"Vite, un sujet d'info différent, pour qu'on ne nous reproche plus de créer un climat de pscyhose, de sinistrose et de morosité dépressive. Tiens, la Nasa envoie une sonde sur Mars. La belle affaire. Voilà qui apportera un peu répit au comptage des contaminés, des morts et des vaccinés !"
De mémoire d'amateur de conquête spatiale, a-t-on jamais vu l'amarssissage d'une sonde spatiale suivie avec autant de passion que celui du brave rover Perseverance? La liste "officielle" (1) des engins que notre bonne vieille Terre a envoyés sur la planète qu'on disait "rouge" quand on ne la connaissait pas plus que ça compte une vingtaine de noms. Parmi ceux-ci, une dizaine sont accompagnés de la mention "atterrissage [si on peut dire-ndlr] réussi". Donc, ne pas se crasher quand on cherche à amarsir, ce n'est pas une première. D'autant que, depuis 2004, tous les engins terrestres qui ont été chargés d'amarsir ont réussi l'opération. Et encore, juste avant cette date, une sonde européenne s'était bien posée, mais n'avait pas su déployer ses panneaux, et une autre, américaine, qui s'était bien posée elle aussi, mais n'avait pas su se mouvoir comme cela était prévu. Bref, amarssir, c'est un peu de la routine.
Alors, pourquoi en avoir "fait des caisses" bien avant l'arrivée de notre persévérante petite sonde actuelle dans l'orbite de Mars? Et ensuite, pour quelle(s) raison(s) a-t-on couvert son amarssissage comme un événement planétaire (si l'on peut dire)? Cela aurait fait des années qu'un engin terrestre n'aurait plus été envoyé là-bas, qu'ils se seraient ces derniers temps tous écrasés dans des cratères, ou que Perseverance, comme semblerait l'indiquer son nom, aurait marqué le retour de l'intérêt des hommes pour cette planète… on aurait pu comprendre. Mais on destine régulièrement des sondes à se rendre sur Mars. Toujours selon la "liste officielle", il y a bien eu un petit passage à vide entre 2012 et 2018, mais depuis, notre Persévérant a déjà été précédé par un autre engin.
Too much?
Donc ce n'est pas vraiment la rareté ou l'originalité qui est à la base d'une nouvelle si captivante qu'elle a tenu toutes les rédactions en haleine jeudi dernier au soir, les chaînes info relayant même en direct le signal de la salle de contrôle du vol à Pasadena, comme si on revenait au temps béni de la télé de papa et des missions Apollo (sauf que là, c'était d'abord à Cap Canaveral et ensuite à Houston, s'il y avait un problème). Pour peu, on s'attendait à ce que les médias relaient aussi en chœur les paroles historiques qu'aurait pu prononcer Perseverance: "That was one small step for me, one giant leap for mankind"…
Alors oui, c'est la première mission "importante" sur Mars. Oui, la Nasa a mis le paquet et a bien communiqué. Oui, la conquête de Mars est devenue une réalité, et rêver d'y aller n'est plus un rêve. Mais tout de même, n'est-ce pas un peu too much? Il semble que non, parce que ça tombe bien, les aventures de la petite Persévérance en terre marsienne.
S'évader par l'info
Depuis des semaines, les médias - et surtout les chaînes de télé - essaient tant bien que mal de de se dépêtrer de la mélasse covidienne qui leur colle aux basques. On a vu que, depuis décembre, les JT de certaines chaînes se forcent de regarder ailleurs que dans les hôpitaux, les homes et les salles de conférence de presse où l'on égrène chaque jour les mêmes comptages. Elles ont (enfin) compris que du covid à forte dose, cela augmente encore plus la contagion de l'anxiété qui est (aussi) en train de tuer, à petite dose, comme en homéopathie, l'enthousiasme et l'esprit positif de nos concitoyens.
A force de couvrir professionnellement, comme il le faut, et sans rien laisser de côté, une actu désespérante, face à laquelle on ne peut agir qu'en portant un masque, en se lavant les mais, et en restant chez soi en voyant le moins de gens possible, les JT ont, inconsciemment et involontairement, encore un peu plus enfoncé des citoyens qui voient les infos sur la covid leur sortir par les oreilles.
Mot d'ordre donc : revirement à 180°. On a dès lors cherché d'autres infos, et positives si possible s'il vous plaît. On a aussi choisi de remettre de l'international dans le conducteur des JT, et pas seulement lors de la prise du Congrès de Washington par les hooligans de Donald Trump. Là aussi, on a fait fort. Sur la RTBF et France (mais ces chaînes-là ne sont pas les seules à agir de la sorte) on a souvent choisi de porter le regard au loin, et de faire dans l'info-documentaire d'évasion, avec de belles séquences sur des sujets intemporels se déroulant au bout du monde. De quoi faire respirer, redécouvrir que, oui, la beauté existe encore, et qu'il y a toujours de "vrais" gens en dehors de ceux que l'on croise masqués quand on ose sortir de chez soi. Du dépaysement plutôt que de l'actu quotidienne? Parfois, sans doute. Mais après avoir été anxiogène (et on n'a pas attendu un docu-fiction discutable pour s'en rendre compte), n'est-il pas bon que l'info soit enfin aussi rassurance?
Pain béni
Alors, pour cela, l'amarssissage de Perseverance, c'est du pain béni. D'abord un peu de suspens, comme dans toute bonne info: crashera, ou crashera pas? Ensuite, le direct qui fait monter (un peu) l'adrénaline. Puis la délivrance: de superbes images, d'une définition sans pareille, dans lesquelles on cherche déjà à voir si on n'aperçoit pas une petite trace de quelque chose qui, un jour, aurait vécu là-bas. Ou, mieux encore, une amibe toujours en vie, déambulant seule ou en colonie. Je vous le dis: de l'info Aventure, avec un grand A. Pas d'humains, certes, toutefois à l'heure actuelle n'est-ce pas plus sûr. Mais un regard vers le futur, vers un nouveau monde, où tout serait possible et imaginable.
En temps de déprime covid, quoi de mieux? A croire que la Nasa avait programmé le lancement de sa sonde pour qu'elle arrive juste au bon moment pour remonter le moral des JT et des médias en général (2). Finalement, tout l'art des journalistes, c'est de trouver comment trouver et exploiter un bon sujet contre-feu quand la maison brûle, c'est-à-dire quand une actu vous cannibalise et qu'n ne sait plus s'en défaire. En l'occurrence, Perseverance est vraiment tombée à pic. Et, en plus, sans s'écraser. Quelle(s) aubaine(s).
Frédéric ANTOINE.