Mais qu'est venu faire l'ex-Persgroep dans la galère du sauvetage de RTL Belgium? Une interview des auteurs du "deal média de l'année" publiée L'Echo (1) lève un léger coin du voile. Mais laisse pantois à plusieurs points de vue, et notamment sur ce qui y dit du public de Belgique francophone. Etonnant. Le journal L'Echo (2) publie ce samedi 3/6 une intéressante interview croisée des "patrons" (3) de Rossel et de DPG qui y déclarent, dès le titre, qu'ils discutaient d'alliances "bien avant l'arrivée du dossier RTL". On supposera toutefois que ce "bien avant" ne remonte pas à de nombreuses années. Et en tout cas pas à octobre 2017 lorsque, lors d'un grand deal (encore un) entre groupes de presse flamands, Roularta avait cédé ses parts dans Medialaan au Persgroep, qui devenait le seul propriétaire de cette entreprise de médias audiovisuels, mais acquérait les 50% de Mediafin dont disposait le Persgroep. Rossel était en effet alors au balcon d'une transaction qui le faisait changer de partenaire au sein de la société éditrice de De Tijd et L'Echo, dont il était coactionnaire avec le Pergroep depuis 2005. Mediafin s'était alors créé sur base d'une joint-venture entre les éditeurs Uitgeversbedrijf Tijd (De Tijd) et Editeco (L’Echo) (4), constituant ainsi un des seuls ponts transcommunautaires dans le monde des médias belges. Rêver d'alliances alors qu'on laisse tomber son partenaire dans une joint-venture paraît plutôt étrange…
Une vieille amitié
Sans doute donc les idées de projets communs entre DPG et Rossel sont-elles tout de même plutôt récentes. Et ce même si les deux patrons disent se fréquenter de longue date. "On se connaît depuis plus de 40 ans, avant qu’il ne rencontre sa femme
et entre dans le secteur des médias il y a 20 ans", déclare le patron de DPG dans l'interview, celui de Rossel précisant que cela s'était passé à Knokke "dans un bar ou au
bord de la mer en faisant de la voile". La création de Mediafin, quelques années seulement après l'arrivée du patron de Rossel à la tête de l'entreprise, n'était donc peut-être pas due au hasard, mais bien à un jeu de relations. On notera que ce petit commentaire permet aussi à l'ex-CEO de DPG de rappeler qu'il n'y a que vingt ans que son alter-ego est dans le monde de la presse (5), alors que lui est tombé dedans quand il était petit (6). Et laisser comprendre que ce n'est que par sa femme, héritière Hurbain de l'empire Rossel, que l'actuel patron du groupe est entré dans le secteur de la gestion des médias…
S'ils se connaissent, on ne sait toutefois si, en vingt ans, les hommes se sont vraiment beaucoup fréquentés. Le coup de jarnac du départ de Mediafin peut laisser quelques doutes à ce propos. On sait que, dès le rachat par le RTL Group des parts d'Audiopresse dans RTL Belgium, le patron de Rossel n'avait pas caché être intéressé par un autre type de présence dans l'actionnariat de l'entreprise. L'interview confirme aussi que c'est bien lors du constat du stand alone auquel était réduit RTL Belgium que l'idée d'un rachat s'est matérialisée. Mais impossible de savoir ici comment et quand est surgie l'idée d'y associer l'ex-Persgroep. D'autant que, comme on l'a déjà écrit, les choix récents de DGP n'étaient pas vraiment de s'intéresser à la petite Belgique francophone, mais plutôt aux Pays-Bas où il règne en maître (7).
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"On a remarqué que l'on pouvait apporter notre expertise à RTL Belgium, avoir une valeur ajoutée", déclare le président du comité exécutif de DPG. Une information digne d'intérêt, car elle confirme bien que l'entreprise flamande n'entend pas rester en retrait de l'opération et compte jouer un rôle déterminant, au moins dans l'avenir de RTL Belgique. Et ce même si, dans cette interview, la notion de "géant belge de l'audiovisuel privé" n'est prudemment pas employée par les interlocuteurs, alors que c'est ainsi que le rachat de RTL Belgium a été présenté lundi dernier. Et l'ex-CEO de DPG d'ajouter: "De plus, les annonceurs en appelaient au changement dans le sud du pays - un tout autre marché - fort d'un désir d'une offre digitale conséquente en matière de vidéo". Cette phrase un peu sibylline est suivie, quelques lignes plus bas, de précisions du patron de Rossel sur les synergies envisagées dans le secteur publicitaire. Rassurant, il explique ne pas vouloir "une grande régie qui intégrerait tout". Mais il déclare: "Nous avons intérêt à partager les outils et à développer des offres nationales cohérentes." Rossel et DPG disent-ils tout à fait la même chose? Les rapprochements envisagés ne concernent-ils que l'audiovisuel? Ou fait-on référence ici à l'ensemble des structures de DPG et de Rossel? Le commentaire de l'ex-PDG de DPG apporte une partie de réponse: "La convergence entre texte, audio et vidéo en ligne, est devenu un moteur aussi bien pour le consommateur que pour l'annonceur. Nous optons donc désormais pour un nouveau modèle cross-média au nord comme au sud." Reste à savoir si le cross-médias ne sera que publicitaire ou si, comme le dit le président du comité exécutif de DPG, l'expertise du groupe flamand s'étendra bien au-delà.
Terra incognita
Un des éléments étonnants de cette interview concerne la manière dont les deux hauts responsables de groupes appréhendent le rapport du public aux médias, et en particulier dans l'audiovisuel. Le président du comité exécutif de DPG fait ainsi des révélations étonnantes: "C'est assez paradoxal, dit-il, mais si je connais beaucoup de gens dans
le sud du pays, je sais finalement peu ce qu'ils pensent, lisent,
regardent…" Etrange aveu pour quelqu'un qui vient de se lancer et d'investir largement dans une aventure de grande taille, avec des enjeux immenses. L'ex-CEO de DPG reconnaît ne pas connaître le public francophone, et en est à se demander pourquoi, en Wallonie, un contenu "étranger" "performe" mieux quand il est doublé plutôt que sous-titré, alors que ce n'est pas le cas en Flandre. Un type de question que l'on débat depuis des années dans les cours et les études sur les médias en Belgique…
On pourrait de même quelque peu s'interroger sur la perception des médias qu'a le CEO de Rossel lorsque, à propos de la consommation de la télévision en Belgique francophone, il daclare: "Le public n’est pas naturellement attiré par la France." Pour le patron de Rossel, tout est question d'offre. Lorsque VTM est apparu en Flandre, explique-t-il, il n'y a plus eu dans cette région de débordement des chaînes hollandaises. "Si la proposition de programmes belges francophones est meilleure et
répond plus aux attentes, le public suivra; en cela il n’est pas
différent du flamand." Cette vision est-elle confirmée par l'histoire, et est-elle exacte? Ne perd-telle pas de vue que, en Flandre, c'est la VRT et non la télévision privée qui domine le marché de l'audiovisuel (en télé, 37% de PDM en 2020 pour la VRT [dont 31% pour Een] contre 29% pour les chaînes VTM. Et en radio 59% de PDM pour la VRT en 2020). N'omet-il pas de dire que les PDM des chaînes hollandaises ont certes existé par le passé, mais n'ont jamais été comparables à celles des chaînes françaises en Wallonie-Bruxelles (31,4% de PDM en 2020). Ne précise-t-il pas que, au niveau de langue, Néerlandais et Flamands ne se comprennent pas même lorsqu'ils s'expriment en ABN? Alors que, accent excepté, un Wallon et un Marseillais parle bien une langue identique. Ne faut-il pas se souvenir que, dès que la télévision est apparue en France, les Belges l'ont regardée? N'importe-t-il pas de mettre dans la balance l'audience radio de Radio Luxembourg puis de RTL Paris, qui ont toujours attiré les Belges? Ni prendre en compte l'histoire belge et les chiffres de vente de la presse magazine française en Belgique?Ne faut-il pas prendre en compte la taille des marchés? Avec ses 17,4 millions d'habitants en 2020, la population hollandaise est certes ± 2,5 x supérieure à celle de la Flandre. Mais la population de Belgique francophone est, elle, quinze fois plus petite à celle de la France, ce qui infère obligatoirement sur la taille du marché publicitaire (même 'nationalisé') et sur les montants disponibles pour gérer les coûts des grilles. Les "bons programmes" ne résolvent pas tout, d'autant qu'ils sont coûteux à produire. Si RTL Belgium recourt autant aux produits M6 et à ceux de RTL Paris, ce n'est pas par incompétence gestionnaire…
L'interview de L'Echo confère naturellement au rachat de RTL Belgium la même image rassurante, ambitieuse et prometteuse que les autres discours de responsables entendus ces derniers jours qu'ils viennent du groupe RTL ou des acheteurs de l'entreprise. Une fois l'opération réelllement réalisée (et des fusions opérées?), le vrai visage de cette ambitieuse opération de sauvetage apparaîtra peut-être sous un autre jour…
Frédéric ANTOINE
(1) https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/on-discutait-d-alliances-bien-avant-l-arrivee-du-dossier-rtl/10317654.html
(2) Nous mettons le terme entre guillemets car, depuis février 2000, celui que l'on présente comme le "patron" de DPG en est en fait le président du comité exécutif. A ce moment, il a en effet cédé le poste de CEO à un Néerlandais
(3) Dont on saluera le titre de l'éditorial du 29/6 (https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-belgium-l-union-fera-t-elle-la-force/10316638.html), qui partage avec le titre de notre article du 22/6 une commune référence à la devise nationale belge.
(4) https://www.mediafin.be/fr/historique/ Les négociations entre le Persgroep et Roularta se termineront en mars 2018. C'est à ce moment que le cession réciproque deviendra officielle.
(5) En effet, il n'est devenu CEO de Rossel en juin 2001. Il était précédemment "PDG du groupe 9Telecom, filiale de Telecom Italia" (https://plus.lesoir.be/art/presse-premiere-interview-du-nouveau-patron-bernard-mar_t-20011023-Z0L2R4.html)
(6) La famille Van Thillo entre de l'actionnariat de la société familiale Hoste, éditrice du Laatste Nieuws, au début des années 1970 et en devient l'actionnaire majoritaire en 1978. La société est renommée Persgroep en 1990. L'ex-CEO du groupe en devient le patron en 1989, et il a alors 27 ans. (https://highlevelcom.be/fr/4035-christian-van-thillo-lelegant-magnat.html)
(7) Ce qui restait de francophone jusqu'ici dans DPG est 7sur7.be (dont il n'est curieusement pas fait mention dans l'interview) ainsi que des périodiques lifestyle/construction dont Roularta n'a pas voulu.