L' "affaire" Koh-Lanta, dont l'épilogue a lieu ce mardi soir, rapporte la télé-réalité au rang de ce qu'elle prétend être : de la réalité vraie. Elle démontre que les candidats y sont à la fois des êtres comme les autres, mais aussi pas comme les autres. Oui, télé-réalité rime avec oxymoron.
Pendant 36 jours, ils n'auront à manger que du riz, du manioc (s'ils en trouvent), des poissons (s'ils réussissent à les pêcher) et des fruits de mer (s'ils parviennent à les attraper). La faim va les tirailler. Seule solution pour échapper à ce régime forcé qui leur fait perdre de nombreux kilos: réussir les épreuves de confort. En tout cas celles où la récompense esy, chers amis, entendez-moi bien, oui, de la nour-ri-tu-re. Du jamais vu jusqu'ici. Un repas de rêve auquel ils songent toutes et tous. Et qui leur donnera la force, le lendemain, de se surpasser à l'épreuve d'immunité…
SUR LE MONT OLYMPE
Elle a la vie dure, la geste de cette télé-réalité vieille de vingt ans. Ce n'est pas pour rien que cette édition anniversaire a été baptisée Koh-Lanta la légende. Une version spéciale, peuplée de héros, comparables aux dieux et déesses de l'Olympe qui, par le passé, s'étaient tous distingués par leur courage, leur détermination, leur résistance ou, parfois, comme les dieux grecs, par leur capacité à concevoir des coups fourrés ou de Jarnac afin d'arriver aux portes de la victoire: tenir le plus longtemps possible sur des poteaux…
En 2021, comme d'habitude, les héros n'ont cessé de se dépasser au fil des épisodes, Claude et Teheiura confirmant l'aura qui les accompagne depuis leur entrée dans le programme. Deux êtres surhumains, mais à la fois tellement humains qu'ils sont comme transcendés, et désormais accompagnés de Sam, jeune demi-dieu en devenir. Et ce sans parler d'Ugo, Phénix qui ne cesse de renaître de ses cendres.
LÎLE DE LA TENTATION
Et puis, voilà qu'alors que, un beau jour, le plus connu des Polynésiens se fait éliminer malgré lui et se voit contraint de rejoindre l'île des bannis, où l'animateur du programme le convoque en entretien singulier. Il lui faire alors avouer que, avec la complicité d'un ou deux pêcheurs du coin qui le connaissaient très bien (il a habité l'îlot d'à-côté), Teheiura a obtenu un peu de nourriture. Coup de tonnerre. Tremblement de terre. Scandale planétaire. L'idole tombe de son piédestal. Des membres de la production l'on vu réceptionner le Graal défendu et s'en délecter. La faute est indiscutable. Toutefois, ce n'est que lorsque le héros quittera l'arène du jeu suite à l'éviction de son binôme que l'on se décidera à le confronter à son méfait. Avec comme punition suprême non de le rayer du jeu (on ne se prive tout de même pas d'une vedette pareille), mais simplement en l'envoyant rejoindre les éliminés, qui constituent le jury final. Ainsi, on peut le garder à l'antenne…
Au moment où l'émission est diffusée sur TF1et le forfait enfin révélé, le Tahitien se voit interviewé par divers médias, et n'a pas sa langue dans sa poche. Il reconnaît le forfait mais confie aussi avoir partagé cette nourriture pirate avec quelques autres concurrents. Des noms circulent alors, et surtout ceux des divinités les plus admirées de l'émission. Bardaf l'embardée? Mais non, voyons. Ce ne sont que des on-dit, et là, il n'y a pas assez de preuves. Voilà pourquoi seul Teheiura aura été puni, et pas les autres. Ah bon, eux ils n'ont pas été vus par la production ? Ben non, Homère vous l'aurait dit: on ne peut pas tuer tous ses dieux à la fois…
LA TRAHISON DES CLERCS
Mais tout cela n'est rien à côté de la déflagration tombée sur la scène médiatique, comme par hasard juste avant la finale, qui a lieu ce mardi soir. Les petits compléments alimentaires du Tahitien ne sont que roupie de sansonnet à côté des banquets que plusieurs candidats se sont offerts à plusieurs reprises pendant le jeu, chaque fois après ces terribles conseils où les participants s'entretuent (virtuellement). Des buffets dans une pension tenue par des autochtones, tellement heureux de voir des divinités se sustenter chez eux qui n'hésitent pas à prendre des photos de ces ripailles maudites, et ce… avec l'assentiment de ces superhéros en pleine trahison. Des dieux qui, pour acheter le silence de ceux qui n'avaient pas été invités aux agapes, leur accorderont le droit de se partager les miettes de leurs festins.
Cette fois, une photo compromettante est parvenue à la production. On passe de "il n'y a pas fumée sans feu" à l'identification du pyromane. Toutefois, étrangement, la preuve irréfutable me parvient pas à TF1 le lendemain des faits, ni une semaine ou même un mois plus tard, le temps qu'elle traverse la moitié de la planète de Bora-Bora à, Paris. Non, c'est le père Noël des mers du Sud qui aura dû se charger du paquet-cadeau: la photo arrive chez qui de droit juste avant la finale (contre accusé de réception en monnaie sonnante et trébuchante?). Quoi qu'il en soit, il semble que la comète qui a jadis éliminé les dinosaures risque d'avoir fait moins de dégâts que cette révélation aussi opportune qu' (im)prévue.
DES ACTEURS ET DES DIEUX
Voilà donc qu'on se rend compte qu'une partie des participants de cette édition de légende – et pas des moindres – n'étaient en fait que des "tricheurs". Pas des dieux, tellement emplis de leur statut, de leur grandeur et de leur mission qu'ils ne faillissaient jamais. Mais de simples pauvres hères, comme tout un un chacun sur cette pauvre terre.
Simplement des braves candidats qui ont eu faim et étaient au bout du rouleau au cours d'une édition de l'émission, tournée si près de terres habitées que la tentation était irrésistible? Peut-être. Mais, surtout, des personnes si accoutumées aux conventions du genre "télé-réalité" qu'ils savaient qu'ils étaient là pour jouer un rôle, et endosser les habits personnage dont on les a affublés. Et qui n'avaient qu'à interpréter ce rôle tant qu'on criait "moteur" et que tournait la caméra.
Les participants à Koh Lanta ne sont pas des dieux mais des acteurs qui, à ce stade de leur implication dans le programme, connaissaient tout des rouages de l'émission et savaient comment ils pouvaient les déjouer, et pourquoi ils avaient quasiment le droit de se le permettre. Parce que, sans eux, pas d'émission, pas d'épreuves, pas d'émotion, pas de tristesse, de larmes de joie ou de déception. Mais aussi pas de records d'audience, pas de beaux écrans de pub. Et, en fin de compte pas de grosses recettes pour TF1.
Ils ont triché ? Pas grave. La prod était au courant? Pas grave. Le spectacle continue. The show must go on. Jusqu'aux portes de la finale. Pour faire tinter le tiroir-caisse tous les mardis. Juste avant la fin de la diffusion, quand même, on se dira qu'il est temps d'un peu lever le couvercle de la marmite. Comme on l'avait déjà fait, pour Teheiura.
DU FICTIF QUI DEVIENT RÉEL
Un rebondissement est toujours une aubaine pour l'audience. Alors, si un scandale survient juste avant la finale, c'est le bonus assuré. Y aura-t-il un vainqueur? Touchera-t-il sa récompense? Comme cette dernière partie de l'épisode se déroule en direct, le suspens sera à son comble jusque tard dans la nuit. Jackpot!
Ils sont vraiment des dieux de la télé commerciale, à TF1. Et les candidats mis en cause? Sont-ils des dieux déchus, ou de pâles marionnettes que la chaîne manipule à son gré? Ils ont en tout cas démontré que, dans Koh Lanta, tout était à la fois loin et proche la réalité. Loin, car les tricheries n'ont pas permis aux candidats d'être sur le même pied lors des épreuves, et ont fait jouer un rôle aux concurrents. Proche, car finalement, au, diable le jeu, l'essentiel n'est-il pas de se nourrir?
Comme François Jost l'avait si bien écrit, la télé-réalité se situe au milieu d'un triangle, à équidistance d'un pôle "réel", d'un pôle "ludique"' et d'un pôle "fictif". S'il fallait un exemple de plus pour confirmer l'existence de cette triangulation, Koh Lanta La légende en aura fourni un hors du commun.
Frédéric ANTOINE