Mais ce monopole correspond-il à l'image historique qu'on se fait de la liberté de "la presse" ?

Il y eut le temps où, rue Royale à Bruxelles, de grandes vitrines permettaient de  voir tourner 'en direct' les historiques presses du groupe Rossel, Le Soir ayant à la fois une édition matinale et une autre vespérale, qui s'imprimait à la mi-journée, le spectacle y était permanent, de jour comme de nuit. 
 
En 2005, Le Soir partira à Nivelles, sur le site de l'ancien circuit automobile, où le rutilant outil de Rossel Printing Company l'imprimera désormais, ainsi que toutes les éditions de Sud-Info. Rien de plus normal : le groupe de presse était techniquement à l'étroit dans ses installations au cœur de Bruxelles. Les technologies numériques n'obligeant plus la rédaction à devoir jouxter la typo et l'impression, installer son outil dans un lieu proche de la capitale et des autoroutes était, pour Rossel, la solution optimale.
 
L'Avenir : du rêve d'un outil propre…

Vers l'avenir, de son côté, est longtemps sorti de presse à deux pas de la gare de Namur, au siège de l'entreprise, boulevard Melot. Le groupe grossissant, afin de produire un quotidien de bonne qualité, il décidera dès 1985 de déménager son imprimerie dans le zoning de Rhisnes, à la sortie de la capitale wallonne, à deux pas de l'E42.
 
Là aussi, l'outil sera ultramoderne, quoique moins à la pointe que celui de Rossel, qui lui est postérieur. Comme il s'agissait d'un gros investissement pour le groupe, celui-ci promettra de chouchouter ses rotos de Rhisnes au maximum. En 1998, il réussira même à y attirer l'éphémère quotidien Le Matin, héritier de la presse socialiste, que ses initiateurs n'envisagèrent pas une seconde de faire imprimer sur feues les presses bruxelloises du journal Le Peuple, ni sur celles du défunt carolo Journal et Indépendance, ou sur les rotos liégeoises, tout aussi RIP, de La Wallonie. Cette épopée, toutefois, sera de courte durée. En avril 2001, la nuit emportera définitivement Le Matin.

… à la réalité d'un dépouillement
 
En 2007, l'évêque de Namur cède les Éditions de L'Avenir au groupe de presse flamand Corelio (actuel Mediahuis). Dans les négociations, tout est fait pour que le Centre d'Impression de Rhisnes, fleuron namurois, soit conservé. Hélas, malgré une forte opposition du personnel ainsi que des soutiens politiques (1), le nouvel actionnaire imposera que le titre sorte désormais de ses propres presses, situées à Grand-Bigard, dans la banlieue de Bruxelles. Pour L'Avenir, c'est un déchirement et le début du grand écartèlement entre son lieu de production intellectuelle et celui de sa production matérielle, où quelques ouvriers wallons se retrouveront noyés parmi une masse de travailleurs flamands. 
La séparation sera douloureusement vécue, notamment par la rédaction, qui aura l'impression de voir son outil de travail lui échapper.
 
En 2018, nouveau changement. Quelque temps après avoir vendu les Éditions de L'Avenir à Nethys, Corelio arrête la production du titre namurois. Une bonne nouvelle pour un retour à Rhisnes ? La chose est devenue impossible. Vers L'avenir confirmera alors son statut de quotidien errant. Où se faire imprimer ? Nethys penche pour Rossel-Nivelles, qui lui fait des yeux doux. Le nombre d'exemplaires papier des journaux du groupe Rossel commençant sérieusement à baisser, l'entreprise cherche à rentabiliser ses machines. Pour ce faire, l'arrivée de L'Avenir serait du pain béni.  
Afin de garantir une indépendance dont elle a bien besoin face aux diktats de Nethys, la rédaction, elle, souhaiterait plutôt se faire imprimer à Charleroi chez Europrinter. La question sera âprement discutée avec un repreneur potentiel des Éditions de L'Avenir, le groupe IPM, qui a, lui aussi, sa propre imprimerie. Finalement, le journal namurois partira à Nivelles. Et le Centre d'Impression de Rhisnes, dont on était si fier, deviendra un lieu de self-stockage et un garde-meubles propriétés de la société Lock'O…

Le vrai dételage
 
Ce deuxième exode de L'Avenir se différencie du premier : en allant à Grand-Bigard, l'impression du titre était restée dans le giron de son entreprise propriétaire. En déménageant à Nivelles, l'impression passe en quelque sorte "à l'ennemi". Ce moment marque un tournant dans le processus de concentration de l'impression en Belgique francophone, au détriment de l'indépendance d'une production des journaux liée aux entreprises auxquelles ils appartiennent.
 
En 2020, IPM finalise son rachat du groupe L'Avenir.  Comme il possède ce titre, qui diffuse à plus de 60.000 exemplaires papier par jour, il va sûrement le faire imprimer chez lui, à Anderlecht, dont une des deux rotatives est à l'arrêt, suite à la baisse des ventes papier de La Libre et de La DH. Eh bien, non. Le contrat liant des Éditions de L'Avenir à Rossel Printing oblige le quotidien namurois à s'imprimer dans une ville qui n'est (même pas) la capitale du Brabant wallon.  À Bruxelles, IPM Press Print (ex-Sodimco) continuer de se contenter d'éditer les deux titres bruxellois du groupe IPM. Alors que le titre amiral de IPM, c'est-à-dire celui qui vend le plus d'exemplaires, est produit "en face" (puisque, depuis le rachat de L'Avenir par IPM, il ne reste plus que deux groupes de presse en Belgique francophone).
 
Trois ans plus tard, en novembre 2022, un plan d'économies est imposé à ses titres par la direction de IPM, qui a entretemps racheté LN24. Un de ses axes est d'arrêter la publication de ses journaux bruxellois dans sa propre imprimerie, et de désormais tout faire produire chez Rossel, qui ne demande que cela. Dans un premier temps, il est question de totalement démanteler IPM Print Press. Par la suite, notamment pour des raisons sociales, on décidera d'arrêter seulement le travail de nuit, lié à l'impression des quotidiens et particulièrement coûteux. Mais de conserver à Anderlecht des activités en journée, dont l'impression des suppléments des titres du groupe IPM. Quelques ouvriers de l'imprimerie bruxelloise seront aussi reclassés chez Rossel, où ils veilleront à l'édition des journaux de IPM.
 
Avantages…
 
Sur le plan économique, la solution retenue est sûrement avantageuse. Commandées en 2005, les rotatives de IPM Print Press ne sont plus de première jeunesse, et demandent révisions et ajustements. Mais, surtout, bloquer du personnel et du matériel de ce type (Goss Universal 75) pour imprimer deux fois une vingtaine de milliers d'exemplaires par soir devenait fort cher. Afin de continuer à vendre des exemplaires papier, externaliser la production s'avérait plus économique. Et ce d'autant que Rossel est à la recherche de commandes lui permettant de produire davantage chaque soir que ses propres journaux (déjà évoqués plus haut, auxquels il faut ajouter L'Écho et Grenz-Echo). De quoi satisfaire les deux groupes de presse qui se partagent désormais le marché. 
 
… et inconvénients 
 
Mais on ne peut mettre de côté le fait que ce rassemblement de toute la presse en un seul lieu de production ne va pas aider à réduire le taux de concentration dont souffre déjà le secteur. À l'oligopole que représente l'existence de seulement deux acteurs de presse pour toute la Belgique francophone, Rossel et IPM, s'ajoute désormais un monopole, celui de l'impression, que se réserve seul l'éditeur de la rue Royale. 
L'économie classique redoute que l'existence d'oligopoles n'encourage les ententes, au détriment de la concurrence. Le monopole, lui, laisse les mains libres au seul acteur présent sur le marché. Rossel Printing pourrait-il demain imposer à IPM des prix tels que les titres de ce dernier soient mis en danger ? L'hypothèse pourrait être envisagée, mais en tuant son concurrent, Rossel serait-il réellement gagnant ?
La situation oligopolistique du secteur de la presse peut impliquer que, tout en se faisant concurrence, les deux groupes aient (tacitement ou non) conclu un pacte de non-agression, plus bénéfique pour eux qu'un affrontement économique direct. La Presse.be, l'association des éditeurs de presse, lieu de concertation et d'action commune, pourrait être la plateforme rêvée pour ce type d'engagement commun.
Il ne faut aussi pas perdre de vue qu'il existe toujours entre les deux opérateurs des terrains de concurrence. Ainsi, dans le domaine de la presse, c'est aujourd'hui d'abord entre Sud-Info et L'Avenir que se manifeste la compétition entre les groupes. Dans le créneau des hebdos, Soir Mag et Ciné-Télé-revue bataillent avec Moustique et Télé Pocket. Etc.

IMPRIMER, CELA NE COMPTE PLUS
 
Ce monopole d'impression est aussi le signe du désintérêt progressif des groupes pour l'édition papier. Si jadis la possession de presses était indispensable à l'identité et la liberté d'un titre, cette période semble révolue puisque le véritable terrain de combat est désormais le digital, et non plus le produit physique. Sauf que, pour L'Avenir, la vente de journaux papier est essentielle. Sans elle,  ce journal serait déjà mort. Et, mis à part pour les quality paper, les exemplaires papier jouent toujours un rôle important. 
 
Ce qui relance l'interrogation sur la concentration de l'impression. On y répondra que cela ne date pas d'hier. Dans les grands pays, l'impression des journaux nationaux se fait aux quatre coins de la nation, sur des presses qui n'appartiennent pas aux titres qu'elles impriment. En Flandre, une seule imprimerie, appartenant à une entreprise de presse, édite déjà les titres de son seul et unique concurrent. Et l'irrépressible rouleau compresseur de loi de la concentration économique touche d'autres pays d'Europe…
 
LIBERTÉ DE PRESSE ET INDÉPENDANCE  ÉDITORIALE
 
Mais, derrière tout cela, n'oublie-t-on pas que, historiquement, "les presses" étaient le garant de la liberté et de l'autonomie de "la presse" ?

"La presse" est aujourd'hui un substantif et un article qui circonscrivent, à eux seuls, tout un univers. Alors que, à l'origine, ils ne désignaient qu'un objet : une "machine composée de deux parties se rapprochant sous l'effet d'une force mécanique, hydraulique ou électrique pour exercer une pression sur ce qui est placé entre elles afin d'en extraire un liquide, d'en diminuer le volume, d'en assurer le poli ou le maintien ou d'y laisser une empreinte quelconque" (2).

La banalisation du mot "presse" a fait perdre de vue que son sens premier était ce que montre l'illustration ci-contre : un objet destiné à "presser". Et qui, à partir de cela, a été utilisé pour presser des caractères d'imprimerie encrés contre une feuille de papier. La presse est ontologiquement associée aux notions de "journalisme", "information", médias" qui en découleront ensuite ainsi que, bien sûr, à celle de "journal". Jusqu'à devoir, un jour, utiliser le pléonasme "presse écrite" pour distinguer la presse imprimée de celle qui ne l'était pas.
D'ABORD : LA LIBERTÉ D'IMPRIMER
 
La référence à l'objet "presse" est tellement importante que c'est à elle que les sociétés libérales accorderont, au tournant du XIXe, une liberté fondamentale : "la liberté de la presse".
 
Lorsque, pionnière en la matière, la Suède légifère dans ce domaine dès 1766, elle intègre dans sa Constitution un "droit de la presse" qui interdit toute limitation du "droit de publication". (3). La liberté de la presse est d'abord considérée comme le droit de pouvoir publier, c'est-à-dire d'imprimer, sans contrainte. 
En 1791, on trouvera la même notion, dans un sens plus étendu, dans le Premier amendement de la Constitution américaine : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press ». La liberté d'expression est ici associée à la liberté de la presse, c'est-à-dire au droit d'imprimer (et de diffuser) (ce que l'on a exprimé). 
L'article 25 de la Constitution belge s'inscrira dans la même perspective. En affirmant que "La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie", il proclame la liberté d'édition et d'impression.
 
L'exercice de cette liberté implique de disposer d'outils techniques. La diffusion des publications croissant en nombre et en quantité, les "presses" deviendront de plus en plus imposantes. On en viendra ainsi, à partir du XIXe siècle, à parler d' "entreprises de presse", sociétés privées qui possèdent des machines de presse, appartenant à des "entrepreneurs de presse" de plus en plus puissants. L'évolution technologique, la mise au point des rotatives, puis des linotypes, ne feront qu'accroître la taille de cet outil sans lequel les opinions et les informations seraient restées virtuelles, et non couchées sur le papier. Jurgen Habermas a clairement décrit cette évolution dans son ouvrage L'Espace public (4).

LA FIN DE "LA" PRESSE
 
Dans un monde tenant à sa liberté d'expression, il est évidemment essentiel que chaque entreprise dispose de  l'objet lui permettant d'imprimer. Les "entreprises de presse" concentreront en leur sein l'ensemble des stades de la production du "journal", et l'imprimerie y occupera une place essentielle.  À ses côtés, l'atelier de composition sera en lien direct avec la rédaction, le travail des linotypistes permettant le passage du manuscrit rédigé par le journaliste au texte en plomb qui pourra ensuite être placé sur la rotative. Les bâtiments de l'entreprise hébergeront donc aussi l'énorme machinerie permettant la production du journal papier. Et chacun de rivaliser de fierté à son propos. 
 
Ainsi battait le cœur de médias pour lesquels la liberté de s'exprimer allait de pair, comme dans les Constitutions, avec celle de propager cette expression par voie d'impression, c'est-à-dire "par voie de presse". Partant de l'outil permettant l'impression, le terme "la presse"  désignera finalement tout le secteur qui la concerne, allant jusqu'à identifier ceux qui en rédigent les contenus. Les journalistes sont ainsi devenus "La presse" parce que leurs textes prenaient vie lors de leur impression. 
De nos jours, cette assimilation d'une industrie à une de ses composantes n'a pas disparu. On dit toujours "Ces messieurs de la presse", on parle de "revue de la presse", de "carte de presse". Et on se bat toujours pour "la liberté de la presse". 
Mais, sur le terrain, que reste-t-il de cette identité d'un titre liée à sa machinerie d'édition ? Le journalisme est désormais bien loin des presses. Et celles-ci ne sont plus les lieux de l'affirmation de la liberté d'un titre à écrire ce qu'il estime utile, pertinent, et socialement signifiant.
Au sens premier du terme, "la liberté de la presse" se réduit à mesure que se confirment les monopoles d'impression. Pour la maintenir, peut-être faudrait-il trouver un autre nom…
 
Frédéric ANTOINE .

(1) www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2006-19-page-5.htm
(2) www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/presse 
(3) www.larousse.fr/encyclopedie/divers/libert%C3%A9_de_la_presse/186001
(4) Jurgen Habermas, L'espace public, Paris, Payot, 1988.

18 novembre 2022

Grand-Place de Bruxelles : Un sapin à dimensions variables

Quelle est la taille exacte du sapin de Raeren placé ce jeudi matin sur la Grand-Place de Bruxelles ? Ce n’est pas aux médias qu’il faut poser la question si on veut avoir la bonne réponse. En effet, ceux-ci ont, ces derniers jours, communiqué des hauteurs variant de 18 à 40 mètres de haut.


Côté « sapin géant », on retrouve La Libre, Sud Info ou RTL Info qui attribuent à l’arbre une hauteur de « une quarantaine de mètres ». À l’opposé, les 18m sont évoqués par la VRT, L’Avenir ou Le Soir. Entre les deux, le JT de la RTBF titrait hier soir sur un arbre de 20m.Tout comme VEDIA. Ce matin, l’envoyé spécial de LN24 sur la Grand-Place parlait de « plus de 20m », alors que son collègue en studio affirmait que le sapin avait été « déraciné » dans un jardin… Avec tout cela, débrouillez-vous pour trier le vrai du faux.


À BONNES SOURCES

En fait, tout est question de source. Les médias qui imaginent un sapin géant recopient simplement un communiqué Belga, sans se poser de question à son propos. Ceux qui tournent autour des 20m. s’inspirent d’un communiqué de la ville de Bruxelles, diffusé aux environs du 11 novembre. Sur place à Raeren le 16/11, L’Avenir évoquait alors une hauteur estimée de 18 à 20m. Et sur place aussi à Bruxelles le lendemain, le journal se fixait sur 18m. Ce qui semble le plus logique. 


UN SIMPLE BON SENS

Faut-il être journaliste pour se rendre compte de l’impossibilité quasi complète d’avoir dans son jardin un sapin de 40m. de haut ? Selon les normes de construction actuelles, cela représenterait un immeuble de 15 étages. Difficile à imaginer à côté d’une villa.
Déjà avec sa hauteur réelle, le nouveau propriétaire de la demeure s’est dépêché de faire scier cet arbre pour éviter qu’il tombe sur sa maison en cas de tempête. Alors, avec 40m., on n’imagine même pas.
Vérifier semble difficile. Au risque de se contredire. En effet, le 11/11, reprenant le communiqué bruxellois, Sud Info écrit : « cet épicéa d’une hauteur de 20m. ». Quelques jours plus tard, pour ce média, la taille du sapin aura doublé. Un arbre qui croît aussi vite, cela vaut une citation au Guinness Book.


ET CE N’EST PAS TOUT…


On me dira que tout cela est du détail et ne remet pas en cause les fondements d’une info de qualité dont se revendiquent tous les médias. Certes, mais quand ça s’accumule, cela finit par poser problème. Ainsi, dans l’info qui nous concerne, les médias ont aussi patiné à propos de l’espèce du sapin. Il y a une grosse semaine, tout le monde parlait d’un épicéa. Depuis le 16/11, le sapin de Raeren s’est, quasiment partout, transformé en un Nordmann (sur LN 24, on parlait encore d’épicéa dans les infos du 17/11 matin). Un sapin qui mute en une semaine, c’est aussi un record… également dû à la source de l’info. Qui, sauf exception, n'est pas le journaliste qui a rédigé l’article.
Qu’il est bon de s’appuyer sur des sources. Quand elles sont fiables. Et qu’on peut les recouper. Même quand l’info provient d’une agence de presse…

Frédéric ANTOINE.

(cet article court a d'abord été publié sur le facebook millemedias express https://www.facebook.com/Millemedias)

11 novembre 2022

Mort d'un policier : quand la grande actu tombe dans l'ombre de la nuit


Pas simple de gérer une info quand elle tombe dans la soirée. Le meurtre d'un policier bruxellois, jeudi 10 dans la soirée, démontre que la réactivité des médias n'a pas été au top.

Aux environs de 19h15, rue d'Aerschot, un jeune policier est frappé de plusieurs coups de couteau et décède. Son collègue est grièvement blessé. Dans l'impossibilité de trouver l'heure exacte où la nouvelle est communiquée par Belga (sans abonnement payant, ce n'est pas simple…), on peut estimer que l'info est arrivée dans les médias vers 19h50. Le JT de La Une est alors diffusé en direct. Malgré l'importance de l'événement, il n'y sera jamais fait allusion à cette info au cours des 15 minutes qui s'écoulent entre 19h50 et 20h35. Et il n'y aura pas d'émission spéciale par la suite sur le sujet. Sur RTL TVI, le journal était terminé, mais il n'y aura pas là non plus d'émission sur l'événement. Les soirées des deux chaînes se dérouleront normalement, comme si de rien n'était. Sans mort de policier.

Plus étonnant, il en est de même sur LN24, supposée être sur l'événement en direct tout au long de la journée. Mais pas de 20 à 22h, où la station diffuse des documentaires. Là aussi aucun bandeau ne défilera en bas de l'écran (pour donner cette info, ou d'autres). Il faut attendre 22h pour que la journaliste présentant un JT qui sera ensuite rediffusé, donne l'info face caméra très succinctement. Pas d'envoyé sur place, par d'images, de reportage, d'interview. Rien que une photo qui sera celle utilisée par presque tous les médias du monde qui traiteront de l'événement (et qui ne montre rien de très précis).  RTBF et RTL TVI n'ont pas encore trop à craindre de leur concurrence apparentée au groupe IPM… Ce soir-là, l'info tv n'était pas au rendez-vous.

PRENDRE SON TEMPS

Et les médias "classiques" ? Sur le smartphone à notre disposition, la première alerte provient de Sud Info à 19h55, rapidement suivie par celle du Soir (= les 2 médias de Rossel). L'alerte suivante tombe sur notre smartphone 20 minutes plus tard, en provenance de RTL Info. Il faut attendre un peu moins de 40 minutes pour qu'une alerte arrive de La Libre, puis de 7/7.be. L'alerte de L'Avenir arrivera plus de 40 minutes après celle de Sud Info, et celle de la RTBF un peu moins de 50 minutes, comme celle de La DH. Il semblerait y avoir comme du retard dans l'air…

CONFIRMATIONS…

Lors d'une précédente chronique sur ce blog, ce type de relevé des heures de réception des alertes sur un smartphone avait été discuté par un lecteur. Nous le complétons donc ici par un relevé de l'heure affichée en tête de l'article publié sur l'appli du médias, et auquel l'alerte renvoie directement.

Les résultats sont légèrement différents, mais confirment tous que, en soirée, la réactivité des médias devant une actu de ce genre n'est pas parfaite.

Comme pour les alertes, les médias du groupe Rossel sont les plus rapides à publier un article sur le sujet (Le Soir ne fera qu'une brève avant d'être plus précis 30 minutes plus tard). Il y a quasi similarité entre l'article et l'alerte. A La Libre, l'article est écrit vers 20h30 (soit 33 minutes plus tard que la brève du Soir), avant que l'alerte ne nous soit transmise. Idem chez 7/7, qui publie près de 35 minutes plus tard que Sud Info. L'Avenir fait paraître son texte 2 minutes avant que nous recevions son alerte, soit près de 3/4 d'heure après Sud Info. La RTBF publiera son texte et son alerte en même temps, à plus de 50 minutes du premier. Pour RTL Info, il semble y avoir un illogisme entre l'heure de l'alerte (20h25) et le l'heure notifiée en tête d'article (20h39). Il faut préciser que l'heure retenue ici est celle explicitement indiquée comme étant cette de la première publication, et pas celle des mises à jour. Et que, sauf erreur de réception, LN24 n'a envoyé aucune alerte à propos de cette info. A 20h11, son alerte concernait le "Doc en prime" diffusé à l'antenne, dont le titre correspondait assez à l'actu du moment: "Demain, serons-nous tous myopes"…

Face à cet événement, certains médias se sont vraiment montrés très prudents avant de le rendre public. Précaution extrême de mise ? A moins que, simplement, tous n'aient pas eu les mêmes moyens, une veille de 11 novembre à 20h, pour traiter une actu chaude ?

Frédéric ANTOINE.



20 octobre 2022

LIZZ resigns : (presque) tous sur la balle


L'annonce de la démission de la Première ministre britannique a rapidement déclenché des alertes info sur les smartphones. Mais tous les médias belges francophones n'ont pas réagi aussi rapidement…

En Grande Bretagne, la future démission de Lizz Truss semblait dans l'air bien avant cet après-midi, et les médias étaient tout matos dehors bien avant qu'elle ne sorte sur le pas de la porte du 10 Downing Street, en tout début d'après-midi (sans doute après son Last Lunch as Prime Minister).

À 01h33 PM heure de Londres, la BBC annonce que Lizz Truss est devant le pupitre, et va s'adresser aux Britanniques. La présentation de la démission a lieu à 01h34 PM, et tout est fini à 01h37 PM. L'info est si extraordinaire (jamais un chef de gouvernement de sa Gracieuse Majesté n'avait baissé les bras aussi vite) qu'elle mérite bien un "Breaking news" et une alerte sur les smartphones. La politique des médias n'est-elle pas aujourd'hui de pratiquer le "mobile first"?

LE TEMPS D'UN ŒUF À LA COQUE

Alors, qu'est-ce que cela donne? On ne peut pas être abonné aux alertes de tous les médias. L'observation qui figure ici n'est donc pas exhaustive mais comprend tous les médias francophones belges couvrant l'actu chaude en continu.

Trois minutes auront suffi à certains médias pour annoncer la nouvelle. Parmi les alertes dont nous disposons, le quotidien Libération (Paris) aura été le plus rapide, ce qui peut paraître étrange pour un média qui se veut plus "quality" que hot news.

Pour la Belgique francophone, l'alerte la plus rapide, à peine quelques secondes après Libé, est N24. La chaîne confirme ainsi qu'elle est bien une télévision qui entend sauter sur l'info, et être immédiatement sur la balle. Le Breaking news, c'est son affaire. En tout cas pour l'actu en question. Une belle promesse pour l'avenir.

Ensuite, les choses 'traînent' un peu. Si plusieurs médias français (ou du Québec) lancent leur alerte à Actu+4, en Belgique francophone, il faut attendre Actu+5 pour que des alertes tombent sur les smartphones. Et d'abord celle de la RTBF, qui démontre ainsi que, tout comme LN24, elle est elle aussi sur la balle de tous les événements.

Le Soir est à peine moins rapide, démontrant que ce n'est pas parce qu'on est un quality paper qu'on ne peut pas être prompt sur la transmission de l'info, surtout quand celle-ci est sûre et ne mérite pas divers recoupements. Les régionaux de Rossel, réunis dans Sud Info, réagissent quasiment aussi vite que Le Soir. Le quotidien de la rue Royale est ainsi plus rapide que les grands quality papers français Le Monde et Le Figaro qui se targuent souvent de ne pas faire la course à l'annonce d'un événement.

ALERTES À LA TRAÎNE

Le site 7/7.be donne la nouvelle à Actu+10, ce qui est une réaction moyenne. Tous les titres de IPM se trouvent au-delà de ce timing. Si on comprend que La Libre entretienne son image de quality paper en ne cherchant pas à être le premier à livrer l'info, il ne devrait peut-être pas en être de même de son "compère" La DH. Mais comme il semble que la gestion de tout ce qui est numérique soit assez proche entre les deux titres, Libre et DH communiquent la nouvelle à Actu+12, ce qui est tout de même assez tardif (6 minutes plus tard que Le Soir, et 9 minutes de plus que LN24, qui appartient au même groupe). 

L'Avenir, qui appartient aussi à IPM, est encore plus lent: il publie sont alerte pour téléphones à Actu+16! Une démonstration de l'intérêt très relatif qu'il porte à l'actualité internationale. Alors que tous les médias alertaient sur la démission  londonienne, L'Avenir publiait une alerte sur l'annonce du cancer d'un homme politique wallon avant d'informer sur le départ de Lizz Truss. De quoi démontrer quelles sont ses priorités.

Doit-on en dire autant de RTL Info, qui se veut normalement en ligne directe avec le hot news, mais qui a réagi à Actu+20 minutes, alors que les autres médias avaient déjà tourné la page ou se focalisaient sur l'aftermath de l'info: quels candidats au poste, Boris Johnson a-t-il des chances, etc? De quoi la tardive réaction de la rédaction de RTL est-elle le signe, alors que sa nouvelle direction déclare que l'actu est un des piliers du groupe, et le restera?

LACONIQUE OU PLUS PRÉCIS?

Bien sûr, il y a le fait de réagir, puis il y a le contenu. Car même dans une alerte smartphones, on peut en dire peu ou plus. Beaucoup se limitent à   "Royaume-Uni: La Première ministre Lizz Truss annonce sa démission", certains médias insérant tout le message dans le corps du texte (Libération, France Info, Le Figaro), et d'autres jouant sur un avant-titre en plus du titre (LN24) (1). Le Soir est dans la même tonalité minimaliste, avec une formule plus raccourcie mais tout aussi informative: "La Première ministre britannique, Lizz Truss, annonce sa démission". 

Certains entendent en dire davantage. BFM ajoute que Lizz Truss était "fragilisée", ce qui apporte une réponse au "Pourquoi" de la liste des 5W qu'on doit normalement retrouver dans une info. 

Plusieurs médias mettent l'accent sur le caractère particulier de la situation: la brièveté du règne de Lizz Truss. La RTBF dit qu'elle démissionne "après moins de deux mois". 7/7 parle de "seulement 45 jours".

On pourrait croire que, arrivées tardivement après les autres alertes, celles de La DH et de La Libre auraient été plus peaufinées, détaillées ou complètes. Ce n'est pas le cas. Elles se contentent du même contenu informationnel bref, sans y ajouter le moindre détail. Tout comme la lanterne rouge de notre classement horaire, RTL Info, qui, 20 minutes après l'événement, se contente de dire que "la Première ministre britannique Lizz Truss démissionne".

Enfin, même dans une alerte info, on peut trouver de quoi dramatiser la nouvelle. Sud Info commence ainsi son message par les mots "Crise gouvernementale au Royaume-Uni". L'anxiogène mot "crise", présent ici, ne sera pas utilisé par les autres médias. Si les alertes infos se contentent généralement du factuel, sans faire d'accroche, chez Sud Info, mettre en avant le caractère sensationnel de l'info semble inscrit dans les règles d'écriture.

Frédéric ANTOINE.

(1) D'ordinaire, l'avant-titre des alertes info donne simplement le nom du média émetteur, voire ne comprennent que la mention: "alerte info". Certains médias, comme LN24 (ou Sud Info) se contentent de donner leur identité via le cadre graphique situé à gauche de l'alerte info, et utilise l'avant-titre pour apporter un premier élément contextuel d'info ("Grande-Bretagne", pour LN24, ce qui est assez précis. "Monde", qui l'est beaucoup moins, pour Sud ìnfo) . (texte corrigé à ce propos ce 21/10 suite à une remarque faite par LN24 lors de la publication le 20 en soirée)
 

18 octobre 2022

La dictature de l'illu qui tue l'info

 

Depuis que l'info se consomme en ligne, elle est accompagnée d'une sorte d'impératif catégorique: elle doit obligatoirement être illustrée. Coûte que coûte. Au risque de voir l'illu faire dévier ou tuer le sens de l'info. Mais personne n'a l'air de s'en soucier. Cas d'école.

Le 15 octobre, une fusillade se produit dans un camp d'entrainement de l'armée russe, dans les environs de la ville de Belgorod, proche de la frontière ukrainienne. Il y a au moins 11 morts et 15 blessés, selon le ministère russe de la Défense, qui parle d'attentat. L'info est relayée par les médias du monde entier. En vertu de la "dictature de l'illu", pour la "vendre" au lectorat, elle doit impérativement être illustrée. Mais comment faire, alors que l'événement n'a, évidemment, pas été photographié par des reporters de guerre au-dessus de tout soupçon ?

UNE IMAGE, DU CONTENU

En scrollant sur les sites d'info, l'inanité de cette obsession iconique saute aux yeux. Forcés de fournir une image, les responsables des sites qui publient des articles sur cette fusillade oublient un élément-clé du journalisme : celui qui veut que toute image de presse soit porteuse d'un contenu informationnel, c'est-à-dire qu'elle contribue à l'information du lecteur. En journalisme, une image n'est pas une "simple" illustration, un élément de décoration mis à côté d'un texte pour faire joli ou attirer le regard. L'image peut bien sûr être esthétique et attractive. Mais elle doit, d'abord, apporter de l'information qui complète ce qui figure dans l'article qu'elle accompagne. Et si possible ne pas être en redondance avec le contenu de celui-ci.

Dans ce cadre, ce que montre l'image est évidemment essentiel. Mais il ne prend souvent sens que grâce à la légende qui la suit. Souvent, c'est la légende qui donne sens à l'image. Ce n'est pas tout à fait comme ça que l'envisage la sémiologie, mais on pourrait dire que, en quelque sorte, l'image est de l'ordre du signifiant, et la légende du signifié. Sans légende, l'image reste polysémique. On peut y mettre ce que l'on veut. La légende cadre la signification de l'image et lui permet d'apporter son "plus" informationnel.

LA LÉGENDE AUX OUBLIETTES

Or dans bien des cas, sur les sites d'info, le légendage des photos est désormais passé aux oubliettes.  On "tape" la photo comme ça, au-dessus du texte, au lecteur de comprendre en quoi celle-ci apporte quelque chose à celui-là. Au mieux  on misera sur le fait que le titre de l'article, qui suit souvent l'insert iconique, suffira à donner du sens à l'image, l'important n'étant pas que l'image informe mais qu'elle attire le regard et donne envie de lire le texte.  Jusqu'au point d'en pervertir ou nier le contenu?

Dans les fils info, l'absence de légende est ontologique. Le lecteur n'a à sa disposition qu'un titre court et une illu, l'essentiel étant qu'il clique pour accéder au contenu (ou au paywall…).  Exemples extraits des sites de La DH et de La Libre (qui sont, économies d'échelle obligent, quasiment similaires):



 

 

Les photos des fils infos ouvrent toujours l'article auquel on accède. Et c'est ici que l'observation de l'impératif illustratif brille par toute sa splendeur.

 UN MYSTÈRE PAS TRÈS NET


La Libre et La DH recourent à la même illu, non légendée, insérée après le chapeau de l'article. La photo montre des militaires descendant d'un hélicoptère. Quel rapport avec la fusillade dans un camp militaire près de Belgorod ? La question reste ouverte. Seul lien direct : la présence de soldats. Des militaires ukrainiens ont-ils débarqué dans le camp par hélico pour lancer une attaque ? Sont-ce les militaires russes du camp qui se protègent derrière un hélicoptère ? Mystère. L'image laisse supposer un lien entre l'événement et la présence d'un hélico, or celui-ci n'est évoqué nulle part dans l'article.

Une rapide recherche sur le web démontre que cette photo n'est pas liée à l'événement qu'elle illustre. Plusieurs sites d'info l'ont utilisée, sans la légender, avant la mi-octobre 2022 (Swiss Info, le 7/10, The Hill, le 8/10…). D'autres sites ont publié la photo en mentionnant seulement sa source (Ukrayina.pl le 06/08, Latercera.com, le 04/08…). Quelques sites ont précisé qu'il s'agisait d'une image d'illustration (Wiadomosci Gazeta, le 02/09, Ukrayina.pl, le 06/08…). Des informations déjà plus précises que ce qui figure sur les sites de La Libre et  de La DH, où il est seulement fait état d'un copyright AP. Et qui démontrent que l'image remonte au moins au 4 août, et non au moment de la fusillade.

AUTOPSIE D'UNE ILLU MUETTE

En approfondissant les recherches, on découvre que plusieurs sites ont légendé l'image. Certaines de ces légendes sont peu précises, comme celle de la chaîne d'info allemande n-tv, dès le 10/08 : " Ein neues Armeekorps soll nach erheblichen russischen Verlusten mehr Soldaten in die Ukraine bringen."(1) D'autres paraissent hors sujet, comme celle de Indiatvnews (04/09) : "Local authorities “will do everything necessary to make the signing of the contracts as convenient as possible,” the official statement said." (2), ou celle figurant sur le site de la chaîne publique allemande ZDF : "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt." (3)

Mais il y a des légendes précises, qui apprennent ce qu'est réellement le contenu de cette photo (4) . Les infos les plus détaillées accompagnent souvent les publications les plus anciennes, c'est-à-dire les plus proches de l'événement qu'a réellement capté l'objectif du photographe. Le site eupennois Ostbelgien utilise l'image dès le 30/07, avec la légende suivante: "30 juillet 2022, Ukraine, --- : Dans cette vidéo encore, des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une opération dans un lieu tenu secret en Ukraine. Photo : -/Service de presse du ministère russe de la Défense/AP/dpa" (5). Le 31/07, pravda.sk (Slovaquie) reprend l'image avec une légende plus courte et descriptive: "Des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une mission dans un lieu tenu secret en Ukraine. L'image a été fournie par le service de presse du ministère russe de la Défense. / Foto: SITA/AP, Ministerstvo obrany RF". Le 1er août, le site du quotidien norvégien ABC Nyheter légende la photo comme suit : "Cette photo, publiée par le ministère russe de la Défense en juillet, montrerait des soldats russes dans la région du Donbass en Ukraine. Selon les services de renseignement britanniques, la Russie est probablement en train de déplacer des forces du Donbass vers le sud de l'Ukraine. Photo : Ministère russe de la Défense / AP / NTB Photo : NTB".

UNE PHOTO PÉRIMÉE ?

Ainsi, il apparaît que cette photo a été prise au cours du mois de juillet, et visiblement rendue publique par le ministère russe de la Défense le 30/07. Cette image est issue d'une vidéo montrant des soldats russes en action. Le journal slovaque Pravda, fondé en 1920, publie le 01/08 une « fotogaleria » de 6 images issues de cette vidéo, et mentionne qu'elles figurent  « sur les prises de la vidéo ». Le lieu où la vidéo a été tournée est "tenu secret", mais se situe en Ukraine, sans doute dans le Donbass.

On est donc très loin de l'info dont cette photo est l'illustration. Certes, elle montre des soldats russes, mais ceux-ci ne sont pas en Ukraine, ne participent pas à une fusillade, et nse sont sans doute pas dans un camp d'entrainement. De plus, il y a au moins deux mois et demi d'écart entre l'image et le texte. Enfin, la source citée, AP, est incomplète, et ne permet pas de saisir que le cliché provient du ministère russe de la Défense.

 UN INCENDIE FORT 'HORS SUJET'

L'exemple développé ici dans le cas de deux quotidiens est loin d'être le seul où un gap existe entre l'info et son illustration. L'Avenir, qui appartient au même groupe IPM, a pour sa part choisi d'illustrer l'info par une image, située sous le chapeau, et représentant un incendie. Elle est prudemment légendée : "La région de Novgorod." Si légende il y a, celle-ci a-t-elle un rapport avec l'événement ? En fait, un seul: photo et info se situent bien dans la même région. Comme si on illustrait une actu sur la gare de Liège par une photo du casino de Chaudfontaine, en légendant: "La région de Liège."

Mise à part cette relative exactitude géographique, la photo  choisie est plutôt mensongère dans son rapport à l'info, car la fusillade n'a pas suscité d'incendie. Celui-ci est lié à une "frappe" qui a touché une station électrique de la région de Novgorod le 14/10. Or, l'affaire qui nous occupe a eu lieu le 16. Selon des médias qui ont légendé cettee image (6), celle-ci aurait été prise par le gouverneur régional Viatcheslav Gladkov et diffusée sur Telegram. Aucun rapport donc avec "l'attentat" dont parle l'article.

 

MÊLI-MÊLO D'INFOS

L'Avenir n'est pas le seul à faire cette association erronée, qui pousse à la confusion. Ainsi, par exemple, à l'autre bout de la planète, le Bangkok Post illustre par la même image un article intitulé "Russia says 11 killed in 'terrorist attack' at military site". La légende de la photo entend ici éviter la confusion, en expliquant que le gouverneur de Belgorod a diffusé des photos des dégâts causés par 'une attaque' sur une sous-station électrique. Bel effort de nuance, sauf que le type d'attaque dans les deux cas n'a rien de commun… 
Autre exemple : le quotidien parisien La Croix, qui illustre par cette fameuse photo d'incendie, à première vue non légendée, un article titrant sur les nouvelles frappes dans la région de Belgorod, en ouvrant son article en parlant des frappes ayant eu lieu le dimanche, alors que la photo remonte au vendredi. Si on clique sur la photo, une légende apparaît et cela change tout! Car elle explique que la photo a été prise le 14/10 par le gouverneur et concerne une centrale en feu suite aux frappes. Pour avoir l'explication, il faut donc d'abord disposer d'un mode d'emploi, ou être un habitué. Néophytes de La Croix, s'abstenir…
 
 JUSTE UNE IMAGE ?

L'illu de 7sur7.be représente un soldat à lunettes, portant un écusson russe, à l'affût, braquant son arme. Sa légende a le mérite du laconisme. En mention nan seulement "Archives d'illustration" (avec un 's' étrange à archives), on se prémunit de toute critique. Personne ne saura exactement ce que la photo représente, mais on se doute que "c'est juste une image", et pas "une image juste", comme Jean-Luc Godard se plaisait à le dire. Une image amplement utilisée ces derniers jours pour illustrer des articles sur la guerre d'Ukraine, plusieurs médias l'utilisant, tout comme 7sur7, pour accompagner un article sur la fusillade, souvent sans légende, comme le Moscownewsnet, Connexionblog,  ou  le site du Irish Sun
 
En quelques heures de recherches, il a été impossible de déterminer davantage l'histoire de ce cliché et son origine. Il semble avoir surgi au moment de l'événement, on en tout cas ne pas avoir été utilisé précédemment. Mais d'où vient-il?

Son usage dans ce cas-ci pose la question de l'apport de l'image à l'info. On parle en effet de fusillade ou d'attentat envers des soldats russes. Est-ce ce que l'image laisse supposer? Elle représente un soldat russe en position de combat, et non en situation d'agressé.
 
 DE FAMEUX AGRESSEURS…
 
Deux médias belges francophones ont choisi la même photo pour illustrer l'événement : Le Soir et la RTBF. Dans les deux cas, nous sommes dans l'après-événement. Ici, pas de personnage, mais ce que l'on considère être l'aftermath de l'attaque: des bâtiments calcinés, voire détruits. Ce qui semble à première vue un fameux succès pour une agression menée par seulement deux "terroristes", selon les termes russes.

Formellement, les deux pages se ressemblent plutôt : exactement le même titre, et même absence de légende pour un cliché, lui aussi totalement identique… mais impossible à identifier. La même présentation se retrouve notamment sur le site belgium.dayfr, qui dépend de l'opérateur israélien On 24 News. Il reprend en légende de la même photo… le titre de l'article, sans plus. Cette même image sera aussi reprise, sans plus de légende, pour illustrer un article du site roumain d'information stiripesurse.ro intitulé "Des dizaines de localités en Ukraine ont été touchées par les Russes au cours des dernières 24 heures". Ce qui n'a aucun rapport avec la fusillade d'un camp militaire russe. 

Les recherches avec Google Lens ne permettent pas d'approfondir davantage la question de l'origine de cette photo. Il semble, par contre, qu'elle ait été très très peu utilisée pour illustrer l'événement, hormis par les deux médias belges et le site california18 fondé par l'acteur indien Tarun Kumar. Un site qui a eu l'honnêteté de mentionner sous la photo : "Default author image".

TOMBE LA NEIGE…

Dans notre classement des décrochages les plus marquants entre un article et son illustration, la palme reviendra dans ce cas-ci à RTL Info, où la photo choisie a de quoi faire rêver à plus d'un titre (si l'on peut dire). Paysage de villages sous la neige, bulbe de clocher doré… On est loin des horreurs de la guerre. Quand, subtilement, le graphisme insère dans ce paysage de carte postale une citation qui fait figure de sous-titre à l'article, annonçant que, suite à l'attentat "près de la frontière ukrainienne" (avec un U majuscule à l'adjectif…), les deux terroristes ont été abattus. Le tout entre guillemets. 
 
Impossible d'éviter la question : quel rapport entre l'église, la neige, et l'actu ?

Non, l'attentat ne concernait pas l'église, même si on pourrait le supposer puisque nulle part dans la titraille on ne parle d'un camp d'entrainement russe. Non, les morts ne sont pas des fidèles venus assister à l'office. On pourrait le supposer, car il n'est jamais question dans la titraille de "soldats" ou de "militaires". Donc, à quoi sert cette image d'église?

Et puis, il y a la neige. Une actu "près de frontière ukrainienne", un jour de neige. Le samedi 15 octobre, faisait-il si froid dans cette région pour que la neige y tombe en masse? Alors que l'Europe de l'Ouest croule sous les vagues de chaleur, l'Est serait-il touché par une météo frigorifique, du genre de celle que les Russes attendent en détruisant tous les sites de production énergétique d'Ukraine pour tuer de froid toute la population ?

LA MÉTÉO DES PISTES

Pour en avoir le cœur net, vérifions. Quel temps fait-il actuellement à Belgorod? Les sites de prévision météo, ce n'est pas cela qui manque…

Alors d'accord, on n'a pas la météo du 15/10, puisque ce jour-là on n'avait pas encore la matière de cet article, mais en tout cas ce mardi 18/10, il devait y faire 17° max, et 7° min. Sauf erreur, pas de quoi faire tomber de la neige. Et il aurait fallu une fameuse dépression atmosphérique juste avant le 18 pour que le 15 il gèle et neige. D'ailleurs, ce n'est pas prévu dans la région en octobre, comme le démontrent les statistiques mensuelles de températures.
En moyenne, à Belgorod, le minimum est de 5° jusqu'au 20/10 puis ça descend un peu. Et les maxima ne descendent jamais sous les 8°. Selon les stats, le 15 octobre, il fait en moyenne entre 14° et 5°. Flocons pas possibles. Cette photo n'a pu être prise à cette époque. Elle n'a aucun lien avec l'actu qu'elle illustre.
 
Y A PLUS DE SAISONS

Quelques recherches avec Google Lens le confirment. On retrouve ainsi la même photo, davantage de saison, dès le 6 février 2022 pour illustrer un papier sur la site de la NPR, la radio publique des USA. Un article en italien de Swiss.info légende la même illustration de manière claire: cette photo représente "le dôme doré d'une église dans le village russe de Shebekino, à la périphérie de Belgorod et à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, dans une image prise le 27 janvier 2022" (7). Là, tout y est. Ce n'est pas l'église de Belgorod, mais celle d'un village de la périphérie, et elle a été prise fin janvier 202é… soit avant le début des hostilités.

Beau tour de force de l'utiliser en plein mois d'octobre. Et pour illustrer un article sur une fusillade survenue dans un camp de l'armée russe. Il fallait y penser… et penser à ce que lecteur peut en retirera, au-delà d'une impression de calme et de douceur. Mais soyons de bon compte: RTL Info n'a pas été seule à taper "Belgorod" sur des banques d'images pour tomber sur cette photo.




 

Le panorama enneigé a servi à un média pour faire le bilan de bombardements pour la journée du 16/10. Sur le site du quotidien français La Dépêche, elle accompagne un papier sur l'incendie d'une station électrique (avec une légende situant la frappe "aux abords de Belgorod", donc peut-être quelque part sur la photo?). Pour Europe1, enfin, l'image est sensée illustrer un dépôt de pétrole en feu (mais avec une légende qui focalise sur "la région de Belgorod, terrain de conflits". Bref, un beau paysage, cela peut être mis à toutes les sauces. Le photographe qui s'est baladé par là avant que les Russes envahissent l'Ukraine a eu un sacré flair!

BRISER SES CHAÎNES ?

Dans plusieurs des nombreux cas évoqués ici, une simple légende aurait déjà constitué un premier pas pour que l'on comprenne le lien entre l'image et le texte. Les exemples où une légende a été ajoutée à la photo démontrent que l'illu y gagne en intérêt ou en relativisation de son importance. 

Mais, indépendamment de cela, il subsiste ce fameux diktat de l'illustration. Qui fait sûrement plaisir aux yeux, mais pas à l'info. 

Pourra-t-on un jour le surpasser? Ou peut-on espérer que les médias aient un sursaut, et trouvent le moyen d'au moins vivre avec, sans en être simplement l'esclave  prêt à (presque) tout pour satisfaire son maître?… 

Frédéric ANTOINE

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(1) Un nouveau corps d'armée doit amener plus de soldats en Ukraine après d'importantes pertes russes.
(2) Les autorités locales "feront tout ce qui est nécessaire pour rendre la signature des contrats aussi pratique que possible", indique le communiqué officiel.
(3) De violents combats se poursuivent dans la région. Les résidents locaux suivent les demandes des autorités d'évacuer la zone. Des bus et des trains sont prévus à cet effet.
(4) Notamment CBC 30/08 : "In this handout photo taken from video and released by Russian Defence Ministry Press Service on July 30, Russian soldiers leave a helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine. (Russian Defence Ministry Press Service/The Associated Press)". nw.de (21/08):
"Russische Soldaten verlassen einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht näher genannten Ort. | © Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpaUsnews.com". Usnews.com (08/08): "Russian Army soldiers leave a military helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine, on July 30.(Russian Defense Ministry Press Service/AP)". ZDF 03/08: "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt.
(5) "30.07.2022, Ukraine, ---: Auf diesem Videostandbild verlassen Soldaten der russischen Armee einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht genannten Ort in der Ukraine. Foto: -/Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpa"
(6) Par exemple: rtbf.be, rtlinfo, Le Parisien, Le Figaro, Lapresse.ca…
(7) "La cúpula dorada de una iglesia del pueblo ruso de Shebekino, a las afueras de Belgorod y a pocos kilómetros de la frontera ucraniana, en una imagen tomada el 27 de enero de 2022".










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