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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

17 décembre 2020

Le covid de Macron : les Belges aussi étaient sur la balle


10h33, ce jeudi 17 décembre. Relayant un communiqué de l'Elysée, l'AFP annonce qu'Emmanuel Macron a été testé positif au coronavirus. En quelques secondes, les alertes infos s'embrasent…

Il n'aura pas fallu dix minutes pour que la nouvelle se répande à toute vitesse via les alertes infos des applis pour smartphones. Impossible évidemment de faire le tour du monde des applis pour attribuer des prix planétaires à tous les gagnants de cette course de vitesse mais, sur base d'un suivi de médias belges et français ainsi que via l'appli Breaking news qui relaie les alertes des grands médias du monde, on saluera la rapidité de Sud-Info et de 7sur7.be, qui me mettront pas deux minutes à annoncer la nouvelle (et, pour le site de Sud-Presse, pour une fois, sans y accoler un "!"). Soit, sur base de notre petit échantillon (et en faisant confiance à l'horodatage de notre smartphone), pas mieux que Bloomberg, mais aussi bien que BFM Tv, qui se paiera le luxe de lancer deux alertes au cours de la même minute, en passant dans sont tite de "testé" à "diagnostiqué".

On saluera aussi la rapidité de La Libre et de la RTBF, qui coiffent d'une poignée de secondes Le Figaro lui-même, et des spécialistes de l'info continue comme France 24 ou France Info. Sur la contamination du président Macron, y a pas à dire, les Belges aussi sont sur la balle!

Hormis les deux journaux journaux de qualité déjà cités, force est de constater que les autres titres de qualité sont en général, et comme d'habitude, un peu moins rapides à réagir. Le Soir n'enclenchera son alerte que sept minutes après l'info, tandis que Le Monde attendra… onze minutes et Libération… près d'une vingtaine (en ayant l'humour d'inscrire "à chaud" en avant titre d'une info qui, à l'heure de la diffusion de l'alerte, ne l'était plus vraiment) (1). Libé prend ainsi presque autant son temps que le New York Times. On relèvera par contre la relative rapidité de communication du Quotidien du Peuple (People's Daily) de Beijing, et du Times of India, un des plus importants quotidiens dans le monde. Du côté des grandes agences, hormis l'AFP, évidemment hors catégorie, Reuters mettra six minutes à réagir, bien avant l'Associated Press (AP).

Diagnostiquer n'est pas jouer

Côté info, la nouvelle contenue dans l'alerte est en général plus que laconique. Tout en tenant compte du fait que notre échantillon est évidemment partiel, on peut y remarquer que certains médias, essentiellement anglo-saxons, veillent à donner la source de l'info ("la Présidence") alors que les alertes françaises et belges ne se soucient en général pas de ce "détail", à part France-Info. Les variations thématiques sur le contenu portent le plus souvent sur la question de savoir si le président a été "testé" positif ou "diagnostiqué" positif. Selon Le Larousse, le premier verbe signifie "soumettre quelqu'un, un produit, un appareil, etc., à un test". Tandis que le second veut dire "faire le diagnostic d'une maladie, l'identifier d'après les symptômes". En l'occurrence, c'est un test qui a déterminé la contamination du président, même si celle-ci était déjà envisageable sur base des symptômes que manifestaient le malade…

Les sources qui s'étendent dès l'alerte-info sur la mesure d'auto-confinement prise par le président (ou qui lui a été recommandée ou imposée?) sont peu nombreuses, et seul Le Monde apporte une précision temporelle, indiquant que le diagnostic a eu lieu ce jeudi matin. Quant aux raisons qui ont incité à faire le test, rares sont les médias qui les mentionnent dès l'alerte-info. Seules quelques alertes anglo-saxonnes précisent que le président montrait des symptômes de la maladie.

Le, La, ou rien du tout

Enfin, ce petit exercice comparatif confirme que l'unanimité n'est toujours pas de mise sur la manière de nommer la maladie. "Covid-19" est la façon la plus fréquente, écrit parfois tout en majuscules (2), généralement avec seulement un C majuscule, mais jamais tout en minuscules, alors que "covid" est en fait devenu un nom commun… C'est le genre du substantif dans notre belle langue française qui reste un champ de luttes non abouties. Le masculin, pas du tout recommandé par l'Académie (3), l'emporte sur "la Covid". Comme quoi les habitudes journalistiques n'ont cure des recommandations des spécialistes de la langue. En anglais, ces discussions sur le sexe des mots n'ont évidemment pas lieu d'être. Ceux qui veulent y échapper en français ont d'ailleurs, en tout cas dans cette alerte-info, souvent trouvé "la" parade. Ils ne parlent pas de covid mais du coronavirus. Sans mesurer, sans doute, que les deux termes ne sont pas synonymes, et que l'un indique la catégorie générale dans lequel l'autre s'inscrit (4)…

Une vingtaine de minutes après l'annonce de la nouvelle, dans le petit monde des alertes sur smartphones, il était déjà temps de passer à autre chose. A 10h52, BFM TV ne se préoccupait plus de la santé du président, mais de celle de son Premier ministre, "cas contact". Ainsi tourne la roue de l'info. A une alerte doit forcément succéder une autre, puis encore un autre… indéfiniment…

(1) Sur internet, l'article de Libération date son info de 10h45, soit 12 minutes après l'annonce, mais moins que la vingtaine de minutes précédant la mise en ligne de l'alerte…

(2) Cette nuance n'a pas été reprise dans le tableau ci-dessus. 

(3) "On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie (…) Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien" (http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19)

(4) Selon Le Robert, le coronavirus est un "genre de virus à ARN responsable d'infections respiratoires et digestives chez plusieurs espèces de mammifères dont l'être humain"

01 décembre 2020

RTL BELGIQUE 100% AUX MAINS DU GROUPE RTL. CE N'EST PAS UNE BONNE NOUVELLE


Un communiqué de presse du RTL Group envoyé de Luxembourg/Cologne et daté de ce 1er décembre annonce que la société est sur le point de devenir l'unique propriétaire de RTL Belgium, en rachetant l'ensemble des parts des autres actionnaires belges. C'est non seulement un tournant dans l'histoire de RTL en Belgique mais cela ouvre désormais la possibilité d'une soumission totale de RTL Belgique à sa maison-mère, voire à son absorption par d'autres sociétés du groupe RTL, comme M6.

« RTL Group a annoncé aujourd'hui qu'il avait convenu en principe avec ses coactionnaires des activités de télévision et radio belges du Groupe d'acquérir leurs parts dans RTL Belgium contre un paiement en numéraire et en actions propres de RTL Group. Cela portera la participation de RTL Group dans RTL Belgium à 100%. Actuellement, RTL Group est déjà l'actionnaire majoritaire de RTL Belgium. »

Le premier paragraphe du communiqué de presse du RTL Group est on ne peut plus explicite. Il signe essentiellement, mais pas uniquement, la fin de la collaboration entre la filiale belge du groupe luxembourgo-allemand avec la presse écrite belge. RTL Group va en effet racheter toutes les parts d'Audiopresse dans RTL Belgique, c'est-à-dire les 36% du capital de l'entreprise que se partageaient les éditeurs Rossel, IPM et Mediahuis. Mais le géant des médias allemand libère aussi, au moins en partie les chaînes de radio de RTL Belgique de toute dépendance. Il n'est toutefois pas clair de savoir s'il met fin au montage qui, via la société Radio H, mettait aussi autour de la table le groupe Rossel et Lemaire Electronics, la société de Francis Lemaire, fondateur historique de Radio Contact avec Pierre Houtmans.

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Hier

On se souviendra que, à l'origine, la création d'Audiopresse avait été imposée par les autorités de la Communauté Française afin de permettre aux éditeurs de presse de Belgique francophone de récupérer, via les dividendes gérés par la société, les pertes théoriques engendrées en recettes publicitaires par l'autorisation accordée à RTL d'exploiter un réseau de télévision privée sur son territoire. A l'heure actuelle, ce mécanisme permet toujours à deux éditeurs francophones, mais aussi à un éditeur flamand, de bénéficier de cette manne. Dans les premiers temps, cet apport des groupes de presse à la télévision privée s'était aussi concrétisé dans les contenus. La couverture de l'info régionale de RTL avait ainsi été confiée à la presse, et plusieurs journalistes des quotidiens belges s'étaient alors transformés en hommes de télévision. Des émissions de RTL étaient aussi patronnées par la presse. Au fil du temps, tout cela a disparu, au profit d'un partenariat essentiellement en numéraire.

Côté radio, l'implication de Rossel et de Francis Lemaire dans le capital de Radio H était lié aux apports historiques de ces deux groupes dans la création des stations qui seront pilotées par RTL. L'ancêtre de Bel RTL n'est autre que Rossel FM (ou FM Le Soir), radio créée par le groupe de presse à l'époque où les éditeurs de journaux estimaient, à la suite de Radio Vers L'Avenir, ne pouvoir être absents de la libéralisation des ondes. C'est sur base du réseau FM de Rossel et des autorisations dont il disposait que s'est créée la petite sœur belge de RTL Paris. Pour Cherchant à compléter la palette par une radio populaire, RTL avait réussi la même association avec les fondateurs de radio Contact, première grande radio privée de divertissement lancée au tournant des années '80 par des proches du parti libéral dans le but avoué de concurrencer le service public.  

Structures de propriété simplifiée des médias RTL Belgique : Demain

(si RTL prend le contrôle de l'ensemble du secteur radio)


PAS UNE VRAIE SURPRISE

Des velléités de mettre fin à ces structures d'intérêts imbriqués étaient dans l'air depuis un certain temps. En radio, cela fait plus d'un an que, devant la baisse de rentrées générées parles radios de RTL Belgique, Francis Lemaire cherchait à vendre. (Reste à voir si le groupe RTL rachète simplement les parts de RTL Belgique dans radio H, ou aussi celles des autres actionnaires. L'information n'est pas tout à fait clair à ce point de vue). En télévision, certains éditeurs ne cachaient pas que les recettes qu'ils pouvaient retirer de leur participation à RTL Belgique n'étaient pas à la hauteur de leurs espoirs. 

A vrai dire, les montages financiers autour de RTL Belgique et d'Audiopresse sont complexes. Comme le montre le schéma présenté en ligne par le CSA belge (1), ils comprennent en effet à la fois des sociétés en Belgique et au Luxembourg, sociétés qui n'ont pas été intégrées dans les schémas simplifiés présentés ci-dessus. En miroir des sociétés belges, il existe ainsi au Luxembourg une société RTL Belux, une autre dénommée RTL Belux SA & Cie, ainsi qu'un Audiopresse Lux.  La société Audiopresse Belgique est, par exemple, à la fois actionnaire de RTL Belgium et de Audiopresse Lux (2). Au cours de ces dernières années, Audiopresse Belgique a souvent réalisé un bénéfice autour des six millions €, mais celui-ci était en baisse depuis 2016 et particulièrement faible (un peu plus de 34000€) l'an dernier. Une investigation approfondie de la cause de cette situation n'a pas pu être réalisée dans le cadre de la rédaction de ce présent texte.

Même sans tenir compte de cet événement 2019, on peut constater que l'apport financier que les trois groupes de presse principaux (qui possèdent environ 30% du capital de la société)  retirent de cette participation n'est pas très élevé : moins de deux millions €/an, alors que, par exemple, le groupe IPM affiche, en 2019, une chiffre d'affaires de plus de 118 millions €…

La solution retenue (vente en cash plus possibilité d'acquérir des actions du RTL Group) permettra aux entreprises de presse de disposer immédiatement d'une somme appréciable, de continuer si elles le désirent à retirer un dividende d'une éventuelle participation au RTL Group ou, si elles le préfèrent, de remettre elles-mêmes ces actions sur le marché.

LES MAINS LIBRES

L'opération paraît particulièrement stratégique pour RTL qui, bien qu'étant opérateur des sociétés belges actives tant en radio qu'en télévision, était toutefois quelque peu dépendant du bon vouloir de ses coactionnaires. Le rachat total des parts permet au groupe allemand d'avoir les mains totalement libres et donc de ne devoir rendre de compte à personne à propos de la gestion de ses télévisions (et sans doute de ses radios) et, surtout, de leur avenir. En radio, les stations du groupe n'affichent plus la forme d'hier et, en télévision, l'actionnaire jusqu'ici principal (et demain unique) de RTL Belgique n'ont jamais caché que, en raison de la petite taille et de la faible richesse du marché belge francophone, la rentabilité de la société leur posait problème. D'où les opérations de restructuration, les licenciements et le lancement du plan Evolve destinés à faire accroître la rentabilité de l'entreprise et le bénéfice que peut en retirer le groupe Bertelsmann. Dans ce contexte, l'hypothèse d'une modification en profondeur de RTL Belgique via son rattachement au groupe français M6 a déjà été évoquée. Lors du plan Evolve, certains responsables au sein de RTL Belgique n'avaient pas caché que celui-ci constituait à leurs yeux la seule solution pour éviter la cession de l'entreprise à sa grande sœur française. 

M6 BELGIQUE

En Suisse romande, il n'existe pas de RTL Suisse, mais bien un M6 Suisse, qui relaie les programmes de M6 France en y intégrant des écrans publicitaires locaux. L'histoire et la ténacité des créateurs de RTL Belgique avaient à l'époque permis que l'opérateur européen s'installe dans la patrie de celui qui était alors son principal actionnaire (Albert Frère) sans dépendre d'un acteur étranger. L'internationalisation des marchés et la voraclté financière du méga-groupe Bertelsmann pourraient modifier cette donne. Outre sa présence en Suisse, qui remonte au début des années 2000, il y a quatre ans, le groupe M6 rachetait les radios de RTL France, créant ainsi sur l'hexagone un groupe radio+tv intégré. Il pourrait fort bien récupérer RTL Belgique, soit pour l'absorber dans une configuration complète de type M6 Suisse, ce qui serait dramatique pour le personnel, soit pour réaliser une version belge de M6 comprenant, outre les écrans publicitaires, l'un ou l'autre programme spécifique pour le sud de la Belgique, comme les JT et certains magazines. En effet, il semblerait difficile de ne pas tenir compte des succès d'audience de RTL Belgique (Jt, magazines d'informations, télé-réalités 'made in Belgium'). Déjà, de nombreux programmes à succès de M6 sont achetés par RTL Belgique pour être diffusés sur ses chaînes. Et le RTLplay belge n'est qu'un couper-coller du M6Play français. Il suffirait de prolonger ces premiers pas.

 Si l'hypothèse d'un rachat ou d'une absorption devenait réalité, les coûts de production des chaînes belges du groupe RTL seraient évidemment fortement revus à la baisse, les productions propres fondant très largement, et les droits de diffusion des produits de stock, comme les fictions, seraient par ailleurs simplement négociés à une échelle légèrement plus élevée qu'ils ne le sont aujourd'hui par M6 pour la France. Mais, bien évidemment, la solution minimaliste consistant en une complète quasi-disparition des chaînes belges de RTL au profit de la simple diffusion sur le territoire belge des stations du groupe M6 parsemés d'écrans publicitaires spécifiques serait, pour le groupe, une véritable poule aux œufs d'or. Reste à voir si le spectateur, lui, y retrouverait son compte et maintiendrait avec autant de fougue sa fidélité à cet opérateur que les autorités publiques estiment être un garant de la "pluralité" sur le marché belge…

RTL PARIS

Si l'opération télévision peut paraître tentante, voire inévitable, il ne faut pas perdre de vue qu'il pourrait aussi, au moins en partie, en être de même pour les radios de RTL Belgique si le rachat de RTL Belgique entraîne la disparition complète de la société Radio H. Les radios de RTL Belgique pourraient alors, elles aussi, au moins partiellement, se franciser. Et le pied est déjà mis à l'étrier. Plusieurs programmes porteurs de RTL France, à commencer par Les Grosses Têtes, sont purement et simplement relayés par Bel-RTL. Cet été, un pas supplémentaire a été franchi lors de la diffusion, en simultané sur les deux stations, d'un même jeu de mi journée, coanimé par un ressortissant français et une ressortissante belge. Il y a donc déjà de l'intégration dans l'air. Les contenus radiophoniques sont toutefois par essence plus locaux ou nationaux, et jouent sur la proximité directe avec leur audience. De simples relais des stations françaises du groupe M6 semblent donc, en l'état, moins probable. 

Enfin, tout ceci ne concernerait que les médias audiovisuels classiques, secteur où RTL Belgique excellait jusqu'à ces dernières années. La filiale belge du groupe luxembourgo-allemand n'a jamais aussi bien réussi dans les nouvelles technologies et les formes médiatiques plus digitales. Une reprise en main par le groupe-mère pourrait signifier la possibilité d'opérer des choix drastiques de ce côté.

MISE EN VENTE

Il y a enfin une autre piste possible : l'hypothèse de la mise en vente de RTL Belgique plutôt que sa cession interne à un des acteurs du groupe. Celle-ci serait tentante si l'entreprise était en bonne forme, porteuse de projets d'avenir, et se situait sur un marché à taux de rentabilité économique élevé. Tel ne semble pas être tout à fait le cas. Depuis plusieurs années, RTL Belgique s'essouffle, ne parvient plus à innover, et décline essentiellement de vieilles recettes, dont l'usure devient visible à terme. Le marché sur lequel l'entreprise évolue n'est pas très prometteur, et son audience, importante à l'échelon d'une partie de la Belgique, est faible à un niveau macro-économique. L'entreprise est fragile, et déjà en partie tétanisée par ses craintes sur son avenir. Elle pourrait être un oiseau pour le chat. Mais si c'est pour se défaire d'une RTL Belgique malade à bas prix, son principal actionnaire devait-il pour autant d'abord en racheter toutes les parts? 

Si tel était le cas, il y aurait lieu d'identifier d'éventuels repreneurs. Peu de chances que ceux-ci soient des multinationales ou de grands acteurs français. L'hypothèse Rossel a déjà été évoquée. Mais ce groupe, qui excelle dans la déclinaison de métiers qu'il maîtrise, peut-il d'un coup se mettre sur le dos le chameau que constituent trois chaînes tv et, peut-être, deux réseaux radio? Si là aussi la poule aux œufs d'or était au rendez-vous, la question pourrait être posée. Mais, en l'état actuel, la gallinacée semble un peu avare de sa production, et ses œufs sont loin d'être en or massif. Il y a donc lieu de se demander si le groupe de presse Rossel n'a pas d'autres moyens que celui-là pour accroître ses marchés et fortifier ses avoirs.

Frédéric ANTOINE.


 


(1) www.csa.be/groupe-media/groupe-rtl/

(2) rapport de gestion à l'AG des actionnaires d'Audiopresse Belgique.

03 novembre 2020

Le retour des pics d'audience des JT

 Le nouveau confinement a sur les audiences télé des JT un effet à peu près semblable à celui de mars dernier, mais en moins fort. Des sommets sont à nouveau atteints, tout en n'atteignant pas ceux de la première vague. Et l' émission service de la RTBF refait le plein.

Le 16 mars dernier, l'édition spéciale du JT de RTL-TVI réunissait plus de 968.000 téléspectateurs, et celui de La Une plus de 908.000. Le lendemain, l'édition spéciale de la RTBF en rassemblait près de 1.063.000, tandis que RTL plafonnait à 881.000. Par la suite, des chiffres d'audience dépassant les 900.000 seront encore atteints plusieurs fois aux alentours du 20 mars.

Cette fois aussi, les chiffres sont élevés, mais les 900.000 spectateurs ne sont au rendez-vous que de manière très exceptionnelle. Alors que, juste avant l'annonce du nouveau confinement, les JT de RTL-TVI avaient à deux reprises atteints des pics frisant les 900.000 (cf article précédent sur ce blog), ce chiffre ne sera franchement dépassé que le soir de la conférence de presse du Premier ministre, et par le JT de La Une, qui comptabilise à cette occasion près d'un million de téléspectateurs. Soit un peu moins que lors de l'événement de même ampleur vécu en direct à la mi-mars dernier. 
De manière générale, les audiences des JT du soir sont cette fois plus souvent proches des 700.000, avec quelques pointes aux alentours de 800.000. L'audience paraît donc toujours attentive et désireuse de nouvelles, mais sans doute sans l'état de sidération vécu il y a six mois. 

Fidèles au poste

Du côté de l'émission 'service' de La Une Questions en Prime, les bons scores du premier confinement sont de retour. Et l'émission retrouve les fortes audiences de deuxième partie de mars 2020. Début octobre, l'assistance à ce programme était aussi nombreuse qu'à la mi-juin. Les audiences réalisées par Questions en Prime en avril-mai sont équivalentes à celles de fin octobre. Au détail près que, lors du premier confinement, l'auditoire de Question en Prime était numériquement assez stable, entre 600.000 et 700.000 personnes chaque soir (sauf les jours de pics  ou de fortes chutes d'audience). Alors que, depuis la mi-octobre, le profil général de l'audience est cette fois plutôt en croissance (cf. tendance de la courbe polynomiale sur le graphique). Mais elle se situe toujours dans une fourchette allant de 600.000 à 700.000.

Le résultat de la présence d'un public sans doute assez fidèle, qui a pris l'habitude de suivre l'émission.
 
Vivre avec la covid réduit peut-être sur les êtres humains les effets de surprise ou de déboussolement. Mais cela n'empêche pas une partie des téléspectateurs de se poser des questions, et de chercher auprès d'experts la rassurance que ne leur offre pas leur propre expérience.

Frédéric ANTOINE.

29 octobre 2020

L'audience des JT redécolle. Et celle de RTL aussi, quand le Premier parle à 19h.


Couvre-feu, confinement partiel… L'info change au jour le jour, comme les décisions officielles. Et pour essayer de comprendre, les JT rassemblent à nouveau les foules. Longtemps La Une et RTL-TVI ont tenu la corde. Mais voilà que depuis deux jours, RTL s'envole. Grâce à une 'communication gouvernementale' d'Alexander De Croo sur les réseaux sociaux…

 

L'audience du JT de La Une se rapprochait, voire dépassait ces dernières semaines celle du JT de RTL-TVI. La constatation, déjà posée lors d'un article précédent sur ce blog fin septembre, se confirme en octobre. Les deux courbes d'audience sont proches, et leur positionnement est clairement à la hausse.

Au total, le JT de 19h de la chaîne privée est toujours dominant par rapport à celui de la télévision publique, proposé une demi-heure plus tard. Mais, comme l'indiquent les courbes de tendance polynominale, les écarts deviennent souvent insignifiants. Ils sont même quasi nuls dans les premières parties des mois de septembre et octobre. Mais, ces derniers jours (26-28 octobre), la chaîne privée se détache clairement de la télévision publique. 

 

Une 'Communication gouvernementale' hors des médias traditionnels

Les écarts deviennent alors très importants, et rappellent les époques où, pour reprendre une expression triviale, il n'y avait « pas photo » entre les audiences des deux programmes d'information. Si le déficit d'audience du JT public tourne plutôt en général autour des 40.000 téléspectateurs, il atteint près de 125.000 personnes le 26 octobre, et… 225.000 le 28! Ce jour-là, à 19h, le Premier ministre postait une sorte de "communication gouvernementale"… sur réseaux sociaux. C'est ainsi qu'il choisissait de s'adresser aux Belges: via Facebook, et non par un discours officiel à la télévision. Tout, dans sa communication, revêtait pourtant le caractère d'une prise de parole officielle de l'Etat. Sauf son créneau médiatique.

A 19h, heure à laquelle ce message est rendu public, RTL-TVI le diffuse en ouverture de son JT. LN24 est aussi sur le coup. Mais, sur La Une, on diffuse On n'est pas des pigeons… M. De Croo a-t-il ainsi voulu faire un cadeau au groupe RTL? il a surtout veillé à utiliser les réseaux sociaux pour être aussi présent à l'heure des JT des chaînes flamandes Eén et VTM… Pour s'exprimer, le gouvernement n'avait pas cru bon de réquisitionner les médias publics, ni les autres médias classiques. Il avait préféré 'son' média. Mais, en ne choisissant pas de basculer en édition spéciale, la RTBF en a visiblement fait les frais…

Le retour du public

Quoi qu'il en soit, en ces temps de retour de la covid, le public est lui aussi en train de revenir vers l'info.
En guise de simple comparaison : les audiences des deux JT du soir belge à la même période l'an dernier et cette année.

L'an dernier, le volume d'audience des deux JT était identique en septembre et octobre. Les courbes sont, tout au long de la période, à peu plus planes. En 2020, les courbes décollent à partir d'octobre. Pour RTL, le niveau de l'audience 2019 correspond à celui de 2020 jusqu'au début février. En octobre, le comportement des deux courbes commence à diverger.

Pour La Une, les tendances sont plus subtiles. En effet, l'audience du JT de la chaîne publique est généralement plus élevée qu'en 2019 tout au long de la période 2020 considérée, c'est-à-dire aussi pendant le mois de septembre. La différence entre les deux années ne deviendra toutefois régulière que lors de la dernière décade de ce mois-là, et l'auditoire sera clairement plus important à partir du 10 octobre.

 
Restera à voir si la tendance subsistera face à un Premier ministre choisissant de dorénavant parler à la population belge via les plateformes des réseaux sociaux plutôt que via les médias traditionnels…

Frédéric ANTOINE.


24 octobre 2020

Le départ de Bertrand-Kamal de Koh-Lanta : certains savaient-ils avant la diffusion?

Vendredi 23 octobre, 22h12 : Bertrand-Kamal quitte définitivement Koh-Lanta, sans pour autant avoir été éliminé lors d'un Conseil. Moins d'une minute plus tard, des médias en ligne publient déjà sur le sujet. Et pas seulement pour donner l'info brute. Sur internet, les nouvelles vont vraiment plus vite que l'éclair.

Lors du dernier épisode diffusé de Koh-Lanta Les 4 Terres, l'épreuve du 'jeu de confort' a fait dans le jamais vu. Le moins bon des concurrents qui y participaient y était cette fois directement éliminé de l' «aventure ». Le jeu n'était pas compliqué : à l'aide d'un grappin rattaché à une corde, il suffisait de ramener à soi trois blocs de bois. A ce sport, et la surprise générale, le Dijonnais Bertrand-Kamal, d'ordinaire parmi les plus forts (il a plusieurs fois mené sa tribu à la victoire) se révèle incroyablement à la traîne. Et finit par arriver bon dernier, bien derrière des concurrents moins forts et moins habiles. Il est 22h12. La foudre s'abat sur les téléspectateurs, ahuris. Comment la production a-t-elle pu jouer l'éventuel départ du héros de cette édition sur une épreuve aussi hasardeuse, et dont un des enjeux n'a jamais été une élimination individuelle ? Manifestement, jusque-là, le récit tel qu'écrit lors de la post-production visait à clairement valoriser ce candidat, à le mettre en avant, et à le placer du côté des historiques figures emblématiques du jeu. Et patatras, tout s'effondrait d'un coup. Impensable. Et pourtant…

TF1, dès la fin de l'épisode du jour, a diffusé une apostile comprenant une interview du père du candidat, qui est décédé le 9 septembre dernier. M. Loudrhiri y laissait bien comprendre que Bertrand-Kamal n'était pas ensuite revenu dans la course via une petite porte étroite, reprenant subitement la place d'un de ses compagnons forcé de renoncer pour raison médicale. Il n'y a donc pas eu derrière ce départ imprévu un coup scénaristique visant à créer un climax ponctuel qui aurait relancé l'intérêt de l'audience. Ou, du moins, celui-ci n'a-t-il pas pu se clôturer par un happy ending. L'édition de cet automne en perd clairement de son panache.

Prémonition

Ce qui est étonnant est l'instantanéité (voire la devancement) entre l'événement télévisuel que constitue ce départ en fin de 'jeu de confort' et l'arrivée de l'info sur internet. On sait les 'journalistes' web rapide. Mais ce point…

Grâce aux heures automatiques de postage enregistrées par les logiciels d'édition et/ou par Google, il est ainsi apparu que, ce vendredi, le site madamebuzz.fr avait annoncé l'élimination de Bertrand-Kamal… dès 21h27, soit plus de quarante minutes avant l'événement. Si l'on fait confiance à cet horodatage, ce média en ligne qui se targue de proposer « toute l'actualité des stars, des médias et des séries » aurait ainsi réussi à précéder l'événement. Mais pas seulement. Dans son article, il est aussi déjà capable de diffuser le message de réaction des parents du candidat face à ce départ ! On le concédera, il s'agit-là d'un véritable tour de force journalistique, pour ne pas dire un 'coup de Poudlard'. Nous aurions aimé savoir qui se cachait derrière ce site, s'il avait des liens avec des médias ou des sociétés associées à la production du programme, ou à TF1. Las. Les mentions légales du site sont plus que laconiques et aucun nom ou adresse ne permet de remonter la piste. Et, lorsqu'on a recours aux outils numériques qui permettent ce traçage, on en a vite pour ses frais. Tout au plus apprend-on que la version actuelle du site a été créée il y a un peu plus de quatre ans par la société OVH, domiciliée à Roubaix, et qu'elle est hébergée sur un serveur californien. Pour le reste : rien, par respect pour la 'privacy'. Pas de quoi faire fondamentalement avancer l'enquête…

Préméditation

On appréciera de la même manière la dextérité du site programme-tv.net qui réussit à mettre en ligne, au moment même de la défaite du candidat, un article qui annonce déjà que les autres aventuriers sont sous le choc et inconsolables. La parfaite concordance temporelle entre le temps de l'événement télévisuel et celui de sa mise en ligne (22h12) est remarquable de précision. Ce site là est moins difficile à identifier. Il est implanté en Hesse (RFA), à la même adresse IP que les versions en ligne de Voici, Gala, Femme Actuelle ou Capital. C'est-à-dire chez Prisma Presse, la branche française de Gruner+Jahr, le secteur 'magazines' de Bertelsmann. Avoir non seulement perçu le désarroi des autres concurrents au moment de la fin du jeu, mais réussir à la fois à écrire au même moment un texte à ce propos et le mettre en ligne à la même seconde est purement prodigieux !

On pourrait presque en dire autant de l'exploit réalisé par non-stop-peole.com (site associé au groupe Non Stop éditions, propriété du groupe audiovisuel Banijay) à qui il faut moins de six minutes pour récolter les premiers commentaires déçus postés sur Tweeter (cf. bas du tableau ci-dessus), écrire un texte à partir d'eux et passer le tout sur le web. Même à supposer que le texte se soit réellement basé sur des tweets publiés, peut-il pour autant titrer des quelques messages récoltés : « Twitter sous le choc et en larmes » ?

Face à tout cela, on féliciterait presque le webmaster de la version en ligne du journal gratuit 20 Minutes, à qui il a quand même fallu quatre minutes pour écrire un texte de commentaire, estimant que, désormais, Bertrand-Kamal s'inscrivait dans la lignée des héros de l'émission. Le voilà le vrai journalisme. Celui qui sait prendre son temps, marquer la distance, et apprécier l'événement en profondeur. (1)

Ah, il n'est pas mort le rêve lucky-luckeien des médias d'arriver à « tirer plus vite que son ombre ». Jusqu'à ce que, à force de vouloir précéder l'info 'réelle', on n'ait plus besoin qu'elle arrive pour diffuser une nouvelle sur le web. 

Comment ? Ah oui, oups, désolé. J'oubliais que cela s'appelait déjà une fakenews (2)…

Frédéric ANTOINE. 

(1) Même si le titre de cette info est, en partie inexact, car contrairement à ce qui est écrit le candidat a bien élé éliminé. Mais ne l'a pas été lors d'un Conseil…

(2) Tout ceci ne remet évidemment pas en cause le travail journalistique de médias qui ont réellement pris le temps de traiter la nouvelle, et qui ont publié leurs articles plusieurs heures après les faits, souvent le samedi 24 en matinée…


22 octobre 2020

Admise ou transférée ? Quand le récit prend la place du fait

Admission à l'hôpital : définition - docteurclic.comBranle-bas de combat médiatique ce jeudi 22 au matin : l'ancienne Première ministre, hospitalisée, est en soins intensifs. L'info tombe via un média, et la presse francophone dégaine à son propos la traditionnelle formule magique "admise en soins intensifs". Admise, vraiment?

Une bonne demi-heure. En gros, c'est ce qu'il aura fallu pour que la présence de la ministre des Affaires étrangères en soins intensifs fasse le tour des médias belges. La première trace de l'info (voir tableau chronologique ci-dessous) apparaît horodatée de 10h26 sur les sites de deux médias flamands, dont celui de la VRT qui est à la source de la nouvelle via un contact avec le porte-parole de la ministre, et au même moment sur celui de Sud-Info. 

Le site du groupe Sud-Presse, fidèle à son habitude, ponctue son titre, qui indique seulement la présence de la femme politique dans ce service médical, d'un point d'exclamation : "Atteinte du coronavirus, Sophie Wilmès est aux soins intensifs!". L'article précise que RTL avait annoncé sa présence à Delta dès le mercredi, et le sous-titre ajoute que, selon la VRT, l'état de l'ancienne Première ministre est stable. Dans leurs titres, les deux médias flamands utilisent la formule "op intensieve zorg", littéralement "en soins intensifs".

Deux minutes plus tard, la langue de Vondel joue davantage dans la nuance au Standaard, pour qui Mme Wilmès "ligt op intensieve zorg", que l'on traduira tout de même aussi par "est en soins intensifs", le verbe précisant ici l'état allongé dans lequel se trouve évidemment la patiente n'ayant pas de pertinence dans la langue de Victor Hugo.

Même prudence factuelle une minute plus tard dans La DH, qui la présente dans son titre comme "hospitalisée en soins intensifs". Appartenance au même groupe de presse oblige, La Libre sort l'info exactement à la même heure. Mais indique, elle, l'ancienne Première "admise" en soins intensifs. Belle formule que nous fournit-là la langue de Voltaire. Au point d'en faire une tournure entrée dans le français courant. Mais est-ce la même information que précédemment? Les premiers médias communiquant la nouvelle se contentaient de dire : Mme Wilmès "y est". Ici, on évoque son admission. "Admettre", écrit Larousse, c'est "Laisser à quelqu'un, à un animal le passage ou l'entrée quelque part". Et, "être admis", c'est (assez paradoxalement dans le cas présent) "Avoir satisfait à certaines épreuves d'un examen ; être reconnu apte". Plus proche sans doute de la réalité, la définition du "dictionnaire.sensagent.leparisien.fr" parle, lui, d' "accepter de recevoir quelqu'un". 

Formule consacrée

Pour les médias, la formule est comme consacrée. En avril dernier, lorsque Boris Johnson avait subi le même mauvais sort, Le Parisien, par exemple, avait titré "Boris Johnson admis aux soins intensifs" (07/04). Mais, a contrario, Le Figaro avait, lui, écrit "Boris Johnson transféré aux soins intensifs" (06/04). Nuance.

Le subtil usage du participe passé 'admise', employé ici dans un condensé de voie passive, permet (ou ne permet pas) d'indiquer quand a eu cette admission. Au moment où tombe l'alerte sur les smartphones ou que paraît le premier papier bref sur le site web, la malade vient-elle d'être admise, est-elle admise, ou a-t-elle été admise (et depuis quand)? Et où était-elle avant? Impossible de le savoir. "Admise" laisse supposer au lecteur que la ministre a dû être amenée d'urgence à l'hôpital ce jeudi matin. Or, elle y était dès la veille…

Pour les très nombreux médias qui utilisent la formule, le récit commence au moment où l'info paraît. Et, évidemment, se vit au temps présent. Comme si cette admission-là faisait débuter l'histoire, alors que la malade avait été hospitalisée la veille…

Où est donc vraiment l'info: dans le fait qu'elle vient d'être admise? Ou dans le fait que l'on apprend qu'elle se trouve dans le service? Admission et administration de soins sont-ils synonymes, et chronologiquement concomitants?

Qu'importe, pourra-t-on dire. Inutile de couper les cheveux en quatre. A chacun de comprendre la nouvelle comme il le veut. Ce qui compte, c'est que c'est grave.

Mais est-ce aussi simple? Sur le fond de la nouvelle, ce n'est pas vraiment la même chose. Dans le cas présent, le "transféré" utilisé pour Johnson par Le Figaro n'eût-il pas été plus séant, approprié, et correctement informatif? Mais peut-être moins tentant pour faire mouche…

Le sens de la formule est une belle chose. Mais est-ce le cœur du journalisme?

Frédéric ANTOINE


 

 


14 octobre 2020

Mort de Poximag: de poule aux oeufs d'or à « poule de luxe »


« Proximag, c'est fini », annonçait L'avenir le 8 octobre dernier. La fin annoncée du réseau wallon de toutes-boîtes est aussi la confirmation de la fin d'un monde. Qui laisse à Rossel main libre sur ce marché.
 
Un communiqué de son propriétaire, Nethys, relayé par l'Agence Belga, a rendu publique la décision de mettre fin à l'édition du magazine toutes-boîtes édité par L'Avenir Advertising, composante du groupe L'Avenir qui n'avait pas été reprise par IPM lors du rachat de l'essentiel des activités de l'entreprise namuroise, en juillet dernier.  
 
Le choix d'IPM de ne pas se charger du fardeau Proximag (ainsi que de la régie publicitaire interne du groupe) signait déjà l'arrêt de mort de la publication: qui allait encore pouvoir être intéressé par un magazine gratuit qui, au lieu de gagner de l'argent, ne faisait qu'en perdre? 
 
Les bilans annuels de la société sont édifiants à cet égard: depuis 2009, L'Avenir Advertising (ou les sociétés antérieures concernant la même activité [1]) n'a été bénéficiaire qu'à deux reprises, au temps où il éditait le toutes-boîtes Passe-Partout. Depuis 2016, sous le régime Proximag, les pertes de l'entreprise n'ont cessé de croître année après année (2].
L'Avenir Advertising ne se préoccupe pas seulement de l'édition du toutes-boîtes, mais les bilans annuels de la société regorgent de rapports qui montrent du doigt le magazine toutes-boîtes comme étant la cause des mauvais résultats de la société. Dans les bilans, les commentaires des administrateurs affirment à chaque fois que leur copie sera revue l'année suivante et que l'équilibre sera alors atteint. Les chiffres, hélas, n'ont jamais confirmé ces affirmations optimistes.
 
Obsolète

 Comme l'a déclaré Nethys, sa décision s'explique par "la situation financière de l’entreprise et le fait qu’il ne semble plus exister de modèle économique pour la presse périodique gratuite 'toutes-boîtes'". Celui-ci reposait sur un financement par la publicité régionale et locale, mais aussi, dans une grande mesure, par la publication des petites annonces. Un business qui a été un des premiers à migrer du papier vers l'internet. Sur ce média virtuel, les concepteurs de sites d'annonces en tous genres qui, dans la plupart des cas, n'ont rien à voir avec le monde des médias classiques, n'ont cessé de faire fortune. La disparition de Proximag n'est donc qu'un épisode d'une chronique d'une mort annoncée. Un décès face auquel les éditeurs de presse ne sont pas totalement irréprochables. Si, in tempore non suspecto, ils avaient pris le train de l'internet pour la commercialisation de leur business de petites annonces, le fameux 'modèle économique' évoqué par Nethys aurait sans doute adopté une autre configuration. Mais voilà. Déjà qu'ils avaient loupé le modèle de la presse en ligne payante en misant naïvement sur une presse en ligne en accès gratuit, i ne pouvaient pas non plus imaginer que leurs chers toutes-boîtes auraient un jour une fin…

Labeur

En effet, aux heures de gloire de la presse papier, les toutes-boîtes n'étaient pas seulement un moyen de récolter une importante manne publicitaire. Ils permettaient aussi de réaliser cette opération à coût très bas, puisque, dans ce type de publication, le contenu rédactionnel, souvent consacré à de l'infra-locale, est fort réduit, et produit à peu de frais. Et puis, sinon surtout, les toutes-boîtes permettaient l'utilisation des imprimeries de presse en mode 'labeur', ce qui représentait une formidable opportunité de rentabilisation d'un outil lourd ordinairement sous-exploité, puisque ne travaillant autrement que la nuit, pour l'impression des quotidiens.

Avec des coûts de production faibles et des recettes commerciales à n'en plus finir, les toutes-boîtes étaient hyper-rentables. Seule leur diffusion dans chaque boîte aux lettres du Royaume représentait un investissement réellement important. Ce qui explique que ces périodiques ont, souvent, contribué à rééquilibrer les comptes d'entreprises de presse où les coûts de production des 'vrais' médias (les journaux) dépassaient parfois les rentrées provenant des ventes et de la publicité (le fameux 'marché biface' de la presse).

Fin d'une histoire

Depuis le début des années 2000, cet âge d'or a disparu. Les formats des pages se sont réduits, leur nombre a diminué, la diversité des éditions locales a été rabotée. Proximag avait même fait le choix de réduire sa périodicité de diffusion dans ses zones les moins rentables. Les toutes-boîtes ont fini par coûter fort cher. Comme une « poule de luxe »…
 
Ainsi disparaît ce média qui était déjà l'héritier d'un très vieux modèle de presse: celui de l'annonceur local. Le micro-titre conçu, à l'époque où il n'y avait que de l'écrit, par les imprimeurs du village, et comprenant des petites nouvelles en tout genre (donc aussi des annonces commerciales ou privées). Même si, longtemps, ces publications ont conservé leur titre original, bon nombre ont finalement été cédées. D'abord à des éditeurs régionaux, puis à des groupes plus importants. L'apparition des chaînes de toutes-boîtes signifiait déjà l'industrialisation de ce processus éditorial, qu'il ne devait plus rentable d'exploiter à la simple échelle d'une localité d'une petite région. Aujourd'hui, le village global aura fini par en avoir raison.

Enfin presque. En Belgique francophone, le Vlan du groupe Rossel (et sa cinquante de variantes d'intitulés) résiste, et reste désormais seul dans le créneau. Jouant à la fois sur des versions en ligne et papier et sur un accès premium, il occupera désormais tout le terrain. IPM a fait ainsi un beau cadeau à son concurrent, à qui il avait aussi jadis cédé son propre toutes-boîtes : Belgique N°1.

Frédéric ANTOINE.

[1]: Jusqu'en 2010, la société se dénomme Passe-Partout, du nom du toutes-boîtes éponyme des Editions de L'Avenir. Elle s'appellera ensuite Corelio Connect Sud avant de devenir L'Avenir Advertising. 

[2] Le cas de 2013, où l'entreprise subit une très forte perte de plus de 22.000.000€, doit être considéré comme atypique, car il constitue le moment de la séparation de Corelio Connect en deux branches et du rachat de la branche sud par Nethys.




13 octobre 2020

La revanche de Cap48

Alors que le Télévie s'effondre, Cap48 bat tous ses records. Comment est-ce possible?

« On n’imaginait pas dépasser les 6 millions, et encore moins battre le record! » Avec sa fougue habituelle, l'animateur de la Grande Soirée de Clôture de l'émission de télé-charité de la RTBF en perdait la voix, dimanche en fin de programme. L'opération avait dépassé tous ses scores, affublant sa légende d'un nouvel épisode de sa constante progression, Cap48 étant passé en moins de dix ans de quatre à près de sept millions d'euros récoltés.

Au même moment, il y a un mois, le Télévie, dont la croissance des recettes est moins régulière d'année en année que celle de Cap48 (cf. courbes polynomiales), enregistrait son premier crash historique. Étonnante situation, puisque les deux opérations ont théoriquement pâti de la même manière de la crise de la covid 19, l'action caritative de la télévision privée ayant même pu s'étendre sur plus de seize mois, alors que celle de la RTBF, comme d'habitude, était limitée à douze.

Bien sûr, la différence entre les montants récoltés dans les deux opérations reste importante. Mais, depuis quelques années, l'écart entre les sommes collectées par l'une et l'autre se réduit quelque peu. Et de manière drastique en 2020. Cette année, la RTBF ne se trouve plus qu'à 37% du montant de RTL-TVI. Un pourcentage beaucoup plus bas que précédemment, où l'argent rassemblé par le service public représentait environ la moitié de celui de l'acteur privé.

Un public fidèle

Quelques réflexions sur les raisons de la situation vécue par RTL-TVI, et officiellement attribuée à la crise de la covid, ont déjà été évoquées sur ce blog. Comment la RTBF ne se trouve-t-elle pas dans la même configuration? Le rôle joué par le charity program que représente la diffusion de la soirée de clôture y est-il pour quelque chose? Côté audience, en tout cas, les chiffres de 2020 sont parlants. RTL-TVI a réalisé le pire audimat de l'histoire récente du Télévie. La RTBF, elle, est stable. Même si la communication officielle de l'entreprise publique se réjouit d'une PDM d'un peu moins de 20%, en nombre de téléspectateurs, la clôture de Cap48 n'a pas fait mieux que les années précédentes. Mais elle n'a pas non plus fait pire!

Ces dernières années, les deux émissions de soirée attiraient une masse de téléspectateurs assez proche, dont le nombre avait, des deux côtés, un peu chuté en 2018 par rapport à 2017. En 2019, RTL-TVI avait réussi à retrouver son chiffre de 2017. La RTBF, elle, se contentait d'attirer le même public. Idem cette année, mais chute historique pour le privé. On ne peut, bien sûr, oublier que les émissions en question ne sont pas diffusées en direct le même jour de la semaine. Dans la tradition historique de 48.81.00, dont l'essentiel de la mobilisation se déroulait au cours d'un seul week-end, Cap48 se termine en fin de dimanche. Tablant sur le temps long, et ne considérant les promesses de don du dernier jour que comme une cerise sur un gâteau, RTL-TVI termine son action le samedi soir. On sait que les comportements d'audience ne sont pas identiques les deux jours. Mais cela n'explique pas tout.

Cher, le public

Cette année, la conception et la mise en image des deux émissions ont peut-être joué un rôle dans l'attrait sur le public. Autant la soirée de RTL-TVI pouvait paraître comme un peu bricolée, réalisée à peu de frais dans des bâtiments non adéquats, autant celle de la RTBF avait conservé, autant que faire se pouvait, ses allures habituelles de charity-show. Les décors, la réalisation, n'avaient rien de comparable. La télévision publique avait renoncé à des directs des quatre coins du pays, alors que la chaîne privée en avait fait un des points forts. La télévision publique avait davantage misé sur les témoignages que sur les paroles d'experts, alors que son concurrent avaient au moins eu recours de manière égale aux deux types de personnages. Côté invités du show business, on avait eu l'occasion de retrouver certains artistes identiques des deux côtés. Mais leur implication par rapport à la cause pouvait paraître plus marquante, voire plus honnête et incarnée, du côté du service public.
 
  Cap48 2020            Le Télévie 2020 
     
Enfin, et surtout, il y a eu la question du public. Dans le patio de RTL House, on était comme sur un plateau de studio déshumanisé, sans chaleur, et dépourvu du type d'interactions que procure traditionnellement aux soirées Télévie la présence d'aficionados prêts à passer une partie de la nuit assis sur des gradins inconfortables pour être parties-prenantes au spectacle. La RTBF, elle, avait réussi à intégrer un public dans son studio 40 de la Médiacité. Son installation dans des box de trois, associée à un recours à des couleurs variées et à un look doré sur fond noir, donnait à l'ensemble à la fois une impression 'classe' et participative. Quelle différence! RTL semblait avoir choisi une version minimaliste, juste pour 'faire le job'. La RTBF, elle, était dans un style de production plus riche que d'ordinaire (même si, côté découpage, celui de l'émission 2020 ressemblait comme deux goutes d'eau à celle de 2019…).

Des rentrées en baisse…

Si les questions de dispositif peuvent, en partie, expliquer les résultats d'audience, ils ne permettent pas de comprendre les raisons de la réussite financière de Cap48, alors que chutaient les dons faits au Télévie. Il est impossible de comparer les deux programmes à ce propos car, subtilement, l'un et l'autre ne fonctionnent pas de même manière. On se contentera ici de se questionner sur ce que peut inspirer la différence entre ce qui a été communiqué à l'antenne et la réussite annoncée en finale. 
 
Si on les compare aux données diffusées par 2019, tout comme le Télévie, de nombreuses recettes de Cap48 étaient cette fois clairement en baisse. Ainsi, les montants récoltés à Bruxelles et en Wallonie, essentiellement par la vente de post-it, ont été beaucoup moins élevés en 2020. Sur base des résultats communiqués à l'antenne, le mali est d'environ 860.000€.     
De même, les actions d'animation menées pour collecter des dons, en grande partie à l'initiative de la RTBF ou avec son aide, n'ont pas rapporté les mêmes sommes que l'an dernier.Et ce alors que certaines recettes, comme celle du "Défi animateurs" ou du "Défi 100 km" étaient en très très forte hausse en 2020, sans que l'on comprenne pourquoi.
Il n'est pas aisé d'opérer une comparaison claire à propos des apports de partenaires privés, car ceux qui ont été cités à l'antenne en 2020, en associant noms de firme à un montant global versé, sont moins nombreux qu'en 2019. Pour les chiffres comparables, ceux-ci sont inférieurs à ceux de l'an passé.
Quelques appuis en hausse
 
Cela étant posé, d'où peuvent alors venir les sommes qui permettent àl'opération de dépasser cette année ce qui avait été rassemblé comme dons en 2019? Une donnée claire et comparable à ce sujet concerne les aides publiques, c'est-à-dire celles provenant de ministères qui sont supposés aider directement les personnes handicapées (public concerné par Cap48), mais qui préfèrent médiatiser un don d'argent à l'opérateur public pour que celui-ci le donne aux handicapés plutôt que de le leur allouer directement (1). De ce côté, les chiffres croissent, du moins de la part des ministres régionaux présents sur le plateau (2).
D'autres apports sont plus difficiles à identifier. Ainsi, en 2020, une ASBL clôturant ses activités a offert 75.000€ à Cap48, ce qui est évidemment un one shot, l'animateur précisant que d'autres ASBL ont été dans le même cas, dont la fanfare des volontaires de Thon (3), mais sans préciser le montant du don. Il ne semble pas que ce type de générosité avait déjà été mentionné l'an dernier. Les sommes ainsi récoltées semblent toutefois rester marginales. Une autre inconnue concerne l'apport 2020 du Lions Club, à qui il est rendu hommage et dont les responsables ont eu droit à une séquence de reportage, mais dont le montant versé n'a jamais communiqué, alors que c'était le cas en 2019 (4).
 
Ces éléments flous ne permettent pas de comprendre clairement si les contributions non mentionnées cette année, mais présentes antérieurement, ont eu lieu en 2020, ni de savoir combien ont rapporté les dons évoqués sans en préciser le montant. En regard des pertes enregistrées par ailleurs, ces apports non chiffrés sont-ils venus combler les pertes? La dramaturgie de l'émission reposant, toiut comme celle du Télévie, sur la hausse des sommes affichées au compteur, il serait étonnant que d'importants dons publics ou venant d'entreprises aient été privés de passage à l'antenne.
 
Marée de promesses?
 
Reste donc un élément: les promesses de dons. Comme pour le Télévie, c'est la seule donnée sur laquelle on ne dispose pas d'informations, sinon par le suivi de la valse régulière des chiffres affichés sur le tableau-marquoir. Lorsque débute le programme 2020, le montant y affiché était plus élevé de 140.000€ que celui de l'an dernier. Cela signifie-t-il que davantage de promesses avaient déjà été enregistrées?
Et la récolte des promesses s'est-elle envolée par la suite? À plusieurs reprises pendant l'émission, les animateurs mentionneront que le call center est saturé, et qu'il y a lieu de privilégier les moyens de participation électroniques. Le rush a-t-il été tel qu'il aurait permis de combler l'immense gap dans les dons enregistrés avant le dernier week-end? À ce stade, cette configuration ne peut qu'interpeller. Et la question doit rester ouverte. Et ce d'autant que l'émission en direct de cette année aura réussi à battre tous les records… alors que, en durée, le programme n'aura jamais été aussi court.
En 2020, l'émission n'a duré qu'un peu plus de trois heures (alors que les grilles annonçant le programme prévoyaient 3h30) (5). Il y a cinq ans, selon les horodatages CIM, celle-ci avait duré… près de quatre heures, soit un peu moins d'une heure de plus. 
Faire beaucoup mieux, en moins de temps, et alors que des secteurs habituels de recettes sont en baisse, est un véritable exploit!

Frédéric ANTOINE.


(1) Pour être de bon compte, il faut reconnaître que les pouvoirs publics adoptent exactement la même attitude vis-à-vis du FNRS lors du Télévie.
(2) On notera à ce propos l'erreur cocasse qui a un temps laissé croire que la ministre Morreale ne donnait que 150.000€, soit le même montant qu'en 2019. Un erratum a dû être apporté par la suite par l'animatrice afin de préciser que la somme offerte en 2020 était équivalente à celle de la Région bruxelloise.
(3) Les responsables de cette ASBL en dissolution étaient passés à l'antenne dans le Télévie, à qui ils avaient donné 25.000€. 
(4) En 2019, ce service-club avait donné 245.000€.
(5) En 2020, le Télévie a, lui aussi, été particulièrement court.
































01 octobre 2020

Sa Majuscule le roi




On l'aura lu, ces derniers jours, le mot « roi » dans les médias belges ! Mais avec d'étonnantes variations entre Roi et roi. Comme si, parfois, la presse ne savait plus à quel souverain se vouer. Un jeu MAJ à min qui implique plus qu'un simple rapport aux conventions d'écriture.

Alors, écrit-on le Roi ou le roi ? Ou les deux ? Pour le vieux prof auteur de ces lignes, qui s'est échiné pendant des années à enseigner les conventions de l'écriture journalistique, la question relève un peu du toc. Et interpelle d'autant plus que, alors qu'on s'était appliqué à faire entrer quelques règles dans la plume d'étudiants en bachelier, il apparaissait souvent que, une fois arrivés en master, ceux-ci les rangeaient vite fait au fond d'un tiroir. Et ce sans que personne, parmi les éminents professionnels chargés de les encadrer, n'y voient quoi que ce soit à redire. Mais que soit…

Le survol rapide des écrits médiatiques publiés ces derniers jours à propos de l'usage du bas-de-casse ou du haut-de-casse pour désigner un souverain en constitue un bon exemple. 

Le (R)roi Philippe

De manière générale, lorsqu'il s'agit d'associer le substantif roi au nom d'un personnage connu, la plupart des journalistes appliquent la même règle : ils laissent roi débuter par une minuscule. On désigne ainsi généralement dans les médias le roi Philippe, comme on écrivait hier le roi Albert, sur base de la convention selon laquelle roi est alors un nom commun accompagné d'un nom propre.

On notera tout de même que cette convention, assez bien appliquée dans les médias, n'est pas de mise dans tous. Ainsi trouve-t-on par exemple la phrase « Un des exemples "extraordinaires", comme l'a décrit le Roi Philippe » (RTL Info, 02/09) ou, il y a quelques mois : « Le Roi Philippe s'adresse aux Belges » (RTBF, 16/03). Une insistance peut-être destinée à (re)dorer la couronne du monarque ?

Le (R)roi des Belges

La question se corse un peu si l'élément qui suit roi n'est pas son nom mais une autre manière de le désigner, par exemple en définissant de quoi ou de qui il est le souverain. Dans ces cas-là aussi, l'usage normal est de garder la minuscule. Mais, sans doute dans l'intention de bien faire, certains médias peuvent ne pas être avares de majuscules, comme dans ce « Canvas (VRT) revient sur l'enfance loin d'être rose du septième Roi des Belges » (La Meuse, 28/09). A moins que, plus simplement, ces médias ne sachent pas vraiment comment faire. Sans trop chercher, les deux versions de la graphie peuvent ainsi se retrouver  dans une même publication : « Si j'étais le roi des Belges, je prononcerais l'allocution suivante » (La Libre Belgique, 29/01) et « Une première pour un Roi des Belges en fonction. » (La Libre Belgique, 30/06). A chacun de choisir la formule qu'il préfère… Parfois, on pourra même mettre la main sur un beau doublé : « Leopold II était avant tout le Roi des Belges, tout comme le Roi Philippe. » (RTBF, 12/06). Si l'on convoque une fois la majuscule, pourquoi pas deux…

Le roi tout court

Cela devient plus compliqué, quand le roi n'est pas accompagné. Et dans l'écriture, la chose est plus rare que dans la vie réelle. C'est là que les choses commencent vraiment à se discuter. En effet, la règle générale, qui est celle que l'on essaie d'abord d'inculquer dans les Ecoles, est d'appliquer ce que recommandent la plupart des auteurs, à savoir que « les noms de fonctions, titres et charges civiles sont toujours en minuscules » (1), ou autrement dit, que « les titres de civilité et titres de fonction prennent la minuscule lorsqu'on parle de quelqu'un » (2). On s'efforce ainsi de faire auprès d'étudiants trop formatés la chasse aux Prince, Ministre, Pape, Cardinal, Recteur, Député et autres Empereur que la nature humaine, par essence trop modeste (ou un peu servile), a toujours tendance à porter au pinacle.

Roi n'échappe pas à la règle. Il n'a donc, en principe, pas droit à être élevé au rang de capitale. Et, dans la presse francophone belge, un groupe de quotidiens applique cela avec rigueur. En toutes circonstances et avec une belle constance, L'Avenir laissera le monarque débuter par du bas-de-casse. Le 06/09, il titrera par exemple : « Elia et d’autres «héros du Covid» reçus au palais par le roi ». Parlant de la crise politique, le 21/09, il explique : « Ceux-ci ont remis leur démission, qui a été refusée par le roi. » Et le 1er octobre, il mentionne que : « Ce matin, les ministres prêtent d'abord serment devant le roi: ils jurent fidélité au roi. »  Le souverain est un personnage public, voir un (simple) homme (ou un homme simple), comme les autres. Inutile donc l'élever sur les autels en l'affublant de majuscule.

Le Roi tout court 

Sur le petit sondage réalisé ces derniers jours, L'Avenir est le seul à agir de la sorte. A l'opposé, et avec la même constance, un autre titre a opté pour la radicalité majusculaire : dès qu'il s'agit d'un roi bien précis, et en l'occurrence celui des Belges (3), la personne désignée par le substantif roi y débute toiujours par une lettre capitale. Le Soir déroge ainsi à la règle générale. Est-ce se référant aux usages tolérés par les spécialistes dans des cas précis et explicités ici : « Lorsque, dans un texte particulier, le titre prend la place du nom du personnage qui le portait et sert à désigner, sans confusion possible, le personnage historique, on peut alors l'écrire avec une majuscule. » (4) On notera, comme le confirme cette autre recommandation, que cet usage est une possibilité, et non d'une obligation  : « Lorsque ce mot est employé seul, sans ambigüité sur la personne et selon le contexte, il peut prendre valeur de nom propre et la majuscule qui sied. »  (5)

La pratique du quotidien vespéral est si constante qu'elle ne nécessite pas d'exemplification. Elle est aussi de mise chez Sud-Presse (Sud-Info), mais souffre là de quelques omissions où, sans qu'on sache trop pourquoi, roi supplante Roi (par exemple, le 21/09 : « en marge de la réunion des préformateurs fédéraux avec le roi », ou le 01/10 : « Visiblement ému, celui que le roi avait nommé co-formateur aux côtés d'Alexander De Croo, a rappelé le travail accompli »). On retrouve le même usage de la majuscule à L'Echo, même si, parfois, les deux types de caractères sont exploités à fort peu de distance. Ainsi, par exemple, le journal a écrit le 21/09 : « a déclaré le préformateur Conner Rousseau après que le roi ait refusé sa démission et celle d'Egbert Lachaert »… alors l'article en question est lui-même titré de la manière suivante :  « Le Roi refuse la démission des préformateurs ». Nuance difficile à comprendre… 

Roi tout court et roi qui court

On retrouve cet usage majoritaire de la majuscule mâtiné de recours sporadiques à la minuscule dans d'autres publications de presse, sans toujours en saisir la substantifique raison.

Sans doute respectueuse de sa mission de Service Public et de son rapport à l'Etat, la RTBF utilise plutôt la majuscule, comme dans : « Les nouveaux ministres du nouveau gouvernement belge ont prêté serment ce matin chez le Roi » (01/10). Mais, quelques minutes plus tôt le même jour, le même site d'informations avait écrit : « Ludivine Dedonder, comme les autres ministres prêtera serment ce jeudi à 10h devant le roi. » Entre 'chez' le Roi et 'devant' le roi, seul le linguiste appréciera l'épaisseur de la différence.

La Libre Belgique, loin de renier pas son histoire monarchiste, choisit en règle générale de doter le monarque d'une couronne à lettre capitale ( « Le Roi refuse la démission des deux préformateurs: ils ont deux jours pour rétablir la confiance » [22/09]). Mais, parfois le même jour, les deux graphies sont utilisées simultanément. Le 29/09, le quotidien titrera « Quel rôle a joué le Roi dans la crise politique? », mais écrira aussi : « Le roi a tenu lundi, avec les formateurs, sa 36ème audience dans le cadre de la crise politique » et : « Mais le roi peut aussi tenir sa décision en suspens durant quelques jours ».

Même valse-hésitation chez le quotidien-frère de La Libre qu'est la DH. A certains moments, on y utilise la majuscule (« Formation fédérale: les négociateurs tiennent un accord sur le programme, les formateurs se rendent chez le Roi » [30/09]), à d'autres la minuscule ( « cela a permis au roi de nommer des co-formateurs »)… et à d'autres on applique les deux formules dans un seul texte ( « Le rapport fourni au Roi par les co-formateurs a fuité dans la journée de mardi, mais la note finale n’a pas encore été communiquée. Le rapport au roi offre toutefois un bel aperçu des mesures validées par le nouveau gouvernement, » [DH 30.09]).

Côté audiovisuel, RTL Info, comme la RTBF, semble privilégier un Roi majuscule. Mais de temps à autre, il est aussi ramené à la dure réalité des petites lettres. « Egbert Lachaert et Conner Rousseau, ont été désignés préformateurs par le roi. » (06/09) « Le roi est arrivé à l'issue de cet accord. » (16/09) « Lundi, le roi a contraint les actuels préformateurs » (22/09). Retranscrivant l'interview télévisée d'un expert, le 30/09, la chaine privée n'écrira aussi roi qu'en minuscules…

Une communion solennelle ?

De manière générale, une grande majorité de médias aiment affubler le substantif roi d'une majuscule. Y compris les télévisions locales, ou même 7sur7.be. Mais, à certaines occasions, la déférence ainsi de mise disparaît, et on assiste au retour des 'petites lettres'.

Sans doute l'inattention, l'absence de relecture, voire l'inexistence de règles d'usage strictes à l'intérieur de certaines rédactions expliquent-elles, au moins en partie, cette constante hésitation. Mais les moments où cette variation de graphie se manifeste pourrait aussi laisser supposer que les auteurs des textes semblent influencés par ce qu'ils estimeraient l'importance ou la solennité de l'événement dont le monarque est un des acteurs. 

Si le roi intervient peu, voir est simplement évoqué, on pourra avoir tendance à ne pas lui accorder beaucoup d'importance, et rien ne s'opposera à ce que le nom n'ait pas de capitales. Voire, en le laissant en bas-de-casse, on minimisera la place royale. 

Par contre, si le souverain est au cœur de la pièce et y joue un rôle essentiel, la propension à lui concéder un sceptre majuscule sera plus marqué. 

Ces observations ponctuelles devraient évidemment être confirmées par des études sur la distance, et non un focus sur un seul événement. Mais elles démontrent la fragilité des règles et la difficulté que peuvent rencontrer les journalistes à maîtriser leur écriture dans un monde où, certes, on rédige beaucoup. Mais pas nécessairement avec beaucoup de systématisme…

Frédéric ANTOINE.

(1) www.lalanguefrancaise.com

(2) Recommandation de l'Université Laval qui, comme bien d'autres acteurs francophones dans ce pays majoritairement anglophone qu'est le Canada, veille tant que faire se peut à mettre des points sur les i de l'usage de langue.

(3) Selon la formule officielle puisque, rappelons-le, le monarque de ce pays n'est pas roi de Belgique mais des Belges

(4) Selon le correcteur grammatical et orthographique Cordial.

(5) www.question-orthographe.fr

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