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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

12 mai 2024

Eurovision : la démocratie ne s'use-t-elle que si l'on s'en sert ?


Les votes pour Israël survenus lors du dernier concours de la chanson de l'Eurovision démontrent une chose : c'est que la démocratie ne s'use que si l'on s'en sert. Ou, plutôt ne sert que ceux qui en usent.

Objet de contestations diverses, la chanson représentant Israël samedi dernier au concours Eurovision de la chanson a (presque) failli remporter la palme. Selon les infos relayées par de nombreux médias dignes de foi (et communiquées ce dimanche par les organisateurs), la chanteuse de l'Etat hébreu n'avait recueilli que 52 points lors du vote des jurys professionnels, ce qui la classait à la douzième place du concours. Mais, du côté du "vote du public", elle a emmagasiné pas moins de 323 points, soit à peine moins que la chanson la plus plébiscitée, celle de la Croatie. Résultat des courses : au total, la chanson israélienne s'est classée cinquième de la compétition. Le décryptage des "votes du public" révèle qu'elle a recueilli le maximum de 12 points dans 15 pays (dont la Belgique), et 10 points dans 7 autres pays. Et ce sur le total des 37 pays participants plus les votes du pays "imaginaire" supplémentaire, regroupant les choix provenant de tous les autres pays du monde.

LE PUBLIC A BON DOS

 De quoi s'étonner un peu ? Oui, si l'on croit naïvement que "le vote du public" est une représentation statistiquement représentative de l'audience du programme. Ou, encore mieux, une photographie des choix de l'opinion publique à propos des chansons en lice dans chacun des pays participants. Le fruit d'une gigantesque enquête qui ferait de l'Eurovision le plus grand sondage démocratique en son genre.

De quoi ne pas s'étonner ? Oui, si l'on ne perd pas de vue que le "vote du public" n'est jamais que le vote de tous ceux qui ont pris la peine de voter (et peut-être plusieurs fois, puisqu'un même numéro de téléphone peut voter jusqu'à 20 fois) ou que l'on a aimablement invités (ou incités) à voter pour tel ou tel candidat. "Le public" au donc bon dos, le vote exprimé n'étant pas le sien, mais seulement celui de certaines personnes (pas nécessairement spectatrices), pouvant voter de manière "censitaire", plusieurs fois de suite, comme c'était le cas dans les systèmes qui ont précédé la démocratie actuelle du "un homme-une voix".

Pourtant, une élection à laquelle tout le monde peut potentiellement participer (à condition d'avoir 'simplement' accès à un téléphone), que pourrait-on rêver de mieux ! Peut-on imaginer plus démocratique ? Sûrement pas depuis que les télé-crochets et la télé-réalité, la télévision n'ont cessé de nous le faire croire que : "C'est vous qui votez !" "C'est vous qui décidez !". "Le candidat que vous avez choisi d'éliminer cette semaine, c'est : …

Ce serait peut-être un peu vrai si, par un coup de baguette magique, chaque zappette se transformait réellement de temps en temps en machine à voter. Mais tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Mais tout le monde (y compris les médias et les organisateurs) s'efforce de croire que le système des votes par téléphone serait un miroir objectif et exhaustif de "l'opinion".

UN MIROIR, OU UN LEURRE

Comme lors des élections (dans tous les pays sauf en Belgique et au Luxembourg où le vote est très théoriquement obligatoire), la "démocratie" ne s'use que si l'on s'en sert. Ou plus exactement ne sert vraiment qu'à ceux qui en usent. Les absents y ont toujours tort. Dans l'isoloir comme dans les concours du grand prix de l'Eurovision. Sauf qu'ici, on peut même user la mécanique jusqu'à la corde, puisqu'on peut voter 20 fois de suite…

N'étant pas l'image du choix des téléspectateurs ou de la population des pays, les votes pour le concours de l'Eurovision sont une énorme tromperie. Un leurre. Mais ils révèlent le poids que peuvent peser certains intérêts ou certaines causes, et, surtout, la manière dont des mobilisations de groupes d'individus peuvent être organisées afin de les amener à agir (c'est-à-dire à voter) en faveur d'un représentant particulier. Les choix manifestés ne sont alors pas naturels, mais le fruit de stratégies bien organisées, voire bien rodées d'année en année.

INTERNATIONALE DES SOUTIENS

Dans cette mécanique qui n'a pas grand-chose de démocratique, plus la cause à promouvoir sera capable de concerner un public large, plus l'action mobilisatoire (pour ne pas dire manipulatoire) aura de chance de réussir. Les opérations de mobilisation en fonction de la nationalité d'un candidat sont donc en général vouées à l'échec, le pays que représente la chanteuse ou le chanteur ne pouvant voter pour lui, et l'étendue de la dispersion internationale de chaque nationalité étant tout de même limitée. Ce système ouvre par contre la voie à toutes les opérations de mobilisation derrière lesquelles une très grande quantité de personnes peuvent se retrouver dans un grand nombre de pays. Le soutien à l'Etat d'Israël via le vote pour la chanson d'Israël en est un bel exemple cette année (mais il n'est pas le seul). Si, de plus, les causes en question sont elles-mêmes naturellement, et de longue date, soutenues par des lobbys de natures diverses, les actions de soutien ne seront que plus aisées à mettre sur pied.

L'Eurovision met ainsi au grand jour le poids que peuvent peser de larges opérations d'influence de « l'opinion ». Dire qu'on pensait qu'il s'agissait de choisir la chanson de l'année, celle qui allait se répandre partout et rapporter gros au show-business. Eh non. L'Eurovision ce n'est pas un jackpot. Mais un champ d'action d'influence politique. 

Quand on pense qu'on nous disait le contraire depuis 1956. Soit depuis bientôt 70 ans…

Frédéric ANTOINE

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