Le 13 février, à l'occasion de la journée mondiale de la radio, on s'est félicité des progrès du DAB+ en Belgique francophones. Mais ceux-ci sont-ils vraiment si prometteurs? Pas sûr, pas sûr… Alors, fallait-il passer au DAB+?
14% des Belges francophones écoutent aujourd'hui la radio en DAB+. C'est ce qu'affirme un sondage IPSOS rendu public par maradio.be (1) aux alentours de de la journée mondiale de la radio et du Digital Radio Day. Et le groupe de pression destiné à promouvoir le DAB+ de plastronner, en titrant la présentation de ces résultats "Le DAB+ cartonne". Si le carton est désormais atteint avec 14% de parts d'audience, qu'en sera-t-il du superlatif utilisé si, un jour, le DAB+ est utilisé par 50% des auditeurs?…
D'accord, en 2018, le DAB+ ne représentait selon la même source que 2% du "marché de la radio" et 6% en 2019. Il a donc progressé. Mais, malgré tout, la plupart des auditeurs n'ont pas encore en masse switché vers la RNT. Et ce malgré la pression publicitaire pesant sur eux. Rappelons-nous, par exemple, cette pub radio plutôt trompeuse qui affirmait « Les radios de la RTBF passent au DAB+ », laissant croire que, du au lendemain, le seul moyen d'encore entendre Arnaud Ruyssen ou C'est vous qui le dites serait de disposer d'un récepteur DAB+… Une affirmation tellement forte que de nombreuses personnes, et pas rien que des octogénaires, s'étaient alors réellement demandé si elles devaient en urgence aller acheter un nouveau "poste". Bien joué, mais un peu raté. Il n'y a pas eu de razzia dans les magasins et les ventes de récepteurs DAB+ n'ont pas explosé.
La Quatrième oreille
Soyons de bon compte et regardons les chiffres les yeux dans les yeux : selon ce sondage, en 2020, 86% des Belges francophones n'écoutaient PAS la radio en DAB+. Quel carton pour les autres modes de réception!
Alors, bien sûr, on peut enrober les chiffres et leur faire dire un peu ce que l'on veut. Ainsi, l'interprétation de cette enquête IPSOS par maradio.be en arrive rapidement à dire que, ce qui est remarquable, est qu'aujourd'hui 34% de l'écoute radio se fait en numérique. Voilà en effet une donnée intéressante: désormais, 1/3 de la consommation radiophonique est digitale. Mais de ce tiers, le DAB+ ne représente que la moitié. 7% de l'écoute numérique se fait via la télévision et, surtout, 13% "via internet", c'est-à-dire en radio IP (rien ne disant qu'en plus, une partie de l'audience tv n'est pas, elle aussi, relative à l'écoute de radios IP).
(source: maradio.be) |
Restons donc modestes. Et rendons hommage, notamment, à ces matamores de la production radio qui ont demandé et obtenu du CSA de lancer des stations ne diffusant que en DAB+. Quels courageux! Au mieux du mieux, ils ne s'adressent qu'à un septième de l'auditoire, tout en devant produire pour la RNT des programmes originaux… qui ne sont donc écoutés par quasi personne. Belle preuve de total désintéressement!
Un peu exagéré ?
La radio analogique a encore de beaux jours devant elle. Sauf si on ne la laisse pas mourir de sa belle mort, mais qu'on lui prescrit une disparition médicalement assistée, comme l'a décidé la Flandre où, en 2023, tous les postes FM devront être équipés d'un récepteur numérique (2). On imagine déjà les inspecteurs du ministre CD&V Benjamin Dalle s'immiscer dans tous les foyers flamands, de la chambre à la cuisine, pour vérifier si les postes de radio sont bien adaptés pour le DAB+… C'est exagéré? Sûrement. Par contre, on attend vraiment de voir ce qui se passera pour nos amis flamands qui achèteraient un récepteur analogique à Bruxelles ou en terre wallonne. Sera-t-il interdit d'entrée sur le Heilige Vlaamse Grond ?
Tous unis comme un seul homme dans maradio.be, les grands opérateurs radiophoniques n'épargnent pas leurs efforts pour convaincre la population que le DAB+, il n'y a rien de meilleur. Peut-être. Mais, si la solution, en fait, n'était pas ailleurs ? Bien sûr, les PDM du DAB+ ont bondi de 2 à 14% en deux ans. Mais, pendant la même période, la radio IP, qui était déjà à 9% de parts de marché, est passée à 13%. Avec le gros avantage que l'écoute de la radio IP ne demande aucune acquisition de matériel nouveau. Et qu'elle est directement accessible sur les enceintes connectées, qui finiront bien aussi par se développer en Belgique. Se féliciter de la bonne part d'audience "numérique" de la radio n'est donc pas très honnête. Car cela laisse croire que les immenses investissements faits dans la diffusion, ainsi que les achats qui sont imposés à l'auditeur, ont déjà eu un grand écho dans les usages de la population. Or, ce qui n'est pas le cas.
Stop ou encore ?
Alors, stop au DAB+, technologie déjà dépassée? Et passons tous à l'IP, en conservant la FM classique afin que subsiste un mode de transmission hertzienne ? Certains en rêvent, d'autant que rien ne prouve le réel besoin de tous les services complémentaires à la diffusion sonore que propose le DAB+. Arrêter le matraquage pour la RNT, cela permettrait aussi de rapatrier au sein du Fonds d'aide à la création radiophonique (FACR) de la Fédération Wallonie-Bruxelles le tiers de ses ressources, qui lui est aujourd'hui retiré pour alimenter maradio.be. Mais est-ce réellement possible? Toute l'Europe s'est jetée dans la marmite de la RNT comme elle le fit dans celle de la TNT, en croyant que le switch opéré en télé serait tout aussi aisé en radio. On voit bien que ce n'est pas le cas. Et le récent choix britannique de renvoyer le big radio switch off en 2032 plutôt qu'en 2022 confirme cette difficulté, même dans un marché bien préparé où… 60% de l'audience radio se fait déjà en digital (3). Alors qu'on en est loin…
Qu'une partie de la transmission radiophonique reste hertzienne paraît indispensable. Au nom de la l'accessibilité universelle, de l'indépendance et de l'impériosité de disposer d'un mode de transmission médiatique qui ne soit pas cadenassé par les grandes sociétés des opérateurs mondiaux. Les ondes, c'est la liberté. Ce fut le cas en 1939-1944. C'est toujours le cas. Dans dix ou vingt ans, à l'aide de forceps et de contraintes d'utilisation imposées aux auditeurs, le DAB+ sera le seul modèle de radio hertzienne. Mais qui écoutera encore la radio via cette technologie? Cette question-là est ouverte. Et on peut être persuadé que les tous les grands chefs des radios RNT se la posent, ne serait-ce qu'inconsciemment.
Parce que le paquebot France a fini dans un arrière-port de Saint-Nazaire et que le Concorde a disparu. Alors qu'ils avaient coûté des sommes folles. Et qu'on croyait qu'ils étaient le top de leur secteur. Sans parler du minitel…
Frédéric ANTOINE.