Dans le deuxième épisode de la télé-réalité culinaire My Tiny Restaurant, sur Tipik, une partie de l'image du décor d'un des restaurants a été floutée en permanence. Et pas n'importe laquelle: celle d'une pub pour une marque bien particulière…
D'accord, la télé-réalité culinaire My Tiny Restaurant est une émission comprenant du placement de produits. Pas besoin d'en faire un fromage: cela est annoncé dès le début du programme, en spécifiant que la marque qui sponsorise le programme est Bru. Mais est-ce une raison pour flouter l'image des autres marques apparaissant à l'écran? On pourrait le croire en regardant le deuxième épisode, où un des compétiteurs était l'équipe composée de deux jeunes femmes ayant l'idée de créer un resto de (petits) déjeuners. Comme l'impose le scénario de l'émission, celles-ci ont d'abord dû décorer elles-mêmes le container présent en studio, sensé représenter en plus petit ce que serait leur futur restaurant.
Pourtant, en haut à gauche, un rectangle est, dès la première image, resté flouté. Ce qui ne peut qu'intriguer le téléspectateur un peu curieux. Les deux compétitrices auraient-elles choisi une plaque émaillée pouvant heurter les bonnes mœurs, ou porter atteinte à un chef d'État étranger? La marque figurant sur la plaque est-elle interdite d'antenne sur la RTBF pour des raisons politiques ou stratégiques? Y avait-il péril pour le service public de laisser visible cet élément de décor?
Faisons donc un petit arrêt sur image (1). Comme le floutage n'est qu'assez sommaire, il n'est pas difficile de repérer que l'essentiel de l'objet du litige repose sur un fond jaune, sauf dans le bas du rectangle, où doit sans doute se trouver de l'écrit. Le milieu de la plaque est plutôt sombre, mais le hait comprend un peu de bleu et beaucoup de rouge.
DES PUBS "HISTORIQUES"
Quand on parle repas du matin et (petit)-déjeuner, ça ne vous fait
penser à rien? Bien sûr que si. À la fameuse publicité pour le Nesquik
français, la boisson chocolatée comprenant de la farine de banane, créée
en 1914 par le journaliste Pierre-François Lardet et un ami
journaliste, après un voyage au… Nicaragua (2). Une pub représentant,
dès 1915, un tirailleur sénégalais parfois jugé comme étant "d'opérette"', affalé sous un arbre, dégustant cette
boisson et, visiblement, la trouvant bonne.
Cette pub s'est ensuite résumée à la représentation du visage d'une personne à la peau noire, affublée du chapeau du tirailleur sénégalais, tout sourire, et tenant à la main une cuiller comprenant le breuvage. Enfin, dans sa version la plus moderne, le visage noir a été stylisé, voire caricaturé (lèvres rouges, dents blanches, fond des yeux blanc), et cette fois le personnage tient une tasse blanche de la main gauche, d'où s'échappe le fumet du chocolat-banané chaud, tandis que de la droite, son pouce levé confirme son appréciation.
Laquelle de ces pubs occupait le mur du Tiny Restaurant? Sûrement pas la première, qui n'est pas sur un fond jaune, mais sur celui d'un paysage. Dans le cas présent, c'est sans doute la deuxième (on ne perçoit en effet ni trace de tasse, ni des deux mains du personnage).
La RTBF et la production ont donc considéré insoutenable que, à certains moments du programme, le fond de l'image soit en très petite partie occupé par une reproduction de cette publicité. Si notre analyse est bonne, ce n'est pourtant pas ce portrait sur fond jaune qui, à plusieurs reprises, été considéré comme une pub "raciste" lors d'analyses que l'on retrouve sur internet (3), mais bien la première version historique, celle de 1915. Mais voilà, au XXIe siècle, encore oser montrer la reproduction d'un pub historique de ce type est devenu inacceptable sur le service public.
Y'A BON LA CENSURE
On n'a pas vu les trois membres du jury s'offusquer de la présence de cet élément de décor. Lors du tournage, personne sur le plateau n'a jugé utile de décrocher ce petit objet émaillé de son mur. Et les deux candidates elles-mêmes ont, de bonne foi et sans intention colonialiste, choisi de placer cet élément dans leur décor. Pour que survienne le floutage, il y a donc eu par la suite passage d'un Grand Censeur, celui qui veille à ce que tout soit, toujours "correct" et que, à aucun moment, quelque chose ne puisse, sur les antennes publiques, choquer quelque téléspectateur que ce soit. Et ce personnage, que l'on appelait jadis Anastasie, a considéré que ce petit tableau, dans un petit coin d'un petit container représentant un petit restaurant, était un objet de délit inacceptable. Il fallait donc agir.
Il va y avoir du boulot, sur la RTBF, pour censurer tout ce qui ne rentre pas dans la correct attitude. On va devoir engager. Et on se demande comment la censure interviendra hors des directs. Peut-être n'y en aura-t-il finalement plus. Tous les programmes seront en léger différé, et il y aura toujours en régie un censeur de service prêt à imposer le floutage de tout ce qui est insoutenable…
Frédéric ANTOINE
(1) (en réalité même pas nécessaire, avec un peu de succès on pouvait le voir dès la diffusion linéaire)
(2)https://www.banania.fr/lhistoire
(3)http://francophonie.e-monsite.com/medias/files/banania-analyse-image.pdf,https://histoire-image.org/fr/etudes/y-bon-banania, https://histoire-image.org/de/comment/reply/15113