User-agent: Mediapartners-Google Disallow: User-agent: * Disallow: /search Allow: / Sitemap: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/sitemap.xml

Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

25 juillet 2024

RTBF: Le retour de "L'autre vérité"


Sale temps pour la RTBF. Les projets de la nouvelle majorité qui prend les rênes de la Fédération Wallonie-Bruxelles entendent lui imposer un régime et remettre en cause sa légitimité en tant qu'opérateur "populaire". Mais le reléguer à de strictes missions ne risque-t-il pas d'entraîner la mort du service public ?

"Si on peut la regarder [la Formule 1] sur RTL, sans la payer avec mes impôts, c'est super !" Cet extrait d'un échange ayant circulé sur X à propos de l'éventuelle interdiction pour la RTBF de diffuser des événements sportifs en clair en dit long sur ce qui pourrait attendre le service public : perdre au moins une partie de son offre gratuite de grandes compétitions internationales, au motif que celle-ci ne correspondrait pas à sa mission de service public. Et, en corollaire, la "cession" des droits y afférents à un opérateur privé, que tout le monde verrait bien être le groupe RTL.

Avec, comme argument massue, que si ce sont les propriétaires de RTL Belgique qui achètent ces droits, le téléspectateur continuera à voir ces sports "gratuitement" alors que, quand c'est la RTBF qui les diffuse, ce serait le contribuable qui paierait ces droits. Pas via la redevance, puisque la Région wallonne ne pratique ce mode de récolte de fonds, mais via le fait que, comme tout le monde paie des impôts régionaux et qu'une partie de ceux-ci sont reversés à la FWB, c'est dans cette manne que l'on puise pour la dotation dont bénéficie la RTBF.

SPORT, PAR ICI LA PUB

Est-il possible de prouver que c'est sur sa dotation que la RTBF acquiert les droits de retransmission de la F1, du foot ou d'autres sports ? On oublie peut-être un peu vite que, selon les données provenant de son rapport annuel 2023 (1), 78% de ses recettes viennent bien de dotations publiques, mais 14% de la publicité, 3% des câblo-opérateurs et 6% d'autres recettes. Et encore 2023 n'est-il pas un bon exemple, car… en l'absence d'événements sportifs de grande ampleur, la RTBF n'a pas engrangé l'an dernier autant de recettes publicitaires que d'habitude.

Eh oui, les événements sportifs nourrissent, parfois de manière significative, les rentrées publicitaires de la RTBF. En 2022 (2), la part de ces recettes publicitaires avait constitué 16% de ses rentrées. Et 17% en 2021. Moins de retransmissions sportives rimerait aussi forcément avec baisse des rentrées commerciales...

 DU BELGE QUI RAPPORTE

Resterait aussi à savoir si RTL Belgique serait prête à s'engouffrer dans la brèche imposée par les autorités politiques. Que Rossel (et DPG) aient poussé à la charrette pour que la nouvelle majorité suggère ce type de restrictions à l'opérateur public paraît plus que plausible. La stratégie de la direction de l'entreprise n'a jamais caché vouloir mettre au maximum l'accent sur le sport, tout en regrettant que la RTBF phagocyte les meilleures parts du morceau. Le sport est en effet (pour RTL comme pour la RTBF) le moyen le plus rentable de "faire du belge" à l'antenne. Certes, ça coûte. Mais qu'est-ce que ça rapporte !

Mais tout de même, ça coûte. Bien sûr, DPG peut mettre dans la course toute le poids de ses chaînes flamandes, et négocier des packages associant l'acquisition nord+sud Belgique. Mais les vendeurs de droits ne seront-ils pas plutôt tentés de vendre les droits à des plateformes payantes ? Fini dans ce cas l'idée que, si c'est sur RTL, c'est gratuit et non payé par le contribuable. Tout qui voudrait voir une compétition internationale de haut niveau aurait alors l'obligation de payer lui-même. Juste ce que la RTBF s'efforçait d'éviter, au nom de sa conception de sa mission de service public.

LA FIN DE LA LÉGITIMITÉ

Car, derrière ce relatif épiphénomène des droits de retransmissions sportives, c'est bien la question de la définition exacte du rôle du service public qui est en jeu. On peut toujours considérer que, comme l'avait fixé le fondateur de la BBC Lord Reith il y a… un siècle, le rôle du service public de l'audiovisuel est, dans l'ordre, d'éduquer, d'informer et puis de divertir (3). Mais un siècle a coulé sous les ponts de la Tamise depuis lors, et l'UER, qui regroupe tous les opérateurs publics européens, définit plutôt maintenant ces missions dans un autre autre, le plus couramment admis, en plaçant l'information avant l'éducation (4).

Le divertissement n'est pas exclu des missions des MSP (médias de service public). Il permet même, en général, à l'opérateur public de conforter sa légitimité vis-à-vis de son audience. Et est donc en cela essentiel. Que serait en effet un opérateur public qui serait obligé d'austèrement se contenter d'éduquer et d'informer, alors que ses concurrents privés auraient toute liberté de noyer leurs téléspectateurs dans les charmes des divertissements ? Son audience ne ferait que diminuer. Et alors que, en parts de marché tv, la RTBF domine ces derniers temps les autres opérateurs actifs en Belgique francophone, il ne faudrait pas longtemps pour que cette primauté s'effondre comme un château de cartes. Le jour où le commun des mortels de Belgique dira : "La RTBF ? Connais pas", on pourra vite fait raboter l'entreprise publique à l'essentiel de l'essentiel de ses missions, en réduisant son financement à une peau de chagrin. Puisque plus personne ou presque n'en regarderait ou n'écouterait les programmes…

On n'ose imaginer que telle est l'intention finale des deux partis qui gouvernent désormais la Fédération Wallonie Bruxelles, et notamment de la ministre ayant été désignée pour gérer les dossiers liés aux médias. 

L'HISTOIRE D'UNE OBSESSION

En 1985, c'est-à-dire il y a presque quarante ans, une majorité PRL-PSC prenait les commandes de la Région wallonne et de la Communauté Française de Belgique. 


À
la même époque, une majorité de mêmes couleurs dirigeait le pays au fédéral. C'est sous cette majorité que le RTL Group avait obtenu l'autorisation de diffuser en Belgique un JT réalisé en direct de Bruxelles, grâce à un faisceau hertzien (normalement illégal) relayant les studios de RTL en Belgique à ceux de RTL Luxembourg, d'où le signal télévisé était envoyé vers les câblodistributeurs belges. À ce moment, RTL avait développé une grande campagne de presse autour d'un slogan: "L'autre vérité". Encourager l'info sur RTL était un vieux rêve des libéraux, qui considéraient la RTBF comme gauchiste, comme ne cessait de l'affirmer le chef libéral Jean Gol. La guerre contre le service public devait passer par la destruction de son monopole sur l'info. Ainsi fut fait. Et le 19h de RTL de dominer, quasi en permanence, le 19h30 de la RTBF.

Puis ce fut l'autorisation fédérale de la création d'opérateurs privés de l'audiovisuel, la traduction de cette loi dans un décret francophone, et le choix pour les libéraux et les chrétiens de concéder cette autorisation à… RTL. D'où la naissance de RTL TVI, d'abord seule autorisée à diffuser de la pub, avant que "le retour du cœur" prôné par Guy Spitaels n'amène à mettre un peu d'eau dans ce vin commercial, d'en autoriser aussi l'usage par la RTBF sous conditions, puis sans condition.

LE RETOUR DU JEDI

En 2024, on a un peu l'impression que l'Histoire se répète. Non sur le terrain de l'info (où RTBF et RTL font plus ou moins la même chose), mais sur d'autres terres qui sont devenues sensibles: celles du divertissement, et en particulier le sport. Pour qu'en définitive RTL supplante l'opérateur public? 

Il est incontestable que la RTBF en fait beaucoup. Elle est sur tous les coups, toutes les innovations, et a souvent réussi ces derniers temps à supplanter un navire RTL poussif et difficile à manœuvrer.  Être sur tous les terrains, cela demande des moyens. Mais cela permet de dresser un chemin vers le futur, dans un univers médiatique en constante évolution. Dans un contexte politique de restrictions, l'opérateur public est-il vraiment la première cible qu'il faut abattre? Peut-être pas. Surtout dans une communauté aussi restreinte que la Belgique francophone, qu'on ne peut comparer ni à la Flandre, ni aux grands pays européens.

Mais il y a sans doute des raisonnements politiques que la raison ne connaît pas (vraiment)…

Frédéric ANTOINE


(1) Au moment où ces lignes sont écrites, la page web du rapport 2023 n'affiche qu'un grand écran bleu…
(2) Selon le rapport annuel 2022, dont nous disposons.
(3) Comme le dit le site de la BBC "Reith is identified with the BBC's public service aims to educate, inform and entertain"
(4) "Public service media (PSM) is broadcasting made, financed and controlled by the public, for the public. Their output, whether it be TV, radio or digital, is designed to inform, educate and entertain all audiences."

26 mai 2024

Paris Match: le poids du catho, le choc de la photo

La Une du dernier numéro de Paris Match France rompt avec tous les codes traditionnels utilisés par ce magazine : sur la couv., aucun people, aucun personnage de face ou en gros plan. Pas d'image choc. Mais une photo d'église. Est-ce ainsi que le magazine entend se faire vendre ?

Paris Match est-il devenu un magazine d'informations catholique ? Même les titres classiques de la presse française étiquetés comme tels n'auraient sans doute jamais osé afficher en première page aussi "vide" que celle qui celle du dernier numéro de la célèbre publication parisienne : une seule photo, celle de deux tours d'un clocher se détachant sur un fond blanc, avec, dans le bas de l'image, des drapeaux et tout en bas la tête de quelques personnages pris de dos, la plupart coiffés d'un chapeau.

Pour nos lecteurs belges, qui n'ont pas accès à la version française de Match dans leurs kiosques, nous reproduisons cette couv. ici. Une Une d'autant plus atypique qu'elle ne comprend aucune autre illustration et que, hormis son titre majeur sur le grand retour des pèlerins, elle n'en affiche que deux autres, plus un dans le bandeau supérieur. Un de ces titres concerne un dossier spécial de 12 pages sur les stars présentes à Cannes. Mais qui ne méritaient sans doute pas d'être en couverture. Alors que la cathédrale de Chartres, oui. Car, en lisant le chapeau figurant en dessous du titre sur les pèlerins, on apprendra que ce bâtiment religieux ayant deux clochers n'est autre que la première église d'Eure-et-Loir.

Au même moment, la Une de l'édition belge de Match n'était pas du tout dans le même registre. Elle utilisait pour sa part les codes classiques des couv. du magazine : une grande photo d'un personnage connu (ici, la reine Paola) et, en insert, une deuxième illustration, elle aussi en lien avec des personnages people, issus de la famille royale belge.

QUI A PIQUÉ MATCH ?

Cette Une belge décline les conventions classiques du "poids des mots" et du "choc des photos" chères à Match. Elle les décale même quelque peu, puisque les personnages qui y sont présentés ne regardent pas le lecteur les yeux dans les yeux (le fameux "axe Y-Y").

Cette communion de regard entre le lecteur et le média, pratiquée dans quasiment toutes les Une de la presse magazine,  est un élément canonique de l'écriture iconique de Paris-Match, comme le démontrent les quelques exemples ci-dessus, dont on trouve de nombreuses variations sur internet. Comparer ces Une habituelles et celle du dernier numéro du magazine a de quoi donner le tournis. Mais quelle mouche a donc piqué Match ?

On répondra peut-être que, si le modèle classique de la Une de Match est bien celui de la mise en scène de personnages people en axe Y-Y, l'hebdo consacre de temps à autre sa première page à des événements à forte intensité dramatique desquels les people sont évidemment exclus. 

L'objection est pertinente. Sauf que, dans ces cas-là, le choix rédactionnel de Match est, d'ordinaire, d'inclure dans la photo de Une des personnages non people, mais actifs au cœur de l'événement (voir ci-dessus). Certes, l'axe Y-Y a disparu, mais la représentation de l'info dans des incarnations vivantes reste l'élément primordial d'accroche de la Une.

 POUR FAIRE VENDRE ?

Dans le cas de la couverture de Match France de cette semaine, cet élément grammatical disparaît. Ce sont les deux clochers d'une cathédrale qui constituent le point focal de la première page, où on distingue à peine, dans le bas de l'image, des "pèlerins" aux têtes dissimulées sous d'énormes chapeaux. N'étant pas expert en iconographie parismatchienne, contrairement à notre éminent collègue Philippe Marion, nous n'affirmerons pas que Match n'avait jamais auparavant agi de la sorte. Mais, dans un passé récent, il nous semble que seule sa Une sur Notre-Dame de Paris en feu, en avril 2019, présentait aussi un bâtiment (religieux) sans aucun personnage à proximité. Sauf que Notre-Dame était en feu, et était donc le véritable personnage de l'info.

Quel chaland passant par hasard chez son marchand de journaux ou devant un kiosque à journaux sera-t-il attiré par la Une de Match France de cette semaine, au point de se précipiter pour en acheter un exemplaire ? Et ce même si des présentoirs situés près des caisses des libraires font normalement tout pour capter le regard d'un éventuel lecteur ? 

À moins qu'il soit un catholique convaincu, ou intéressé de près par les choses de la religion, on peut se poser la question. D'autant que la problématique religieuse n'y est incarnée ni par un personnage people, ni par un religieux, ou même un simple pèlerin. Seule la silhouette de l'édifice religieux occupe l'essentiel de la page. 

Les services commerciaux de Match auraient-ils perdu le nord?

PROSÉLYTISME MÉDIATIQUE ?

La réponse est sans doute plus simple : jusqu'à présent, Match appartient à Vincent Bolloré. Comme CNews ou C8, cette chaîne qui a récemment produit et diffusé une télé-réalité mettant en scène la retraite vécue dans un monastère de Corse par une série de people bien connus. Par cette Une, comme par d'autres célébrant précédemment quelques personnalités catholiques, Paris Match pourrait s'inscrire dans la stratégie de vulgarisation médiatique religieuse souhaitée par son propriétaire. Peut-être. Si on y pense bien…

On vient pourtant d'annoncer que, pour éviter des pénalités de la Commission européenne, Vincent Bolloré a décidé de vendre Paris Match à LVMH-Bernard Arnault. Mais cette cession ne devrait survenir qu'en septembre si tout va bien. D'ici-là…

Eh bien, peut-être que, d'ici-là, le grand magazine du poids des mots et des choc des photos  pourrait afficher d'autres Unes plutôt contre-commerciales. Mais idéologiquement porteuses. Du moins pour qui les commandite. Sait-on jamais…

Frédéric ANTOINE.


 

12 mai 2024

Eurovision : la démocratie ne s'use-t-elle que si l'on s'en sert ?


Les votes pour Israël survenus lors du dernier concours de la chanson de l'Eurovision démontrent une chose : c'est que la démocratie ne s'use que si l'on s'en sert. Ou, plutôt ne sert que ceux qui en usent.

Objet de contestations diverses, la chanson représentant Israël samedi dernier au concours Eurovision de la chanson a (presque) failli remporter la palme. Selon les infos relayées par de nombreux médias dignes de foi (et communiquées ce dimanche par les organisateurs), la chanteuse de l'Etat hébreu n'avait recueilli que 52 points lors du vote des jurys professionnels, ce qui la classait à la douzième place du concours. Mais, du côté du "vote du public", elle a emmagasiné pas moins de 323 points, soit à peine moins que la chanson la plus plébiscitée, celle de la Croatie. Résultat des courses : au total, la chanson israélienne s'est classée cinquième de la compétition. Le décryptage des "votes du public" révèle qu'elle a recueilli le maximum de 12 points dans 15 pays (dont la Belgique), et 10 points dans 7 autres pays. Et ce sur le total des 37 pays participants plus les votes du pays "imaginaire" supplémentaire, regroupant les choix provenant de tous les autres pays du monde.

LE PUBLIC A BON DOS

 De quoi s'étonner un peu ? Oui, si l'on croit naïvement que "le vote du public" est une représentation statistiquement représentative de l'audience du programme. Ou, encore mieux, une photographie des choix de l'opinion publique à propos des chansons en lice dans chacun des pays participants. Le fruit d'une gigantesque enquête qui ferait de l'Eurovision le plus grand sondage démocratique en son genre.

De quoi ne pas s'étonner ? Oui, si l'on ne perd pas de vue que le "vote du public" n'est jamais que le vote de tous ceux qui ont pris la peine de voter (et peut-être plusieurs fois, puisqu'un même numéro de téléphone peut voter jusqu'à 20 fois) ou que l'on a aimablement invités (ou incités) à voter pour tel ou tel candidat. "Le public" au donc bon dos, le vote exprimé n'étant pas le sien, mais seulement celui de certaines personnes (pas nécessairement spectatrices), pouvant voter de manière "censitaire", plusieurs fois de suite, comme c'était le cas dans les systèmes qui ont précédé la démocratie actuelle du "un homme-une voix".

Pourtant, une élection à laquelle tout le monde peut potentiellement participer (à condition d'avoir 'simplement' accès à un téléphone), que pourrait-on rêver de mieux ! Peut-on imaginer plus démocratique ? Sûrement pas depuis que les télé-crochets et la télé-réalité, la télévision n'ont cessé de nous le faire croire que : "C'est vous qui votez !" "C'est vous qui décidez !". "Le candidat que vous avez choisi d'éliminer cette semaine, c'est : …

Ce serait peut-être un peu vrai si, par un coup de baguette magique, chaque zappette se transformait réellement de temps en temps en machine à voter. Mais tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Mais tout le monde (y compris les médias et les organisateurs) s'efforce de croire que le système des votes par téléphone serait un miroir objectif et exhaustif de "l'opinion".

UN MIROIR, OU UN LEURRE

Comme lors des élections (dans tous les pays sauf en Belgique et au Luxembourg où le vote est très théoriquement obligatoire), la "démocratie" ne s'use que si l'on s'en sert. Ou plus exactement ne sert vraiment qu'à ceux qui en usent. Les absents y ont toujours tort. Dans l'isoloir comme dans les concours du grand prix de l'Eurovision. Sauf qu'ici, on peut même user la mécanique jusqu'à la corde, puisqu'on peut voter 20 fois de suite…

N'étant pas l'image du choix des téléspectateurs ou de la population des pays, les votes pour le concours de l'Eurovision sont une énorme tromperie. Un leurre. Mais ils révèlent le poids que peuvent peser certains intérêts ou certaines causes, et, surtout, la manière dont des mobilisations de groupes d'individus peuvent être organisées afin de les amener à agir (c'est-à-dire à voter) en faveur d'un représentant particulier. Les choix manifestés ne sont alors pas naturels, mais le fruit de stratégies bien organisées, voire bien rodées d'année en année.

INTERNATIONALE DES SOUTIENS

Dans cette mécanique qui n'a pas grand-chose de démocratique, plus la cause à promouvoir sera capable de concerner un public large, plus l'action mobilisatoire (pour ne pas dire manipulatoire) aura de chance de réussir. Les opérations de mobilisation en fonction de la nationalité d'un candidat sont donc en général vouées à l'échec, le pays que représente la chanteuse ou le chanteur ne pouvant voter pour lui, et l'étendue de la dispersion internationale de chaque nationalité étant tout de même limitée. Ce système ouvre par contre la voie à toutes les opérations de mobilisation derrière lesquelles une très grande quantité de personnes peuvent se retrouver dans un grand nombre de pays. Le soutien à l'Etat d'Israël via le vote pour la chanson d'Israël en est un bel exemple cette année (mais il n'est pas le seul). Si, de plus, les causes en question sont elles-mêmes naturellement, et de longue date, soutenues par des lobbys de natures diverses, les actions de soutien ne seront que plus aisées à mettre sur pied.

L'Eurovision met ainsi au grand jour le poids que peuvent peser de larges opérations d'influence de « l'opinion ». Dire qu'on pensait qu'il s'agissait de choisir la chanson de l'année, celle qui allait se répandre partout et rapporter gros au show-business. Eh non. L'Eurovision ce n'est pas un jackpot. Mais un champ d'action d'influence politique. 

Quand on pense qu'on nous disait le contraire depuis 1956. Soit depuis bientôt 70 ans…

Frédéric ANTOINE

26 avril 2024

PRESSE FRANCOPHONE : SORTEZ VOS MOUCHOIRS


Sortez vos parapluies : la douche est de retour et l'éclaircie n'aura été que de courte durée. Alors qu'on les croyait plutôt sorties d'affaire, les ventes des quotidiens du sud de la Belgique ont, pour la plupart, replongé en 2023. La panacée du digital payant n'est apparemment pas aussi solide qu'espéré.

Ils ont mis du temps à être communiqués, cette année, les chiffres de ventes des journaux déclarés par les éditeurs. Alors que le CIM les présente comme des données publiées en mars 2024 (pour l'année 2023), ils viennent tout juste d'être sortis du four et mis en ligne. Ce n'est pas qu'au dehors des logis que le temps, cette année, ne se radoucit pas. Les coups de bourrasque dans le monde de la presse sont même cette fois si forts que  l'ordre d'importance des quotidiens en fonction du total de leurs ventes subit une modification de taille : Le Soir, qui avait repris le leadership, se voit en 2023 ramené à la deuxième place qu'il occupait jadis. Et c'est L'Avenir qui devient, certes de peu, le titre le plus vendu dans le sud du pays (que ce soit sous forme papier, mixte ou digitale).



La raison de cette inversion de tendance est simple : entre 2022 et 2023, les ventes de la plupart des titres se sont, sinon effondrées, au moins pas mal effritées. Mis à part pour les plus petits titres du marché, tout le monde est passé à la casserole. Mais L'avenir, fort d'un lectorat solide et habitué, a mieux résisté que tous ses compagnons d'infortune. Sale affaire alors que, depuis les années covid, l'air était plutôt à l'optimisme : après des décennies de dégringolade, la plupart des quotidiens avaient fièrement redressé la tête. Le fond de la piscine avait été touché, et l'heure était à la remontée à la surface. Sauf que, en 2023, l'optimisme a manqué un peu d'oxygène.

LA BULLE COVID

Afin de comprendre le pourquoi du comment, un petit flash-back s'impose, retour dans le passé que nous ne ferons remonter (pour des raisons de simplicité) qu'à la dernière année d'avant covid, c'est-à-dire 2019. Cette année-là, comme c'était déjà le cas auparavant, les journaux ne sont pas à la fête. Chaque nouvelle publication de chiffres de ventes confirme leur essoufflement progressif. Les titres ont certes bien commencé à promotionner leurs abonnements digitaux, mais l'affaire n'est pas (encore) gagnée.

Alors arrive l'épidémie. 2020 sera une belle année pour la plupart des titres de presse, notamment grâce aux ventes en ligne. Pour quelques quotidiens, la deuxième salve du covid, en 2021, confirmera les bons chiffres de 2020 : le public est entré dans l'ère du digital payant, et l'issue de la crise de la presse se profile. 2022 s'inscrira dans la même perspective. Plusieurs journaux voient leurs ventes se stabiliser, ou ne diminuer que quelque peu. Dame, on ne peut pas faire des scores de pandémie quand celle-ci se volatilise… Dans la perspective de cette dynamique, 2023 devait confirmer (ou infirmer) le maintien de la tendance. 

 

PATATRAS !

 

Et puis, voilà, cela ne s'est pas tout à fait produit dans le sens espéré.

Les titres à avoir le plus souffert de cette éphémère embellie sont incontestablement les deux quotidiens de qualité (quality papers) de Belgique francophone, et en particulier Le Soir qui avait vu ses ventes s'envoler lors des années covid (notamment grâce à de belles promotions commerciales), mais n'avait pas retrouvé le même souffle en 2022 et confirme cette chute l'an passé. Tous types de ventes confondus, le grand journal de la rue Royale n'est plus très très loin de retrouver en 2023 son niveau de ventes de 2019… 

 

Même phénomène, mais à plus faible échelle, pour La Libre, dont les ventes s'érodent et reviennent ± l'an dernier à leur score d'avant covid. On a toujours affirmé que le lectorat digital était volatile. La démonstration de ce théorème est désormais chose faite. Les deux autres perdants de ces dernières années se situent du côté des quotidiens populaires (popular newspapers), pour lesquels le covid n'avait pas été une aubaine, mais qui n'ont jamais cessé de perdre des acheteurs depuis la décennie 2010. Pour eux, 2023 confirme la tendance antérieure. 

Face à tous ces dégâts, L'Avenir tire son épingle du jeu. Il faut dire que le régional namurois n'avait pas bénéficié de l'effet covid (peut-être même avait-il alors perdu davantage d'abonnés que les autres titres, vu l'âge de son lectorat). Mais, depuis 2020, la diffusion du titre affiche une relative stabilité que lui envient sans doute ses concurrents… et qui lui permet de redevenir en 2023 le titre le plus vendu. En bas de tableau, crises ou pas, L'Echo continue son petit bonhomme de chemin de hausse, alors que la clientèle du Grenz Echo reste, bon an mal an, à peu près pareil à elle-même.

 

BROUILLAGE DE CARTES

 

On aimerait pouvoir en dire plus sur les causes  à long terme de ces changements mais, l'an dernier, les éditeurs de presse ont, sûrement sans vouloir à mal, brouillé les cartes en modifiant les catégories dans lesquelles le CIM range les ventes qu'ils opèrent, en en créant une nouvelle, destinée à comptabiliser les abonnements "en alternance" dont une partie de la semaine se fait en numérique et l'autre (souvent un ou deux jours seulement) en papier. Une bonne idée, assurément, mais qui rend très difficile de comparer les ventes "papier" et "numérique" d'avant 2022 avec celle de cette année-là (voir à ce propos nos posts de l'an dernier).

 

A toute chose malheur étant bon, en 2023, la classification de 2022 a été poursuivie. On peut donc cette fois comparer les données sur les deux années, et cela ne manque pas d'intérêt. 

 

Bien évidemment, les chiffres confirment la poursuite de la diminution des ventes papier. Mais, contrairement à ce que les oracles annoncent depuis belle lurette, celles-ci ne s'effondrent toujours pas d'un coup. Le papier représente toujours près de 50.000 exemplaires vendus par jour pour L'Avenir et un peu moins de 40.000 pour Sud Info.

Ces deux titres sont ceux où la chute est significativement la plus représentative.
C'est pour La Dernière Heure que cette baisse des ventes papier est proportionnellement la plus importante, alors qu'elle représente environ 10% de leurs ventes papier de 2022 pour plusieurs autres titres.


 

MIXTURE PAS MAGIQUE

 

Les clients qui ont quitté l'achat papier ont-ils alors choisi d'opter pour la formule mixte mêlant papier et digital, qui semble être un bon moyen de faire doucement et sans heurt basculer le (vieux) lecteur récalcitrant de sa gazette matinale vers le smartphone ou la tablette ? A voir. L'idée a sans doute eu ce but, mais il semble qu'elle ne convainc pas grand monde. Et même de moins en moins.

Le nombre d'abonnés ayant opté pour cette formule est relativement faible. Mais surtout, en 2023, il s'affiche, pour tous les titres sauf L'Echo (et à la marge pour La Libre) inférieur à celui de 2022. L'Echo, qui joue sur sa formule du samedi, a sans doute réussi à convaincre davantage de clients de mixer le digital en semaine et une lecture magazine sur papier le week-end. Mais pas ailleurs dans la presse. La constatation est intéressante : soit une offre mix n'est pas une bonne solution, soit elle n'est que transitoire, et atteint son objectif quand les abonnés passent au digital (si tant est que ce soit une bonne idée de ne pas partager sa lecture sur deux supports).

 

ABONNÉS ABSENTS

 

Mais, alors, justement, qu'en est-il du digital ? N'est-ce pas là aussi que s'explique l'épineuse situation de 2023 ? Assurément, car tant Le Soir que La Libre ou La DH ont en effet perdu des abonnés digitaux l'an dernier.

Proportionnellement à ses ventes, par contre, c'est le Grenz Echo qui a fait le plus fort, en augmentant ses abonnés numériques de plus de 50%. Derrière lui, L'Avenir récupère une partie de son retard en ventes numériques en en gagnant 40%. D'un autre côté, les pertes du Soir, de La Libre et de La DH n'atteignent pas les 10% sur un an. Elles ne sont donc pas catastrophiques, pourrait-on dire. Sauf qu'elles s'inscrivent dans un trend qui n'est pas positif, et qui commence à s'installer dans la durée (voir ci-dessus).

SAUVER LES MEUBLES

 

Comme si, finalement, le digital payant n'était pas tout à fait la potion miracle à laquelle tout le monde croyait. Comme si, de même, la monétisation du numérique était, elle aussi, victime d'un plafond de verre. Une limite qui ne parviendrait jamais à en faire un remède de cheval. Nous avons évoqué ci-dessus la volatilité des abonnés numériques. Dans une société en crise où certains préfèrent s'abonner à Netflix+Disney (ou Amazon) plutôt qu'à un journal, convaincre le lecteur à renouveler l'abonnement acquis pour une bouchée de pain (voir avec un cadeau), cela devient un véritable sport. Visiblement pas encore tout à fait homologué.

 

Depuis quelques jours, les éditeurs de presse de Belgique francophone (ils ne sont jamais plus que deux…) occupent les écrans publicitaires dans l'audiovisuel en vantant les mérites de leur type de presse, leurs qualités et le rôle essentiel de leurs médias dans le contexte actuel. Si on n'avait pas compris pourquoi la communication de leurs résultats de diffusion 2023 avait mis du temps à sortir, on aura au moins là trouvé une de leurs conséquences. 

Avec un effet utile ? Ou placebo ?

 

Frédéric ANTOINE.

 

 

 

 

 

 

01 avril 2024

Que reste-t-il de nos poissons?

Si plusieurs médias belges ont encore sacrifié à la tradition du poisson d'avril ce lundi, tous n'ont plus remis le couvert. En France, on s'interroge de plus en plus sur la poursuite de cette coutume qui semble valider la raison d'être des fake news. En Belgique, le débat n'est-il pas encore de mise?

Il n'aura fallu attendre que la mi-journée, en ce lundi de Pâques, pour que l'agence Belga se fende d'une dépêche faisait l'inventaire des poissons publiés ce jour par les médias francophones, dépêche rapidement reprise aussi bien par le site infos de la RTBF que par celui de L'Avenir (1). Ce texte nous apprend que, selon Belga, tous les sites infos des quotidiens francophones, hormis celui du Soir, n'ont une nouvelle fois pas pu résister à publier une fausse info, plus ou moins réussie, comprenant quelques indices mettant en cause sa véracité (et notamment la précision de la date de l'événement ou de la décision concerné). Vérification faite, il semble bien que le quotidien vespéral se soit effectivement passé de poisson, tout comme le site infos de la RTBF, celui de RTL ou 7sur7.be. 

Par contre, comme le souligne Belga, le site web de Ciné-télé-revue, lui, n'a pu résister à entrer dans la dance. Un événement notable, puisque leur présence digitale permet désormais aussi aux périodiques de se lancer dans la production de poissons en ligne. Alors que, emballée dans du papier, leur possible conception était beaucoup plus rare. Mais peut-être certains hebdomadaires avaient-ils déjà développé ce nouveau hobby par le passé? Pour ce qui est en accessible en accès gratuit, Le Vif, de son côté, ne semble pas être parti à la pêche cette année. Sauf si l'article Oubliez le Big Mac, suivez le régime MAC provenait lui-aussi d'un filet. Mais cela ne donne pas l'impression d'être le cas.

Devant cette tradition dont certains médias se plaisent chaque année à retracer l'origine (2), la profession semble aujourd'hui divisée. La question s'est, semble-t-il, particulièrement manifestée en 2020, comme l'expliquait à l'époque La revue des médias de l'INA (3). Il faut dire que, cette année-là, le 1er avril tombait quelques jours seulement après le début du premier confinement...

FAKE FISH

Cette année, un excellent article publié ce matin dans le quotidien régional français Sud Ouest (en accès libre au moment où ces lignes sont écrites) (4), va plus loin, en exposant le dilemme auquel la presse est confrontée chaque 1er avril. Le journal bordelais préfère ainsi soulever l'enjeu du poisson plutôt que participer, une fois de plus, à sa pêche…

Cet article, comme d'autres publications mises en ligne les années antérieures (5), dresse le constat de la raréfaction de ces "animaux vertébrés aquatiques à branchies" (6) dans les médias pour une principale raison : celle de l'apparition des fake news, et leur multiplication incontrôlée sur les réseaux sociaux, de plus en plus accompagnée par leur légitimisation toujours grandissante. C'est-à-dire par leur entrée dans un champ des possibles faisant que, même si elles sont fausses, les fake news pourraient non seulement ressembler à de vraies nouvelles… mais aussi être vraies. Tout simplement. Alors, pourquoi ne pas les croire? Ce n'est pas Donald Trump qui dira le contraire.

INFO DE QUALITÉ. OU PAS

Ne pas publier de poisson d'avril, c'est ne pas ouvrir la porte aux potentielles interrogations de l'usager du média sur la nature du contenu des informations que ce dernier leur propose. Un média sans poisson d'avril fait passer à ses utilisateurs un message clair: "Ici, nous nous efforçons à ce que toutes les infos soient vraies, recoupées, certifiées." Cet engagement constitue un élément essentiel de l'image de marque de ces médias. "On ne vous raconte pas de bobard", disent-ils ainsi à leurs lecteur. Sous-entendu: des bobards, vous en trouverez assez ailleurs. Ces médias peuvent même ajouter: "Chez nous, non seulement nos infos sont véridiques, mais nous nous efforçons aussi de démonter les nouvelles qui circulent et qui ne le sont pas." Évangéliquement parlant (Pâques n'est pas loin), ces médias trient le bon grain de l'ivraie. Ou s'y efforcent.

A contrario, les médias qui jouent le jeu de la pêche au gros transmettent à leurs usagers un message plus équivoque. En effet, s'ils s'offrent eux-mêmes le luxe de diffuser, ne serait-ce qu'une fois l'an, une info volontairement inexacte, pourquoi ne le feraient-ils pas à d'autres occasions, et cette fois de manière volontaire ou involontaire? Participer à la production de la friture du 1er avril ouvre la porte à y recourir tout au long l'année. Dans cette optique, pourquoi accorder davantage de confiance à ces médias-là qu'aux contenus discutables qui circulent sur les réseaux sociaux? 

TOUS DANS LE MÊME PANIER?

Tout le monde (et tous les chercheurs) ne partagent pas ce point de vue, considérant que, justement, mêler de l'info fausse dans de l'info vraie invite les consommateurs de médias à participer à une sorte de chasse au trésor de la véracité. On n'y gagne pas la caverne d'Alibaba, mais à la clé on aura appris à déceler le vrai de faux. Et, bien sûr, le fait que l'info fausse du 1er avril soit accompagnée d'indices destinés à révéler sa forfaiture sont autant de petits cailloux que l'usager intelligent recueillera au cours de son enquête. N'est-ce pas là un des buts de la fameuse "éducation aux médias" dont on rabattait déjà les oreilles dans les années 1980, c'est-à-dire il y a 40 ans, mais qui ne semble toujours pas arrivée à ses fins?

L'opération serait donc subtile: p(r)êcher le faux pour savoir le vrai. Certes. Mais les médias sont-ils vraiment gagnants dans cette affaire? Au lieu de permettre le distinction entre les "bons" et les "mauvais" médias, le message qui passe chez eux en filigrane n'est-t-il pas: "Méfions-nous donc de tous les médias. Quels qu'ils soient. Car ils sont tous potentiellement mauvais." Dans ce cadre, trier le bon grain de l'ivraie serait l'affaire du lecteur, de l'internaute, de l'usager. Et pas du producteur de contenu, des sites d'infos, des médias "classiques" qui s'efforcent aujourd'hui de ramer à contre-courant de tout ce qui flotte sur internet. Et dont seule la qualité peut désormais les permettre de se distinguer de ce qui circule gratuitement dans tous les coins du web.

VRAI OU FAUX?

Le poisson d'avril dans les médias avait toute sa légitimité à l'époque où l'affirmation la plus répandue était: "C'est vrai, puisque je l'ai lu dans le journal." Aujourd'hui, le réflexe de base n'est-il pas devenu: "C'est faux, si je l'ai vu dans les médias. Mais "C'est vrai, si on me l'a dit sur les réseaux." Sociaux ou pas. 

Dans pareil cadre, faut-il en remettre une couche le 1er avril? Même pour rire? Si tant est que ces poissons de presse suscitent réellement un sourire sur le visage de ceux qui les lisent…

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/l-ecole-le-samedi-et-un-maillot-en-hommage-a-gaston-lagaffe-dans-la-presse-du-premier-avril-11352584 
https://www.lavenir.net/buzz/2024/04/01/lecole-le-samedi-la-ville-de-spabuy-les-diables-et-gaston-lagaffe-les-poissons-de-la-presse-belge-P3TIY4OZI5F6ZOFM26FDFU3NGA/
(2)"En Angleterre, il était devenu courant d'envoyer des victimes crédules à la Tour de Londres pour assister au lavage des lions, une cérémonie qui n'existait en réalité pas. La farce est apparue pour la première fois dans un journal britannique le 2 avril 1698, avec un article en première page : "Hier étant le premier avril, plusieurs personnes ont été envoyées à la Tour de Londres pour voir les lions lavés". Les exemples de ce canular particulier se sont poursuivis au moins jusqu'au milieu des années 1800." (https://fr.euronews.com/culture/2024/04/01/quelles-sont-ses-origines-du-poisson-davril-et-comment-les-europeens-le-celebrent-ils) 
(3) "Source d’inspiration pour des reportages farfelus, le 1er avril et ses poissons sont passés de mode au fil des années. En cause notamment : la chute de confiance dans les journalistes et l’essor des fake news. Désormais, pour la crédibilité journalistique, il apparaît moins risqué de faire d’un poisson d’avril un sujet de reportage que d’en initier un." https://larevuedesmedias.ina.fr/1er-avril-poisson-medias-tomber-eau
(4) https://www.sudouest.fr/insolite/poissons-d-avril-pourquoi-n-ont-ils-vraiment-plus-la-cote-dans-les-medias-18936001.php
(5) https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/grand-paris/video-a-la-tele-ou-dans-la-presse-le-poisson-d-avril-une-espece-en-voie-de-disparition-2744390.html
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Poisson

01 mars 2024

LA PLACE EST-ELLE TOUJOURS ROYALE ?

Depuis la mi-janvier, l'emblématique Place Royale a retrouvé sa Place dans la grille de RTL TVi. Avec plus ou moins de bonheur. La monarchique émission du samedi sur la chaîne privée fait mieux que, le vendredi, C'est du Belge, sur La Une. Mais fédère-t-elle toujours autant de téléspectateurs que par le passé ?

La chaîne premium propriété de Rossel et DPG est redevenue royale depuis quelques semaines. Son émission hebdomadaire consacrée aux membres du gotha et des royautés s'est à peu près reglissée, ce 20 janvier dans la case dont elle avait été expulsée (de force plutôt que de bon gré) à la rentrée 2018. Une parenthèse de plus de cinq années pendant lesquelles ce programme plutôt court de début de primetime avait été mis de côté afin de faire débuter plus tôt la véritable émission longue du primetime du samedi. Des formats en grande majorité achetés à M6 France, dont certains eurent l'heur de plaire aux téléspectateurs (notamment : Cauchemar en Cuisine). Mariés au Premier regard, version belge, en a aussi fait les beaux jours. Alors que d'autres productions de même type, diffusées dans cette case, ne se sont jamais hissées dans la liste des belles audiences du samedi soir [1].

DÉGAGER LA PLACE

Supprimer Place Royale revenait à donner un bon coup de pied dans la fourmilière du RTL TVi telle que l'avaient à peu près conçu ses fondateurs (Place Royale a en effet débuté en 1994 alors que RTL comme chaîne privée belge n'avait entamé ses émissions que le 13 septembre 1987). Il faut dire que l'image de Place Royale collait un peu (trop) aux chaussures de TVi, à la fois par ses types de contenu, les comportements de ses présentateurs et présentatrices, et son merchandising parfois un peu envahissant. Il était peut-être temps de s'en dépêtrer à une époque où le règne sans partage des chaînes premium mainstream était clairement ébranlé par les acteurs de la nouvelle économie des médias.

Supprimer Place Royale permettait aussi à la chaîne de ne plus démarrer vers 21h10 sa soirée du samedi, et de ramener ce début vers 20h35. La station belge évitait ainsi de se retrouver à l'heure du carrefour du primetime des chaînes françaises, trop belle occasion pour les amateurs de têtes couronnées de quitter TVi pour TF1, Fr2, Fr3 ou toutes les autres. Entre 20h25 et 20h35, il n'y a pas de carrefour de primetime : sur La Une, Une brique dans le ventre n'est pas encore fini, et les JT de TF1 et FR2 sont toujours en cours.

T COMME TRUCIDÉ

Le retour de Place Royale n'a pas brouillé ces belles cartes, car celui-ci a été concomitant avec la suppression d'un autre programme historique de RTL, bien plus vieux celui-là que l'émission monarchique : I Comme. Un magazine créé au bon vieux temps de RTL-Télé Luxembourg (en 1984) par le journaliste Robert Diligent, et diffusé inaltérablement tout au cours de sa longue vie le samedi après le JT de 19h. La reprise de l'émission par RTL TVi, qui la confia en 1994 au journaliste belge Jacques Vanden Biggelaer, ne changera rien à ce cérémonial. Il durera jusqu'à ce que la direction de la  chaîne décide de procéder à la mise à mort du programme, quelques mois avant l'accession à la retraite du successeur de Robert Diligent. I comme et Place Royale, deux programmes courts en début de soirée, cela faisait fort pour un samedi, et expliquait pourquoi le "vrai" programme long de primetime ne débutait qu'après 21h00. 

En trucidant I comme, sous prétexte que les images originales dont le magazine se léchait les babines se trouvaient désormais sur les réseaux sociaux et que cela n'intéressait plus personne de les voir à la télé, on réduisait fameusement l'écart entre la fin du JT de 19h et le programme long du samedi soir. Dans sa nouvelle version, Place Royale enchaîne en effet directement après le RTL Info et le tunnel de pubs qui le suit, de telle sorte qu'elle débute vers 19h55 déjà. Rabotage supplémentaire, elle ne dure plus qu'une vingtaine de minutes. Elle se termine donc vers 20h15. Le "gros" programme de soirée peut dès lors débuter à 20h20, heure à peu près normale de démarrage de tous les primes de TVi [2]. Reste évidemment à déterminer quel blockbuster aspirateur d'audience TVi peut placer derrière Place Royale. Et là, ça n'est pas encore très clair. Lors des premières semaines du retour de magazine des têtes couronnées, on croyait que l'option serait de proposer des films populaires appréciés par le public familial du samedi. TVi a ainsi diffusé pour la  Xe fois la trilogie des Bronzés. Mais ça n'a pas attiré les foules. Alors, elle programme désormais après Place Royale la nouvelle édition de La France a un incroyable talent.On assiste ainsi au retour, le samedi soir, à l'emprunt de programmes de M6. Mais les résultats sont encore pires qu'avec les bons vieux films comiques. Ces dernières semaines, le samedi soir, RTL TVi est à peine au-dessus des 100.000 téléspectateurs. Ce n'est pas parce qu'un imitateur belge a atteint la finale de La France a un incroyable talent en décembre 2023 que l'audience se précipite désormais pour suivre cette émission… 

RÊVES DE ROIS, TOUJOURS  .

Côté audiences, justement, où en est-on ? Le graphique ci-dessous présente les six premières émissions de la New Place Royale, et les place face à l'émission qui lui est un peu proche, sans être comparable, sur La Une : C'est du Belge, ou les programmes de même type proposés par le service public le vendredi en début de soirée (en 2024, la case a été occupée début janvier par un documentaire sur le prince Laurent puis, à la mi-février, par le magazine "vraiment royal" de La Une : Gotha). 

Le démarrage du New Place Royale est impressionnant. La première édition de l'hebdomadaire recueille près de 400.000 téléspectateurs (mesure J+7). Mais sans doute une partie d'entre eux ont-ils fréquenté le magazine par curiosité, pour en rechercher l'originalité (ou la filiation) avec le programme arrêté il y a près de six ans. Les scores des épisodes suivants sont en effet plus modestes, et se situent plutôt entre 250.000 et 300.000. Ce qui, en comparaison des audiences des programmes longs qui suivent Place Royale, reste purement remarquable. Sur les épisodes 2024 mesurés, le nombre moyen de spectateurs de ce programme des Majestés est de 300.000 spectateurs.

C'EST DU ROYAL

La comparaison entre Place Royale et la case du vendredi début de soirée de La Une n'est bien sûr pas parfaite. C'est du Belge n'est pas focalisé sur les royautés, voire ne les évoque pas directement. Sauf lorsque le programme est remplacé par Gotha ou un documentaire sur un personnage de l'univers royal. Le fait qu'une émission se situe le vendredi et l'autre le samedi crée aussi des différences, tout comme l'heure de début de diffusion (avant 20h00 pour Place Royale, plutôt vers 20h25 pour l'autre). Mais la mise en relation est tentante.

Elle montre que, en général, l'auditoire de Place Royale est plus important que celui de C'est du Belge. Néanmoins, la semaine S6, où Gotha remplace C'est du Belge, l'émission fait audience égale avec Place Royale. Et, sur les chiffres imparfaits de la semaine S8 (J+3 au lieu de J+7 pour les autres), qui est une semaine "normale" pour C'est du Belge, le programme du service public fait mieux que celui du privé (à vérifier avec des chiffres complets). Sur les épisodes 2024 mesurés (y compris les semaines où C'est du Belge est remplacé par un programme de même type), le nombre moyen de spectateurs du programme de Belgitude est de 250.000 spectateurs. La différence moyenne entre les deux émissions est donc d'environ 50.000 personnes seulement.

BACK TO 2017

Pour aller plus loin, nous avons comparé les résultats obtenus en 2024 et ceux de la même période en 2017, année précédant l'éradication de Place Royale des grilles de la station de l'avenue Georgin. Les programmes ± monarchiques de la chaîne privée et de la chaîne publique se retrouvent en effet alors déjà côte à côte. Il faut noter que les données recueillies en 2017 concernent l'audience du jour même de la diffusion (live+VOSDAL), alors que celles de 2024 comprennent les visionnements différés jusqu'à 7 jours.

Sur l'ensemble de la saison janvier-juin 2017, Place Royale s'affiche comme un programme fort porteur. Son audience "live" dépasse fréquemment les 350.000 spectateurs, et en atteint même parfois plus de 400.000. Ce n'est qu'en fin de saison que les chiffres s'avèrent un peu moins bons. Sur cette saison, l'émission accueille en moyenne 360.000 téléspectateurs chaque semaine.
 
Le vendredi en début de soirée, les scores de C'est du Belge son déjà un peu moins élevés.

Au cours de la saison janvier-mi-mai 2017, les audiences varient le plus souvent entre ± 250.000 et un peu moins de 300.000 téléspectateurs. Une chute à 200.000 n'est enregistrée qu'à une reprise. Sur cette saison, l'émission accueille en moyenne 252.000 téléspectateurs chaque semaine. La domination de Place Royale est donc alors sans appel : le programme de TVi n'affiche pas loin de 90.000 spectateurs moyens de plus que sa consœur du Bd Reyers. Des petites différences avec la période du come-back de  2024…
 
MODULATIONS D'AMPLITUDES
 
Pour Place Royale, les sommets de 2017 (enregistrés en Live+Vosdal seulement) ne sont plus au rendez-vous en 2024. Sauf lors de l'émission inaugurale (S3), où l'audience "d'antan" correspond à celle d'aujourd'hui. Ensuite, sur les épisodes disponibles, les résultats 2024 sont tous inférieurs à 2017, et cette différence est parfois importante. Elle varie en effet entre environ 50.000 spectateurs/semaine et… 150.000 !

 
En face, C'est du Belge (ou les programmes assimilés) jouent moins les yoyo. L'amplitude des différences est beaucoup moins grande. Le score de 2024 est même plus élevé qu'en 2017 lors de la diffusion du documentaire sur le prince Laurent, et frise l'équivalence en S7. De nombreuses autres semaines, les différences sont faibles (et auraient peut-être été moindres si la comparaison avait porté des 2 côtés sur des audiences J+7). Enfin, la semaine à l'audience la plus élevée de 2024, consacrée à la diffusion du magazine royal Gotha, s'avère également être celle où l'audience avait été la plus élevée 7 ans plus tôt (alors que Gotha n'existait pas…).
 
La comparaison entre les deux situations montre la fidélité de l'auditoire de l'émission de la chaîne publique (malgré son léger renouvellement, une partie de l'audience de 2017 ayant dû décéder depuis lors), alors que Place Royale semble devoir (re)conquérir une portion de son public originel (là aussi,
une partie de l'audience de 2017 a dû décéder depuis lors). La grande promesse du premier numéro de la nouvelle série de Place Royale ne s'est pas transformée par la suite, en tout cas jusqu'à présent. Il est trop tôt pour élaborer des analyses définitives à ce propos. Les chiffres démontrent toutefois que l'appétence pour les émissions royalisantes n'a pas vraiment disparu avec le temps (et le covid). 
Quoi qu'il arrive, les princesses feraient-elles toujours rêver ?
 
Frédéric ANTOINE. 

----

[1]. De 2018 à nos jours, outre les des deux émissions déjà citées dans le texte, on trouve dans cette case du samedi soir des reality shows de home staging et  consorts comme  Recherche appartement ou maison ; Maison à vendre ; Mission travaux, Ma maison est un chantier, Cette maison est pour vous, mais aussi quelques rares épisodes du Meilleur pâtisser, de Lego Masters, ou un programme qui n'aura pas beaucoup marqué les esprits : RTL c'est culte, destiné à évoquer les meilleures émissions jadis produites par la station.

[2]. Le dernier numéro de I comme est diffusé le 7 octobre 2023. En Live+7, il réalise la 5e meilleure audience de la journée, avec 214.000 téléspectateurs. Un score supérieur à celui des semaines précédentes, où le programme avait engrangé 186.000 téléspectateurs le 30/09, 203.000 le 23/09, 152.000 le 16/09, 126.000 le 09/09 et 164.000 le 02/09. Des résultats sans doute trop peu "rentables" pour l'émission suivant le RTL Info. A titre de comparaison, le 02/09/2017, l'émission comptabilisait 246.000 téléspectateurs. Soit 80.000 de plus qu'en 2023 à la même date…

Ce que vous avez le plus lu