En laissant la 20e édition sans vainqueur officiel, la production a reconnu que, alors que les épisodes de Koh-Lanta narraient la Geste de héros au grand cœur, dans la vraie vie, ça se passait tout autrement.
Nous avons hier, avant la finale, consacré un long texte à « l'affaire des repas frauduleux » qui se sont déroulés dans Koh-Lanta La légende. Nous renvoyons donc le lecteur aux commentaires que nous avions faits à cette occasion (1). Le petit texte de ce jour entend juste tirer les conclusions de ce qui s'est déroulé hier soir mardi sous les yeux de millions de téléspectateurs médusés, dont plusieurs centaines de milliers de Belges (2).
TOUT EST VRAI !
« Médusés » en effet, car il y avait bien eu des rumeurs dans les médias à propos de tricheries qui auraient émaillé le déroulement de la télé-réalité. Mais si, à 20h50, on commence par vous dresser un portrait dithyrambique des derniers compétiteurs, que ceux-ci versent des larmes en pensant à leur famille, puis que l'on vous fait suivre l'épreuve des poteaux à grands coups de commentaires élogieux, qu'à la fin, comme d'ordinaire, le choix du deuxième finaliste par le gagnant est un moment d'immense émotion et que, pour terminer, tout le monde se congratule lors du conseil final, on ne peut se dire qu'une chose : que, ce soir, on est bien dans le schéma classique d'une finale de Koh-Lanta. On rebobinerait dix ans en arrière, on aurait eu à peu près le même déroulé, le pathos en moins (car celui-ci a fortement crû ces dernières années). La finale de Koh-Lanta, c'est une suite de rites. Tout comme l'ensemble de l'émission. Et ce sont ces rites, finement modifiés chaque année, qui font entrer le spectateur dans le cérémonial de la télé-réalité et le confortent dans l'idée selon laquelle, à Koh-Lanta, tout est vrai. Aussi vrai qu'une victoire de Max Verstappen au dernier GP de la saison de F1.
Quand, ensuite, on croit arriver en direct dans les studios de TF1 à Paris pour assister à l'ouverture de l'urne où se cache le nom du vainqueur, on continue à se dire : tout va bien, ça se passe comme d'habitude, l'animateur va prendre 45 minutes à meubler en faisant parler des participants de tout et de rien, répéter des choses mille fois entendues (mais n'est-ce pas cela, l'art du mantra?), puis il ira chercher la fameuse urne qu'il a scellée là juste devant nous, avant le dernier écran de pub et le rappel que, si on joue par SMS ou par téléphone, on pourra recevoir 2000€ tous les mois pendant vingt ans. Et que le grand gagnant sera connu à la fin de l'émission (3).
TOUT VA BIEN, MAIS…
2021
Tout va bien, sauf une toute petite chose, qui échappe sans doute à la majorité des téléspectateurs (4): d'ordinaire, lors d'une finale de Koh-Lanta, dans le haut supérieur droit de l'image, le sigle de TF1 n'est pas seul à être à l'image. Il est accompagné de la mention « en direct ». Or, cette fois, il n'y a rien que TF1. Le retour studio pour désigner le vainqueur ne se passe donc pas en direct (5). Qu'est-ce que cela veut dire? Personne ne se le demande. Mais c'est pourtant un indice que, cette fois-ci, le protocole classique ne sera pas respecté. Peut-être parce que, en direct, on ne sait jamais vraiment ce qu'il peut arriver…
Mais cool, pour l'instant tout se passe normalement : on rend hommage aux superhéros, au courage, aux qualités d'âme, aux rêves trop tôt avortés de celles et ceux qui ont été éliminé(e)s trop rapidement. Tout cela dure une éternité, comme d'habitude. Une fois ou l'autre, l'animateur dit bien que ce soir ne sera pas une finale comme les autres, mais on s'attend à un coup d'éclat, à un concurrent qui cède sa place à un autre, à quelque chose d'encore plus top que d'habitude. Et il faut attendre 23h20, soit 1h54 après le début du programme, pour que l'animateur, s'adressant tout à coup au téléspectateur les yeux dans les yeux, lui lise un texte issu d'un prompteur (pour être sûr que seuls des mots finement pesés – sans doute par des juristes – seront prononcés). En substance, il y a eu des tricheries, des « manquements au code d'honneur » de la part d'un « petit nombre » de participants… Ce qui, on s'en doute, n'a plus mis tout le monde sur le même pied. Donc, il n'y aura pas de lauréat cette année, et l'argent promis ira à la fondation de Bertrand Kamal.
Près de 2h d'émission où l'on a décliné à la mandoline tout le vocabulaire d'héroïcité, de force, de bravoure et d'humanité cher à l'émission… pour en arriver à dire que personne ne gagne, et qu'en fait le jeu a été pipé.
UNE ABSENCE DE RESPECT
Donc, tout ce qu'on a suivi depuis des semaines, tout ce qu'on a pris comme du vrai héroïsme, pour certains compétiteurs, ce n'était que de la poudre de perlimpinpin. On admirait leur courage face à l'absence de nourriture, leur résistance devant la faim… Et ils se gavaient en cachette! Pire, il semble que les deux finalistes ont, à un moment, opéré un chantage vis-à-vis de la production, en exigeant d'obtenir des… pains au chocolat, faute de quoi ils faisaient grève. On croit rêver. Des héros en grève ? Des professionnels en grève, oui. Au Tour de France, les coureurs ont parfois mis pied à terre pour obtenir gain de cause. Mais des anonymes, des « messieurs et madames tout le monde », qui participent pour du vrai au rêve de leur vie?
À 23h25, si ne s'y doutait de rien, le rideau du Temple s'est déchiré dans bien des foyers. Le mythe Koh-Lanta s'est effondré. Les héros sont nus. Et pas toujours beaux à voir. Pourquoi la finale n'a-t-elle pas été annulée? Pourquoi n'a-t-on pas annoncé immédiatement à 21h10 qu'il y a ait eu tricherie et que, donc, le programme ne pouvait continuer? La production affirme n'avoir été informée de tout cela que « tout dernièrement ». A-t-on une raison de la croire, alors qu'elle avait déjà « puni » Teheiura pour des tricheries identiques ? À Koh-Lanta, y a-t-il de la fumée sans feu? Pourquoi la diffusion des épisodes n'a-t-elle pas été simplement suspendue?
TF1 et la production n'ont pas eu de respect pour le téléspectateur. La cash-machine Koh-Lanta devait aller jusqu'au bout, même si on la savait gangrénée.
Demain, qui pourra encore croire que les héros sont des héros, qu'ils ne sont pas des acteurs qui, derrière les décors, font tout le contraire de ce qu'ils montrent d'eux devant les caméras? Non les amis, des Robinsons débarqués seuls sur une île déserte, en télévision, cela n'existe pas. Et, en Polynésie française, vis-à-vis d'un programme phare de la télévision nationale, encore moins qu'ailleurs.
Pour redonner une virginité au programme, l'animateur a annoncé en toute fin d'émission que l'édition 2022, dont le tournage a déjà eu lieu aux Philippines, ne réunira que de tout nouveaux candidats. Des purs, des propres, des béotiens. Des naïfs peut-être. Mais en tout cas pas des vieux briscards du programme, rois de la triche et de la combine. Cela suffira-t-il pour remettre des paillettes dans les yeux des enfants (et des adultes) qui s'imaginaient, un jour peut-être, être eux aussi sélectionnés et devenir des surhommes et des surfemmes, comme celles et ceux qu'ils ont vu(e)s à l'écran ?
Cela suffira-t-il pour encore croire que, à la télévision, des « vrais » héros, cela peut exister ?
TF1 a elle-même cassé le mythe qu'il avait créé, et qui avait si bien résisté au temps. Mais elle l'a mal cassé. Sans honnêteté.
Au point de, malgré tout ce qui avait été dit justde avant, révéler le contenu des votes du dernier conseil au cours du générique final.
Alors, il a gagné ou pas, le super-candidat qui n'a jamais réussi à tenir le dernier sur les poteaux? Non, puisqu'il n'y a pas eu de vainqueur. Mais oui, si on compte tout de même les votes exprimés. Finalement, rien n'est clair. Tout est brumeux. Allez vous y retrouver. En tout cas, la fiction que se voulait Koh-Lanta est morte. Mais que vaut sa réalité ?
Frédéric ANTOINE
(1) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2021/12/koh-lanta-ce-soir-le-crepuscule-des.html
(2) En France, la finale de l'émission a accueilli 4,4 millions de spectateurs, le programme se faisant dépasser par… France 3, et ayant un score inférieur de plus de 1 million de personnes par rapport à 2020. En Belgique, à l'heure où ces lignes sont écrites, les résultats du CIM ne sont toujours pas disponibles.
(3) Ce qui, en l'occurrence, est un gros mensonge, car la désignation de l'heureux gagnant de ce prix a totalement été zappée de la fin de l'émission (et pour cause).
(4) Comme le fait qu'une partie du décor d'un épisode de My Yiny Restaurant (Tipik) ait été floutée par la production…
(5) Certes la partie studio de l'émission finale n'a pas toujours été en direct (en 2020, pour cause covid), mais c'est très généralement le cas.