Oui, certains titres de la presse magazine francophone belge ont pu voir leur audience croître en période de covid. Mais plus de lecteurs ne signifie pas plus de ventes. Alors que, désœuvrement et ennui aidant, le confinement était le moment idéal pour partir à la pêche aux nouveaux acheteurs ou à ceux qui étaient partis, les ventes des magazines n'ont pas bénéficié de l'effet pandémie. Cela fait des années que la diffusion print payante des périodiques est en baisse. Et, pour la plupart, 2020 n'a pas failli à la règle. Les brebis égarées ne sont pas revenues débourser quelques euros pour se mettre à (re)lire leur magazine préféré.
Du côté des quotidiens, en 2020, plusieurs titres ont réussi à redresser la barre, essentiellement grâce à la monétisation numérique de leurs contenus (1). Dans le camp des magazines, ce type de stratégie est toujours aux abonnés absents. Certes, on peut consulter des contenus gratuits sur leurs sites et, quand ils en ont, sur leurs applis. Mais côté payant, rien à l'horizon. Ou presque. La descente infernale est-elle donc inexorable?
Tous perdants
Tenant compte du fait que les chiffres actuellement disponibles sont des déclarations d'éditeurs, mais que celles-ci sont toujours fort proches des données certifiées par le CIM, force est de constater que, pour les hebdomadaires, la diffusion totale payante (print payant + digital payant) de tous les titres était en baisse en 2020 (2). Toute diffusion payante confondue, l'ordre de préséance des titres est resté à peu près inchangé par rapport aux années précédentes. Comme par le passé, trois leaders dominent le marché, mais il n'y en a plus qu'un seul à vendre à plus de cent mille exemplaires : Ciné Télé Revue. Télépro est descendu en dessous de cette barre symbolique. Quatre titres se retrouvent ensuite, souvent dans un mouchoir de poche, entre cinquante et quarante mille exemplaires. Hormis Paris-Match, qui frise encore les trente mille, les autres titres sont tous en dessous de vingt mille ventes.
Ceux qui s'en tirent
Si tous les titres sont affectés, le naufrage de la diffusion payante 2020 ne revêt pas partout la même importance. Nombreux sont ceux dont les pertes s'avèrent, cette année, relativement minimes.
Ainsi, avec leur -2% seulement, Femmes d'aujourd'hui, Télépro et Paris Match s'en sortent plutôt bien. Pour Paris Match, la perte est beaucoup moins sensible qu'en 2019 (le titre avait alors perdu 9% de diffusion payante par rapport à 2018). Cette même année-là, l'hebdomadaire féminin de Roularta n'avait perdu que 1% de diffusion payante, et le magazine télé verviétois 2,5%.
Les pertes atteignent environ 8% pour Ciné Télé Revue et Spirou, qui avaient déjà perdu le même pourcentage de ventes l'année précédente. Le Vif, à -9%, fait moins bien qu'en 2019, où il n'avait perdu que 5%. Aux environs de 10%, on trouve Télé Star, Télé Pocket et Le Soir Magazine. En 2019, les deux premiers titres avaient vu leurs ventes baisser de 7% et 6%, tandis que le magazine de Rossel n'avait quasiment pas perdu de clients. La descente de 2020 constitue donc là un véritable signal d'alarme. Que dire enfin de Moustique (-12%) et Flair (-14%) ? En 2019, le news magazine midmarket accusait déjà une perte de 8%, tandis que l'hebdo "jeunes femmes" était à -20%. Le titre racheté par IPM s'enfonce donc davantage, alors que celui de Roularta se porte un peu moins mal.
Rendez-vous en terre inconnue
Ces comparaisons confirment que 2020 n'a pas apporté de nouveaux acheteurs "papier" aux magazines destinés aux Belges francophones, que du contraire. La tendance baissière, relevée sur la durée dans un précédent article de ce blog en 2020, n'a pas été endiguée. Car nous parlons bien ici du support physique. Côté digital, on doit une nouvelle fois se pincer pour être sûr de ne pas rêver devant les scores de ventes numériques affichés par les éditeurs. En monétisation numérique, les magazines sont à peu près nulle part.
Et les autres?
Du côté des bimensuels et mensuels, dont les diffusions sont plus faibles, l'année 2020 n'a pas non plus été profitable pour tout le monde. Mais les données sont difficiles à apprécier car plusieurs titres ont une part de leurs ventes réalisées "à tiers", c'est-à-dire sous forme de commercialisation non liée à une acquisition directe par un lecteur. Cette donnée grossit évidemment le volume de diffusion payante de ces magazines et brouille un peu les résultats.
Deux titres perdent énormément : ceux qui sont en tête du classement. L'ordre de préséance se modifie par ailleurs entre eux. Le mensuel le plus vendu en 2020 était le féminin Gael, qui perd néanmoins 18% de diffusion payante par rapport à 2019. Top Santé, qui dominait le marché précédemment, devient le 2e magazine le plus vendu, en perdant un tiers de sa clientèle en un an. Ce magazine déclare 5000 ventes numériques en 2020, ce qui est énorme. L'année précédente, il comptabilisait à peu près le même nombre d'abonnés digitaux (4999).
Le bimensuel Moniteur de l'automobile continue à occuper une étonnante troisième place, mais avec une perte de 25%. L'Eventail affiche des chiffres stables à tous points de vue d'un année sur l'autre. Les deux gagantes de l'année se trouvent en fin de classement. Les mensuels de Ventures, dont la diffusion est faible, accroissent leurs ventes en 2020. Elle Belgique augmente sa diffusion payante de 4% et Marie-Claire Belgique de 10% De bons scores sur des très petits volumes.
Dans cette presse là aussi, la monétisation digitale semble ne pas exister, hormis chez Top Santé et, de manière beaucoup plus modeste, au Moniteur de l'automobile. De manière générale, dans ce créneau également, covid et confinement n'ont pas incité davantage de clients à se ruer sur les magazines, ni à les consommer sous forme payante en ligne. Et rien de spécial n' été fait pour les pousser à acheter un exemplaire, papier ou numérique.
Le bateau de la presse périodique continue donc de couler doucement, tout en conservant l'idée qu'il faut faire confiance à une commercialisation "papier". Et sans que des ventes numériques viennent colmater les brèches existantes. Comme nous avons eu récemment l'occasion de le dire dans un article du magazine Pub, hormis dans de rares cas, on attend donc toujours qu'une large part de la presse magazine s'empare de l'audace qui lui permettrait de se réinventer.
Frédéric ANTOINE.