IPM a-t-il vu trop grand et grandi trop vite ? Les plans d'économies 2023 que la direction a présentés à deux branches du groupe démontrent que, avec la crise, ses finances ne sont peut-être plus à la hauteur de ses ambitions.
Dans un post sur ce blog, en juillet 2020, nous nous demandions si, avec l'absorption du groupe L'Avenir, face à Rossel, IPM n'était pas "la grenouille" qui se voyait aussi forte que le bœuf, ou "le roseau" qui, contrairement au chêne, pliait mais ne se rompait pas.
Selon Belga, la semaine dernière, le groupe bruxellois a annoncé à ses deux principales branches de presse (L'Avenir et IPM) la mise sur pied pour chacune d'elles en 2023 d'un plan d'économies d'un million d'euros chacun. Motifs : les hausses de coût des matières premières, de l'énergie et les indexations salariales. Selon Belga repris par plusieurs médias (1), la direction aurait aussi dénoncé « la fragilité du secteur médiatique, qui est en perte de lecteurs et d'abonnés ».
Si l'on ne peut nier que toute l'économie souffre à l'heure actuelle des hausses de prix et des salaires, justifier un plan d'économies en 2023 sur base du dernier argument évoqué (l'état du marché des médias) peut paraître étonnant, tant les éléments avancés à ce propos sont, au moins en partie, endémiques au secteur.
L'AVENIR EN MIRE ?
Ce n'est pas d'hier que les médias écrits sont à la recherche d'abonnés payants, essentiellement sur le numérique. Mais alors que par le passé "abonnement" signifiait "sécurité", la volatilité des abonnés numériques met à mal ce principe (voir les chiffres 2021 analysés précédemment sur ce blog, et dont les tendances ont dû se confirmer début 2022). La perte de lecteurs, s'il s'agit bien de cela, est plus étonnante, les médias écrits s'étant toujours félicités davantage du nombre de personnes qui les "lisaient" (selon ce que le CIM met derrière le mot "lecteur") que de leur diffusion payante.
Entre les lignes, il semble que ces critiques visent surtout la branche L'Avenir du groupe IPM qui, effectivement, ressent de grandes difficultés à faire croître son numérique payant et dont le lectorat, vieillissant, ne connaît pas le même remplacement par de jeunes générations que d'autres titres du groupe. Et ce malgré les efforts entrepris depuis son arrivée par le nouveau rédacteur en chef du titre namurois.
ÉCONOMIQUE OPTIMUM ?Face au colosse Rossel, IPM a depuis dix ans comme objectif de bâtir autour de ses deux titres historiques une véritable entreprise multimédiatique, visant à atteindre "l'optimum économique" grâce au rachat de divers médias. Alors que son concurrent de la rue Royale devenait copropriétaire de RTL Belgique (et que personne ne s'y opposait, contrairement à ce qui vient de se passer en France), IPM ne pouvait faire autrement qu'encore veiller à accroître sa taille. La reprise de LN24 s'inscrira clairement dans ce cadre.
Mais voilà. Tout a un prix. Et si celui-ci paraît abordable en temps d'eaux calmes, lorsque la tempête se lève, tenir haut les voiles devient tout à coup plus problématique. Le groupe IPM s'est félicité depuis plusieurs d'années avoir dépassé la période où il manquait de cashflow. Il a aussi disposé de davantage de moyens grâce à ses investissements dans les jeux et paris en ligne, même s'il a réduit ses participations dans ce secteur (et même si on peut toujours s'interroger sur les rapports entre une mission d'information et la promotion de jeux de hasard).
MAUVAIS SOUVENIRS
À trop tirer sur la corde, celle-ci ne risque-t-elle pas de finir par se rompre ? IPM n'est est point là, mais l'apparition de programmes d'économies, qui rappelleront des souvenirs pas toujours agréables à ceux qui ont connu le groupe dans les années 1990, font en tout cas poindre l'oreille. D'autant que les solutions de réductions de dépenses dont parlent les dépêches Belga paraissent assez proches de celles que le groupe avait déjà mises en œuvre par le passé. Travailler plus sans gagner plus, ou travailler moins en gagnant moins. « Il n'est pas […] question de licenciement collectif », affirme une source syndicale dans une dépêche Belga. Mais cela veut hélas pas dire qu'il ne soit pas question de licenciement individuel.
Malgré les ouragans, IPM n'a jamais disparu, et ne disparaîtra pas de si tôt. Mais à quel prix ?
Alors que la crise n'a pas encore dit son dernier mot, il y a gros à parier que les pouvoirs politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles vont eux aussi être interpellés à propos de ces plans. Et il n'est pas peut-être pas exclu, en toute logique, que la ministre compétente envisage d'ouvrir une nouvelle fois son portefeuille. Au nom du sauvetage du (très relatif) pluralisme des médias dans notre Communauté.
Frédéric ANTOINE.
(1) Notamment: www.rtl.be/info/monde/economie/medias-un-plan-d-economies-d-un-million-d-euros-egalement-presente-chez-ipm-1405695.aspx?dt=15:54