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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

22 octobre 2020

Admise ou transférée ? Quand le récit prend la place du fait

Admission à l'hôpital : définition - docteurclic.comBranle-bas de combat médiatique ce jeudi 22 au matin : l'ancienne Première ministre, hospitalisée, est en soins intensifs. L'info tombe via un média, et la presse francophone dégaine à son propos la traditionnelle formule magique "admise en soins intensifs". Admise, vraiment?

Une bonne demi-heure. En gros, c'est ce qu'il aura fallu pour que la présence de la ministre des Affaires étrangères en soins intensifs fasse le tour des médias belges. La première trace de l'info (voir tableau chronologique ci-dessous) apparaît horodatée de 10h26 sur les sites de deux médias flamands, dont celui de la VRT qui est à la source de la nouvelle via un contact avec le porte-parole de la ministre, et au même moment sur celui de Sud-Info. 

Le site du groupe Sud-Presse, fidèle à son habitude, ponctue son titre, qui indique seulement la présence de la femme politique dans ce service médical, d'un point d'exclamation : "Atteinte du coronavirus, Sophie Wilmès est aux soins intensifs!". L'article précise que RTL avait annoncé sa présence à Delta dès le mercredi, et le sous-titre ajoute que, selon la VRT, l'état de l'ancienne Première ministre est stable. Dans leurs titres, les deux médias flamands utilisent la formule "op intensieve zorg", littéralement "en soins intensifs".

Deux minutes plus tard, la langue de Vondel joue davantage dans la nuance au Standaard, pour qui Mme Wilmès "ligt op intensieve zorg", que l'on traduira tout de même aussi par "est en soins intensifs", le verbe précisant ici l'état allongé dans lequel se trouve évidemment la patiente n'ayant pas de pertinence dans la langue de Victor Hugo.

Même prudence factuelle une minute plus tard dans La DH, qui la présente dans son titre comme "hospitalisée en soins intensifs". Appartenance au même groupe de presse oblige, La Libre sort l'info exactement à la même heure. Mais indique, elle, l'ancienne Première "admise" en soins intensifs. Belle formule que nous fournit-là la langue de Voltaire. Au point d'en faire une tournure entrée dans le français courant. Mais est-ce la même information que précédemment? Les premiers médias communiquant la nouvelle se contentaient de dire : Mme Wilmès "y est". Ici, on évoque son admission. "Admettre", écrit Larousse, c'est "Laisser à quelqu'un, à un animal le passage ou l'entrée quelque part". Et, "être admis", c'est (assez paradoxalement dans le cas présent) "Avoir satisfait à certaines épreuves d'un examen ; être reconnu apte". Plus proche sans doute de la réalité, la définition du "dictionnaire.sensagent.leparisien.fr" parle, lui, d' "accepter de recevoir quelqu'un". 

Formule consacrée

Pour les médias, la formule est comme consacrée. En avril dernier, lorsque Boris Johnson avait subi le même mauvais sort, Le Parisien, par exemple, avait titré "Boris Johnson admis aux soins intensifs" (07/04). Mais, a contrario, Le Figaro avait, lui, écrit "Boris Johnson transféré aux soins intensifs" (06/04). Nuance.

Le subtil usage du participe passé 'admise', employé ici dans un condensé de voie passive, permet (ou ne permet pas) d'indiquer quand a eu cette admission. Au moment où tombe l'alerte sur les smartphones ou que paraît le premier papier bref sur le site web, la malade vient-elle d'être admise, est-elle admise, ou a-t-elle été admise (et depuis quand)? Et où était-elle avant? Impossible de le savoir. "Admise" laisse supposer au lecteur que la ministre a dû être amenée d'urgence à l'hôpital ce jeudi matin. Or, elle y était dès la veille…

Pour les très nombreux médias qui utilisent la formule, le récit commence au moment où l'info paraît. Et, évidemment, se vit au temps présent. Comme si cette admission-là faisait débuter l'histoire, alors que la malade avait été hospitalisée la veille…

Où est donc vraiment l'info: dans le fait qu'elle vient d'être admise? Ou dans le fait que l'on apprend qu'elle se trouve dans le service? Admission et administration de soins sont-ils synonymes, et chronologiquement concomitants?

Qu'importe, pourra-t-on dire. Inutile de couper les cheveux en quatre. A chacun de comprendre la nouvelle comme il le veut. Ce qui compte, c'est que c'est grave.

Mais est-ce aussi simple? Sur le fond de la nouvelle, ce n'est pas vraiment la même chose. Dans le cas présent, le "transféré" utilisé pour Johnson par Le Figaro n'eût-il pas été plus séant, approprié, et correctement informatif? Mais peut-être moins tentant pour faire mouche…

Le sens de la formule est une belle chose. Mais est-ce le cœur du journalisme?

Frédéric ANTOINE


 

 


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