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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

03 juillet 2021

DPG : FALLAIT-IL SAUVER LE SOLDAT RTL?

Mais qu'est venu faire l'ex-Persgroep dans la galère du sauvetage de RTL Belgium? Une interview des auteurs du "deal média de l'année" publiée L'Echo (1) lève un léger coin du voile. Mais laisse pantois à plusieurs points de vue, et notamment sur ce qui y dit du public de Belgique francophone. Etonnant.

 Le journal L'Echo (2) publie ce samedi 3/6 une intéressante interview croisée des "patrons" (3) de Rossel et de DPG qui y déclarent, dès le titre, qu'ils discutaient d'alliances "bien avant l'arrivée du dossier RTL". On supposera toutefois que ce "bien avant" ne remonte pas à de nombreuses années. Et en tout cas pas à octobre 2017 lorsque, lors d'un grand deal (encore un) entre groupes de presse flamands, Roularta avait cédé ses parts dans Medialaan au Persgroep, qui devenait le seul propriétaire de cette entreprise de médias audiovisuels, mais acquérait les 50% de Mediafin dont disposait le Persgroep. Rossel était en effet alors au balcon d'une transaction qui le faisait changer de partenaire au sein de la société éditrice de De Tijd et L'Echo, dont il était coactionnaire avec le Pergroep depuis 2005. Mediafin s'était alors créé sur base d'une joint-venture entre les éditeurs Uitgeversbedrijf Tijd (De Tijd) et Editeco (L’Echo) (4), constituant ainsi un des seuls ponts transcommunautaires dans le monde des médias belges. Rêver d'alliances alors qu'on laisse tomber son partenaire dans une joint-venture paraît plutôt étrange…

Une vieille amitié

Sans doute donc les idées de projets communs entre DPG et Rossel sont-elles tout de même plutôt récentes. Et ce même si les deux patrons disent se fréquenter de longue date. "On se connaît depuis plus de 40 ans, avant qu’il ne rencontre sa femme et entre dans le secteur des médias il y a 20 ans", déclare le patron de DPG dans l'interview, celui de Rossel précisant que cela s'était passé à Knokke "dans un bar ou au bord de la mer en faisant de la voile". La création de Mediafin, quelques années seulement après l'arrivée du patron de Rossel à la tête de l'entreprise, n'était donc peut-être pas due au hasard, mais bien à un jeu de relations. On notera que ce petit commentaire permet aussi à l'ex-CEO de DPG de rappeler qu'il n'y a que vingt ans que son alter-ego est dans le monde de la presse (5), alors que lui est tombé dedans quand il était petit (6). Et laisser comprendre que ce n'est que par sa femme, héritière Hurbain de l'empire Rossel, que l'actuel patron du groupe est entré dans le secteur de la gestion des médias…

S'ils se connaissent, on ne sait toutefois si, en vingt ans, les hommes se sont vraiment beaucoup fréquentés. Le coup de jarnac du départ de Mediafin peut laisser quelques doutes à ce propos. On sait que, dès le rachat par le RTL Group des parts d'Audiopresse dans RTL Belgium, le patron de Rossel n'avait pas caché être intéressé par un autre type de présence dans l'actionnariat de l'entreprise. L'interview confirme aussi que c'est bien lors du constat du stand alone auquel était réduit RTL Belgium que l'idée d'un rachat s'est matérialisée. Mais impossible de savoir ici comment et quand est surgie l'idée d'y associer l'ex-Persgroep. D'autant que, comme on l'a déjà écrit, les choix récents de DGP n'étaient pas vraiment de s'intéresser à la petite Belgique francophone, mais plutôt aux Pays-Bas où il règne en maître (7).

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"On a remarqué que l'on pouvait apporter notre expertise à RTL Belgium, avoir une valeur ajoutée", déclare le président du comité exécutif de DPG. Une information digne d'intérêt, car elle confirme bien que l'entreprise flamande n'entend pas rester en retrait de l'opération et compte jouer un rôle déterminant, au moins dans l'avenir de RTL Belgique. Et ce même si, dans cette interview, la notion de "géant belge de l'audiovisuel privé" n'est prudemment pas employée par les interlocuteurs, alors que c'est ainsi que le rachat de RTL Belgium a été présenté lundi dernier. Et l'ex-CEO de DPG d'ajouter: "De plus, les annonceurs en appelaient au changement dans le sud du pays - un tout autre marché - fort d'un désir d'une offre digitale conséquente en matière de vidéo". Cette phrase un peu sibylline est suivie, quelques lignes plus bas, de précisions du patron de Rossel sur les synergies envisagées dans le secteur publicitaire. Rassurant, il explique ne pas vouloir "une grande régie qui intégrerait tout". Mais il déclare: "Nous avons intérêt à partager les outils et à développer des offres nationales cohérentes." Rossel et DPG disent-ils tout à fait la même chose? Les rapprochements envisagés ne concernent-ils que l'audiovisuel? Ou fait-on référence ici à l'ensemble des structures de DPG et de Rossel? Le commentaire de l'ex-PDG de DPG apporte une partie de réponse: "La convergence entre texte, audio et vidéo en ligne, est devenu un moteur aussi bien pour le consommateur que pour l'annonceur. Nous optons donc désormais pour un nouveau modèle cross-média au nord comme au sud." Reste à savoir si le cross-médias ne sera que publicitaire ou si, comme le dit le président du comité exécutif de DPG, l'expertise du groupe flamand s'étendra bien au-delà.

Terra incognita

Un des éléments étonnants de cette interview concerne la manière dont les deux hauts responsables de groupes appréhendent le rapport du public aux médias, et en particulier dans l'audiovisuel. Le président du comité exécutif de DPG fait ainsi des révélations étonnantes: "C'est assez paradoxal, dit-il, mais si je connais beaucoup de gens dans le sud du pays, je sais finalement peu ce qu'ils pensent, lisent, regardent…" Etrange aveu pour quelqu'un qui vient de se lancer et d'investir largement dans une aventure de grande taille, avec des enjeux immenses. L'ex-CEO de DPG reconnaît ne pas connaître le public francophone, et en est à se demander pourquoi, en Wallonie, un contenu "étranger" "performe" mieux quand il est doublé plutôt que sous-titré, alors que ce n'est pas le cas en Flandre. Un type de question que l'on débat depuis des années dans les cours et les études sur les médias en Belgique…

On pourrait de même quelque peu s'interroger sur la perception des médias qu'a le CEO de Rossel lorsque, à propos de la consommation de la télévision en Belgique francophone, il daclare: "Le public n’est pas naturellement attiré par la France." Pour le patron de Rossel, tout est question d'offre. Lorsque VTM est apparu en Flandre, explique-t-il, il n'y a plus eu dans cette région de débordement des chaînes hollandaises. "Si la proposition de programmes belges francophones est meilleure et répond plus aux attentes, le public suivra; en cela il n’est pas différent du flamand." Cette vision est-elle confirmée par l'histoire, et est-elle exacte? Ne perd-telle pas de vue que, en Flandre, c'est la VRT et non la télévision privée qui domine le marché de l'audiovisuel (en télé, 37% de PDM en 2020 pour la VRT [dont 31% pour Een] contre 29% pour les chaînes VTM. Et en radio 59% de PDM pour la VRT en 2020). N'omet-il pas de dire que les PDM des chaînes hollandaises ont certes existé par le passé, mais n'ont jamais été comparables à celles des chaînes françaises en Wallonie-Bruxelles (31,4% de PDM en 2020). Ne précise-t-il pas que, au niveau de langue, Néerlandais et Flamands ne se comprennent pas même lorsqu'ils s'expriment en ABN? Alors que, accent excepté, un Wallon et un Marseillais parle bien une langue identique. Ne faut-il pas se souvenir que, dès que la télévision est apparue en France, les Belges l'ont regardée? N'importe-t-il pas de mettre dans la balance l'audience radio de Radio Luxembourg puis de RTL Paris, qui ont toujours attiré les Belges? Ni prendre en compte l'histoire belge et les chiffres de vente de la presse magazine française en Belgique?Ne faut-il pas prendre en compte la taille des marchés? Avec ses 17,4 millions d'habitants en 2020, la population hollandaise est certes ± 2,5 x supérieure à celle de la Flandre. Mais la population de Belgique francophone est, elle, quinze fois plus petite à celle de la France, ce qui infère obligatoirement sur la taille du marché publicitaire (même 'nationalisé') et sur les montants disponibles pour gérer les coûts des grilles. Les "bons programmes" ne résolvent pas tout, d'autant qu'ils sont coûteux à produire. Si RTL Belgium recourt autant aux produits M6 et à ceux de RTL Paris, ce n'est pas par incompétence gestionnaire…

L'interview de L'Echo confère naturellement au rachat de RTL Belgium la même image rassurante, ambitieuse et prometteuse que les autres discours de responsables entendus ces derniers jours qu'ils viennent du groupe RTL ou des acheteurs de l'entreprise. Une fois l'opération réelllement réalisée (et des fusions opérées?), le vrai visage de cette ambitieuse opération de sauvetage apparaîtra peut-être sous un autre jour…

 Frédéric ANTOINE


(1) https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/on-discutait-d-alliances-bien-avant-l-arrivee-du-dossier-rtl/10317654.html

(2) Nous mettons le terme entre guillemets car, depuis février 2000, celui que l'on présente comme le "patron" de DPG en est en fait le président  du comité exécutif. A ce moment, il a en effet cédé le poste de CEO à un Néerlandais

(3) Dont on saluera le titre de l'éditorial du 29/6 (https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-belgium-l-union-fera-t-elle-la-force/10316638.html), qui partage avec le titre de notre article du 22/6 une commune référence à la devise nationale belge. 

(4) https://www.mediafin.be/fr/historique/ Les négociations entre le Persgroep et Roularta se termineront en mars 2018. C'est à ce moment que le cession réciproque deviendra officielle.

(5) En effet, il n'est devenu CEO de Rossel en juin 2001. Il était précédemment "PDG du groupe 9Telecom, filiale de Telecom Italia" (https://plus.lesoir.be/art/presse-premiere-interview-du-nouveau-patron-bernard-mar_t-20011023-Z0L2R4.html)

(6) La famille Van Thillo entre de l'actionnariat de la société familiale Hoste, éditrice du Laatste Nieuws, au début des années 1970 et en devient l'actionnaire majoritaire en  1978. La société est renommée Persgroep en 1990. L'ex-CEO du groupe en devient le patron en 1989, et il a alors 27 ans. (https://highlevelcom.be/fr/4035-christian-van-thillo-lelegant-magnat.html)

(7) Ce qui restait de francophone jusqu'ici dans DPG est 7sur7.be (dont il n'est curieusement pas fait mention dans l'interview) ainsi que des périodiques lifestyle/construction dont Roularta n'a pas voulu.

 


28 juin 2021

RTL BELGIUM: ROSSEL AU PAYS DE L'AUDIOVISUEL


Que faire encore quand on a déjà tout ce qui relève de son core business? Eh bien, investir ailleurs, quitte à entrer dans une jungle dont on ignorait à peu près tout. Rossel co-propriétaire de RTL Belgium, c'est un peu Rendez-vous en terre inconnue au pays des grands fauves.

Le RTL Group, DPG et Rossel ont confirmé ce lundi 28 juin au matin quel serait le futur RTL Belgium. Les supputations émises la semaine dernière sont donc confirmées. RTL Belgium is back to home, pour autant que son véritable "home" ait un jour été belge et non luxembourgeois. Demain, ses chaînes de télévision n'échapperont plus à la tutelle du CSA, et s'il vient encore à l'idée d'un·e ministre de distribuer de l'argent entre les médias de la francophonie belge, la société sera automatiquement comprise parmi les bénéficiaires.

Au niveau de la petite Belgique, ce rachat était en somme la seule solution restante pour sauver le soldat RTL. Seulse les deux plus grandes entreprises médias du pays avaient les épaules suffisamment larges pour décider de se mettre un tel fardeau sur le dos. Et ce même si, comme le rappelle L'Echo, la société est finalement plutôt en bonne santé. Et même si, comme personne ne le mentionne ou presque, ce sont surtout les bons chiffres de la régie IP qui assureront un intéressant retour sur investissement pour les copropriétaires.

Le banquet des ogres

Ce rachat est aussi l'aboutissement logique du processus de concentration des médias à l'œuvre dans tous les pays occidentaux, et auquel la Belgique n'échappe pas. Depuis une vingtaine d'années, le paysage médiatique belge se ratatine d'année en année, au nord comme au sud. Si le nombre de médias (ou de marques médias) ne diminue pas vraiment, le nombre d'opérateurs ne cesse, lui, de se réduire. Tant et si bien que les indices de concentration des médias belges sont devenus alarmants (comme ils le sont aussi ailleurs). Dans un paysage où, au Nord comme au Sud, la diversité s'est réduite à deux acteurs, que reste-t-il d'envisageable?

Des deux côtés du pays, le plus gros des acteurs de la scène des médias privés a racheté tout ce qui relevait de son core business, ancré dans les publications de presse et dont le berceau est l'édition de presse quotidienne. Ayant à peu près tout absorbé, tout en laissant de côté une partie du marché des périodiques, ces opérateurs ont, dans un premier temps, été voir ailleurs. C'est ainsi que DPG est devenu l'ogre de la presse hollandaise, mais a aussi un pied au Danemark. Rossel est parti à la conquête de la presse régionale française, secteur où ses avoirs dépassent en valeur ce qu'il possède en Belgique. Mais on ne peut pas dire que la campagne de France a été une grande victoire. A de nombreuses reprises, tout a été fait pour que l'entreprise belge rate le coche. Dame, en France, on préfère les acteurs belges plutôt que les investisseurs belges… 

L'audiovisuel par défaut

Le marché de l'écrit un peu arrivé à saturation, que restait-il, sinon l'audiovisuel? DPG y était de longue date, associé dès le début à la naissance de VTM (comme tous les éditeurs flamands) puis étant longtemps resté copropriétaire de Medialaan, avec Roularta. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir leur seul actionnaire de cette société qui rassemble la plus grande partie de l'audiovisuel privé flamand (tv+réseaux de radio). Rossel s'est bien lancé dans la radio privée dès que celle-ci a paru devenir un marché intéressant pour les groupes de presse, dans les années 1980. Mais, comme d'autres éditeurs, la société avait alors vite compris que faire de la radio, ce n'était pas comme éditer un journal. C'est ainsi qu'il a accepté de céder ses fréquences à la société qui s'est mise sur pied pour créer Bel RTL et absorber radio Contact. En télévision, Rossel a participé comme les autres éditeurs au deal Audiopresse, naïvement imaginé par l'Etat francophone afin de 'compenser' la perte de revenus publicitaires pour la presse lors de l'autorisation dans le sud du pays d'un opérateur privé, en 1986-1987. Un beau cadeau puisque, ce fameux gâteau publicitaire, RTL Luxembourg le grignotait déjà depuis des années. Son 'arrivée' sous l'étiquette TVI n'a donc pas vraiment bousculé la presse, mais elle lui a permis de s'associer sans investir dans la télé privée. Sans investir enfin pas tout à fait. Au début, les groupes de presse ont vraiment été associés à l'éditorial chez RTL Belgium. Mais là aussi il est vite paru que faire de la bonne info de presse n'était pas identique à faire de la bonne info tv. Les éditeurs ont donc touché des dividendes sans rien faire. Et sans rien apprendre.

 "Un" nouveau géant

Et voilà qu'aujourd'hui, Rossel devient le (co)patron d'une entreprise qui édite de la télévision, de la radio, et des contenus audiovisuels en ligne… Alors que DPG a, lui, les mains dans le cambouis depuis des années. On ne peut sans doute pas comparer Rossel à Alice au pays de l'Audiovisuel, mais l'union entre les deux plus grands acteurs médiatiques privés belges n'a-t-il pas un peu du conte du Petit chaperon rouge? Le titre du Soir, journal de référence du groupe Rossel, annonçant  ce 28/06 la naissance d'"un nouveau géant des médias en Belgique", donne une clé de lecteur de l'ensemble: ce n'est pas tant le rachat de RTL Belgium qui importe que la constitution d'un groupe "national" de médias audiovisuels privés, rassemblant à la fois des médias du nord (ceux de DPG) et du sud (propriété de PDG+Rossel). L'immense spécialiste du marché publicitaire des médias Bernard Cools ne s'y trompe pas lorsqu'il note, dans Le Soir, que le nouveau "groupe" proposera une offre publicitaire conjointe couvrant tout le pays. Et le spécialiste de parler de "fusion" de la régie  IP avec celle de DPG, et parle de "du jamais vu" en Belgique.

Le rachat de RTL Belgium paraît donc comme la part visible d'un iceberg qui pourrait voir fusionner les médias audiovisuels privés du nord et du sud. Ce qui serait, là aussi, du jamais vu. Une sorte de retour au "monde d'avant" (la fédéralisation). Comme si, lorsqu'il s'agissait de lutter contre les GAFAM, les divergences linguistiques et culturelles retournaient au vestiaire. Une bonne chose? A condition que ce grand deal dont on parle aujourd'hui serve bien tout le monde. Et qu'il n'ait pas comme premier grand but de sauver l'audiovisuel privé flamand face aux plateformes, mais aussi face à Telenet, qui n'est jamais que la filiale belge du groupe US Liberty Global.

Alors, dans tout cela, quel poids aura Rossel, et quel rôle sera confié à l'ex-RTL Belgium? L'article du Soir, très bien informé, parle de synergies profitables dans de nombreux domaines. En vertu de ce qui vient d'être évoqué, il faudra probablement vite se demander: profitable oui, mais pour qui d'abord?

Frédéric ANTOINE.

 

23 juin 2021

RTL : BELGIUM STANDS ALONE

Demain, RTL Belgique ne sera finalement pas associé à  RTL Nederland. John de Mol a raflé la mise à DPG. L'avenir de TVI sera donc uniquement belge. Plus que jamais, il faudra que "Eendracht maakt macht" (L'union
fait la force).  (1)

Un aimable (et compétent!) lecteur de ce modeste blog, que je remercie, m'a transmis hier soir une information du Hollywood Reporter selon laquelle RTL Nederland tomberait dans l'escarcelle de John de Mol (cocréateur de la télé-réalité) et de son groupe Talpa, déjà bien implanté aux Pays-Bas autour de la marque Veronica (2). Bref, comme l'écrit le média américain, de Mol a comme but de créer un "Dutch Tv Giant" à l'image de la fusion M6-TF1. Adieu donc l'hypothèse évoquée ici ce 22/3 de voir DPG remporter la mise sur le sol batave et ainsi parvenir à constituer un petit empire audiovisuel belgo-hollandais à dominante flamande.

Qu'à cela ne tienne, le royaume audiovisuel privé dirigé par DPG, et dont Rossel sera en quelque sorte le vassal, ne sera donc "que" belge. Le Hollywood Reporter pourra peut-être bientôt titrer que l'ancien Persgroep a participé au rachat de RTL Belgium afin de constituer un "Belgian Tv Giant" noir-jaune-rouge, c'est-à-dire transcommunautaire. Sauf que, dans un petit pays même "réunifié", le poids de la "forteresse belge" vis-à-vis des géants du monde des plateformes en ligne restera toujours infime. Et encore plus difficile à protéger des attaques ennemies. Les rapprochements stratégiques entre les médias du groupe VTM et ceux de l'ex-RTL Belgique deviendront donc de plus en plus impératifs.

 Panique en cuisine

Tout cela sous le regard de TF1 et de M6 qui tireront une partie des ficelles de ce petit théâtre belgo-belge auquel ils ont vendu, pour un temps limité, les licences d'exploitation de certains de leurs programmes. La durée de ces contrats terminée, à moins de les renouveler à prix d'or, les opérateurs français n'ont pas intérêt à accepter de les prolonger. Idem pour les accords de diffusion sur RTL Belgium de très nombreux programmes du groupe M6. Bien sûr, tout cela n'est pas pour demain, et ne surviendra pas avant que soit validée et réalisée la fusion TF1-M6. Mais, dans deux à trois ans, que pourront faire les petites chaînes belges sans Top Chef (3), Un diner presque parfait, Les reines du shopping, Panique en cuisine, Le meilleur pâtissier, Recherche maison ou appartement, Maison ou appart à vendre, Chasseur d'apparts… pour ne citer que les plus récents ou récurrents. Faire un petit tour sur RTL Play est plus qu'instructif pour relever la liste de toutes les productions que TVI, Club et Plug 'empruntent' à M6, mais aussi au groupe TF1. On n'ose imaginer le même RTL Play le jour où l'opérateur belge n'en aura plus les droits. Quant aux scores d'audience des émissions, il en prendra lui aussi un coup. Hormis Top Chef, ce sont plutôt les versions belges de formats aussi diffusés sur M6 qui occupent le Top 10 des audiences annuelles de TVI. Mais, en 2019 par exemple, des productions françaises trustaient presque tout le Top 10 de Plug…

Vases communicants

Alors, derrière tout cela, peut-être faut-il chercher ailleurs pour comprendre. Par exemple du côté de la régie IP, filiale à 99,99% de RTL Belgium, mais qui est la véritable vache à lait. Et dont on ne parle jamais. Non seulement elle pourrait constituer le véritable enjeu des opérations actuelles. Mais, à terme, elle pourrait contenter tout le monde. Déjà à l'heure actuelle, elle réalise le paradoxal exploit d'être à la fois la régie des chaînes de RTL Belgique et de TF1 Belgique, qui est leur concurrent direct. Ce que TVI et consorts perdent en spots pubs au profit de TF1 revient donc, au moins en partie, dans la bourse du groupe via IP. Pourquoi, demain, la régie ne deviendrait-elle pas aussi celle de M6 Belgique, si "la petite chaîne qui monte" parisienne en venait à décider de s'implanter aussi en Belgique? Ce serait finalement une bonne affaire, même si cela ne résoudrait pas la question de "comment remplir les grilles".

Ah, le principe des vases communicants, il n'y a que cela de vrai. Du moins tant que les tuyaux entre les vases ne se bouchent pas… 

Frédéric ANTOINE.

(1) Titre de l'article posté hier 22/06/2021.

(2) Oui, celle de la radio pirate éponyme qui sera ensuite un des piliers des médias publics hollandais avant de s'en retirer pour devenir un opérateur privé.

(3) Déjà actuellement diffusé sur RTL-TVI avec 5 jours de retard par rapport à M6…


22 juin 2021

RTL BELGIUM: EENDRACHT MAAKT MACHT? (1)

(1) L'Union fait la force

RTL Belgium tombera plus que probablement entre les mains d'une alliance Rossel-DPG, qui manifeste le grand retour de l'intérêt de ce groupe flamand pour la petite Belgique francophone. Avec, à terme, la possible constitution d'un groupe audiovisuel privé belgo-néerlandais où la Wallonie risque de se retrouver portion congrue. Et en lice avec M6, qui pourrait en pomper une bonne partie de l'audience…

Depuis que, en décembre dernier, le RTL Group avait racheté les parts des médias belges dans RTL Belgium, Rossel s'était dite intéressée par y reprendre une participation. Lorsque la succursale du géant allemand Bertelsmann a ensuite décidé de mettre RTL Belgium en vente, on imaginait bien que le groupe de la rue Royale serait sur les rangs pour un rachat. Mais, vu la taille de la bête, on se demandait avec qui. Le Tijd de ce 22 juin, repris par toute la presse, confirme que l'entreprise de la famille Hurbain figure bien dans le dernier carré des repreneurs potentiels. Mais en association avec DPG Media. Ce qui change un peu le regard plutôt optimiste qu'on pouvait avoir sur l'idée d'un contrôle de l'opérateur audiovisuel privé par un groupe de presse francophone belge.

Forteresse belgo-hollandaise

La Belgique s'inscrit bien là dans la tendance européenne de repli nationaliste des groupes médias traditionnels, initiée en Allemagne par le le RTL Group, sûr qu'édifier des forteresses par Etat est le bon moyen de lutter contre l'invasion des plateformes internationales en ligne. La Belgique de demain comptera donc sans doute un opérateur audiovisuel privé national fort et, chose nouvelle, transcommunautaire. De plus, comme on dit que DPG a aussi des visées sur RTL Nederland, ce serait in fine une forteresse audiovisuelle belgo-néerlandaise qui pourrait voir le jour. 

Une forteresse dans laquelle DPG aura un poids déterminant. A l'heure actuelle, l'ancien Pergroep possède déjà l'ex-Medialaan, qui édite les principales chaînes tv flamandes privées (VTM et cie), ainsi que les deux forts réseaux de radios privées du nord du pays (t un réseau au Pays-Bas). Se nourrir des possessions hollandaises du RTL Group s'inscrit dans la logique de DPG de contrôle total du marché des médias Outre-Moerdijk, lui qui est déjà le premier éditeur de presse dans ce pays. 

Francophonie, le maillon faible

Mais pourquoi y rajouter un maillon francophone, alors que le Persgroep avait quasiment rompu tout lien avec la Francophonie ces dernières années pour se focaliser sur le marché néerlandophone? Par le passé, il cocontrôlait avec Rossel Mediafin, qui éditait à la fois le Tijd et L'Echo. Il s'en est retiré en mars 2018 au profit de Roularta. A la même époque, après avoir racheté tous les magazines mis en vente par Sanoma Belgique, il s'est défait de la quasi-totalité de ceux-ci, et donc de tous ses titres francophones, au profit du même Roularta. En langue française, via Media Home Deco, DPG me possède plus que deux trois titres comme Gaël Maison ou Je vais construire dont les versions francophones sont plus que largement inspirées des éditions néerlandophones. 

Toutefois, DPG a conservé une pièce maîtresse en francophonie: le site 7sur7.be, seul véritable pure player d'information quotidienne dans le sud du pays. Et ce alors que son alter ego flamand, hln.be, n'est autre que la version en ligne de Het Laatste Nieuws, premier titre de Flandre en diffusion payante. Même si les contenus de 7sur7 diffèrent de ceux de hln, on ne peut imaginer que c'est cette seule attache qui ait incité PDG à "venir en aide" à Rossel pour déposer une offre de reprise de RTL Belgium. 

Les rênes à la Flandre?

Dans l'attelage final que DPG entend bâtir, Rossel risque de se sentir un peu seul. Le groupe bruxellois sera assurément le garant de l'identité francophone des chaînes de RTL Belgium, dont il était déjà un sleeping partner tant en tv (dans le cadre d'Audiopresse) qu'en radio (via Radio H) (2). Rossel investira sans doute dans la composante "info" de la nouvelle structure, et peut-être sera-t-il tenté de bâtir des alliances entre ses médias écrits et en ligne et l'audiovisuel. Mais quel sera le poids de ce groupe de presse  sur tout le reste de la structure, face à DPG Media qui est, lui, déjà installé dans le secteur?

En termes d'économies d'échelles, la constitution d'un pôle audiovisuel privé belgo-hollandais est très tentante sur le plan des économies d'échelles. Notamment du côté des déclinaisons de productions ou du partage de droits. On reviendra donc peut-être à l'époque des années 1990 où RTL-TVI et VTM réalisaient des émissions ensemble, organisaient de concert la diffusion de Miss Belgique ou s'associaient pour le Télévie et Leefdeslijn (l'autre n'étant que la traduction de l'un). RTL a aussi Marié au premier regard et VTM Blind getrouwd. Des mariages sont donc possibles. Au-delà de cela, DPG pourra aussi proposer à RTL des versions francophones de ses shows flamands ou néerlandais. Mais la sauce hollandaise séduira-t-elle le public de RTL-TVI? Pas sûr. D'autant que celui-ci est plutôt accro aux programmes de RTL Belgium tels qu'il les a toujours connus.

Est pris qui croyait prendre?

Alors, on ne peut penser qu'à une chose: cette union belgo-belge pourrait bien surtout profiter à… M6. On se souvient qu'aucun candidat au rachat de l'opérateur français n'avait voulu y associer celui de RTL Belgium. Et pour cause! Pour le prix de M6 seul, TF1 pourra aussi s'offrir sous peu une bonne partie du public de RTL Belgium qu'il ne contrôlait pas encore via son décrochage belge. Jusqu'à présent, une sorte de gentleman agreement entre M6 et RTL Belgium, toutes deux membres du même groupe, permettait d'éviter que M6 ne soit diffusée en Belgique. Car cela aurait mis RTL-TVI et ses petites sœurs dans de beaux draps, puisque bon nombre de programmes porteurs de M6 sont proposés sur les chaînes de RTL Belgium. Demain, libérée de tout lien familial, rien n'empêchera plus M6 de diffuser en Belgique via le câble et Pickx-Proximus, avec des décrochages publicitaires comme le fait TF1. En proposant aux Belges tous les programmes qu'ils adoraient sur RTL-TVI et consorts, et que M6 ne leur vendra évidemment plus.

Inutile de deviner où ira alors l'audience. Et d'imaginer le risque de disette de spectateurs (et de recettes) pour les chaînes de l'ex-RTL Belgium. Avec, de plus, une partie du gâteau publicitaire, déjà rabougri, grinoté par les souris de M6. Dans ces circonstances, que restera-t-il à RTL-TVI? L'info, bien sûr, mais qui coûte cher à produire sur un petit marché sauf si on en mutualise les coûts avec les médias actuels de Rossel. Et, à part cela, tout ce qui est déjà produit par VTM et ses chaînes complémentaires…

Enfin, on peut se demander comment tous ces montages pourront prendre en compte l'inévitable virage numérique que RTL Belgium avait déjà eu tant de mal à amorcer. Rossel et DPG seront-ils d'une aide à ce propos? Au nom de cette logique des forteresses, pousseront-ils, par exemple, à faire entrer l'ex-RTL dans Auvio? Ou choisiront-ils la concurrence acharnée, au risque de laisser des morts et des blessés sur le champ de bataille?

Le rachat belgo-belge de RTL Belgium était sans doute la dernière solution, toutes les autres portes s'étant refermées. Mais ne risque-t-il pas de faire entrer un nouveau loup dans la petite bergerie du marché francophone belge? En cas d'avis de tempête, le vaisseau de l'avenue Georgin risque de bien devoir s'accrocher. En se rappelant peut-être que Jacques Georgin, militant FDF, avait été tué à Laeken le 12 septembre 1970 par des militants du VMO, le Vlaamse Militanten Orde…

Frédéric ANTOINE.

(2) N'oublions pas que Bel RTL fut créée sur les cendres de FM Le Soir et des radios que le groupe Rossel avait lancées dans les années 1980. On ne peut donc dire que l'histoire ne repasse jamais les plats…

 

28 avril 2021

LA COVID N'A PAS IMMUNISÉ LA PRESSE PÉRIODIQUE DE SES PERTES ENDÉMIQUES

En 2020, les magazines se sont encore moins vendus que les années précédentes. Et les acheteurs n'ont pas basculé vers le digital à cause du manque quasi-total de projet de monétisation numérique de la plupart des titres. Comme si, plutôt que de lancer les canots de sauvetage, il valait mieux se laisser couler avec le navire…

Oui, certains titres de la presse magazine francophone belge ont pu voir leur audience croître en période de covid. Mais plus de lecteurs ne signifie pas plus de ventes. Alors que, désœuvrement et ennui aidant, le confinement était le moment idéal pour partir à la pêche aux nouveaux acheteurs ou à ceux qui étaient partis, les ventes des magazines n'ont pas bénéficié de l'effet pandémie. Cela fait des années que la diffusion print payante des périodiques est en baisse. Et, pour la plupart, 2020 n'a pas failli à la règle. Les brebis égarées ne sont pas revenues débourser quelques euros pour se mettre à (re)lire leur magazine préféré. 

Du côté des quotidiens, en 2020, plusieurs titres ont réussi à redresser la barre, essentiellement grâce à la monétisation numérique de leurs contenus (1). Dans le camp des magazines, ce type de stratégie est toujours aux abonnés absents. Certes, on peut consulter des contenus gratuits sur leurs sites et, quand ils en ont, sur leurs applis. Mais côté payant, rien à l'horizon. Ou presque. La descente infernale est-elle donc inexorable?

 

Tous perdants

Tenant compte du fait que les chiffres actuellement disponibles sont des déclarations d'éditeurs, mais que celles-ci sont toujours fort proches des données certifiées par le CIM, force est de constater que, pour les hebdomadaires, la diffusion totale payante (print payant + digital payant) de tous les titres était en baisse en 2020 (2). Toute diffusion payante confondue, l'ordre de préséance des titres est resté à peu près inchangé par rapport aux années précédentes. Comme par le passé, trois leaders dominent le marché, mais il n'y en a plus qu'un seul à vendre à plus de cent mille exemplaires : Ciné Télé Revue. Télépro est descendu en dessous de cette barre symbolique. Quatre titres se retrouvent ensuite, souvent dans un mouchoir de poche, entre cinquante et quarante mille exemplaires. Hormis Paris-Match, qui frise encore les trente mille, les autres titres sont tous en dessous de vingt mille ventes.

Ceux qui s'en tirent

Si tous les titres sont affectés,  le naufrage de la diffusion payante 2020 ne revêt pas partout la même importance. Nombreux sont ceux dont les pertes s'avèrent, cette année, relativement minimes.

Ainsi, avec leur -2% seulement, Femmes d'aujourd'hui, Télépro et Paris Match s'en sortent plutôt bien. Pour Paris Match, la perte est beaucoup moins sensible qu'en 2019 (le titre avait alors perdu 9% de diffusion payante par rapport à 2018). Cette même année-là, l'hebdomadaire féminin de Roularta n'avait perdu que 1% de diffusion payante, et le magazine télé verviétois 2,5%.

Les pertes atteignent environ 8% pour Ciné Télé Revue et Spirou, qui avaient déjà perdu le même pourcentage de ventes l'année précédente. Le Vif, à -9%, fait moins bien qu'en 2019, où il n'avait perdu que 5%. Aux environs de 10%, on trouve Télé Star, Télé Pocket et Le Soir Magazine. En 2019, les deux premiers titres avaient vu leurs ventes baisser de 7% et 6%, tandis que le magazine de Rossel n'avait quasiment pas perdu de clients. La descente de 2020 constitue donc là un véritable signal d'alarme. Que dire enfin de Moustique (-12%) et Flair (-14%) ? En 2019, le news magazine midmarket accusait déjà une perte de 8%, tandis que l'hebdo "jeunes femmes" était à -20%. Le titre racheté par IPM s'enfonce donc davantage, alors que celui de Roularta se porte un peu moins mal.

 Rendez-vous en terre inconnue

Ces comparaisons confirment que 2020 n'a pas apporté de nouveaux acheteurs "papier" aux magazines destinés aux Belges francophones, que du contraire. La tendance baissière, relevée sur la durée dans un précédent article de ce blog en 2020, n'a pas été endiguée. Car nous parlons bien ici du support physique. Côté digital, on doit une nouvelle fois se pincer pour être sûr de ne pas rêver devant les scores de ventes numériques affichés par les éditeurs. En monétisation numérique, les magazines sont à peu près nulle part.

Continuant sur une ligne tracée depuis sa reprise par Nethys-Editions de L'Avenir, Moustique est le seul magazine à avoir une réelle stratégie de monétisation en ligne, mais celle-ci ne lui permet pas d'atteindre 8% de ventes du produit en digital. Le Vif affiche un petit 3%, le Soir Mag 2%… et c'est à peu près tout. Mis à part ces hebdos qu'on peut plus ou moins qualifier, dans des créneaux différents, de news magazines, le vide s'étire jusqu'à l'horizon. On a l'impression que, pour plusieurs titres, seuls des lecteurs vraiment écologistes, voulant ne plus consommer de papier, ont fait la démarche de quémander un abonnement digital. Mais que rien n'a été réalisé pour attirer le lecteur vers le numérique, ou y faire venir de nouveaux clients. Ciné Télé Revue vient d'entreprendre des actions dans ce domaine, notamment avec un abonnement à prix promotionnel et la création d'une appli associée. Mais le magazine de Rossel est bien seul. Comme écrit plus haut, cela ne veut pas dire que les autres titres sont inexistants en ligne, mais leurs contenus y sont gratuits, et rien n'est fait pour promotionner une version numérique, à laquelle certaines rédactions semblent n'accorder que très peu d'intérêt. Même chose sur les réseaux sociaux, où certains magazines sont très actifs, mais qui ne jouent pas le rôle de rabatteurs vers un digital payant. Quant aux applis, quelques titres y proposent de s'y abonner au repliqua du papier. Mais Flair n'a qu'une appli pour sa version en néerlandais, et le terme "appli" semble inconnu chez Télé Pocket, Télé Star et Paris Match Belgique.

Et les autres?

Du côté des bimensuels et mensuels, dont les diffusions sont plus faibles, l'année 2020 n'a pas non plus été profitable pour tout le monde. Mais les données sont difficiles à apprécier car plusieurs titres ont une part de leurs ventes réalisées "à tiers", c'est-à-dire sous forme de commercialisation non liée à une acquisition directe par un lecteur. Cette donnée grossit évidemment le volume de diffusion payante de ces magazines et brouille un peu les résultats.

Deux titres perdent énormément : ceux qui sont en tête du classement. L'ordre de préséance se modifie par ailleurs entre eux. Le mensuel le plus vendu en 2020 était le féminin Gael, qui perd néanmoins 18% de diffusion payante par rapport à 2019. Top Santé, qui dominait le marché précédemment, devient le 2e magazine le plus vendu, en perdant un tiers de sa clientèle en un an. Ce magazine déclare 5000 ventes numériques en 2020, ce qui est énorme. L'année précédente, il comptabilisait à peu près le même nombre d'abonnés digitaux (4999).

Le bimensuel Moniteur de l'automobile continue à occuper une étonnante troisième place, mais avec une perte de 25%. L'Eventail affiche des chiffres stables à tous points de vue d'un année sur l'autre. Les deux gagantes de l'année se trouvent en fin de classement. Les mensuels de Ventures, dont la diffusion est faible, accroissent leurs ventes en 2020. Elle Belgique augmente sa diffusion payante de 4% et Marie-Claire Belgique de 10% De bons scores sur des très petits volumes.

Dans cette presse là aussi, la monétisation digitale semble ne pas exister, hormis chez Top Santé et, de manière beaucoup plus modeste, au Moniteur de l'automobile. De manière générale, dans ce créneau également, covid et confinement n'ont pas incité davantage de clients à se ruer sur les magazines, ni à les consommer sous forme payante en ligne. Et rien de spécial n' été fait pour les pousser à acheter un exemplaire, papier ou numérique.

Le bateau de la presse périodique continue donc de couler doucement, tout en conservant l'idée qu'il faut faire confiance à une commercialisation "papier". Et sans que des ventes numériques viennent colmater les brèches existantes. Comme nous avons eu récemment l'occasion de le dire dans un article du magazine Pub, hormis dans de rares cas, on attend donc toujours qu'une large part de la presse magazine s'empare de l'audace qui lui permettrait de se réinventer.

Frédéric ANTOINE.

(1). Voir sur ce blog l'article consacré à la presse quotidienne en 2020.
(2). Soulignons qu'il s'agit bien ici de la diffusion totale payante, et non de la diffusion totale. Certaines titres ont en effet une diffusion gratuite impressionnante, qui viendrait gonfler les chiffres de diffusion totale, mais qui ne rapportent directement rien.
 



19 avril 2021

VOORUIT, OU COMMENT CHANGER DE POLITIQUE EN REVENANT 120 ANS EN ARRIERE


Si demain le PS changeait de nom pour se dénommer le Parti "Du Peuple", devrait-il indemniser les propriétaires du bistro-bar éponyme situé au 39 Parvis Saint-Gilles ? Lorsque l'on raconte la rocambolesque histoire du changement de nom du sp.a, qui rappelle que, en fait, Vooruit et le socialisme, cela n'a jamais fait qu'un?

"Le parti socialiste flamand, qui a troqué fin mars son acronyme sp.a pour "Vooruit", a financé le changement de nom du célèbre centre culturel gantois “Vooruit", qui s'était finalement résigné à se mettre en quête d'une nouvelle appellation, écrit samedi le quotidien De Standaard. Selon le journal Het Laatste Nieuws, le parti aurait déboursé près de 100.000 euros dans cet accord transactionnel." (1) L'info, qui a surtout circulé dans la presse flamande, laisse supposer que le sp.a a simplement racheté une marque comme les autres, parce qu'il la trouvait sympa, et avait donc indemnisé ses propriétaires actuels pour son usage exclusif. Un peu comme s'il avait choisi de s'appeler désormais "Duvel", "Sprite" ou "Ambiorix", en en acquérant le nom.

Retour aux sources

Normal donc de dédommager les propriétaires d'un centre culturel qui sont invités à changer de nom. Sauf que, en choisissant de se dénommer Vooruit, le sp.a ne rachète pas une simple marque, mais son histoire. En récupérerant cette locution adverbiale qui veut dire "En avant!", le parti opère un total retour aux sources. Vooruit était en effet le raccourci de Samenwerkende Maatschappij Vooruit Nr.1; coopérative socialiste créée à Gand en 1881. Cette ville industrielle était alors un des grands centres du socialisme flamand. Créé au sein de cette coopérative en août 1884, le journal éponyme Vooruit fut aussi le premier journal socialiste de toute Flandre. Un quotidien fondé par le socialiste gantois Edouard Anseele,  fils de cordonnier, "typographe puis journaliste, traducteur et romancier", mais aussi "fondateur du Vlaamse socialistische arbeiderspartij, premier secrétaire du Parti socialiste belge, fondateur, gérant puis président de la société coopérative Vooruit, cofondateur du Parti ouvrier belge". Anseele finira ministre d’Etat (2). 

De nombreux bâtiments gantois ont longtemps affiché sur leur façade les fameuses lettres ouges la marque Vooruit. Elles rappelaient partout dans la ville le poids qu'y avait l mouvement ouvrier. En 1910, lors de sa création par la coopérative, le bâtiment qui héberge le centre culturel dont on reparle aujourd'hui avait était conçu comme le feestlokaal de Vooruit (ainsi que cela était mentionné sur sa devanture) (3). Ce bâtiment sera inauguré en août 1914, reprenant pour le monde ouvrier le rôle tenu précédemment par une partie de la maison du Peuple (Onshuis) de Gand, que la coopérative avait construite sur le Vrijdagmakt, mais qui avait été incendiée et reconstruite pour d'autre finalités.

Une marque indélébile

On éprouve aujourd'hui de difficultés à mesurer l'importance que la marque Vooruit occupait dans l'espace gantois, ville à la fois industrieuse et cénacle privilégié de la bourgeoisie francophone de Flandre. On a aussi oublié que le quotidien Vooruit a subsisté jusqu'en 1978, assurant pendant des décennies avec le Volksgazet le rôle d'organes de presse du BSP, l'aile flamande du parti unitaire PSB-BSP. Un parti qui éclatera en deux partis différents aussi en 1978, alors que le quotidien gantois fusionnait avec Volksgazet pour créer De Morgen, première version. Le titre gantois subsistera jusqu'en 1991 en tant qu'édition régionale de De Morgen, ce titre étant racheté pour 1 franc symbolique par le libéral Persgroep en 1989.

Bien sûr, on vous parle ici d'un temps que les moins de 45 ans ne peuvent pas connaître. Vooruit en ce temps-là accrochait encore les Gantois. Alors, pourquoi racheter aujourd'hui une marque qui est ontologiquement liée à la naissance du socialisme en Flandre et à son rayonnement dans la cité des Floralies, mais qui n'a sans doute plus beaucoup de signification pour les jeunes générations, ni en dehors des campagnes gantoises? Pour retourner à l'époque dorée du socialisme rayonnant, ou pour donner à la formule un nouveau souffle, du passé faisant table rase? Et pourquoi devoir racheter en exclusivité un nom de marque que le socialisme flamand avait reçu sa naissance? Les subtilités des stratégies politiques flamandes échappent sans doute aux francophones. Tout comme le sens de l'affirmation du président Conner Rousseau, pour lequel le changement de nom doit marquer une rupture avec la “vieille politique”. Une rupture?

Frédéric ANTOINE.

(1)https://www.7sur7.be/belgique/le-parti-socialiste-flamand-a-dedommage-le-vooruit-pour-adopter-son-nom~ad1f745d/
(2) https://maitron.fr/spip.php?article150555 
(3) https://www.vooruit.be/nl/pQ0j4CM/geschiedenis

12 avril 2021

LES JT NE TUTOIENT PLUS LE CIEL. L'AUDIENCE DE MARS 2021 N'EST PLUS CELLE DE L'AN DERNIER!

Il y a un an, au début du confinement, les audiences des JT de La Une et de RTL TVI atteignaient des scores jamais historiques. La pandémie n'étant pas finie, les belles années des JT se sont-elles poursuivies en 2021? Que nenni. Les records historiques sont loin. On en est presque retombé aux chiffres d'avant la crise.
Rappelez-vous mars 2020. A partir de l'annonce du confinement, les audiences des JT avaient fait des bonds incroyables. Elles atteignaient parfois plus d'un million de personnes en Live+7, RTL TVI dépassant souvent les 900.000 de spectateurs, et La Une les 800.000. Un an plus tard, on en est loin! On compte sur les doigts de la main les jours où plus de 700.000 personnes sont au rendez-vous d'un des deux JT des chaînes généralistes de Belgique francophone. Et leurs audiences tournent plutôt autour des 600.000. L'an dernier, RTL TVI avait fréquemment pris un clair leadership sur La Une. Cette fois, même si RTL est toujours en tête, ce n'est que très légèrement. Les audiences des deux chaînes sont désormais fort proches l'une de l'autre. 
Sur l'ensemble du mois, ce n'est qu'au cours des premiers jours de mars que les journaux télévisés des deux chaînes ont réalisé en 20201 de meilleurs chiffres qu'en 2020. C'est-à-dire lorsque le premier confinement n'avait pas encore été décidé. A partir de l'annonce qui avait sidéré tout le monde, la mécanique s'est inversée. 2021 est à la traîne.
 
Soufflé retombé
 
Fini le temps de la sidération et de la soif d'info. Le soufflé est retombé avec la lancinance de la crise. En 20201, les infos de la télé semblent avoir tout dit, et n'apprennent plus rien, ou pas ce sur quoi l'on aimerait être informé.s Et-ce à dire que le soufflé est totalement retombé et que les spectateurs surnuméraires qui avaient rejoint l'audience classique des JT s'en sont allés? Oui et non. Un petit regard chaîne par chaîne éclaire cette réponse chèvrechoutiste. 
Pour RTL, le dégonflement du soufflé est manifeste. En mars 2021, l'audience du JT de 19h est à son niveau d'étiage de… 2019. La quantité de téléspectateurs est globalement inchangée. Adieu les rutilants gains d'audience de 2020. Alors que la crise n'a pas cessé, l'auditoire est revenu à sa taille normale. Tout ce qui avait été gagné l'an dernier a disparu. Mais ce n'est pas le cas pour tout le monde.
Du côté de la RTBF, l'indéboulonnable François de Brigode et ses collègues ne côtoient bien sûr plus les sommets de l'an dernier. Mais, en ce mois de mars, l'audience de leur 19h30 est clairement supérieure à celle de 2019. Une partie de ceux qui avaient rallié le JT de la chaîne en 2020 y est sans doute restée fidèle en 2021. Toutefois, le JT de La Une, même s'il a gagné de l'audience par rapport à une année "normale", reste à la traîne par rapport à celui de la chaîne privée. Et cette prééminence de l'opérateur privé subsiste dans le temps.
Depuis septembre dernier, rares ont été les soirs où le journal de La Une a attiré davantage de monde que celui de la station (encore pour l'instant) luxembourgeoise. Toutefois, cette domination n'a pas la même ampleur tout au long de la période. Souvent, cela se joue aussi à quelques dizaines de milliers de téléspectateurs, et donc fréquemment à l'intérieur de la marge d'erreur des résultats liés à la taille de l'échantillon du sondage. En "réalité", on ne peut donc pas toujours vraiment se prononcer. Mais, RTL TVI compte souvent au-delà de 100.000 spectateurs de plus que sa concurrente, et ce surcroît d'audience peut même dépasser les 200.000. A ces moments, on a envie de dire: mais que fait la RTBF?

De marbre

Il ne faut toutefois pas jeter toutes les audiences de JT avec l'eau des confinements successifs. Certes, les audiences de cette année sont en baisse, et n'atteignent plus les scores de 2020. Mais elles restent malgré tout d'un bon niveau. En tenant compte de l'audience mensuelle moyenne des deux JT belges francophones, les derniers chiffres s'avèrent ainsi plus élevés que ceux de septembre 2020. Et ils sont équivalents aux données d'audience moyenne relevées depuis décembre dernier. Par contre, ils sont inférieurs aux audiences moyennes d'octobre et de novembre 2020, où le deuxième confinement avait ramené le public devant l'info tv. Alors que le troisième confinement l'a un peu laissé de marbre.

Ce qui confirme l'impression de disparition des gains d'audience, évoquée ci-dessus pour le seul mois de mars. Un peu comme si, covid ou pas, on en était désormais à "business as usual". Alors que l'on continue chaque jour à voir des gens mourir de la maladie, et que les hôpitaux sont au bord de l'overdose. Cela, les JT le disent dans chacune de leurs éditions. Mais cela ne rameute pas l'audience devant les écrans.  Faudra-t-il attendre "la libération", style septembre 1944, pour que le public se rue à nouveau sur son téléviseur à l'heure des infos?

Frédéric ANTOINE.

31 mars 2021

CÔTÉ DIFFUSION, LA PRESSE QUOTIDIENNE SORT ENFIN LA TÊTE HORS DE L'EAU

Bonne nouvelle pour les quotidiens francophones belges: quatre d'entre eux ont affiché des ventes en hausse en 2020. Grâce au numérique. Le Soir devient même le premier journal du sud du pays. Le covid a sûrement infecté positivement ces résultats. Mais, dans le paysage de la presse quotidienne, tout n'est pas rose pour autant.

Le CIM vient de divulguer les seuls chiffres que les éditeurs de presse tolèrent encore de rendre publics côté diffusion. Ces données "déclarées" par les entreprises de presse ne sont pas encore authentifiés par le CIM. Mais l'expérience montre que la différence entre les deux est en général minime.

Coté diffusion totale payante (DTP, qui regroupe les ventes "papier" et "numérique"), deux titres affichent clairement en 2020 une santé meilleure qu'en 2019: Le Soir, qui augmente ses ventes de 12.500, et La Libre de 5.000. L'Écho est aussi en légère hausse. Ces trois titres représentent le créneau "presse de qualité" du paysage du sud du pays. Les données actuelles donnent aussi La DH une très légère hausse, mais il faudrait plutôt parler de statuo quo. Il y a par contre deux titres qui continuent à baisser: Sud Presse (moins 4.500) et, surtout L'avenir (perte supérieur à 6.000). Au total, la diffusion payante des tous nos quotidiens se montre dès lors en hausse 7.500 ventes de par rapport à 2019.


 
Revanche vespérale

Autre nouvelle de poids: la hiérarchie entre les journaux est chamboulée. Longtemps, le quotidien ayant la diffusion payante la plus importante fut le groupe Sud Presse, suivi par L'avenir. Ces dernières années, cet ordre avait été inversé: L'avenir était passé devant son concurrent namurois. Cette fois, Le Soir surpasse tout le monde, et le sprint ne concerne pas la conquête de la première place, mais la deuxième, où L'avenir l'emporte là d'une courte tête sur Sud Presse. C'est une vraie révolution: le journal le plus vendu en Belgique francophone n'est désormais plus un titre populaire ou régional mais… un quality paper. Chose qu'on ne retrouve pas sur beaucoup de marchés dans le monde, où le titre le plus vendu est souvent un régional. Ou, comme en Flandre, un popular newspaper ayant aussi une forte assise régionale. Quelle fierté d'être Belge francophone, Fédération où c'est la qualité qui est maintenant en tête!

Là ne réside pas la seule originalité de ces chiffres 2020. Si l'on ne prend plus seulement en compte les ventes, mais l'ensemble de la diffusion (donc, aussi les exemplaires papier distribués gratuitement) on assiste à un autre petit chamboulement. Depuis des années, la Belgique francophone avait comme particularité (parmi d'autres) d'être un de ces pays où un titre de presse gratuite possédait une diffusion plus importante que n'importe quel titre payant. Eh bien, cela aussi appartient au passé. Désormais, là aussi, c'est Le Soir qui occupe la première place sur le podium. Metro n'est plus que numéro deux.



Bien sûr, ce classement concerne tous les types de diffusions papier et la seule diffusion numérique qui soit comptabilisable, c'est-à-dire celle qui est payante. Metro étant gratuit, il ne peut compléter son score "papier" par un résultat en ligne.

Rebond

Le caractère original de la presse en 2020, année "originale" aussi pour bien d'autres raisons, se perçoit mieux quand on l'inscrit dans la durée. Depuis dix ans, les diffusions payantes des titres ne cessaient de chuter, ce qui avait notamment poussé les éditeurs à devenir de plus en plus discrets à leur égard, et à chercher à mettre en avant les données d'audience, toujours croissantes, plutôt que celles de leur diffusion, toujours en baisse.


Pour plusieurs titres, le fond de la piscine a été atteint vers 2018-2019. Comme nous l'écrivions il y a un peu moins d'un an dans un des articles de ce blog, un léger frémissement semblait se manifester en 2019. Ainsi que le montre le graphique, l'inversement de tendance des courbes est clair en 2020 pour deux titres (Le Soir et La Libre), et La DH semble avoir stoppé sa descente. Par contre, après une période de stabilisation, les ventes de Sud Presse ont recommencé à chuter. L'Avenir, enfin, est depuis plus de dix ans sur une pente douce de perte de ventes, mais la celle-ci s'est infléchie vers le bas l'an dernier. La presse régionale et populaire reste donc en perte de vitesse. En partie parce qu'elle éprouve plus de difficultés à se monétiser en ligne.

La chasse est ouverte

Depuis le milieu des années 2010, les quotidiens belges ont ouvert la chasse à l'abonné numérique payant. Après des débuts balbutiants, liés à l'absence de techniques marketing efficaces pour capturer l'abonné, les résultats ont réellement été au rendez-vous en 2019, le tableau de chasse connaissant un bond impressionnant en 2020.

 
 
 Si Le Soir rafle la première place de tous les classements, son pourcentage d'abonnés numériques payants y est pour quelque chose. 56% des ventes du Soir se déroulent désormais de cette façon, soit une hausse de 20% par rapport à 2019. Le qutidien vespéral réalise ainsi un score hors-normes, par exemple par rapport à la presse flamande. Son concurrent quality paper La Libre est à peine moins loin, avec 42% de ses ventes en numérique (+12% depuis 2019). Chose étonnante pour un titre de presse populaire et sportive, qui se vend plutôt au numéro, les résultats de La DH sont, eux aussi, en croissance depuis 2019. Sud Presse, qui avait augmenté sa part numérique de vente en 2019, ne connaît qu'une très faible hausse en 2020. L'avenir, par contre, se trouve dans une configuration dramatique: alors que sa part numérique payante avait crû doucettement d'année en année, elle était déjà sur un plateau en 2018-2019. Et, en 2020, elle a régressé. Au moment où l'on ne cesse de claironner que le futur est au tout numérique, L'avenir paraît rester un vieux dinosaure de l'ère du papier, incapable de décoller vers l'avenir.
 
Virus positif?

Le premier confinement a assurément modifié les habitudes des usagers de la presse, et a amené certains d'entre eux à quitter le papier pour le numérique. 2020 ne semble toutefois pas être une année plus marquée que les précédentes par une réduction des recettes "papier". Les journaux vendent moins d'exemplaires papier depuis des années, et les pentes des courbes de tous les titres évoluent de manière constante. Y compris en 2020.



 
Sauf pour Le Soir, dont les ventes papier ont souvent connu des évolutions plus erratiques, et chutent cette fois de 28% entre 2019 et 2020. Soit près d'un tiers de la diffusion payante print du titre. En comparaison, Sud Presse et La DH ne perdent en print qu'entre 15 et 12%, et La Libre et L'Avenir aux alentours des 5%. Une partie des hausses de diffusion numérique payante est évidemment liée à la baisse de la vente papier. Mais les titres qui gagnent en diffusion payante totale en 2020 dépassent la simple compensation. C'est très clairement le cas pour Le Soir et La Libre, qui (re)trouvent de nombreux nouveaux acquéreurs. Sud Presse, et encore plus L'Avenir non seulement perdent des acheteurs papier rapport à 2019, mais aboutissent aussi au total à une perte de leurs clientèles. Dans le premier cas, assez classiquement, le quotidien populaire ne compense pas son déficit print par un gain en abonnés numériques. Dans le second cas, le régional namurois diminue aussi son nombre d'abonnés numériques. Il est donc perdant sur toute la ligne.

Forçage de chicons?

Que restera-t-il de ce relativement bon crû 2020 à la fin de cette année? On ne peut qu'être admiratif devant le gain d'abonnés numériques du Soir (+17621), de La Libre (+6543) ou de de La DH (+3865). Il faut toutefois préciser que tous ces abonnements ne sont pas de même nature. Comme le précisent cette année les data fournies par le CIM, la part la plus importante des abonnements numériques est de type "replica", ("paid digital replica"), mais il y aussi un autre type, le simple  abonnement numérique au site ("paid Web only access"). 
On peut aussi s'interroger sur la durée des abonnements enregistrés. Sont-ils annuels, ou comprennent-ils tous les abonnements de courte durée proposés à titre promotionnel, voire gratuitement? Dans ces cas, impossible de savoir quel sera leur pérennité, tant on sait l'utilisateur numérique versatile, et pas nécessairement enclin à passer à l'abonnement de longue durée ni à accepter le système de prélèvement automatique par lequel les entreprises de presse essaient de les cadenasser.
On est aussi étonné de ne trouver aucune comptabilisation identifiable des abonnements web au Soir "offerts" par Proximus à ses clients. Partant du fait que c'est l'opérateur de télécommunications qui les offre, et non l'entreprise de presse, ils ont dû lui être achetés. Or, la colonne "paid Web only access" du Soir ne comptabilise que 174 abonnements… A moins qu'ils ne soient en définitive offerts par Rossel, et donc ne figurent pas dans ces data qui, pour le digital, ne communiquent que les données "paid".

Ces chiffres peuvent en tout cas apporter de l'espoir aux deux entreprises de presse de Belgique francophone. La plupart de leurs médias ne boivent plus la tasse. Ou presque. Mais, pour autant, il ne faut pas se réjouir trop vite: la fin du papier n'est pas pour demain. Même si, pour la plupart des titres, les ventes en kiosque ont chuté en 2020 (le virus étant passé par là), le papier représente encore une belle part des ventes des journaux. L'Avenir vend encore plus de 63.000 exemplaires papier chaque jour, et Sud Presse 55.000. Le Soir est à près de 33.000, et La DH et La Libre à 25.000 exemplaires. L'extinction des rotatives n'est donc pas, normalement, à l'ordre du jour. Car ces acheteurs-là sont coriaces. En 2020, ils avaient toutes les raisons de basculer vers le numérique. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils sont vraiment bien attachés à leur "objet" papier. Et une aussi belle occasion de les pousser de force dans le digital ne reviendra (espérons-le) de si tôt…
On voit donc mal IPM ou Rossel mettre à mort des titres dont une partie substantielle des ventes porte toujours sur des objets physiques. Leurs lecteurs ont de fortes chances de décéder en même temps que les rotatives. Même si le numérique lui permet de sortir la tête de l'eau, la presse va donc devoir continuer encore un certain temps à être entre deux chaises…

Frédéric ANTOINE.

26 mars 2021

TÉLÉPRO 100% CHEZ ROULARTA. UN CHANGEMENT BIEN PLUS QU'ANECDOTIQUE

Roularta a racheté les 50% du magazine Télépro, que conservait jusqu'à présent jalousement le très catholique groupe parisien Bayard. Fin d'une époque. Et du "principautarisme" du magazine?

Il y a un an, en mars 2020, le groupe flamand Roularta rachetait les 50% que le groupe Bayard détenait dans Senior Publications, l'éditeur en Belgique de Plus Magazine, mensuel pour 55+ successeur de Notre Temps/Onze Tijd, la version belge du titre créé en France par le groupe Bayard. On se demandait alors pourquoi Télépro, autre copropriété de la religieuse maison parisienne et du groupe roulersois, n'avait pas suivi le même chemin, et n'était pas, lui aussi tombé à 100% dans l'escarcelle du groupe flamand. Roularta truste en effet actuellement tout (ou presque) ce qui est possible de racheter dans le monde de la presse magazine en Belgique, tout en s'étendant dans le même créneau à l'étranger.

LES MÂNES DES FONDATEURS

La réponse qui pouvait venir à l'esprit était que, peut-être, le puissant groupe catholique français, propriété de la la congrégation religieuse des Assomptionnistes, souhaitait garder un œil sur la gestion de Télépro, ce magazine étant présent sur un marché potentiellement idéologiquement sensible du côté valeurs chrétiennes : celui de la presse de programmes télé. On sait à ce propos qu'un certain "radicalisme" est en train de s'opérer dans le monde catholique français, qui préfère se replier sur lui-même et défendre des "valeurs éternelles" plutôt que de s'adapter à la société dans laquelle il vit. La presse catholique française, et en particulier celle du groupe Bayard, va dans le même sens.

Par ailleurs, la présence d'un pôle à connotation chrétienne dans l'actionnariat du titre ne pouvait que rassurer les mânes des fondateurs du magazine, tous issus de la mouvance chrétienne verviétoise. A commencer par celle du célèbre abbé Armand Pirard (1), aumônier des mouvements de jeunesse catholiques de l'endroit dans les années 1950, et qui fut à l'origine de la création de Télépro.

La nouvelle situation laisse supposer que le souhait de Bayard de se replier sur l'Hexagone a été plus fort que son désir de laisser l'Église avoir un pied dans la gouvernance du magazine belge. Le fait que, au même moment, Roularta rachète aussi à Bayard les versions de Plus Magazine aux Pays-Bas et en Allemagne confirme la volonté stratégique du groupe dit "de la rue Bayard" (2) de se défaire d'avoirs internationaux non liés à son core-business.

 

LE PÔLE CATHO

 Depuis sa fondation en 1954 par des milieux catholiques, Télépro est propriété de la société Belgomedia, située à Dison, près de Verviers (3). L'identité chrétienne du titre sera surtout manifeste au cours de ses premières années de vie. C'est lui, par exemple, qui appliquera une "cote catholique" aux programmes de télévision, afin d'en conseiller ou d'en éviter la consommation par les familles "bien pensantes" où l'on redoute ce qui "est contraire" aux principes et à la morale de la Religion.

Ce n'est donc pas un hasard si, en 1994, un des deux repreneurs de Belgomedia avec Roularta sera Bayard Presse Paris, classique pilier du catholicisme hexagonal, agissant ici via la société Bayard Presse Benelux. Confirmant le rôle qu'elle entend avoir dans la diffusion dans le pays de "bons" médias, Bayard charge aussi Belgomedia de gérer la commercialisation en Belgique de tous les titres "jeunesse" du groupe (les fameux Pomme d'Api, Astrapi, J'aime lire, etc.), publications qui constituent les poules aux œufs d'or financières du groupe français. Belgomedia est actuellement dirigée par un Malmédien, qui en est aussi l'éditeur responsable. Très actif dans diverses associations de la région, le patron de Télépro est aussi membre du lobby d'éditeurs Wemedia, qu'il représente notamment au CDJ, le Conseil de déontologie journalistique.

Le contrôle "chrétien" du magazine au sein du conseil d'administration de Belgomedia est assuré par deux représentants de Bayard, dont le directeur général de Bayard Presse à Paris, par ailleurs président du Syndicat français des éditeurs de la presse magazine. Bayard Presse Benelux, qui incarne la part française de Belgomedia, est une société implantée à Zaventem. Son conseil d'administration est composé de cinq Français. Dans les deux conseils siège une même personne de nationalité belge et habitant Campenhout: la directrice, depuis 2019, du pôle Senior de Bayard Benelux… que Roularta a absorbé il y a un an.

CAMP RETRANCHÉ

Cette reprise totale de Télépro par Roularta ne sera pas sans conséquence. Le groupe de Roulers a coutume de chercher à rentabiliser ses acquisitions au maximum. Même s'il se porte mieux que d'autres titres, et a moins perdu en diffusion papier, Télépro  se trouve dans une situation identique à celle de bien des magazines. Afin de le rentabiliser, le nouvel acquéreur doit à la fois envisager des économies d'échelle, et orienter le magazine vers de nouveaux marchés. Ces économies seront-elles possibles sans un abandon de la"principautalité" du titre? Aucun magazine belge francophone ne possède sa rédaction et son administration loin de Bruxelles. Sauf Télépro, qui a toujours conservé cette particularité typiquement liégeoise de se considérer comme un Etat à part, presque indépendant du reste de la Belgique. Et en tout cas autonome. Mais l'Histoire peut-elle résister à l'économie? Lorsque Roularta a repris le pôle "magazines féminins" de Sanoma, il a eût tôt fait de rapatrier tous les services de ces titres de Malines dans ses propres locaux. Télépro passera sans doute sous les mêmes fourches. Ce qui pourrait ne pas avoir que des conséquences humaines, déjà en elles-mêmes problématiques (à l'heure actuelle, la société déclare occuper 38,6 ETP). Dans son camp retranché de Dison, Télépro est un peu à l'écart du monde. Son autonomie lui évite d'être soumis aux mêmes agitations que les médias bruxellois. Le magazine peut ainsi se permettre de traiter divers sujets avec distance. Serait-ce encore le cas s'il devient une des sections du grand plateau "magazine" des bureaux de Roularta? 

FACE À CINÉ TÉLÉREVUE

La même question concernant l'avenir du magazine peut se poser à propos du ciblage du titre, et des conséquences de celui-ci sur son projet et sa politique rédactionnelle. Pouvant se targuer de compter un pourcentage d'abonnés hors normes (76% selon les derniers chiffres 2020), le succès de Télépro repose sur la fidélité d'un lectorat d'habitués. Mais donc, et comme une partie de la presse magazine, composé de personnes plutôt âgées. 53% du lectorat de Télépro a plus de 55 ans (4). On parle parfois du "facteur héritage" pour expliquer le positionnement d'un média. Dans l'imaginaire d'une partie de son public, le Télépro d'aujourd'hui est bien l'héritier de celui d'hier. Et on continue à s'y abonner par tradition. Avec 23% de lecteurs de moins de 35 ans, le titre n'est pas tourné vers l'avenir. Et rien ne dit que les coutumes d'abonnement d'hier seront encore de mise dans un monde de médias totalement numérisés. 

Face à Télépro, Rossel possède désormais Ciné Télé Revue. Le groupe bruxellois s'efforce à l'heure actuelle de redynamiser le titre dont la diffusion payante s'est effondrée depuis dix ans. Il y a de fortes chances de Roularta veuille soumettre "son" titre tv au même régime. Ce qui ne plaira sans doute pas à une rédaction, fonctionnant semble-t-il selon d'autres principes. La fidélite du lectorat de Télépro ne l'oblige pas à bâtir un projet rédactionnel sur l'accroche à tout prix. Ce n'est pas sa Une qui doit le faire vendre, puisqu'il n'interpelle que peu son lecteur au numéro, alors que Ciné Télé Revue est dans une position totalement inverse. Mais l'avenir ne passera-t-il pas tout de même par un peu plus de peopleisation de Télépro, pour faire comme la concurrence? Ou, au contraire, Roularta misera-t-il sur le développement d'un média différent, c'est-à-dire relativement plus haut de gamme que le concurrent, plus sérieux, voire plus analytique? 

En tout cas, le bateau verviétois n'échappera peut-être pas à une petite tempête. D'autant que Roularta ne se souciera sans doute pas beaucoup de l'histoire du magazine, et de son respect tacite de la philosophie du projet de ses fondateurs.

Frédéric ANTOINE.

 (1) Décédé en 2017, l'abbé Pirard a longtemps été chroniqueur religieux à la RTBF, où il commenta tous les voyages du pape Jean-Paul II, dont il était un grand admirateur. Outre Telepro, Armand Pirard fut aussi le fondateur du CTV, le Centre de documentation sur la télévision, qui a été le créateur d'une démarche d'analyse critique de la télévision en Belgique, essentiellement au sein du monde catholique. La première vidéothèque de Belgique à visée pédagogique a été créée par l'abbé Pirard au sein du CTV.
(2) Car il est maintenant installé à Montrouge, juste de l'autre côté du périphérique parisien.
(3) En 2014, Télépro quittera ses vétustes bureaux verviétois pour Dison, où il s'installe dans de superbes nouveaux locaux.
(4). Enquête CIM 2020.

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