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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

02 octobre 2022

Économies chez IPM : pour croître, acheter ne suffit pas

IPM a-t-il vu trop grand et grandi trop vite ? Les plans d'économies 2023 que la direction a présentés à deux branches du groupe démontrent que, avec la crise, ses finances ne sont peut-être plus à la hauteur de ses ambitions.

Dans un post sur ce blog, en juillet 2020, nous nous demandions si, avec l'absorption du groupe L'Avenir, face à Rossel, IPM n'était pas "la grenouille" qui se voyait aussi forte que le bœuf, ou "le roseau" qui, contrairement au chêne, pliait mais ne se rompait pas.

Selon Belga, la semaine dernière, le groupe bruxellois a annoncé à ses deux principales branches de presse (L'Avenir et IPM) la mise sur pied pour chacune d'elles en 2023 d'un plan d'économies d'un million d'euros chacun. Motifs : les hausses de coût des matières premières, de l'énergie et les indexations salariales. Selon Belga repris par plusieurs médias (1),  la direction aurait aussi dénoncé « la fragilité du secteur médiatique, qui est en perte de lecteurs et d'abonnés ». 

Si l'on ne peut nier que toute l'économie souffre à l'heure actuelle des hausses de prix et des salaires, justifier un plan d'économies en 2023 sur base du dernier argument évoqué (l'état du marché des médias) peut paraître étonnant, tant les éléments avancés à ce propos sont, au moins en partie, endémiques au secteur. 

L'AVENIR EN MIRE ?

Ce n'est pas d'hier que les médias écrits sont à la recherche d'abonnés payants, essentiellement sur le numérique.  Mais alors que par le passé "abonnement" signifiait "sécurité", la volatilité des abonnés numériques met à mal ce principe (voir les chiffres 2021 analysés précédemment sur ce blog, et dont les tendances ont dû se confirmer début 2022). La perte de lecteurs, s'il s'agit bien de cela, est plus étonnante, les médias écrits s'étant toujours félicités davantage du nombre de personnes qui les "lisaient" (selon ce que le CIM met derrière le mot "lecteur") que de leur diffusion payante.

Entre les lignes, il semble que ces critiques visent surtout la branche L'Avenir du groupe IPM qui, effectivement, ressent de grandes difficultés à faire croître son numérique payant et dont le lectorat, vieillissant, ne connaît pas le même remplacement par de jeunes générations que d'autres titres du groupe. Et ce malgré les efforts entrepris depuis son arrivée par le nouveau rédacteur en chef du titre namurois.

ÉCONOMIQUE OPTIMUM ?

Face au colosse Rossel, IPM a depuis dix ans comme objectif de bâtir autour de ses deux titres historiques une véritable entreprise multimédiatique, visant à atteindre "l'optimum économique" grâce au rachat de divers médias. Alors que son concurrent de la rue Royale devenait copropriétaire de RTL Belgique (et que personne ne s'y opposait, contrairement à ce qui vient de se passer en France), IPM ne pouvait faire autrement qu'encore veiller à accroître sa taille. La reprise de LN24 s'inscrira clairement dans ce cadre.

Mais voilà. Tout a un prix. Et si celui-ci paraît abordable en temps d'eaux calmes, lorsque la tempête se lève, tenir haut les voiles devient tout à coup plus problématique. Le groupe IPM s'est félicité depuis plusieurs d'années avoir dépassé la période où il manquait de cashflow. Il a aussi disposé de davantage de moyens grâce à ses investissements dans les jeux et paris en ligne, même s'il a réduit ses participations dans ce secteur (et même si on peut toujours s'interroger sur les rapports entre une mission d'information et la promotion de jeux  de hasard).

MAUVAIS SOUVENIRS

À trop tirer sur la corde, celle-ci ne risque-t-elle pas de finir par se rompre ? IPM n'est est point là, mais l'apparition de programmes d'économies, qui rappelleront des souvenirs pas toujours agréables à ceux qui ont connu le groupe dans les années 1990, font en tout cas poindre l'oreille. D'autant que les solutions de réductions de dépenses dont parlent les dépêches Belga paraissent assez proches de celles que le groupe avait déjà mises en œuvre par le passé. Travailler plus sans gagner plus, ou travailler moins en gagnant moins. « Il n'est pas […] question de licenciement collectif », affirme une source syndicale dans une dépêche Belga. Mais cela veut hélas pas dire qu'il ne soit pas question de licenciement individuel.

Malgré les ouragans, IPM n'a jamais disparu, et ne disparaîtra pas de si tôt. Mais à quel prix ?

Alors que la crise n'a pas encore dit son dernier mot, il y a gros à parier que les pouvoirs politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles vont eux aussi être interpellés à propos de ces plans. Et il n'est pas peut-être pas exclu, en toute logique, que la ministre compétente envisage d'ouvrir une nouvelle fois son portefeuille. Au nom du sauvetage du (très relatif) pluralisme des médias dans notre Communauté.

 Frédéric ANTOINE.

 

(1) Notamment: www.rtl.be/info/monde/economie/medias-un-plan-d-economies-d-un-million-d-euros-egalement-presente-chez-ipm-1405695.aspx?dt=15:54

27 septembre 2022

sur La Première (RTBF), on n'est pas trop "feel"


Depuis un mois, La Première (RTBF radio) est en mode grille d'hiver.  Avec passage à la trappe de ce qui faisait tache et quelques époussetages qui renforcent le profil habituel de son offre de contenus. Étude d'un cas, peut-être parmi d'autres…

« Rendez-nous Diane Marois ! » Impossible de savoir combien d'auditeurs de La Première auront poussé ce cri depuis début septembre. Mais il y en aura sûrement eu. Même si des réactions d'auditeurs entendues çà et là, et peut-être des sondages, laissaient plutôt percevoir que Le feel de Diane, diffusé du lundi au vendredi de 14h30 à 16h00, ne correspondait pas aux attentes du cœur de cible classique de la très "radio de service public de référence" du boulevard Reyers. 

Et pourtant. Quelle originalité de remplir ce creux de l'après-midi radiophonique en créant sur les ondes une atmosphère, une tonalité inattendue. L'émission générait un climat dans lequel l'auditeur pouvait se plonger à sa guise, comme on s'enfonce mollement dans le canapé à l'heure de la sieste. Il était audacieux de délaisser à cette heure les sempiternelles obligations de diffusion de chanson française ou autres rengaines pour proposer pendant 90 minutes une couleur musicale inhabituelle et des artistes que la programmation permettait de découvrir a fil des plages. On était dans le clubbing, le laisser-aller au bord de la piscine.

ATMOSPHÈRE, ATMOSPHÈRE…

Bien sûr, il y avait la voix de Diane. Qui collait si bien à l'ambiance suscitée par la musique. Mais qui a dû déranger bien d'un "cher auditeur". Certains la voyaient mieux animer une fin de soirée, voire une émission de nuit. Jusqu'à la comparer à la voix de feu Macha Béranger. Sauf que cette dernière animait un talk-phone-show nocturne, et non une émission d'atmosphère. Certes Diane parlait à l'oreille de l'auditeur comme si elle partageait avec lui le sofa, voire un oreiller . Mais où est le mal ? 

N'était-ce pas là aussi une des originalités de cette émission que de casser les codes de la banalité programmatique du moment où, en journée, La Première attire le moins d'audience ? Parfois, et c'est dommage pour le côté "ambiance", Diane en faisait trop, invitait des artistes, des groupes, et le blabla cultureux envahissait les ondes au lieu de laisser l'auditeur plongé dans son bain de musique. Obligation contractuelle pour satisfaire les mânes francophiles des pouvoirs publics, ou réelle volonté de l'animatrice de démontrer qu'elle n'était pas qu'une machine à murmures de désannonces ? À chacun de voir. 

 

AU  CACHOT DIGITAL

Le feel de Diane a  passé l'arme à gauche. Définitivement ? « Non, non, non ! », répond-on officiellement. Elle est toujours là… Sur Jam, le dimanche de 10h à midi. De quoi inciter la foule de récalcitrants du DAB+ de se précipiter chez le marchand de récepteurs de radio numérique ? Ceux qui aiment faire la grasse matinée et/ou bruncher au lit plutôt que d'aller à la messe dominicale, peut-être. Mais les autres. ? Le feel… a reçu un enterrement de Première… classe. Pas sûr que relayer sur des radios digitales confidentielles ce qu'on avait pris le pari de mettre sur "la" chaîne de référence du service public soit le meilleur moyen de procurer une image positive à ces nouvelles stations.

LA DICTATURE DES FORMATS

Il est intéressant de voir par quoi Le feel… a été remplacé, tenant bien compte du fait que, dans ce créneau horaire, les auditeurs se comptent sur les doigts de peu de mains. Deux émissions ont repris l'horaire : un mini-programme d'une demi-heure intitulé Multitube, et un format classique d'une heure du nom de L'heure H

La Première renoue ainsi avec le mode de programmation classique des hautes radios de contenus de service public : développer au maximum les formats d'une heure. Avec, en l'occurrence, la difficulté provenant du temps d'antenne atypique de Un jour dans l'Histoire, qui ne dure pas, comme l'affirme la grille officielle (1) de 13h à 14h30, mais de ± 13h20 à 14h30. Sur La Première, les infos de 13h00 semblent rendre impossible un format sous-horaire dans cette case de la grille (13h20-14h). La Première a donc opté depuis longtemps pour un programme en extended-hour (± 1h10). Alors, si la norme est bien l'émission d'une heure (2), que faire à 14h30? Précédemment, la solution était trouvée via un programme musical de 90 minutes (3). On revient ici à la norme classique. Après un  module de 30 minutes (4), une émission occupe la case 15-16h.

1/2 HEURE POUR QUOI FAIRE ?

La première production, qui semble un peu là pour "boucher un trou" avant le retour à la norme programmatique horaire, est essentiellement musicale. On y  retrouve, dans un intéressant mix, des genres classiquement tolérés (voire adulés) sur La Première. On aurait presque l'envie de dire que ce programme court a des airs de famille avec le Pasticcio que Nicolas Blanmont présentait chaque dimanche de 10 à 11h sur la même chaîne, et qui a disparu de la grille (5). Peut-être ne sont-ce d'ailleurs pas que les airs qui sont de famille… L'association entre les éclectiques extraits musicaux y est accrochante, mais leur pertinence est peut paraître insuffisamment confirmée par le caractère apparemment fort juvénile de voix la présentatrice, présentée sur internet comme une  « actrice, musicologue et YouTubeuse belge » (6).

Si ce léger premier élément de remplacement du Feel… s'inscrit dans la logique d'occupation du temps d'antenne de La Première en début d'après-midi, on peut se poser plus de questions à propos de la production horaire qui le suit. En effet, le 15-16h accueille une émission totalement parlée, à contenus forts, qui requiert de son audience une attention soutenue tout au long de la durée de la diffusion.

DU RÉCIT À LA TONNE

L'Heure H (7) est une émission relevant du genre de la narration radiophonique, telle que l'on en trouve dans l'univers francophone sur plusieurs radios généralistes, assez couramment dans le même créneau horaire et avec le même format (Hondelatte raconte [Europe 1, 14h], Affaires sensibles [France Inter, 15h], L'heure du crime [RTL France, 14h30]…). L'acteur essentiel (et ici unique) du programme est le narrateur, qui n'en est pas à son coup d'essai. Connu comme un des piliers de l'animation de programmes de variétés de la RTBF télévision, il a récemment choisi de s'investir dans la narration d'événements historiques, et a déjà ponctuellement occupé l'antenne radio, sur des périodes courtes, avec des émissions de récits, notamment lors des programmations spéciales des fêtes de fin d'année, ou pendant les mois d'été (8). Il avait alors déclaré qu'il entendait devenir « le Pierre Bellemare de la RTBF » (9). 

L'expérience avait été limitée dans le temps, et les récits présentés n'étaient pas écrits à partir d'un hook particulier. Ici, le narrateur occupe une heure d'antenne cinq jours par semaine, en bâtissant toutes ses histoires à partir du même point d'accroche : l'heure fatidique du moment le plus important de son histoire. Bon nombre de ces épisodes sont, comme dans les programmes de même type sur d'autres radios, centrés sur des faits divers ou des affaires judiciaires. La durée de chaque récit est d'environ quarante minutes. Depuis le début des diffusions, rares sont les moments où est mentionné le nom d'un "auteur" ou d'un "collaborateur" qui aurait contribué d'une manière ou d'une autre à l'écriture de l'histoire. À quelques reprises, un auteur (ou co-auteur) est mentionné : un certain Valjean. Dans la plupart des cas, l'auteur est supposé comprendre que le récit a été documenté, construit, mis en ondes par le narrateur. 

 EXPLOIT (MAL) EXPLOITÉ ?

Est-ce bien ainsi que cela se déroule ? Ce serait un véritable exploit (d'autant que les thématiques des cinq épisodes de la semaine sont disponibles en ligne chaque lundi). Peut-être l'émission est-elle en fait produite par LDV Production, l'entreprise dont le narrateur est co-fondateur (10). Mais, dans ce qui est audible, rien ne l'indique.

On peut se demander pourquoi programmer pareil programme "phare" dans le désert d'audience de milieu d'après-midi. Sur d'autres stations, ce genre d'émissions est souvent proposé plus tôt après le temps de midi. Et en tout cas pas après une émission musicale. La séquence programmatique de l'après-midi de La Première semble peu cohérente : une émission historique à contenu fort, bâtie en deux temps ; un programme court à contenu musical ; une émission narrative à contenu historique fort. S'agit-il d'attirer sur l'antenne trois publics différents, un pour chaque émission ? Ou table-t-on sur le fait que l'amateur de contenus historiques, déjà nourri en début d'après-midi, tolérera l'écoute du programme musical pour retrouver ensuite un contenu plutôt historique présenté sous forme de récit ?

Les précédentes apparitions radiophoniques du même narrateur d'histoires avaient été programmées dans la tranche du temps de midi, sauf erreur entre 12 et 13 heures ou entre 13h15 et 14h. C'est-à-dire à la place du programme historique de début d'après-midi, ce qui paraît plus cohérent. Pourquoi ce programme aboutit-il alors dans la toundra du 15-16h ? Sinon peut-être parce que, comme sur d'autres radios, l'essentiel est moins la diffusion en linéaire que la création d'une série de podcasts mis en ligne, destinés à raffler une beaucoup plus large audience. On sait que, en France, ce type de podcasts occupe souvent les premières places des palmarès d'écoute en ligne.

La nouvelle occupation de cette case horaire d'après-midi manifeste la volonté de la RTBF de renforcer ses programmes à contenus. Mais n'aurait-il pas mieux valu placer cet exploit radiophonique dans une autre case, quitte à bousculer quelques dinosaures ?  

À moins que la RTBF elle-même n'y croie pas trop ? Dans ce cas, ne pourrait-on peut-être pas retrouver à cet endroit le Feel d'une certaine Diane ?

Frédéric ANTOINE

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(1) https://www.rtbf.be/lapremiere/grille-programme
(2) Dans la grille quotidienne de La Première, on trouve actuellement 9 formats d'une heure sur 15 émissions/jour, tenant compte du fait que les "formats info" du matin et du soir sont évidemment plus longs. 
(3) Hors émissions d'info, on ne retrouve plus ce format long qu'à partir de 10h en matinée (cette longueur, d'ailleurs, ne se justifie pas). Dans le passé, l'émission humoristique de fin d'après-midi avait ce même format, récemment ramené à 60 minutes.
(4) Format qui se développe un peu :  $on ne retrouve désormais un autre après Déclic, Eddy Caeckelberghs voyant son "antique" émission de décryptage d'info rabotée de 30 minutes et diffusée à 18h30. 
(5) Et avec moins d'accent mis sur la musique classique. « Sentiment, figure, lieu, personnage , objet, animal…, Nicolas Blanmont évoque un mot ou un thème à travers huit siècles d’histoire de la musique. Classique bien sûr, mais parfois aussi plus contemporaine comme la chanson, le rock ou la musique de film. »
(6) https://www.ivoox.com/episode-1-conversation-avec-valentine-jongen-audios-mp3_rf_92241964_1.html
(7) À noter qu'une émission au titre identique, également à contenu historique, était diffusée le lundi à 22h sur Musiq3 aux alentours de 2016…
(8) Certaines de ces émissions radio ont ensuite connu des versions télévisées. 
(9) https://lameuse.sudinfo.be/408880/article/2019-07-05/jean-louis-lahaye-veut-devenir-le-pierre-bellemare-de-la-rtbf 
(10) Cette entreprise est composée de 30 collaborateurs,  dont des "concepteurs, story boarder, copywriter" (https://www.cinergie.be/organisation/ldv-production)

 


29 août 2022

LN Radio : News and music ou Music and news?


Le titre ne fait pas toujours la chanson. Il semble que, finalement, LN Radio n'est finalement pas très "News" et reste surtout "Music". Opération de comm. ou coup marketing? En tout cas de quoi moins inquiéter la concurrence. Ou la redynamiser.

Lundi matin. Région de Namur. La fréquence de DH Radio n'est plus occupée par le son d'une grosse "ronflette" (1), mais par de la musique, un peu de pub, et des flashs horaires d'information. Sur l'autoradio, c'est toujours le logo et le nom de DH Radio qui s'affichent, mais les jingles de la radio l'affirment : on écoute bel et bien LN Radio.

Quelques réactions ayant suivi le post de ce samedi à propos de la naissance de cette station (1), dont un message d'Emmanuel Tourpe, Directeur général audiovisuel chez IPM, avaient souhaité remettre les montres à l'heure : "LN radio n’est pas une radio talk ni News mais Un format music & News".

Portion "News" congrue

Effectivement, dans les annonces révélant le projet actuel (2), et notamment dans l'interview accordée à un média de IPM par le directeur de DH Radio (3), la présentation des innovations "news" dans la programmation de DH Radio s'avère ne pas s'étaler sur l'ensemble de la journée ni décliner tous les formats attendus d'une radio all-news (voir liste en note 4 ci-dessous). Concrètement, LN Radio ne devient plus "news" que DH Radio que par la diffusion de certains JT de LN24 et de son interview politique, le matin et à midi, ainsi que lors d'un talk-show d'avant-soirée proposé de 18 à 19h à la fois en radio et en télévision.

Pour le reste, c'est plutôt des productions qui existaient déjà sur DH Radio qui viennent nourrir LN24 (les flashs horaires, une interview culturelle et, de manière relative, le talk d'avant-soirée qui remplace une chronique que le journaliste tenait dans la matinale de DH Radio). On est donc loin de France Info, de BFM, BBC News ou de CNN News Radio…

La boîte et l'étiquette

Mais alors, pourquoi débaptiser DH Radio pour un fifrelin de news dans un océan de musique, et lui donner le nom de LN Radio ? L'emballage n'est-il pas trompeur par rapport au contenu de la boîte (à musiques) ? Jadis, la pub Panzani disait : L'important, c'est ce qu'il y a dans la boîte". Et pas l'étiquette. À ce stade, l'auditeur ne doit pas espérer être nourri d'infos en écoutant la station qui, par son nom, semble y être dédiée. Y aurait-il maldonne ? La réponse se trouve à nouveau dans la communication que le groupe IPM que l'on retrouve dans divers articles, où l'on peut par exemple lire : "un changement d’appellation pour marquer le rapprochement avec la télévision LN24 et renforcer l’identité de l’offre audiovisuelle du groupe IPM" (3) .

Rapprochement, il y en a assurément, mais sans vraiment nourrir la radio de nombreux contenus de LN24. Mieux gérer les marques audiovisuelles du groupe paraît aussi évident.  À condition que, sous la même marque, se retrouvent des contenus de même nature ou de même genre. Ce qui n'est pas sûrement le cas. Mais pas plus qu'entre Tipik Radio et Tipik Télévision à la RTBF, même s'il y a eu tentative de présenter en ligne la programmation des deux médias en parallèle

LN Radio n'a-t-elle de "News" que l'étiquette, ou à peine plus? Classiquement, sous l'appellation "Music and news", la part de "news' ne se limite généralement pas à la seule diffusion de flashs horaires et de JP, ou peu s'en faut. Sinon, tous les réseaux de radios musicales pourraient revendiquer faire du "Music and news". Être dans cette catégorie exige plus d'investissements, et notamment une capacité claire à faire du "Breaking news", comme nous l'évoquions dans le post précédent. En radio, la news peut tomber à l'antenne dès la survenance d'un événement. En télévision, son annonce ne peut bénéficier de la même immédiateté. Dans l'état présent des choses, pas sûr que LN Radio ait les moyens de proposer ce type de services. Comme si LN Radio existait plus au bénéfice de LN24 que le contraire…

Si LN Radio n'a pas choisi le créneau "all news", celui-ci est donc toujours disponible. Et rien n'empêche les autres opérateurs audiovisuels de Belgique francophone de s'y engouffrer. Notamment pour y exploiter côté "audio" toute la diversité de leur offre de contenus informationnels dont ils disposent en TV…


Frédéric ANTOINE

(1) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2022/08/la-guerre-de-linfo-radio-est-declaree.html
(2) La grille de programmes n'est pas accessible en ligne.
(3) https://parismatch.be/culture/medias/583073/dh-radio-grandit-et-devient-ln-radio
(4) 7h, 8h. JT de LN24 est diffusé en radio.
7h30. L’interview politique de Martin Buxant sur LN24 est reprise en radio.
8 h 30, l’interview culturelle de Philippe Deraymaeker en télévision et en radio
9h, 10h, 11h. Les flashs info de trois minutes proposés en journée sur LN Radio (y compris le week-end) sont télévisés sur LN24.
12h. JT de LN24 est diffusé en radio.
13h, 14h, 15h, 16h, 17h. Les flashs info de trois minutes proposés en journée sur LN Radio (y compris le week-end) sont télévisés sur LN24.
18-19h. Talk de Maxime Binet, tant en télévision qu’en radio.


27 août 2022

La guerre de l'info radio est déclarée


 Une "vraie" (enfin presque) all-news radio débarque enfin sur les ondes belges francophones. De quoi hérisser le poil des acteurs en place, à commencer par le service public. Mais aussi chez Bel RTL. La guerre des trois aura-t-elle lieu ?

Ce samedi 27 août après-midi, ce n'était une "ronflette" (comme on dit dans le métier) que l'on pouvait entendre sur la fréquence namuroise de DH Radio, station que l'autoradio illustre toujours par le logo de Twizz tandis que, sur le tableau de bord, c'est déjà "LN Radio" qui s'affiche. Un week-end de transition qui toucherait aussi la technique de la station du groupe IPM ? Ou une simple coïncidence? Quoi qu'il en soit, la version radio de LN24 débarque bel et bien sur les ondes (notamment FM) de la petite patrie qu'est la Belgique francophone.

Presse échaudée craint la radio froide

C'est la fin d'un long feuilleton qui a débuté il y a près de 25 ans lorsque BFM, acteur actif sur le marché belge mais bien sûr plutôt tourné vers les news économiques, est d'abord devenu un décrochage de BFM Paris, puis a totalement raccroché son antenne bruxelloise. Depuis lors, silence radio sur le secteur du "all news" chez nous (1). "Pas rentable" disait-on alors dans les groupes médias privés,  échaudés dans les années '80 par leurs aventures dans le monde merveilleux des radios libres. 

Doit-on rappeler ici que Rossel fut, en son temps, un acteur important la bande FM, surtout à Bruxelles (FM Le Soir), avant de se rendre compte que faire un journal et animer une radio, c'était bien être dans des médias, mais que l'un n'avait rien à voir avec l'autre... Ce qui poussera l'entreprise de la rue Royale à proposer une alliance à RTL afin de créer la coupole qui donnera naissance à Bel RTL et récupèrera au passage le dinosaure de la radio privée bruxelloise qu'était Radio Contact. 

A la même époque, les éditions de l'Avenir, qui n'étaient pas encore cédées à des investisseurs, avaient de leur côté aussi créé une radio, dans laquelle elles avaient pas mal investi. Puis avaient fait le même constat que Rossel et, s'étaient associés avec NRJ France afin d'implanter Radio Nostalgie en Belgique. 

IPM avait été plus timide dans ce genre d'aventure… mais avait fini également par lancer son réseau, qui changera plusieurs fois de format, faute d'auditeurs.

Le cas DH Radio

Les groupes médias privés n'avaient donc pas vraiment été convaincus par l'utilité d'investir en tant que telle dans une radio faisant de l'information. En finale, la RTBF faisait plutôt bien le boulot et Bel RTL, sur l'insistance d'une direction à l'époque portée par des journalistes, avait misé pour son implantation belge sur l'info en radio, comme RTL Belgique l'avait fait en télé. Jean-Charles De Keyser, ancien correspondant de RTL Paris à Bruxelles, n'y était pas étranger. 

Dans un premier temps, IPM avait cherché à marquer sa radio d'une touche "info". Depuis le déménagement de l'entreprise dans un ancien garage automobile proche du Cinquantenaire, la station n'avait-elle pas ses studios au plus près des rédactions de La Libre et de La DH ? Mais les efforts, là aussi n'ont pas été vraiment couronnés. DH Radio ne s'est jamais imposée comme une référence en termes de diffusion de contenus radiophoniques. La notoriété n'est jamais venue…

Passons sur les péripéties autour de l'exclusion de DH Radio du dernier plan de fréquences au bénéfice d'un projet de radio d'info déposé par LN24, qui ne verra jamais le jour. Au total, la boucle est donc aujourd'hui deux fois bouclée. LN 24 devient bien la radio de news de Belgique francophone, mais sous l'égide du groupe IPM. DH radio disparaît sans que sa mort suscite des torrents de larme. Et, en fin de compte, Bruxelles et la Wallonie retrouvent enfin une radio all-news. Tout le monde est content.

Manœuvres à la frontière

Tout le monde ? Pas sûr. Le trésor plutôt confortable sur lequel s'était assise la RTBF pourrait désormais se fissurer. A condition que LN Radio fasse vraiment de l'info. On pense bien sûr aux matinales, aux interviews politiques (où LN 24 s'est déjà taillée une petite place). On pense aussi à des émissions d'enquête. On pense aux  JP, à des émissions de talk (comme on en entend sur certaines all-news françaises) et, surtout, à des Breaking News comme on le faisait, jadis, sur Bruxelles 21 (les plus anciens comprendront à quoi il est fait référence). Le Breaking News est l'essence de la radio d'info, et ce que la radio généraliste traditionnelle a le plus de difficulté à bien intégrer.

Si les personnes en vue de ce pays concèdent à accorder à cette radio autant d'importance que celle qu'ils attribuent à La Première ou à Bel RTL, le soleil pourrait peut-être changer de côté. IPM mise sur la convergence LN24 LN Radio, ce qui est malin et normal. On peut le regretter mais, en tout cas dans l'info, radio et télévision désormais s'interpénètrent, se mélangent et produisent du mixmédia. Ce qui fait que, le jour où naît LN Radio, ne voilà-t'y pas que la tranche matinale de La Première débarque sur La Trois, supposée à ce moment-là s'appeler Ouftivi et être destinée aux enfants… (2). Petit à petit, La Trois deviendrait-elle une chaîne d'infos ? Alors que LN 24 glisse en radio, La Première s'immisce en tout cas dans la tv.

Escarmouches

Tout cela est-il bien neuf ? Pas vraiment. Cela fait un petit temps que, sur La Une, Le 6-8 et Le 8-9 font tous les jours du mix médiatique (avec notamment des JP diffusés à la fois en tv et sur Vivacité, sans parler de l'ensemble du contenu du 8-9 et de C'est vous qui le dites).

Les journalistes de la RTBF n'avaient pas caché leur mécontentement de voir LN 24 débarquer sur Auvio. Ils devront maintenant non seulement avoir un œil sur LN24, mais aussi tendre une oreille vers LN Radio. Ontologiquement, le all-news doit produire une radio différente, plus souple sur l'actu, que les généralistes du secteur privé ou public. Dans la pratique, la période d'implantation de la station risque d'être longue (comme celle de LN24 en TV), sauf si elle gère bien son immersion dans l'info et produit du buzz. La réaction actuelle des acteurs en place semble plutôt mesurée. Mais, qu'on le veuille ou non, la guerre de l'info radio est bel et bien déclarée…

Frédéric ANTOINE.

(1) Nous avons notamment déploré cette situation dans un article que le CSA nous demanda jadis dans le cadre d'un dossier consacré à la radio.

(2) Qui n'auront plus qu'à aller sur Auvio pour retrouver leurs programmes (ce qui ne les incitera jamais ensuite à s'intéresser à ce qui se passe sur un poste de tv).

04 juillet 2022

Les magazines ont-ils touché le fond ?

​article du 4/7/2022 supprimé par erreur le 10/7/2022 et sans copie disponible (sauf si un aimable lecteur l'aurait téléchargé).

A défaut de texte, les graphiques de l'article sont repris ci-dessous.






 




 

01 juillet 2022

Les quality papers belges reprennent des couleurs. Mais…

Les beaux jours sont presque revenus pour la presse quotidienne belge. Grâce aux ventes en ligne, la baisse de diffusion payante des titres de presse s'enraye, et la "presse de qualité" s'envole. Mais cela veut-il dire que les journaux sont sortis d'affaires ?

Allez, tout n'est pas perdu pour la presse. 2021 n'a pas été une trop mauvaise année pour les quotidiens belges francophones. Selon les déclarations des éditeurs faites au CIM, leur diffusion payante totale s'est plutôt bien portée, surtout si l'on compare avec une année "normale", c'est-à-dire avant le covid. Et les titres de qualité s'en sortent admirablement : ils vendent aujourd'hui autant qu'en 2009. Mais gagnent-ils autant ?

  
Champion toutes catégories : Le Soir, déjà en hausse en 2020 par rapport à 2019, et qui augmente encore légèrement sa diffusion payante en 2021 (et ce, semble-t-il, sans tenir compte des nombreux abonnés qui lui tombent gratuitement dans les bras grâce à l'offre que Proximus fait à ses clients). Autre gagnant, mais qui ne réussit pas tout à fait en 2021 à transformer l'essai de 2020 : La Libre. Au total, les deux quality papers de Belgique francophone sont dans le même mood que la plupart des titres de même catégorie dans d'autres pays : ils ont non seulement réussi à remplacer leurs abonnés papier défaillants par des abonnés numériques, mais aussi à attirer de tout nouveaux abonnés (ou ceux qui étaient "partis" il y a plusieurs années). Par rapport à 2019, la diffusion totale du Soir a crû de 19% en 2021, et celle de La Libre de 8%.


On ne peut hélas être aussi optimiste pour les autres tires, qui sont tous en baisse de diffusion payante totale, que ce soit par rapport à 2019 ou à 2020. Entre l'avant covid et l'année dernière, la diffusion payante totale de L'Avenir et de Sud Presse connaissent une baisse à peu près identique : -14,5% et -14%. La DH perd, elle, 7%. Pour les deux titres régionaux, 2021 n'a pas été une bonne année.
 
 

CHERS ABONNÉS

C'est évidemment l'état des abonnements digitaux payants qui expliquent cette situation. Le Soir en compte depuis 2019 un nombre particulièrement élevé. Toutes proportions gardées, La Libre est dans la même situation. Sud Presse et La DH ont plus ou moins conservé en 2021 le nombre d'abonnements numériques payants. L'Avenir, par contre, comptait l'an dernier sensiblement moins d'abonnés payants qu'en 2020.  En 2021, selon les déclarations d'éditeurs, les abonnements numériques représentaient 62% des ventes du Soir et 43% de celles de La Libre. Sud Presse et La DH étaient autour de 20% de ventes numériques, et L'Avenir 10%.

L'Avenir reste le titre comptant le plus d'abonnés papier (± 70.000), même si leur nombre a baissé de près de 20.000 depuis 2009. Sud Presse est à moins de 35.000 abonnés papier, un montant à peine plus élevé qu'en 2009. En douze ans, Le Soir a perdu la moitié de ses abonnés papier, mais il en a gagné davantage sur le digital. La Libre en a perdu un tiers. La DH reste le titre comptant le moins d'abonnés papier.

VOLATILES

Depuis 2009, le pourcentage d'abonnés numériques a explosé pour Le Soir et La Libre, il a crû autant pour La DH que pour Sud Presse (qui est stable depuis 2020), et il a d'abord légèrement augmenté pour L'Avenir, avant de diminuer. 

Au-delà de ce constat, l'élément le plus marquant de ce graphique se situe dans l'irrégularité des courbes. La Libre est le seul titre dont le pourcentage d'abonnements numériques croît de manière régulière. Pour les autres titres, on connaît des périodes de croissance suivies de périodes de régression. Derrière ces variations se cache la volatilité des abonnés numériques, bien moins fidèles à la "marque" qu'ils ont choisie que les abonnés papier. Aucun titre ne peut être sûr qu'un nouvel abonné digital sera encore là un ou plusieurs années plus tard, sauf si l'entreprise réussit à lui passer les fers aux pieds en lui offrant des super conditions sur des abonnements de très longue durée. 

Sud Presse ou La DH, qui réalisent constamment des campagnes de promotion numériques, restent très dépendants de l'humeur des personnes qui daignent ponctuellement payer pour lire ces publications. Le cas de L'Avenir, particulièrement problématique, est sans doute lié à l'âge moyen du lectorat du titre. Ce journal éprouve beaucoup de mal à rajeunir sa clientèle, malgré les efforts déployés par la nouvelle équipe de direction. On disait jadis de La Libre que chaque annonce nécrologique publiée signifiait la perte définitive d'un abonnement. Le quotidien a aujourd'hui dépassé cette malédiction. Mais le titre régional namurois récemment acquis par IPM vit la même situation que la vieille dame hébergée jadis rue montagne aux herbes potagères. Sauf que, aujourd'hui, les nécrologies se retrouvent plus souvent en ligne que dans le journal. 

Malin sera celui qui trouvera le moyen permettant d'attirer puis de fidéliser à L'Avenir un lectorat jeune, plutôt périurbain et de classes plutôt moyennes un peu supérieures. Soit des cibles que le journal ne rencontre pas vraiment à l'heure actuelle.

IMPÉRATIF : DOPER LE NUMÉRIQUE

Depuis 2009, les quotidiens belges francophones ont tous vu diminuer leur diffusion payante (print+digital). Certains de manière catastrophique, comme Sud Presse ou La DH. D'autres ont réduit la casse, ne perdant qu'une faible part de leur clientèle, et en compensant par la monétisation numérique ce que le papier ne rapportait plus. La Libre a ainsi réussi à redresser la barre, finissant par compter aujourd'hui davantage de clients (print+digital) qu'en 2019. Les ventes d'un titre ont eu, pendant des années, une destinée erratique avant de retrouver la croissance : celles du Soir. Lui aussi est revenu, en 2021, au nombre de ventes qu'il affichait en 2009.

L'optimisme doit-il être de mise pour autant ? Qui ne le voudrait. Mais voilà : un nombre équivalent, voire davantage de ventes aujourd'hui qu'il y a douze ans, ne signifie pas automatiquement que les revenus suivent dans les mêmes proportions. Compter un grand nombre d'abonnés numériques est réjouissant. Mais cela ne remplit pas les poches. Un abonné numérique, qui paie son journal moins cher qu'un abonné papier, rapporte à l'éditeur beaucoup moins que ce dernier. Lors d'un récent colloque organisé à Louvain-la-Neuve par l'ORM et l'Ecole de Journalisme, on évoquait un ratio d'au moins 1 à 3 entre l'abonné digital et papier. Le tout n'est donc pas de retrouver des montants de ventes totales où les pertes du papier sont compensées par les ventes numériques. Pour que l'entreprise s'y retrouve, la seule solution est de booster encore et encore les achats d'abonnements numériques pour que leur nombre total compense leur faible rentabilité. 

Mais lorsqu'on en sait la volatilité, c'est peut-être loin d'être gagné. Et rien ne prouve que les produits de presse sont loin d'avoir conquis tout le marché prêt à passer du gratuit au payant…

Frédéric ANTOINE




11 avril 2022

Utiles, les médias belges les soirs d'élections présidentielles en France ?


Médias belges et résultats des élections présidentielles en
France : cela sert vraiment à quelque chose de donner les scores avant tout le monde ? Ou ça permet seulement de faire du buzz ? L'exemple du premier tour 2022 est édifiant…

On allait voir ce que l'on allait voir. Une nouvelle fois, les médias belges, non soumis aux diktats des autorités françaises, allaient pouvoir jouer les trouble-fête et donner, avant tout le monde, le résultat des élections en France. Sport national, cette entourloupe extraterritoriale était même annoncée avec fierté par certains médias de chez nous, mode d'emploi à l'appui, comme s'ils recommandaient de la sorte à nos cousins d'Outre-Quévrain de ne pas perdre de temps pour savoir à quelle sauce politique ils allaient être mangés.

Les "bons" médias belges se sont même appliqués à informer nos amis français que, s'ils relayaient les informations recueillies sur les sites noirs-jaunes-rouges, ils risquaient gros. Quand on frouchelle un peu avec les lois, ce qui est le sport national belge, on n'est jamais trop prudent…
 
 
FAIRE MONTER LA SAUCE
 
Qu'ont donc découvert les resquilleurs de l'Hexagone en osant s'aventurer dans les marais belges avant 20h le dimanche 10 avril ? D'étranges choses en somme. Tout commence un peu après 15h. Grâce à des informations exclusives recueillies par La Libre Belgique auprès d'une "source fiable", les médias belges divulguent les uns après les autres les résultats de l'élection dans plusieurs départements d'Outre-Mer.
Un fait d'armes dont le quotidien bruxellois n'est pas peu fier, d'autant que, en plus, le leader de la France Insoumise, majoritaire, est toujours suivi de la candidate du RN, et que le président sortant n'arrive qu'en troisième place. Quelle info ! Tellement marquante qu'elle va être relayée dès 15h37 par un flash de l'agence de presse officielle belge Belga, ce qui va permettre à toute la presse nationale de faire monter la mayonnaise d'un bon cran.


Personne n'écrira que ces résultats ne concernent "que" certains départements éloignés, ne donnera de précision sur l'impact que ces résultats peuvent avoir sur une projection nationale, ni ne comparera avec ce qu'il s'était passé là-bas en 2017 (ce qui ne manquait cependant pas d'intérêt, car c'était alors Emmanuel Macron qui était en tête…). 

Bref, juste de quoi amener le lecteur à conclure qu'un match Mélenchon - Le Pen pourrait bien émerger à l'échelon de toute la France. Une groooooooosse surprise en perspective !

ENTRETENIR LA MAYONNAISE

Il ne s'agit toutefois là que de mignardises en comparaison du plat de résistance que tous les médias belges attendent dès les alentours de 18h, lorsque sortiront les premières estimations basées sur les sondages réalisés à la sortie des urnes. Et, eux aussi, apporteront leur bon lot d'inattendu. 
 

Impossible, pas français?  Mais si. Les voilà qui arrivent dans la dernière ligne droite, ils sont au coude à coude, cela va se régler dans un sprint ou à la photo-finish. La soirée risque d'être vachement passionnante. En tout cas bien plus que prévu. Cette élection est vraiment exceptionnelle. Heureusement que les médias belges sont là pour l'annoncer si tôt.
 
D'autant que, quelques minutes plus tard, un autre sondage redit la même chose. Deux sources indépendantes qui se répètent, en journalisme, c'est bien connu, ça veut évidemment dire qu'il n'y a plus de doute (1). On est assurément dans le bon. Bien sûr, on répète à chaque fois que ce ne sont que des premières indications, qu'il faut être prudent. Mais à lire ou entendre les commentaires, ce que disent les journalistes n'est pas de l'ordre de la supputation. 
 
 
Les médias sont même si sûrs de leur coup qu'ils publient déjà le classement à l'arrivée, avec infographie complète à l'appui (on appréciera particulièrement le choix des couleurs retenues pour catégoriser les candidats).
 

ENCORE PLUS FORT
 
Dans ce chorus médiatique, la chaîne de télévision publique RTBF, qui a installé ses studios à Paris, n'est pas en reste. Elle est même à l'origine de la divulgation de certains des résultats de sondages à la sortie des urnes (dont les données seront, à nouveau, aimablement reprises par l'agence de presse officielle belge Belga). Perchés sur un toit de Paris, les journalistes de la télévision publique, un peu frigorifiés malgré le soleil couchant, attendent fébrilement que tombent de nouveaux "résultats". Peu après 19h, les chiffres s'affinent. Là aussi, on recourt à une infographie semblable à celle qui présenterait les scores finaux, et que l'on intitule "estimation" (alors qu'il s'agit plutôt d'un sondage…).
 
 
Par chance, le match est toujours serré, tout reste encore possible. D'autant que, sur leur terrasse parisienne, les journalistes ont d'autres chiffres. Alors que débute le JT de 19h30, ils révèlent qu'un premier sondage remet les compétiteurs à égalité à 25% (mais alors, pourquoi diffuser juste avant une infographie qui dit le contraire ?). Et puis, surtout, voilà que tombe une nouvelle, plus incroyable encore : un autre institut de sondages place Marine Le Pen en tête devant Emmanuel Macron ! "On reste évidemment prudents, mais c'est la première fois qu'il y a un sondage qui donnerait, on utilise le conditionnel, Marine Le Pen devant Emmanuel Macron", commente le principal présentateur. Le conditionnel, éternel sauveur de l'information potentiellement vraie, mais pas sûrement…
 
Suite à pareille nouvelle, la chaîne se dépêche de donner la parole à ses envoyés spéciaux dans les QG des deux principaux protagonistes. Chez Marine Le Pen, ce duplex inopiné prend le journaliste un peu de court. Pour éviter la froidure, il avait revêtu son manteau, dont il s'empresse de se débarrasser comme il peut en direct à l'antenne avant d'affirmer : "Je peux vous dire que la confiance est de mise parmi les militants ici." Quelques minutes plus tard, passage au QG d'Emmanuel Macron où le journaliste, bien au chaud à l'intérieur, paraît confirmer les tendances annoncées précédemment : "Je ne vais pas vous dire que c'est la fête. Pour l'instant ce ne sont pas vraiment les sourires qui prédominent. C'est plutôt la soupe à la grimace. On est plutôt inquiets." (2) À 19h42, les carottes seraient-elles cuites pour le président sortant ?
 
TOUT ÇA POUR ÇA
 
Un peu plus de quinze minutes plus tard tombent les premières (vraies) estimations. Elles situent les deux premiers candidats à 28,1% et  23,3%. À l'heure où ces lignes sont écrites, sur 97% de bulletins dépouillés, le score est de 27,6% et 23,4%. Est-ce un résultat au coude à coude, à moins de 1% près ? Les pourcentages finaux correspondent-ils à ceux des sondages, plutôt souvent présentés comme des projections ? Les militants de En Marche faisaient-ils vraiment la grimace ? Certes, Jean-Luc Mélenchon frise désormais les 22%, mais avec ce score (supérieur à ce que donnaient les sondages de dimanche après-midi), il ne se hisse pas au second tour. Sans parler de Valérie Pécresse, qui termine à moins de 5% alors que les "projections" la situaient bien au-dessus. Finalement, il n' y a que Eric Zemmour qui soit plus ou moins dans les clous prévus. Mais, de sa part, qui en douterait ?

Hier, les médias belges ont vécu une bonne après-midi et un bon début de soirée. Cela a été fébrile sur les claviers et les écrans. Mais l'information y a-t-elle gagné, et en particulier l'électeur français qui se serait fié aux oracles en provenance des bords de Senne ?  Pas sûr.

Frédéric ANTOINE.

(1) En fait non, il faut en général 3 sources indépendantes concordantes pour qu'une info puisse être confirmée.
(2) On s'étonnera quelque peu de l'usage de la formule "la soupe à la grimace" pour définir l'état d'esprit des supporters du président sortant dans la mesure où celle-ci signifie "un accueil hostile".


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