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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

04 août 2024

J.O. : stop à la breloque !

 

Tous les journalistes qui qualifient de "breloques" les médailles olympiques savent-ils ce qu'ils disent ?

C'est devenu une triste banalité : dès qu'il s'agit de trouver un synonyme au mot "médaille" dans un article ou un billet radio-tv, les journalistes francophones ont trouvé "le" mot qui convient : breloque. On le repère à tire-larigot dans toute la presse française, dans les médias audiovisuels de l'Hexagone… mais pas seulement. La presse belge n'est pas en reste. La DH, La Libre… utilisent parfois le terme. Dans Le Soir, il figure une vingtaine de fois depuis un mois… mais écrit en italiques. A la RTBF, on relève le mot à 68 reprises sur RTBF info… Bref, la breloque est à la mode.

Sauf que, selon le français courant, une breloque ce n'est pas une médaille. Qu'elle soit olympique ou autre. Selon le Larousse, c'est… un "Petit bijou fantaisie que l'on porte pendu à une chaîne, à un bracelet, etc.". Le Robert, lui, écrit : "Petit bijou de fantaisie que l'on suspend". Oui oui un petit petit bijou. Donc pas une médaille. Et, de surcroit, le plus souvent, un petit truc qui n'a pas de valeur, comme le précise le Trésor de la Langue Française qui parle de "Colifichet de peu de prix, petit bijou que l'on attache à une chaîne de montre, à un ruban, à un bracelet..."

PAS DE VALEUR ?

Pas de valeur, une médaille olympique ? Selon la RTBF elle-même, "Une médaille d’or des Jeux Olympiques (JO) de Paris vaut 862,57 euros, une valeur record, ressort-il d’une analyse sur la base des matériaux qui composent les médailles olympiques, menée par la plateforme d’investissement Saxo. Lors des JO de Tokyo, une médaille d’or valait 643,46 euros et 497,30 euros aux Jeux de Rio en 2016."(1). 

Sans valeur, une médaille de près de 900€ ? Si toutes les breloques avaient cette valeur-là, on n'en vendrait pas sur les marchés, les foires et dans les bazars des plages et des lieux de vacances. 900 €, c'est déjà le prix d'un beau bijou, non?

UN NOUVEAU SENS ? 

Mais voilà, qui connaît encore le sens du mot "breloque" ? Les vieux ronchons et les amateurs de la langue française. Mais pas les journalistes, qu'ils soient sportifs ou non. De là à se demander si les défenseurs du "vrai" sens du mot n'ont pas tort face aux torrents de breloques olympiques… 

Le Robert ne s'y est pas trompé, lui qui après avoir donné la bonne définition du mot cite comme premier exemple de phrase utilisant "breloque" un article de Ouest-France de datant des J.O. de 2021: "La journée était particulièrement argentée avec quatre breloques de ce métal et une de bronze.Ouest-France, 31/07/2021". 

Le meilleur moyen de créer la confusion… 

Car associer breloque et joyau olympique semble être né lors des précédents J.O. Et amplement utilisé lors des J.O d'hiver de 2022. Tant et si bien que le médiateur de radio France avait alors été saisi par des auditeurs outragés (2). La brave médiatrice leur avait donné raison, reprenant la réponse de Jean Pruvost, lexicologue, pour qui il s'agit d'un terme méprisant pour les athlètes et dont l'usage est inapproprié.

Mais voilà, les journalistes n'ont que faire des lexicologues… (même s'ils mettent le terme en italiques). 

Quand ils offriront à leur compagne ou compagnon un prochain bijou, par exemple un collier en diamants d'une valeur de 900€, ils seront heureux de s'entendre dire en retour : "Merci mon amour, quelle belle breloque! "…

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/jo-2024-la-medaille-d-or-des-jeux-de-paris-vaut-34-de-plus-qu-aux-jo-de-tokyo-celle-d-argent-vaut-84-de-plus-11415447 

(2)    https://mediateur.radiofrance.com/infos/breloque-ou-medaille/

25 juillet 2024

RTBF: Le retour de "L'autre vérité"


Sale temps pour la RTBF. Les projets de la nouvelle majorité qui prend les rênes de la Fédération Wallonie-Bruxelles entendent lui imposer un régime et remettre en cause sa légitimité en tant qu'opérateur "populaire". Mais le reléguer à de strictes missions ne risque-t-il pas d'entraîner la mort du service public ?

"Si on peut la regarder [la Formule 1] sur RTL, sans la payer avec mes impôts, c'est super !" Cet extrait d'un échange ayant circulé sur X à propos de l'éventuelle interdiction pour la RTBF de diffuser des événements sportifs en clair en dit long sur ce qui pourrait attendre le service public : perdre au moins une partie de son offre gratuite de grandes compétitions internationales, au motif que celle-ci ne correspondrait pas à sa mission de service public. Et, en corollaire, la "cession" des droits y afférents à un opérateur privé, que tout le monde verrait bien être le groupe RTL.

Avec, comme argument massue, que si ce sont les propriétaires de RTL Belgique qui achètent ces droits, le téléspectateur continuera à voir ces sports "gratuitement" alors que, quand c'est la RTBF qui les diffuse, ce serait le contribuable qui paierait ces droits. Pas via la redevance, puisque la Région wallonne ne pratique ce mode de récolte de fonds, mais via le fait que, comme tout le monde paie des impôts régionaux et qu'une partie de ceux-ci sont reversés à la FWB, c'est dans cette manne que l'on puise pour la dotation dont bénéficie la RTBF.

SPORT, PAR ICI LA PUB

Est-il possible de prouver que c'est sur sa dotation que la RTBF acquiert les droits de retransmission de la F1, du foot ou d'autres sports ? On oublie peut-être un peu vite que, selon les données provenant de son rapport annuel 2023 (1), 78% de ses recettes viennent bien de dotations publiques, mais 14% de la publicité, 3% des câblo-opérateurs et 6% d'autres recettes. Et encore 2023 n'est-il pas un bon exemple, car… en l'absence d'événements sportifs de grande ampleur, la RTBF n'a pas engrangé l'an dernier autant de recettes publicitaires que d'habitude.

Eh oui, les événements sportifs nourrissent, parfois de manière significative, les rentrées publicitaires de la RTBF. En 2022 (2), la part de ces recettes publicitaires avait constitué 16% de ses rentrées. Et 17% en 2021. Moins de retransmissions sportives rimerait aussi forcément avec baisse des rentrées commerciales...

 DU BELGE QUI RAPPORTE

Resterait aussi à savoir si RTL Belgique serait prête à s'engouffrer dans la brèche imposée par les autorités politiques. Que Rossel (et DPG) aient poussé à la charrette pour que la nouvelle majorité suggère ce type de restrictions à l'opérateur public paraît plus que plausible. La stratégie de la direction de l'entreprise n'a jamais caché vouloir mettre au maximum l'accent sur le sport, tout en regrettant que la RTBF phagocyte les meilleures parts du morceau. Le sport est en effet (pour RTL comme pour la RTBF) le moyen le plus rentable de "faire du belge" à l'antenne. Certes, ça coûte. Mais qu'est-ce que ça rapporte !

Mais tout de même, ça coûte. Bien sûr, DPG peut mettre dans la course toute le poids de ses chaînes flamandes, et négocier des packages associant l'acquisition nord+sud Belgique. Mais les vendeurs de droits ne seront-ils pas plutôt tentés de vendre les droits à des plateformes payantes ? Fini dans ce cas l'idée que, si c'est sur RTL, c'est gratuit et non payé par le contribuable. Tout qui voudrait voir une compétition internationale de haut niveau aurait alors l'obligation de payer lui-même. Juste ce que la RTBF s'efforçait d'éviter, au nom de sa conception de sa mission de service public.

LA FIN DE LA LÉGITIMITÉ

Car, derrière ce relatif épiphénomène des droits de retransmissions sportives, c'est bien la question de la définition exacte du rôle du service public qui est en jeu. On peut toujours considérer que, comme l'avait fixé le fondateur de la BBC Lord Reith il y a… un siècle, le rôle du service public de l'audiovisuel est, dans l'ordre, d'éduquer, d'informer et puis de divertir (3). Mais un siècle a coulé sous les ponts de la Tamise depuis lors, et l'UER, qui regroupe tous les opérateurs publics européens, définit plutôt maintenant ces missions dans un autre autre, le plus couramment admis, en plaçant l'information avant l'éducation (4).

Le divertissement n'est pas exclu des missions des MSP (médias de service public). Il permet même, en général, à l'opérateur public de conforter sa légitimité vis-à-vis de son audience. Et est donc en cela essentiel. Que serait en effet un opérateur public qui serait obligé d'austèrement se contenter d'éduquer et d'informer, alors que ses concurrents privés auraient toute liberté de noyer leurs téléspectateurs dans les charmes des divertissements ? Son audience ne ferait que diminuer. Et alors que, en parts de marché tv, la RTBF domine ces derniers temps les autres opérateurs actifs en Belgique francophone, il ne faudrait pas longtemps pour que cette primauté s'effondre comme un château de cartes. Le jour où le commun des mortels de Belgique dira : "La RTBF ? Connais pas", on pourra vite fait raboter l'entreprise publique à l'essentiel de l'essentiel de ses missions, en réduisant son financement à une peau de chagrin. Puisque plus personne ou presque n'en regarderait ou n'écouterait les programmes…

On n'ose imaginer que telle est l'intention finale des deux partis qui gouvernent désormais la Fédération Wallonie Bruxelles, et notamment de la ministre ayant été désignée pour gérer les dossiers liés aux médias. 

L'HISTOIRE D'UNE OBSESSION

En 1985, c'est-à-dire il y a presque quarante ans, une majorité PRL-PSC prenait les commandes de la Région wallonne et de la Communauté Française de Belgique. 


À
la même époque, une majorité de mêmes couleurs dirigeait le pays au fédéral. C'est sous cette majorité que le RTL Group avait obtenu l'autorisation de diffuser en Belgique un JT réalisé en direct de Bruxelles, grâce à un faisceau hertzien (normalement illégal) relayant les studios de RTL en Belgique à ceux de RTL Luxembourg, d'où le signal télévisé était envoyé vers les câblodistributeurs belges. À ce moment, RTL avait développé une grande campagne de presse autour d'un slogan: "L'autre vérité". Encourager l'info sur RTL était un vieux rêve des libéraux, qui considéraient la RTBF comme gauchiste, comme ne cessait de l'affirmer le chef libéral Jean Gol. La guerre contre le service public devait passer par la destruction de son monopole sur l'info. Ainsi fut fait. Et le 19h de RTL de dominer, quasi en permanence, le 19h30 de la RTBF.

Puis ce fut l'autorisation fédérale de la création d'opérateurs privés de l'audiovisuel, la traduction de cette loi dans un décret francophone, et le choix pour les libéraux et les chrétiens de concéder cette autorisation à… RTL. D'où la naissance de RTL TVI, d'abord seule autorisée à diffuser de la pub, avant que "le retour du cœur" prôné par Guy Spitaels n'amène à mettre un peu d'eau dans ce vin commercial, d'en autoriser aussi l'usage par la RTBF sous conditions, puis sans condition.

LE RETOUR DU JEDI

En 2024, on a un peu l'impression que l'Histoire se répète. Non sur le terrain de l'info (où RTBF et RTL font plus ou moins la même chose), mais sur d'autres terres qui sont devenues sensibles: celles du divertissement, et en particulier le sport. Pour qu'en définitive RTL supplante l'opérateur public? 

Il est incontestable que la RTBF en fait beaucoup. Elle est sur tous les coups, toutes les innovations, et a souvent réussi ces derniers temps à supplanter un navire RTL poussif et difficile à manœuvrer.  Être sur tous les terrains, cela demande des moyens. Mais cela permet de dresser un chemin vers le futur, dans un univers médiatique en constante évolution. Dans un contexte politique de restrictions, l'opérateur public est-il vraiment la première cible qu'il faut abattre? Peut-être pas. Surtout dans une communauté aussi restreinte que la Belgique francophone, qu'on ne peut comparer ni à la Flandre, ni aux grands pays européens.

Mais il y a sans doute des raisonnements politiques que la raison ne connaît pas (vraiment)…

Frédéric ANTOINE


(1) Au moment où ces lignes sont écrites, la page web du rapport 2023 n'affiche qu'un grand écran bleu…
(2) Selon le rapport annuel 2022, dont nous disposons.
(3) Comme le dit le site de la BBC "Reith is identified with the BBC's public service aims to educate, inform and entertain"
(4) "Public service media (PSM) is broadcasting made, financed and controlled by the public, for the public. Their output, whether it be TV, radio or digital, is designed to inform, educate and entertain all audiences."

26 mai 2024

Paris Match: le poids du catho, le choc de la photo

La Une du dernier numéro de Paris Match France rompt avec tous les codes traditionnels utilisés par ce magazine : sur la couv., aucun people, aucun personnage de face ou en gros plan. Pas d'image choc. Mais une photo d'église. Est-ce ainsi que le magazine entend se faire vendre ?

Paris Match est-il devenu un magazine d'informations catholique ? Même les titres classiques de la presse française étiquetés comme tels n'auraient sans doute jamais osé afficher en première page aussi "vide" que celle qui celle du dernier numéro de la célèbre publication parisienne : une seule photo, celle de deux tours d'un clocher se détachant sur un fond blanc, avec, dans le bas de l'image, des drapeaux et tout en bas la tête de quelques personnages pris de dos, la plupart coiffés d'un chapeau.

Pour nos lecteurs belges, qui n'ont pas accès à la version française de Match dans leurs kiosques, nous reproduisons cette couv. ici. Une Une d'autant plus atypique qu'elle ne comprend aucune autre illustration et que, hormis son titre majeur sur le grand retour des pèlerins, elle n'en affiche que deux autres, plus un dans le bandeau supérieur. Un de ces titres concerne un dossier spécial de 12 pages sur les stars présentes à Cannes. Mais qui ne méritaient sans doute pas d'être en couverture. Alors que la cathédrale de Chartres, oui. Car, en lisant le chapeau figurant en dessous du titre sur les pèlerins, on apprendra que ce bâtiment religieux ayant deux clochers n'est autre que la première église d'Eure-et-Loir.

Au même moment, la Une de l'édition belge de Match n'était pas du tout dans le même registre. Elle utilisait pour sa part les codes classiques des couv. du magazine : une grande photo d'un personnage connu (ici, la reine Paola) et, en insert, une deuxième illustration, elle aussi en lien avec des personnages people, issus de la famille royale belge.

QUI A PIQUÉ MATCH ?

Cette Une belge décline les conventions classiques du "poids des mots" et du "choc des photos" chères à Match. Elle les décale même quelque peu, puisque les personnages qui y sont présentés ne regardent pas le lecteur les yeux dans les yeux (le fameux "axe Y-Y").

Cette communion de regard entre le lecteur et le média, pratiquée dans quasiment toutes les Une de la presse magazine,  est un élément canonique de l'écriture iconique de Paris-Match, comme le démontrent les quelques exemples ci-dessus, dont on trouve de nombreuses variations sur internet. Comparer ces Une habituelles et celle du dernier numéro du magazine a de quoi donner le tournis. Mais quelle mouche a donc piqué Match ?

On répondra peut-être que, si le modèle classique de la Une de Match est bien celui de la mise en scène de personnages people en axe Y-Y, l'hebdo consacre de temps à autre sa première page à des événements à forte intensité dramatique desquels les people sont évidemment exclus. 

L'objection est pertinente. Sauf que, dans ces cas-là, le choix rédactionnel de Match est, d'ordinaire, d'inclure dans la photo de Une des personnages non people, mais actifs au cœur de l'événement (voir ci-dessus). Certes, l'axe Y-Y a disparu, mais la représentation de l'info dans des incarnations vivantes reste l'élément primordial d'accroche de la Une.

 POUR FAIRE VENDRE ?

Dans le cas de la couverture de Match France de cette semaine, cet élément grammatical disparaît. Ce sont les deux clochers d'une cathédrale qui constituent le point focal de la première page, où on distingue à peine, dans le bas de l'image, des "pèlerins" aux têtes dissimulées sous d'énormes chapeaux. N'étant pas expert en iconographie parismatchienne, contrairement à notre éminent collègue Philippe Marion, nous n'affirmerons pas que Match n'avait jamais auparavant agi de la sorte. Mais, dans un passé récent, il nous semble que seule sa Une sur Notre-Dame de Paris en feu, en avril 2019, présentait aussi un bâtiment (religieux) sans aucun personnage à proximité. Sauf que Notre-Dame était en feu, et était donc le véritable personnage de l'info.

Quel chaland passant par hasard chez son marchand de journaux ou devant un kiosque à journaux sera-t-il attiré par la Une de Match France de cette semaine, au point de se précipiter pour en acheter un exemplaire ? Et ce même si des présentoirs situés près des caisses des libraires font normalement tout pour capter le regard d'un éventuel lecteur ? 

À moins qu'il soit un catholique convaincu, ou intéressé de près par les choses de la religion, on peut se poser la question. D'autant que la problématique religieuse n'y est incarnée ni par un personnage people, ni par un religieux, ou même un simple pèlerin. Seule la silhouette de l'édifice religieux occupe l'essentiel de la page. 

Les services commerciaux de Match auraient-ils perdu le nord?

PROSÉLYTISME MÉDIATIQUE ?

La réponse est sans doute plus simple : jusqu'à présent, Match appartient à Vincent Bolloré. Comme CNews ou C8, cette chaîne qui a récemment produit et diffusé une télé-réalité mettant en scène la retraite vécue dans un monastère de Corse par une série de people bien connus. Par cette Une, comme par d'autres célébrant précédemment quelques personnalités catholiques, Paris Match pourrait s'inscrire dans la stratégie de vulgarisation médiatique religieuse souhaitée par son propriétaire. Peut-être. Si on y pense bien…

On vient pourtant d'annoncer que, pour éviter des pénalités de la Commission européenne, Vincent Bolloré a décidé de vendre Paris Match à LVMH-Bernard Arnault. Mais cette cession ne devrait survenir qu'en septembre si tout va bien. D'ici-là…

Eh bien, peut-être que, d'ici-là, le grand magazine du poids des mots et des choc des photos  pourrait afficher d'autres Unes plutôt contre-commerciales. Mais idéologiquement porteuses. Du moins pour qui les commandite. Sait-on jamais…

Frédéric ANTOINE.


 

12 mai 2024

Eurovision : la démocratie ne s'use-t-elle que si l'on s'en sert ?


Les votes pour Israël survenus lors du dernier concours de la chanson de l'Eurovision démontrent une chose : c'est que la démocratie ne s'use que si l'on s'en sert. Ou, plutôt ne sert que ceux qui en usent.

Objet de contestations diverses, la chanson représentant Israël samedi dernier au concours Eurovision de la chanson a (presque) failli remporter la palme. Selon les infos relayées par de nombreux médias dignes de foi (et communiquées ce dimanche par les organisateurs), la chanteuse de l'Etat hébreu n'avait recueilli que 52 points lors du vote des jurys professionnels, ce qui la classait à la douzième place du concours. Mais, du côté du "vote du public", elle a emmagasiné pas moins de 323 points, soit à peine moins que la chanson la plus plébiscitée, celle de la Croatie. Résultat des courses : au total, la chanson israélienne s'est classée cinquième de la compétition. Le décryptage des "votes du public" révèle qu'elle a recueilli le maximum de 12 points dans 15 pays (dont la Belgique), et 10 points dans 7 autres pays. Et ce sur le total des 37 pays participants plus les votes du pays "imaginaire" supplémentaire, regroupant les choix provenant de tous les autres pays du monde.

LE PUBLIC A BON DOS

 De quoi s'étonner un peu ? Oui, si l'on croit naïvement que "le vote du public" est une représentation statistiquement représentative de l'audience du programme. Ou, encore mieux, une photographie des choix de l'opinion publique à propos des chansons en lice dans chacun des pays participants. Le fruit d'une gigantesque enquête qui ferait de l'Eurovision le plus grand sondage démocratique en son genre.

De quoi ne pas s'étonner ? Oui, si l'on ne perd pas de vue que le "vote du public" n'est jamais que le vote de tous ceux qui ont pris la peine de voter (et peut-être plusieurs fois, puisqu'un même numéro de téléphone peut voter jusqu'à 20 fois) ou que l'on a aimablement invités (ou incités) à voter pour tel ou tel candidat. "Le public" au donc bon dos, le vote exprimé n'étant pas le sien, mais seulement celui de certaines personnes (pas nécessairement spectatrices), pouvant voter de manière "censitaire", plusieurs fois de suite, comme c'était le cas dans les systèmes qui ont précédé la démocratie actuelle du "un homme-une voix".

Pourtant, une élection à laquelle tout le monde peut potentiellement participer (à condition d'avoir 'simplement' accès à un téléphone), que pourrait-on rêver de mieux ! Peut-on imaginer plus démocratique ? Sûrement pas depuis que les télé-crochets et la télé-réalité, la télévision n'ont cessé de nous le faire croire que : "C'est vous qui votez !" "C'est vous qui décidez !". "Le candidat que vous avez choisi d'éliminer cette semaine, c'est : …

Ce serait peut-être un peu vrai si, par un coup de baguette magique, chaque zappette se transformait réellement de temps en temps en machine à voter. Mais tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Mais tout le monde (y compris les médias et les organisateurs) s'efforce de croire que le système des votes par téléphone serait un miroir objectif et exhaustif de "l'opinion".

UN MIROIR, OU UN LEURRE

Comme lors des élections (dans tous les pays sauf en Belgique et au Luxembourg où le vote est très théoriquement obligatoire), la "démocratie" ne s'use que si l'on s'en sert. Ou plus exactement ne sert vraiment qu'à ceux qui en usent. Les absents y ont toujours tort. Dans l'isoloir comme dans les concours du grand prix de l'Eurovision. Sauf qu'ici, on peut même user la mécanique jusqu'à la corde, puisqu'on peut voter 20 fois de suite…

N'étant pas l'image du choix des téléspectateurs ou de la population des pays, les votes pour le concours de l'Eurovision sont une énorme tromperie. Un leurre. Mais ils révèlent le poids que peuvent peser certains intérêts ou certaines causes, et, surtout, la manière dont des mobilisations de groupes d'individus peuvent être organisées afin de les amener à agir (c'est-à-dire à voter) en faveur d'un représentant particulier. Les choix manifestés ne sont alors pas naturels, mais le fruit de stratégies bien organisées, voire bien rodées d'année en année.

INTERNATIONALE DES SOUTIENS

Dans cette mécanique qui n'a pas grand-chose de démocratique, plus la cause à promouvoir sera capable de concerner un public large, plus l'action mobilisatoire (pour ne pas dire manipulatoire) aura de chance de réussir. Les opérations de mobilisation en fonction de la nationalité d'un candidat sont donc en général vouées à l'échec, le pays que représente la chanteuse ou le chanteur ne pouvant voter pour lui, et l'étendue de la dispersion internationale de chaque nationalité étant tout de même limitée. Ce système ouvre par contre la voie à toutes les opérations de mobilisation derrière lesquelles une très grande quantité de personnes peuvent se retrouver dans un grand nombre de pays. Le soutien à l'Etat d'Israël via le vote pour la chanson d'Israël en est un bel exemple cette année (mais il n'est pas le seul). Si, de plus, les causes en question sont elles-mêmes naturellement, et de longue date, soutenues par des lobbys de natures diverses, les actions de soutien ne seront que plus aisées à mettre sur pied.

L'Eurovision met ainsi au grand jour le poids que peuvent peser de larges opérations d'influence de « l'opinion ». Dire qu'on pensait qu'il s'agissait de choisir la chanson de l'année, celle qui allait se répandre partout et rapporter gros au show-business. Eh non. L'Eurovision ce n'est pas un jackpot. Mais un champ d'action d'influence politique. 

Quand on pense qu'on nous disait le contraire depuis 1956. Soit depuis bientôt 70 ans…

Frédéric ANTOINE

26 avril 2024

PRESSE FRANCOPHONE : SORTEZ VOS MOUCHOIRS


Sortez vos parapluies : la douche est de retour et l'éclaircie n'aura été que de courte durée. Alors qu'on les croyait plutôt sorties d'affaire, les ventes des quotidiens du sud de la Belgique ont, pour la plupart, replongé en 2023. La panacée du digital payant n'est apparemment pas aussi solide qu'espéré.

Ils ont mis du temps à être communiqués, cette année, les chiffres de ventes des journaux déclarés par les éditeurs. Alors que le CIM les présente comme des données publiées en mars 2024 (pour l'année 2023), ils viennent tout juste d'être sortis du four et mis en ligne. Ce n'est pas qu'au dehors des logis que le temps, cette année, ne se radoucit pas. Les coups de bourrasque dans le monde de la presse sont même cette fois si forts que  l'ordre d'importance des quotidiens en fonction du total de leurs ventes subit une modification de taille : Le Soir, qui avait repris le leadership, se voit en 2023 ramené à la deuxième place qu'il occupait jadis. Et c'est L'Avenir qui devient, certes de peu, le titre le plus vendu dans le sud du pays (que ce soit sous forme papier, mixte ou digitale).



La raison de cette inversion de tendance est simple : entre 2022 et 2023, les ventes de la plupart des titres se sont, sinon effondrées, au moins pas mal effritées. Mis à part pour les plus petits titres du marché, tout le monde est passé à la casserole. Mais L'avenir, fort d'un lectorat solide et habitué, a mieux résisté que tous ses compagnons d'infortune. Sale affaire alors que, depuis les années covid, l'air était plutôt à l'optimisme : après des décennies de dégringolade, la plupart des quotidiens avaient fièrement redressé la tête. Le fond de la piscine avait été touché, et l'heure était à la remontée à la surface. Sauf que, en 2023, l'optimisme a manqué un peu d'oxygène.

LA BULLE COVID

Afin de comprendre le pourquoi du comment, un petit flash-back s'impose, retour dans le passé que nous ne ferons remonter (pour des raisons de simplicité) qu'à la dernière année d'avant covid, c'est-à-dire 2019. Cette année-là, comme c'était déjà le cas auparavant, les journaux ne sont pas à la fête. Chaque nouvelle publication de chiffres de ventes confirme leur essoufflement progressif. Les titres ont certes bien commencé à promotionner leurs abonnements digitaux, mais l'affaire n'est pas (encore) gagnée.

Alors arrive l'épidémie. 2020 sera une belle année pour la plupart des titres de presse, notamment grâce aux ventes en ligne. Pour quelques quotidiens, la deuxième salve du covid, en 2021, confirmera les bons chiffres de 2020 : le public est entré dans l'ère du digital payant, et l'issue de la crise de la presse se profile. 2022 s'inscrira dans la même perspective. Plusieurs journaux voient leurs ventes se stabiliser, ou ne diminuer que quelque peu. Dame, on ne peut pas faire des scores de pandémie quand celle-ci se volatilise… Dans la perspective de cette dynamique, 2023 devait confirmer (ou infirmer) le maintien de la tendance. 

 

PATATRAS !

 

Et puis, voilà, cela ne s'est pas tout à fait produit dans le sens espéré.

Les titres à avoir le plus souffert de cette éphémère embellie sont incontestablement les deux quotidiens de qualité (quality papers) de Belgique francophone, et en particulier Le Soir qui avait vu ses ventes s'envoler lors des années covid (notamment grâce à de belles promotions commerciales), mais n'avait pas retrouvé le même souffle en 2022 et confirme cette chute l'an passé. Tous types de ventes confondus, le grand journal de la rue Royale n'est plus très très loin de retrouver en 2023 son niveau de ventes de 2019… 

 

Même phénomène, mais à plus faible échelle, pour La Libre, dont les ventes s'érodent et reviennent ± l'an dernier à leur score d'avant covid. On a toujours affirmé que le lectorat digital était volatile. La démonstration de ce théorème est désormais chose faite. Les deux autres perdants de ces dernières années se situent du côté des quotidiens populaires (popular newspapers), pour lesquels le covid n'avait pas été une aubaine, mais qui n'ont jamais cessé de perdre des acheteurs depuis la décennie 2010. Pour eux, 2023 confirme la tendance antérieure. 

Face à tous ces dégâts, L'Avenir tire son épingle du jeu. Il faut dire que le régional namurois n'avait pas bénéficié de l'effet covid (peut-être même avait-il alors perdu davantage d'abonnés que les autres titres, vu l'âge de son lectorat). Mais, depuis 2020, la diffusion du titre affiche une relative stabilité que lui envient sans doute ses concurrents… et qui lui permet de redevenir en 2023 le titre le plus vendu. En bas de tableau, crises ou pas, L'Echo continue son petit bonhomme de chemin de hausse, alors que la clientèle du Grenz Echo reste, bon an mal an, à peu près pareil à elle-même.

 

BROUILLAGE DE CARTES

 

On aimerait pouvoir en dire plus sur les causes  à long terme de ces changements mais, l'an dernier, les éditeurs de presse ont, sûrement sans vouloir à mal, brouillé les cartes en modifiant les catégories dans lesquelles le CIM range les ventes qu'ils opèrent, en en créant une nouvelle, destinée à comptabiliser les abonnements "en alternance" dont une partie de la semaine se fait en numérique et l'autre (souvent un ou deux jours seulement) en papier. Une bonne idée, assurément, mais qui rend très difficile de comparer les ventes "papier" et "numérique" d'avant 2022 avec celle de cette année-là (voir à ce propos nos posts de l'an dernier).

 

A toute chose malheur étant bon, en 2023, la classification de 2022 a été poursuivie. On peut donc cette fois comparer les données sur les deux années, et cela ne manque pas d'intérêt. 

 

Bien évidemment, les chiffres confirment la poursuite de la diminution des ventes papier. Mais, contrairement à ce que les oracles annoncent depuis belle lurette, celles-ci ne s'effondrent toujours pas d'un coup. Le papier représente toujours près de 50.000 exemplaires vendus par jour pour L'Avenir et un peu moins de 40.000 pour Sud Info.

Ces deux titres sont ceux où la chute est significativement la plus représentative.
C'est pour La Dernière Heure que cette baisse des ventes papier est proportionnellement la plus importante, alors qu'elle représente environ 10% de leurs ventes papier de 2022 pour plusieurs autres titres.


 

MIXTURE PAS MAGIQUE

 

Les clients qui ont quitté l'achat papier ont-ils alors choisi d'opter pour la formule mixte mêlant papier et digital, qui semble être un bon moyen de faire doucement et sans heurt basculer le (vieux) lecteur récalcitrant de sa gazette matinale vers le smartphone ou la tablette ? A voir. L'idée a sans doute eu ce but, mais il semble qu'elle ne convainc pas grand monde. Et même de moins en moins.

Le nombre d'abonnés ayant opté pour cette formule est relativement faible. Mais surtout, en 2023, il s'affiche, pour tous les titres sauf L'Echo (et à la marge pour La Libre) inférieur à celui de 2022. L'Echo, qui joue sur sa formule du samedi, a sans doute réussi à convaincre davantage de clients de mixer le digital en semaine et une lecture magazine sur papier le week-end. Mais pas ailleurs dans la presse. La constatation est intéressante : soit une offre mix n'est pas une bonne solution, soit elle n'est que transitoire, et atteint son objectif quand les abonnés passent au digital (si tant est que ce soit une bonne idée de ne pas partager sa lecture sur deux supports).

 

ABONNÉS ABSENTS

 

Mais, alors, justement, qu'en est-il du digital ? N'est-ce pas là aussi que s'explique l'épineuse situation de 2023 ? Assurément, car tant Le Soir que La Libre ou La DH ont en effet perdu des abonnés digitaux l'an dernier.

Proportionnellement à ses ventes, par contre, c'est le Grenz Echo qui a fait le plus fort, en augmentant ses abonnés numériques de plus de 50%. Derrière lui, L'Avenir récupère une partie de son retard en ventes numériques en en gagnant 40%. D'un autre côté, les pertes du Soir, de La Libre et de La DH n'atteignent pas les 10% sur un an. Elles ne sont donc pas catastrophiques, pourrait-on dire. Sauf qu'elles s'inscrivent dans un trend qui n'est pas positif, et qui commence à s'installer dans la durée (voir ci-dessus).

SAUVER LES MEUBLES

 

Comme si, finalement, le digital payant n'était pas tout à fait la potion miracle à laquelle tout le monde croyait. Comme si, de même, la monétisation du numérique était, elle aussi, victime d'un plafond de verre. Une limite qui ne parviendrait jamais à en faire un remède de cheval. Nous avons évoqué ci-dessus la volatilité des abonnés numériques. Dans une société en crise où certains préfèrent s'abonner à Netflix+Disney (ou Amazon) plutôt qu'à un journal, convaincre le lecteur à renouveler l'abonnement acquis pour une bouchée de pain (voir avec un cadeau), cela devient un véritable sport. Visiblement pas encore tout à fait homologué.

 

Depuis quelques jours, les éditeurs de presse de Belgique francophone (ils ne sont jamais plus que deux…) occupent les écrans publicitaires dans l'audiovisuel en vantant les mérites de leur type de presse, leurs qualités et le rôle essentiel de leurs médias dans le contexte actuel. Si on n'avait pas compris pourquoi la communication de leurs résultats de diffusion 2023 avait mis du temps à sortir, on aura au moins là trouvé une de leurs conséquences. 

Avec un effet utile ? Ou placebo ?

 

Frédéric ANTOINE.

 

 

 

 

 

 

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