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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

01 juillet 2022

Les quality papers belges reprennent des couleurs. Mais…

Les beaux jours sont presque revenus pour la presse quotidienne belge. Grâce aux ventes en ligne, la baisse de diffusion payante des titres de presse s'enraye, et la "presse de qualité" s'envole. Mais cela veut-il dire que les journaux sont sortis d'affaires ?

Allez, tout n'est pas perdu pour la presse. 2021 n'a pas été une trop mauvaise année pour les quotidiens belges francophones. Selon les déclarations des éditeurs faites au CIM, leur diffusion payante totale s'est plutôt bien portée, surtout si l'on compare avec une année "normale", c'est-à-dire avant le covid. Et les titres de qualité s'en sortent admirablement : ils vendent aujourd'hui autant qu'en 2009. Mais gagnent-ils autant ?

  
Champion toutes catégories : Le Soir, déjà en hausse en 2020 par rapport à 2019, et qui augmente encore légèrement sa diffusion payante en 2021 (et ce, semble-t-il, sans tenir compte des nombreux abonnés qui lui tombent gratuitement dans les bras grâce à l'offre que Proximus fait à ses clients). Autre gagnant, mais qui ne réussit pas tout à fait en 2021 à transformer l'essai de 2020 : La Libre. Au total, les deux quality papers de Belgique francophone sont dans le même mood que la plupart des titres de même catégorie dans d'autres pays : ils ont non seulement réussi à remplacer leurs abonnés papier défaillants par des abonnés numériques, mais aussi à attirer de tout nouveaux abonnés (ou ceux qui étaient "partis" il y a plusieurs années). Par rapport à 2019, la diffusion totale du Soir a crû de 19% en 2021, et celle de La Libre de 8%.


On ne peut hélas être aussi optimiste pour les autres tires, qui sont tous en baisse de diffusion payante totale, que ce soit par rapport à 2019 ou à 2020. Entre l'avant covid et l'année dernière, la diffusion payante totale de L'Avenir et de Sud Presse connaissent une baisse à peu près identique : -14,5% et -14%. La DH perd, elle, 7%. Pour les deux titres régionaux, 2021 n'a pas été une bonne année.
 
 

CHERS ABONNÉS

C'est évidemment l'état des abonnements digitaux payants qui expliquent cette situation. Le Soir en compte depuis 2019 un nombre particulièrement élevé. Toutes proportions gardées, La Libre est dans la même situation. Sud Presse et La DH ont plus ou moins conservé en 2021 le nombre d'abonnements numériques payants. L'Avenir, par contre, comptait l'an dernier sensiblement moins d'abonnés payants qu'en 2020.  En 2021, selon les déclarations d'éditeurs, les abonnements numériques représentaient 62% des ventes du Soir et 43% de celles de La Libre. Sud Presse et La DH étaient autour de 20% de ventes numériques, et L'Avenir 10%.

L'Avenir reste le titre comptant le plus d'abonnés papier (± 70.000), même si leur nombre a baissé de près de 20.000 depuis 2009. Sud Presse est à moins de 35.000 abonnés papier, un montant à peine plus élevé qu'en 2009. En douze ans, Le Soir a perdu la moitié de ses abonnés papier, mais il en a gagné davantage sur le digital. La Libre en a perdu un tiers. La DH reste le titre comptant le moins d'abonnés papier.

VOLATILES

Depuis 2009, le pourcentage d'abonnés numériques a explosé pour Le Soir et La Libre, il a crû autant pour La DH que pour Sud Presse (qui est stable depuis 2020), et il a d'abord légèrement augmenté pour L'Avenir, avant de diminuer. 

Au-delà de ce constat, l'élément le plus marquant de ce graphique se situe dans l'irrégularité des courbes. La Libre est le seul titre dont le pourcentage d'abonnements numériques croît de manière régulière. Pour les autres titres, on connaît des périodes de croissance suivies de périodes de régression. Derrière ces variations se cache la volatilité des abonnés numériques, bien moins fidèles à la "marque" qu'ils ont choisie que les abonnés papier. Aucun titre ne peut être sûr qu'un nouvel abonné digital sera encore là un ou plusieurs années plus tard, sauf si l'entreprise réussit à lui passer les fers aux pieds en lui offrant des super conditions sur des abonnements de très longue durée. 

Sud Presse ou La DH, qui réalisent constamment des campagnes de promotion numériques, restent très dépendants de l'humeur des personnes qui daignent ponctuellement payer pour lire ces publications. Le cas de L'Avenir, particulièrement problématique, est sans doute lié à l'âge moyen du lectorat du titre. Ce journal éprouve beaucoup de mal à rajeunir sa clientèle, malgré les efforts déployés par la nouvelle équipe de direction. On disait jadis de La Libre que chaque annonce nécrologique publiée signifiait la perte définitive d'un abonnement. Le quotidien a aujourd'hui dépassé cette malédiction. Mais le titre régional namurois récemment acquis par IPM vit la même situation que la vieille dame hébergée jadis rue montagne aux herbes potagères. Sauf que, aujourd'hui, les nécrologies se retrouvent plus souvent en ligne que dans le journal. 

Malin sera celui qui trouvera le moyen permettant d'attirer puis de fidéliser à L'Avenir un lectorat jeune, plutôt périurbain et de classes plutôt moyennes un peu supérieures. Soit des cibles que le journal ne rencontre pas vraiment à l'heure actuelle.

IMPÉRATIF : DOPER LE NUMÉRIQUE

Depuis 2009, les quotidiens belges francophones ont tous vu diminuer leur diffusion payante (print+digital). Certains de manière catastrophique, comme Sud Presse ou La DH. D'autres ont réduit la casse, ne perdant qu'une faible part de leur clientèle, et en compensant par la monétisation numérique ce que le papier ne rapportait plus. La Libre a ainsi réussi à redresser la barre, finissant par compter aujourd'hui davantage de clients (print+digital) qu'en 2019. Les ventes d'un titre ont eu, pendant des années, une destinée erratique avant de retrouver la croissance : celles du Soir. Lui aussi est revenu, en 2021, au nombre de ventes qu'il affichait en 2009.

L'optimisme doit-il être de mise pour autant ? Qui ne le voudrait. Mais voilà : un nombre équivalent, voire davantage de ventes aujourd'hui qu'il y a douze ans, ne signifie pas automatiquement que les revenus suivent dans les mêmes proportions. Compter un grand nombre d'abonnés numériques est réjouissant. Mais cela ne remplit pas les poches. Un abonné numérique, qui paie son journal moins cher qu'un abonné papier, rapporte à l'éditeur beaucoup moins que ce dernier. Lors d'un récent colloque organisé à Louvain-la-Neuve par l'ORM et l'Ecole de Journalisme, on évoquait un ratio d'au moins 1 à 3 entre l'abonné digital et papier. Le tout n'est donc pas de retrouver des montants de ventes totales où les pertes du papier sont compensées par les ventes numériques. Pour que l'entreprise s'y retrouve, la seule solution est de booster encore et encore les achats d'abonnements numériques pour que leur nombre total compense leur faible rentabilité. 

Mais lorsqu'on en sait la volatilité, c'est peut-être loin d'être gagné. Et rien ne prouve que les produits de presse sont loin d'avoir conquis tout le marché prêt à passer du gratuit au payant…

Frédéric ANTOINE




11 avril 2022

Utiles, les médias belges les soirs d'élections présidentielles en France ?


Médias belges et résultats des élections présidentielles en
France : cela sert vraiment à quelque chose de donner les scores avant tout le monde ? Ou ça permet seulement de faire du buzz ? L'exemple du premier tour 2022 est édifiant…

On allait voir ce que l'on allait voir. Une nouvelle fois, les médias belges, non soumis aux diktats des autorités françaises, allaient pouvoir jouer les trouble-fête et donner, avant tout le monde, le résultat des élections en France. Sport national, cette entourloupe extraterritoriale était même annoncée avec fierté par certains médias de chez nous, mode d'emploi à l'appui, comme s'ils recommandaient de la sorte à nos cousins d'Outre-Quévrain de ne pas perdre de temps pour savoir à quelle sauce politique ils allaient être mangés.

Les "bons" médias belges se sont même appliqués à informer nos amis français que, s'ils relayaient les informations recueillies sur les sites noirs-jaunes-rouges, ils risquaient gros. Quand on frouchelle un peu avec les lois, ce qui est le sport national belge, on n'est jamais trop prudent…
 
 
FAIRE MONTER LA SAUCE
 
Qu'ont donc découvert les resquilleurs de l'Hexagone en osant s'aventurer dans les marais belges avant 20h le dimanche 10 avril ? D'étranges choses en somme. Tout commence un peu après 15h. Grâce à des informations exclusives recueillies par La Libre Belgique auprès d'une "source fiable", les médias belges divulguent les uns après les autres les résultats de l'élection dans plusieurs départements d'Outre-Mer.
Un fait d'armes dont le quotidien bruxellois n'est pas peu fier, d'autant que, en plus, le leader de la France Insoumise, majoritaire, est toujours suivi de la candidate du RN, et que le président sortant n'arrive qu'en troisième place. Quelle info ! Tellement marquante qu'elle va être relayée dès 15h37 par un flash de l'agence de presse officielle belge Belga, ce qui va permettre à toute la presse nationale de faire monter la mayonnaise d'un bon cran.


Personne n'écrira que ces résultats ne concernent "que" certains départements éloignés, ne donnera de précision sur l'impact que ces résultats peuvent avoir sur une projection nationale, ni ne comparera avec ce qu'il s'était passé là-bas en 2017 (ce qui ne manquait cependant pas d'intérêt, car c'était alors Emmanuel Macron qui était en tête…). 

Bref, juste de quoi amener le lecteur à conclure qu'un match Mélenchon - Le Pen pourrait bien émerger à l'échelon de toute la France. Une groooooooosse surprise en perspective !

ENTRETENIR LA MAYONNAISE

Il ne s'agit toutefois là que de mignardises en comparaison du plat de résistance que tous les médias belges attendent dès les alentours de 18h, lorsque sortiront les premières estimations basées sur les sondages réalisés à la sortie des urnes. Et, eux aussi, apporteront leur bon lot d'inattendu. 
 

Impossible, pas français?  Mais si. Les voilà qui arrivent dans la dernière ligne droite, ils sont au coude à coude, cela va se régler dans un sprint ou à la photo-finish. La soirée risque d'être vachement passionnante. En tout cas bien plus que prévu. Cette élection est vraiment exceptionnelle. Heureusement que les médias belges sont là pour l'annoncer si tôt.
 
D'autant que, quelques minutes plus tard, un autre sondage redit la même chose. Deux sources indépendantes qui se répètent, en journalisme, c'est bien connu, ça veut évidemment dire qu'il n'y a plus de doute (1). On est assurément dans le bon. Bien sûr, on répète à chaque fois que ce ne sont que des premières indications, qu'il faut être prudent. Mais à lire ou entendre les commentaires, ce que disent les journalistes n'est pas de l'ordre de la supputation. 
 
 
Les médias sont même si sûrs de leur coup qu'ils publient déjà le classement à l'arrivée, avec infographie complète à l'appui (on appréciera particulièrement le choix des couleurs retenues pour catégoriser les candidats).
 

ENCORE PLUS FORT
 
Dans ce chorus médiatique, la chaîne de télévision publique RTBF, qui a installé ses studios à Paris, n'est pas en reste. Elle est même à l'origine de la divulgation de certains des résultats de sondages à la sortie des urnes (dont les données seront, à nouveau, aimablement reprises par l'agence de presse officielle belge Belga). Perchés sur un toit de Paris, les journalistes de la télévision publique, un peu frigorifiés malgré le soleil couchant, attendent fébrilement que tombent de nouveaux "résultats". Peu après 19h, les chiffres s'affinent. Là aussi, on recourt à une infographie semblable à celle qui présenterait les scores finaux, et que l'on intitule "estimation" (alors qu'il s'agit plutôt d'un sondage…).
 
 
Par chance, le match est toujours serré, tout reste encore possible. D'autant que, sur leur terrasse parisienne, les journalistes ont d'autres chiffres. Alors que débute le JT de 19h30, ils révèlent qu'un premier sondage remet les compétiteurs à égalité à 25% (mais alors, pourquoi diffuser juste avant une infographie qui dit le contraire ?). Et puis, surtout, voilà que tombe une nouvelle, plus incroyable encore : un autre institut de sondages place Marine Le Pen en tête devant Emmanuel Macron ! "On reste évidemment prudents, mais c'est la première fois qu'il y a un sondage qui donnerait, on utilise le conditionnel, Marine Le Pen devant Emmanuel Macron", commente le principal présentateur. Le conditionnel, éternel sauveur de l'information potentiellement vraie, mais pas sûrement…
 
Suite à pareille nouvelle, la chaîne se dépêche de donner la parole à ses envoyés spéciaux dans les QG des deux principaux protagonistes. Chez Marine Le Pen, ce duplex inopiné prend le journaliste un peu de court. Pour éviter la froidure, il avait revêtu son manteau, dont il s'empresse de se débarrasser comme il peut en direct à l'antenne avant d'affirmer : "Je peux vous dire que la confiance est de mise parmi les militants ici." Quelques minutes plus tard, passage au QG d'Emmanuel Macron où le journaliste, bien au chaud à l'intérieur, paraît confirmer les tendances annoncées précédemment : "Je ne vais pas vous dire que c'est la fête. Pour l'instant ce ne sont pas vraiment les sourires qui prédominent. C'est plutôt la soupe à la grimace. On est plutôt inquiets." (2) À 19h42, les carottes seraient-elles cuites pour le président sortant ?
 
TOUT ÇA POUR ÇA
 
Un peu plus de quinze minutes plus tard tombent les premières (vraies) estimations. Elles situent les deux premiers candidats à 28,1% et  23,3%. À l'heure où ces lignes sont écrites, sur 97% de bulletins dépouillés, le score est de 27,6% et 23,4%. Est-ce un résultat au coude à coude, à moins de 1% près ? Les pourcentages finaux correspondent-ils à ceux des sondages, plutôt souvent présentés comme des projections ? Les militants de En Marche faisaient-ils vraiment la grimace ? Certes, Jean-Luc Mélenchon frise désormais les 22%, mais avec ce score (supérieur à ce que donnaient les sondages de dimanche après-midi), il ne se hisse pas au second tour. Sans parler de Valérie Pécresse, qui termine à moins de 5% alors que les "projections" la situaient bien au-dessus. Finalement, il n' y a que Eric Zemmour qui soit plus ou moins dans les clous prévus. Mais, de sa part, qui en douterait ?

Hier, les médias belges ont vécu une bonne après-midi et un bon début de soirée. Cela a été fébrile sur les claviers et les écrans. Mais l'information y a-t-elle gagné, et en particulier l'électeur français qui se serait fié aux oracles en provenance des bords de Senne ?  Pas sûr.

Frédéric ANTOINE.

(1) En fait non, il faut en général 3 sources indépendantes concordantes pour qu'une info puisse être confirmée.
(2) On s'étonnera quelque peu de l'usage de la formule "la soupe à la grimace" pour définir l'état d'esprit des supporters du président sortant dans la mesure où celle-ci signifie "un accueil hostile".


23 mars 2022

Top Chef c'est plus ça


L'audience de la télé-réalité culinaire de M6-RTL TVI dégringole dramatiquement. Pour une simple raison : qui peut encore se reconnaître dans cette course à l'excellence qui n'a plus rien à voir avec la cuisine ? Non-initiés, désormais, s'abstenir.

"Il y a dix ans, c'est en regardant Top Chef que j'ai appris à faire un risotto. Regardez maintenant, qu'est-ce qu'on peut encore apprendre de ces super stars?" "La semaine passée, j'ai arrêté de regarder très vite. Dès que j'ai vu qu'on leur demandait de faire un dessert à base de fruits de mer. Oui, de fruits de mer! Vous vous rendez compte!" Tout l'art de la télé-réalité, c'est qu'on peut se voir dedans. Même si ce sont des chefs qui concourent, leur cuisine peut être un peu la nôtre. Et leurs conseils, ou ceux qu'on leur donne, doivent normalement pouvoir servir dans nos cuisines. Normalement…

Or, à Top Chef, on est pris dans une sorte de folle spirale qui fait s'envoler le niveau de saison en saison. Toujours plus haut, toujours plus fou, une cuisine toujours moins habituelle. Si on n'est pas un peu hors normes, aucune chance d'être retenu au casting. Et être un chefs "habituel" ne suffit plus composer un jury. Même si le quatuor traditionnel était plutôt pas banal. Non seulement cette année on leur ajoute un jeune chef plutôt original, mais en plus la prod fait défiler à l'émission des charrettes de cuisiniers de super talent tous plus éloignés les uns que les autres de la réalité des restos que côtoie le citoyen lamba (qui en a les moyens…). Top Chef est devenu une compét de luxe, un numéro d'équilibriste réservé à l'élite alternative de la cuisine post-contemporaine. 

 La ménagère déserte

Cette évolution est peu compréhensible de la part de chaînes grand public, dont le public est d'abord féminin et plutôt familial. Les premier résultats d'audience le confirment : la ménagère est en train de déserter l'émission. Pour preuve, les données d'audience déjà disponibles.

Entre le premier et le quatrième épisode la série 2022, l'émission a perdu 119.000 spectateurs, soit près de 30% de son audience. Celle-si s'est un peu réveillée cette semaine, mais la perte tourne toujours autour des cent mille personnes par rapport au début. Et, cette année, l'émission avait déjà moins bien débuté que l'an dernier.

2021 n'a pas été une année comme les autres, Covid oblige, mais il est marquant que, cette fois-là, l'audience était quasiment restée stable au cours de toutes les premières semaines de la compétition. Elle n'avait chuté en dessous de 400.000 personnes qu'après la dixième semaine. Cette année, que restera-t-il de l'audience lorsqu'on en sera à la finale?

Baudruche belge

Le fameux "effet belge" y est-il pour quelque chose? Les années précédentes, la présence de candidats belgo-belges avait plutôt stabilisé l'audience jusqu'à leur départ. Cette fois il y avait trois cuisiniers "de chez nous" en lice, mais le premier, tellement sûr de lui, a été éliminé dès la première semaine. Le génie atypique de Falaën a, lui, été prié de quitter les fourneaux à la quatrième semaine… soit celle où l'émission a connu son plus mauvais score ! Et pas sûr que le dernier chef belge liégeois permettra de conserver un bon paquet de spectateurs encore longtemps…

Il est vraiment temps de réinventer Top Chef. Pour que l'émission ne vire pas à Flop Chef (je sais, c'est trop facile, mais si tentant…).

Frédéric ANTOINE.


21 mars 2022

Drame de Strépy : entre émotion et voyeurisme ?

 


Le tragique drame du carnaval de Strépy-Braquegnies a pris les médias un peu de court, en pleine nuit de week-end. Et a parfois laissé les journalistes de radio-tv un peu dépourvus, noyés dans des émotions de types fort divers…

Les journalistes sont des êtres humains. Et sans doute sont-ils davantage que d'autres sensibles aux drames qui touchent leurs semblables. Jusqu'à le faire paraître ou, au contraire vouloir tout montrer, tant l'horreur paraît palpable. Si la tragédie ukrainienne donne chaque jour à ces professionnels de l'information l'occasion de se confronter à l'indicible, le carnage survenu lors du ramassage des gilles de Strépy permet, plus près de nous, de mesurer les difficultés d'un journalisme de proximité.

On s'est beaucoup ému sur les réseaux sociaux de la tristesse qui, sur La Première (RTBF), s'est emparée dimanche matin de la présentatrice du journal parlé de 7h00. L'audition des premières minutes de ce journal permet de saisir l'affliction qui petit à petit monte dans la voix de la journaliste. Elle réussit à la maîtriser avant un premier billet en direct, au contenu assez improvisé, mais celle-ci la prend à la gorge lors du lancement d'un témoignage enregistré, à la deuxième minute du JP. Au moment du retour studio pour le sujet suivant, consacré à l'Ukraine, celle-ci est toujours perceptible. Mais elle ne le sera plus par la suite. 

Les raisons profondes de cette expression d'émotion n'appartiennent qu'à la personne qui l' a vécue. Elle a en tout cas touché des auditeurs qui attendent sans doute des journalistes d'être davantage acteurs que spectateurs de l'information. La manière dont une voix porte un événement revêt un poids crucial quand il n'y a que l'ouïe pour recueillir l'information. Cela a, de tout temps, contribué à identifier la spécificité de la radio. Bien avant les événements de dimanche dernier, que l'on se rappelle comment, en 1937, le journaliste Herbert Morrison avait réussi à rendre l'horreur de l'incendie du Zeppelin Hindenburg à New York par la simple manière dont ses sentiments avaient percé dans ses commentaires (1). Que l'on se rappelle aussi comment, souvent, les événements sportifs s'investissent d'affects au travers de leur narration en direct par des journalistes. De manière générale, ce sont le plus souvent les envoyés spéciaux sur le terrain, témoins d'événements, qui sont le plus amenés à imprégner leur voix de leurs ressentis. En studio, c'est plus rare. Que se passerait-il en effet si, dès que tombe une nouvelle dramatique, sa présentation à l'antenne entraînait la révélation des sentiments que le journaliste éprouve à son égard?

De la radio à la télé 


On a aussi beaucoup évoqué ce journal parlé de la RTBF… parce qu'il avait laissé des traces audiovisuelles. Qui regardait sur Auvio, en direct, le JP de 7h00 de la La Première dimanche? Fort fort peu de monde, assurément. Au mieux l'écoutait-on sur sa radio FM au moment de son lever. Et encore. On le sait, le dimanche, les auditeurs sont bien moins nombreux à 7h00 du matin qu'en semaine. Il y donc eu peu d'auditeurs pour entendre la prise d'émotion évoquée plus haut. Mais, lorsqu'il est apparu (à qui?) qu'il s'était passé quelque chose dans ce JP, on s'est mis à le rechercher. Et on n'a alors pas écouté sa redifusion mais on l'a regardée sur Auvio… Regardée comme un produit (presque) télévisé. Ce qui n'a fait qu'amplifier la perception de l'émotion vécue. Si le son laissait percevoir la difficulté qu'avait la journaliste à maîtriser sa tristesse, avec l'image cela devenait patent. Evident. Mille fois plus humain. Touchant, émouvant. Vive donc la radiovision! C'est l'image, et d'abord elle, qui situe la journaliste en pleine compassion. Pas le son. La presse ne s'y est d'ailleurs pas trompée. Les articles rédigés par les journaux populaires dès dimanche ont tous été illustrés de copies d'écran de la présentatrice en pleurs. 

Les journalistes de radio sont-ils faits pour passer à l'écran ? Doivent-ils aujourd'hui être tous des ersatz de présentateurs télé soucieux en permanence de leur image? Ou doivent-ils plutôt rester eux-mêmes, chargés de communiquer par la voix, en laissant au secret de l'intimité du studio le reste de leur personne? La forêt de caméras qui a envahi les studios de radio apporte une large partie de la réponse. Mais pas sûr que, s'ils avaient le choix, les femmes et les hommes de radio opteraient pour celle-là…

Sentiments s'abstenir 


 Les présentateurs télé, eux, doivent être dans la mesure, le sérieux et la retenue. Le petit doigt sur la couture du pantalon. Et les yeux dans les yeux de leur public. Donc ici, sentiments s'abstenir. On dirait presque la même chose des présentateurs des chaînes d'info en Ukraine, alors que la guerre gronde. Comme si le modèle du journaliste stoïque face à la caméra, était universel (exception faite du cas de Walter Cronkite, qui osa écraser une larme en annonçant la mort de JF Kennedy sur CBS le 22 novembre 1963).

En général, il est plutôt exigé des anchormen et anchorwen d'adopter l'état d'esprit qu'il convient d'avoir en pareille circonstance via leur tenue vestimentaire, qui doit être appropriée. A la télé, la tristesse s'habille toujours en noir. Et cela a été le cas ce 20 février 2022. En tout cas sur la télévision publique. Sur la chaîne privée, si la veste était sombre, elle n'était pas vraiment couleur anthracite. Et accompagnée d'une cravate pleine de petits confettis… Et ce tant pour le RTL Info 13h que pour le 19h.

Tourisme catastrophe?

Si les présentateurs télé se doivent de garder leur rang, dimanche, il en a été de même de la plupart des envoyés sur le terrain, qui ont été dans la retenue et n'ont pas choisi le registre de la compassion. Sans doute témoignages et images parlaient-ils d'eux-mêmes. Parfois, on a été au-delà. Comme s'il ne s'agissait plus de montrer la souffrance, ou d'évoquer la tristesse. Mais de montrer, tout simplement. Montrer pour montrer. Amener le spectateur sur les lieux, comme autant de copies du saint Thomas biblique, pour qu'il croient parce qu'ils auraient vu. Quelle bonheur alors que les autorités judiciaires aient rendu à la circulation la rue où eut lieu le drame un peu avant les éditions spéciales et des JT de 19h00. Journalistes et cameramen ont pu se ruer sur les lieux du drame et le montrer. Oui, chers téléspectateurs, nous sommes là où ça s'est passé, où des corps ont volé dans les airs, déchiquetés par une voiture folle. Venez, approchez, et regardez. Et pour vous, c'est gratuit!

Une exagération? A peine? Une caméra qui panote sur un bitume taché, un journaliste qui montre du doigt les endroits où il y subsiste des traces de sang, qui désigne les cercles représentant les endroits où se sont retrouvées les victimes… Comme à la foire aux curiosités malsaines, il y a aussi eu cela dimanche soir. Y compris de beaux zooms sur un petit tas de paille au bord d'un trottoir. Un super témoignage qui ne s'est pas enfui. Et qui démontre qu'un gille s'est bien trouvé à cet endroit, à un moment donné. A des degrés divers, tout le monde est tombé dans le panneau du tourisme de catastrophe mis en scène par la télé. 

Oui il y en a eu des sentiments lors du drame de Strépy dimanche. Mais pas tous de même nature…

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=A7Ly1Oh-xvs&ab_channel=HistoryRemastered

03 mars 2022

Les médias occidentaux regardent-ils parfois les médias ukrainiens?


Si l'on veut comprendre comment un pays vit la guerre qu'on lui impose, regarder ses médias est un outil à ne pas négliger. Autant pour s'informer que pour se rapprocher de l'expérience subie par les habitants. L'Ukraine conserve des médias actifs et significatifs. Mais on regarde bien (trop) peu en Occident.

Il y a une semaine, de nombreuses chaînes d'info émettaient sur le territoire ukrainien (1). La jeunesse de la démocratie locale et ses soubresauts n'y sont sans doute pas étrangers. On se souvient en effet de la "révolution européenne" née lors des événements de février 2014 place Maïdan, mais on oublie que, depuis sa sortie de l'URSS, la démocratie locale a souvent été chancelante, et les rapports entre Kiev et Moscou de natures très différentes selon les époques (2).

L'Union fait l'info

Aujourd'hui, cette diversité de lieux d'information audiovisuels appartient presque au passé. Devant la pression de la guerre, la plupart des chaînes d'info (captables de Belgique via internet) ont désormais choisi de relayer un même signal, celui de la station Canal 24 (24 TV), la plus ancienne d'entre elles, tout en continuant à insérer leur propre logo, voire leurs propres bandeaux, dans son image.

Mobilisations, manque de moyens dans la région de Kiyv (où se trouve le siège de la plupart d'entre elles), justifient vraisemblablement cette adaptation, qui confirme toutefois aussi la pertinence de la devise nationale belge…

Sans en avoir la confirmation formelle, il ne semble pas exclu que des journalistes de plusieurs de ces chaînes contribuent désormais à ce "programme commun". Ils sont en effet nombreux à se relayer à l'image, certains en position de "standing speakers", et d'autres assis à leur bureau. Les couples de présentateurs, déjà relevés dans un précédent article (1) sont aussi toujours qu rendez-vous.

Des professionnels

Ces "anchormen" et "anchorwomen" ne donnent pas l'impression d'être en guerre, soumis à la peur ou au stress. Ils font formellement preuve d'un professionnalisme assez impressionnant, que l'on retrouve jusque dans leurs tenues vestimentaires. Les femmes sont en tailleur, les hommes ne plus souvent en costume, et portent toujours la cravate.

Toujours réalisés avec soin, ces programmes d'infos comprennent de nombreuses séquences de scènes de bombardement ou de quasi-combats, le plus souvent des réseaux sociaux (où les injures contre Poutine et les Russes que l'on pourrait entendre dans la bande-son sont soigneusement bipées). Mais tout ne provient pas de preneurs d'images anonymes. Comme en temps "normal", la télévision a ses envoyés spéciaux sur le terrain, avec lesquels elle réalise des duplex en direct. Et ceux-ci ne sont pas tournés en JRI avec des perches à selfies. Ces journalistes portent  bien sûr souvent une tenue de combat, et dans certains cas (pas illustrés ici) ils témoignent depuis des lieux touchés par des tirs. Mais sans jamais interroger qui que ce soit autour d'eux.

Tout dans le fond

À côté de Canal 24 subsistent quelques autres chaînes d'information. La plus active et la plus professionnelle semble (d'ici) être la chaîne de télévision de Kiev (KJiv Tv) qui, à l'échelon de l'agglomération de la capitale, réalise un travail identique à celui de sa consœur Canal 24. Journalistes hommes et femmes se suivent à l'écran tout au long de la journée, sur un greenkey de fond de studio animé, mais plus que significatif. En effet, il comprend au premier plan à gauche (c'est-à-dire là où n'est pas le journaliste) un des immeubles à appartements de la capitale, dont plusieurs étages ont tout bonnement été soufflés par une bombe.

Une sorte de déclinaison "horreurs de la guerre" de ces banals arrière-plans d'écran composés d'habitations auxquels recourent tant de chaînes de télévision en mal d'imagination. Tv Kijv diffuse aussi des images prises sur smartphones aux quatre coins de la ville, mais les associe parfois à des images venues d'autres localités attaquées. 
 
Un moment particulier du programme est une séquence qui s'intitule "Sans commentaires". À l'instar de ce que propose de longue date Euronews, on y laisse les images parler d'elles-mêmes. Ce qui, en l'occurrence, est amplement suffisant… et est souvent la manière dont sont conçues toutes les séquences diffusées à l'antenne. En effet, ainsi, pas besoin de recours aux voix off qui nécessitent la présence d'autres journalistes, sauf si le présentateur fait lui-même un "à travers". On a toutefois pu noter que ce "No comment" n'était pas tout le temps "No music". La fin de la séquence peut être accompagnée d'un décor musical qui la dramatise encore davantage, et lui fournit donc tout de même une sorte de commentaire. En temps de guerre, l'information que l'on vit au fond de ses tripes peut-elle ne pas être connotée?
 
Faire entrer l'extérieur
 
 
La télévision de Kiev, mais aussi d'autres chaînes comme  la 5, emploient également beaucoup les témoignages recueillis en direct en ligne via des plateformes de type Zoom, etc. Ces chaînes ne font là que recourir elles aussi à un moyen de convoquer l'extérieur dans leurs studios qu'ont "découvert" la plupart des rédactions télévisées du monde entier à l'occasion des confinements dus à la covid. Ces interventions sont souvent celles de simples citoyens, mais il y a parfois recours à des personnes plus officielles ou plus proches du monde des spécialistes.
 
 
Quand l'intégration de l'intervenant extérieur ne peut pas se faire en régie pour produire à l'antenne un split screen, les journalistes recourent à une bonne vieille méthode : celle de tout faire à l'antenne. Les correspondants extérieurs sont alors récupérés directement sur… le smartphone de l'animateur. Il y a des moments où l'urgence n'attend pas.

De l'agit-prop?

Dans tout cela, y a-t-il de la propagande? Oui, sans doute, si l'on veut désigner ainsi une construction de l'information qui entend valoriser les défaites de l'adversaire et les victoires de son camp, et qui exploite la peur de prisonniers autorisés à téléphoner à leur famille en étant filmés. Les interventions en direct et la diffusion répétée de messages des autorités y contribuent également. Mais n'est-ce pas d'abord une réaction humaine, naturelle, et pas une injonction du pouvoir en place? De la propagande, oui, plus sûrement, dans certaines séquences diffusées comme des publicités, à répétition plus ou moins régulière, et où l'on montre sur fond musical une armée ukrainienne toute puissante, disposant de matériel à l'infini. Mas celles-là sont si grossières qu'il est difficile d'y croire. 
 
 
Une seule chaîne est plus clairement impliquée dans la propagande : UA, la station que l'État a créée pour s'adresser à l'étranger. Les programmes y sont courts, doublés en anglais.
 

 Les commentaires mettent l'accent sur le drame vécu et la nécessité d'être secouru par l'extérieur. Dimitri Kuleba, ministre des affaires étrangères d'Ukraine, apparaît à chaque fin de ce court programme proposé en boucle sous forme d'un briefing qu'il tiendrait pour les journalistes ukrainiens (mais qui est réalisé pour l'international). Il y dresse la liste des 'bonnes' nouvelles de la journée. On est là, clairement, dans un exercice de communication. Un effort d'émission d'un message… mais pour quelle cible ? Communiquer, c'est dire quelque chose à quelqu'un…
 
Ce que montrent les télés ukrainiennes, c'est d'abord le drame vécu par leur pays. En tant qu'Européens de l'Ouest, ce n'est pas à nous que s'adressent ces émissions. Leur forme si habituelle, leurs formats, leurs animateurs, sont sans doute là pour rassurer les Ukrainiens, tant que faire se peut. Mais sans cacher l'ampleur de l'horreur dans laquelle on les a fait tomber. Et sans leur donner trop de faux espoirs. Sinon, de temps en temps, par sursaut de nationalisme, quand surgit un montage d'images réalisé sur fond de l'hymne national, chanté aux quatre coins du pays.
 

Ces images ne sont pas faites pour nous, certes. Mais ici, qui les regarde ? Qui s'en nourrit ? Dans le journalisme, on ne doit pas faire passer que son propre regard, voire son propre ego. Il faut aussi montrer quelle est la vérité et la subjectivité de l'autre.

Frédéric ANTOINE.
 

(1) Voir à ce propos notre article posté sur ce blog : https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2022/02/pourquoi-poutine-t-il-neglige-les.html

(2) Lire par exemple à ce sujet l'intéressante chronologie établie par le Courrier International : https://www.courrierinternational.com/article/2014/02/26/ukraine-chronologie-d-une-revolution


 


01 mars 2022

Poutine a tiré sur la tour de la télévision de Kiev

Poutine a visé la haute tour de télévision qui arrose toute la région de Kiev. Mais aujourd'hui, la diffusion hertzienne n'est plus le seul moyen d'émettre. Les médias ukrainiens continuent donc leur travail, comme si de rien n'était. Et avec sans doute encore plus de convictions arrimées au cœur.

Ci-dessous, la traduction d'informations ukrainiennes diffusées à ce propos, avec  les conseils donnés aux téléspectateurs pour continuer à rester informés. "La tour de télévision de Kiev est une tour en acier en treillis de 385 m de haut construite à Kiev, en Ukraine, pour la radiodiffusion et la télévision. C'est la plus haute construction en acier en treillis autoportant au monde. La tour n'est pas ouverte au public. Construit en 1968. Fabriquée en tuyau d'acier de différents diamètres et épaisseurs, la structure pèse 2 700 tonnes. La tour est unique en ce sens qu'aucune fixation mécanique n'est utilisée dans la structure: chaque joint, tuyau et luminaire est fixé par soudage."(wikimedia)



article : source: https://24tv.ua/vnaslidok-obstriliv-televezhi-5-zagiblih-5-poranenih_n1885725

À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 autres ont été blessées

Lire les nouvelles en russe

Le sixième jour de la guerre, les occupants ont cyniquement attaqué une tour de télévision à Kiev pour laisser les Ukrainiens sans informations véridiques. À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 blessées.

Des informations pertinentes ont été publiées vers 18h00 à Kiev. Les orcs ont frappé la tour de télévision vers 17 h 11 le 1er mars.

Important A Kiev, les Russes visent la tour de télévision

Des personnes sont mortes à la suite du bombardement d'une tour de télévision à Kiev

À la suite du bombardement de la tour de télévision, 5 personnes ont été tuées et 5 autres ont été blessées,  a indiqué le SES. Les sauveteurs ont déclaré qu'à partir de 18 heures le 1er mars, ils continuaient à travailler.

Vitali Klitschko a déclaré qu'il avait déjà été touché par deux roquettes. Les occupants ont endommagé le poste de transformation qui alimente en électricité la tour de télévision et le matériel de la tour de télévision elle-même.

Soit dit en passant, le bureau du président a déclaré que:

  • en raison du projectile frappant le matériel du diffuseur sur la tour de télévision, il se peut qu'il n'y ait temporairement aucune diffusion télévisée ;
  • il n'est pas nécessaire de publier une vidéo du projectile frappant la tour de télévision, car cela peut aider les occupants ;
  • vous devez utiliser la recherche de chaînes sur votre téléviseur pour accéder aux chaînes régionales.

28 février 2022

Pourquoi Poutine a-t-il négligé les médias ukrainiens ?






Et si la force de résistance des Ukrainiens provenait… de leurs médias, qui continuent à émettre jour et nuit en couvrant la guerre avec assurance. Des médias actifs comme si de rien n'était. Comme si Poutine les avait (heureusement) oubliés.

D'ordinaire, prendre ses médias constitue un des premiers objectifs d'une agression armée contre un État. Occuper la radio-télévision et ainsi empêcher toute information de la population envahie, n'est-ce pas essentiel? Miner l'état des troupes ne passe-t-il pas par le silence radio? Pas dans le cas de l'Ukraine en tout cas. L'activité, le dynamisme des médias audiovisuels de ce pays meurtri est impressionnante. Leur relais sur internet, et leur présence permanente en direct sur Youtube, participe assurément à soutenir l'état d'esprit des populations, et à le dynamiser. Si les Ukrainiens tiennent bon, cela semble aussi être grâce aux médias.


Des médias qui n'opèrent pas dans la clandestinité, mais qui paraissent continuer à faire le job, en particulier sur les chaînes all news, dont Ukraïna 24, qui présente sa retransmission en direct par ces mots: " Le 24 février 2022, le président Volodymyr Zelensky a déclaré la loi martiale dans le pays en lien avec une attaque militaire à grande échelle des forces armées de la Fédération de Russie contre des villes ukrainiennes. Que se passe-t-il en ce moment ? Les forces armées ukrainiennes travaillent. La direction de l'Etat appelle au calme. Tout sera l'Ukraine ! УкраїнаLIVE "Ukraine 24". Cette chaîne, comme d'autres, travaille depuis de grands studios, avec recours à des incrustations et à des split screens. Ukraïna 24 "is the first 24/7 News TV channel from the Ukraine. The channel was founded in 2006. It claims to present an objective and unbiased presentation of news, interesting and useful information for the viewer of the day" (1).


Sur la chaîne Canal 24, les journalistes, plutôt jeunes, s'y succèdent à l'antenne, parfois seuls, parfois en couple. Le programme fait l'objet d'une réelle réalisation, avec enchaînements de séquences et de témoignages (souvent recueillis par smartphones). Lors des retours studio, plans larges sur le couple de journalistes alternent avec plans plus serrés sur l'un d'entre eux. Au milieu de ces événements terribles, ils esquissent même parfois un sourire. La chaîne, "appelée à l'origine News Channel 24, fait partie de la Lux Television and Radio Company, un conglomérat de médias en Ukraine" (2). La journaliste présente dimanche en fin d'après-midi était impressionnante malgré son jeune âge. La chaîne possède un site internet (https://24tv.ua/) qui comprend un nombre considérable d'informations sur la guerre, vue par les Ukrainiens, et qui est, selon certaines sources un des plus visités du pays (2).
Kyiv, est une télévision de Kiev. Son site présente la "diffusion en direct de la chaîne de télévision de Kiev sur la défense de l'Ukraine et de Kiev contre les envahisseurs russes". Selon ce qu'elle dit d'elle-même, la chaîne a un profil plutôt généraliste, mais la guerre en a fait une chaîne d'info. "Kyiv tv est un diffuseur moderne de la capitale européenne. Nous sommes toujours les premiers à savoir quoi, où et quand se passe à Kiev. Les sujets d'actualité de la vie de la métropole métropolitaine se dévoilent dans les programmes uniques de la chaîne. Le contenu artistique de la chaîne de télévision se compose de films et de séries européens et américains."(3)

 
Le compte Telegram de la station est entièrement dédié aux événements, et se présente à la fois comme au service des habitants de la capitale, et de l'Etat ukrainien en guerre. La chaîne y écrit elle-même que "les principales nouvelles de Kiev sont exactes et proviennent de sources primaires".


 
Une des spécialités des chaînes est la diffusion de brèves interviews de soldats russes faits prisonniers par l'armée ukrainienne. Une communication qui a de quoi renforcer la détermination des populations, et qui est soutenue par un site créé par le ministère des Affaires intérieures d'Ukraine afin de présenter les documents d'identité et les photos des soldats russes capturés ou tués par l'armée du pays.


Un site évidemment destiné à être consulté par les familles concernées. Et qui peut avoir un effet réel…tant que subsistera internet entre la Russie et l'Ukraine.



Il existe encore d'autres stations qui se sont muées en news channels, et qui sont tous actifs en temps réels. Comme les autres médias ukrainiens, ils continueront à mobiliser les corps et les âmes aussi longtemps qu'ils pourront émettre, ou être reçus via l'internet.

Tant que…


Frédéric ANTOINE.


Lorsque sévissait la guerre en Serbie contre Milošević, je passais mes nuits à regarder la télévision serbe, diffusée par satellite. C'était impressionnant de propagande et de directs couvrant les bombardements de la ville. Très révélateur, instructif. Plus qu'utile quand on est journaliste. Mais en Belgique (et dans d'autres pays d'Europe occidentale), personne ne s'y intéressait. En 2022, il suffit d'une liaison internet pour entrer au cœur de tous ces médias, de les voir vivre. Et de mieux comprendre. Il suffit. Mais encore faut-il le vouloir…


(1) https://wwitv.com › tv_channels › b2602.htm
(2) https://fr.abcdef.wiki/wiki/Channel_24_%28Ukraine%29
(3) https://kyiv-media.translate.goog/about?_x_tr_sl=uk&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=wapp



04 février 2022

Sauvetage du petit Ryan : quand les médias créent une émotion planétaire


La planète retient son souffle : arrivera-t-on à sauver le petit Ryan, tombé dans un puits à Tamrout (Maroc) ? Pas un Jt, ou presque, sans nouvelles du sort du pauvre garçon. Le petit Marocain n'est pas le premier enfant à susciter pareil intérêt médiatique. Pourquoi tant d'émotion ?

Le 1er février après-midi Ryan (0) est tombé dans un puits que, semble-t-il, réparait son père (1). Bien que se déroulant dans un village en terre battue (2) et un peu perdu à ± 130 km de Tétouan, l'information remonte dans les médias locaux. Le quotidien en arabe Press Tetouan annonce la nouvelle sur son site dès le 2 février à 00h48, déjà accompagnée d'une photo, suivi par Alhadet à 00h50.

 (contenus en arabe, traduits en français)

Ce 2 février, le sujet sera traité, sur un mode mineur, par quelques sites marocains d'information (3). Il faut attendre le jeudi 3 pour que le fait divers prenne une ampleur nationale, puis internationale.  Analysant cet émoi international, Press Tetouan publiera le 3 en fin de journée et pendant la nuit plusieurs articles évoquant l'émoi international suscité par l'événement : Ryan unit le cœur des Arabes (4) ; L'attention de la presse internationale se tourne vers Tamrout (5) ; British Broadcasting Corporation... "Ryan" est devenu le fils du Maroc et de tout le Moyen-Orient (6)… L'article sur la presse internationale fait même référence au Soir et à 7sur7.be, considérés comme représentant les médias francophones dans leur ensemble (7). 

 Fait divers public

Les médias audiovisuels ne seront évidemment pas en reste, d'autant que pareille affaire permet de faire de l'image. Jeudi soir, le sort du "petit Ryan" est longuement traité dans le Jt de 19h30 de La Une (RTBF). La séquence à ce propos dure 1'47". Elle commence 21'20 après le début de l'émission. TF1 fait un peu moins bien : sa séquence, qui n'occupe qu'une minute de l'antenne, démarre 22'50 après le début du Jt. Mais elle est précédée d'un lancement studio de 20 secondes, alors que, à la RTBF, il ne prend que 15 secondes. Au RTL Info de 19h, le sujet fait seulement l'objet d'un "à-travers" de 20 secondes, placé 25'50" après le début du Jt. Sur France 2, cette info… n'est pas évoquée du tout. Elle n'est pas non plus dans le mini Jt atyique qu'est l'émission Vews, sur Tipik, ni dans le 21h de LN24. 


Sur RTBF radio La Première, le "petit Ryan" est par contre le… 2e titre du journal parlé de 19h (durée du titre : 20 secondes). Au cours du journal, ce sujet occupera 1'12" de l'antenne, en débutant à 3'17. Il comprend un lancement de 24", un "billet sec" d'une correspondant sur place (dont on ne saura rien et dont on ne comprendra pas le nom (8) ), sujet d'une durée de ± 35". Il sera suivi d'un retour studio de 13" évoquant un autre cas d'enfant tombé dans un puits, celui du "'petit Julen", survenu en Espagne il y a juste deux ans.

Mise à jour : le vendredi 4, dans son JT 20h, France 2 a bien rattrapé son vide du soir précédent. Le journal a consacré au "petit Ryan" une très longue séquence, 11 minutes après le début du journal (soit bien avant les JT du jeudi). Le sujet en lui-même a duré 1'25, après un lancement de 5". La chaîne publique  française a donc traité le sujet en 1'30. Mais il y a même inclus une animation destinée à faire comprendre comment les secours espéraient atteindre le jeune garçon prisonnier. Le même soir sur RTL-TVI, on passe d'un "à travers"' du jeudi à une séquence de 1'30, annoncée dans les titres, et .diffusée à la 27e minute du journal, accompagnée d'une infographie.

On peut donc dire que, finalement, les quatre chaînes observées ont traité de manière auss imposante ce fait divers, la différence se situant dans le moment de la réaction. La Une et TF1 s'investissent dans un long traitement dès le 3/2, alors que les deux autres stations considèrent alors l'événement comme peu digne d'intérêt. Devant l'ampleur médiatique que prend l'événement le 4/3 et l'impact émotionnel que celui-ci a sur les populations, et une chaîne publique (France 2) et une chaîne privée (RTL TVI) changent leur fusil d'épaule et survalorisent l'événement, allant jusqu'à en faire un des titres de leur édition vespérale, et en l'illustrant d'une infographie. Les deux chaîne "rattrapent' ainsi le coup de la veille. Pour quelles raisons éditoriales ?

La loi des séries

L'élément évoqué en fin du JP de La Première n'est pas innocent. Au même moment, plusieurs autres médias feront eux aussi allusion à cet autre drame arrivé il y a peu. D'autant que celui-ci s'est mal terminé : l'enfant (le "petit Julen") est finalement décédé. 

Serait-on en train de vivre une répétition des affaires de ce type, comme s'il y a avait là une loi des séries, voire une malédiction sur les enfants ? 

 En ne cherchant que quelques minutes sur internet avec l'aide des moteurs de recherche Duckduckgo et Google et les mots "enfant-tombé-puits-drame", on repère deux douzaines de drames de ce type  au cours des ± dix dernières années. Ce relevé est forcément incomplet. Il révèle toutefois que les médias évoquent fréquemment les chutes d'enfants dans les puits. 

Dans de nombreux cas, le fait divers est terminé lorsque le média s'en empare. L'issue a alors souvent été fatale, et le fait est présenté de la même manière que les autres accidents de la vie. Parfois, on relate le fait parce que l'issue a, au contraire été positive. On met évidemment alors cet élément "anormal" en exergue. 
Miaisd loccasions où les journalistes peuvent parler d'événements de ce type alors qu'ils sont en train de se produire sont rares.

Un suspense insoutenable

C'est ce qui distingue "le petit Ryan" de la plupart des faits divers ayant par ailleurs les mêmes trois caractéristiques : un puits, une chute, un enfant. L'événement ici prend une autre dimension, car il comprend une quatrième caractéristique : la tentative de sauvetage. L'actualité est prise en cours de déroulement. Il se passe toujours quelque chose quand débarquent médias et caméras. La scène comprend des personnages (parents, témoins éventuels, sauveteurs…) et, par dessus tout, elle repose sur un suspense insoutenable. Or, le suspense n'est-il le père de tout récit : que va-t-il se passer ? Tout est là. Dans l'attente d'un dénouement, heureux ou malheureux.

Voilà pourquoi ce fait divers, somme toute hélas plutôt banal, enfle jusqu'à devenir un sujet médiatique national, voire mondial. Lorsque tout un pays, et plus, suit en direct les opérations de sauvetage, il s'accroche à l'enchaînement des événements comme à d'autres récits où l'issue est incertaine. Avec le surcroît de tension provenant du fait que l'on est ici dans le réel, et non dans la fiction. Une vie est bien en jeu. Et, qui plus est, celle d'un enfant, chose sacrée, comme on peut le comprendre. Ce qui explique pourquoi les médias s'intéressent davantage aux drames concernant les enfants qu'à ceux qui touchent les adultes. La charge émotionnelle liée à ce qui se passe dans ce puits devient dès lors énorme.

Modèle en son genre

L'événement marocain n'est hélas que la réplique d'autres cas de traitement médiatique d'accidents concernant des enfants. Le tableau ci-dessus rappelle, sous le titre L'agonie d'un enfant, ce cas survenu près de Rome en 1981 déjà, et qui avait suscité un énorme déferlement médiatique, ainsi qu'une attention sans bornes des populations. 

L'emballement était toutefois là encore plutôt local. Médiatiquement parlant, le premier cas de cette série si spéciale se situe quelques années plus tard. Il  ne concerne pas tout à fait un puits, mais tous les autres ingrédients de la sinistre recette y étaient. Il s'agit de ce que Paris-Match dénommait encore avec subtilité récemment L’insoutenable calvaire d’Omayra Sanchez

En 1985, lors de l'éruption d'un volcan endormi en Colombie, cette petite fille était devenue prisonnière d'une coulée de boue. Un photographe de presse, qui croyait saisir l'image d'une victime de la catastrophe, s'aperçoit qu'elle est vivante. Cet homme de médias lance un appel au secours, et l'opération de sauvetage de l'enfant débute. Sous les yeux des caméras du monde entier. Omayra est consciente, elle parle. Elle se confie. Elle se montre forte. Que d'émotions ! On l'aide à résister à la boue qui l'entoure, mais on ne parviendra pas à la sauver. On assistera à sa mort en direct. Rappelant cet événement (9), Paris-Match parviendra même encore il y a peu à republier la dernière photo de l'enfant, lorsqu'elle est sur le point d'expirer…

On n'avait jamais été aussi loin. Surtout avec des enfants. Les médias n'avaient jamais su, pu, ou osé, couvrir ainsi un fait divers de ce type. Mais la brèche a été ouverte.  Elle ne se refermera plus. Et les feuilletons recommenceront. Qu'on se rappelle, par exemple, en 218, l'histoire de ces douze enfants bloqués dans une caverne en Thaïlande, vécue par le menu, avec des drames et des détails en tout genre.

En 1985, on appelait encore l'enfant victime par nom et son prénom. Aujourd'hui, on parle du "petit Julen" ou du "petit Ryan". La dernière digue de la distance (ou du respect?) a été rompue. Celle ou celui qui risque de perdre la vie, ne pourrait-il pas être notre enfant ? De spectateurs, les médias font quasiment de nous des acteurs de l'histoire. Comme si on y était. Par procuration. La vive émotion vécue au Maroc en est plus que la preuve.

Frédéric ANTOINE 04/02/2022 - 18h

Mis à jour 04/02 20h30, 05/02 08h (réécrit 11h40)

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(0) Nous utiliserons ici l'orthographe Ryan et non Rayan, employée surtout dans les médias francophones, car elle nous paraît plus fidèle à la dénomination arabe.
(1) Le contexte de l'événement n'est pas très clair, le père disant aux médias que son fils était à côté de lui, puis est tombé dans le puits. Sa mère, dans une déclaration à la presse, a elle expliqué qu'elle cherchait son fils le mardi après-midi et qu'il avait disparu, sans savoir où il était…
(2)
(3) Notamment : machahidpress, chaouen24
(4) (Press Tetouan) الطفل “ريان” يوحد قلوب العرب
(5) (Chaouanpres) أنظار الصحافة العالمية تتجه إلى تمروت
(6) الإذاعة البريطانية… الطفل “ريان” أصبح ابن المغرب وعموم الشرق الأوسط(Press Tetouan) 
(7) Tour à tour, plusieurs journaux francophones ont couvert l'actualité, dont « Le soir » : « Un enfant de 5 ans coincé dans un puits de 35 mètres de profondeur » et « 7sur7 » : « Une course contre la montre pour sauver un enfant de 5 ans coincé dans un puits au Maroc ».
(8) Quelque chose comme Eva (?) Secan, ou Segan, ou Sekan, ou ???
(9) https://www.parismatch.com/Actu/International/Omayra-Sanchez-morte-en-direct-boue-volcan-Armero-Colombie-1985-photos-1712373#-Samedi-a-9-heures-lenfant-ferme-les-yeux-Elle-ne-les-rouvrira-plus-Malgre-respiration-artificielle-et-massage-cardiaque-Un-des-sauveteurs-bouleverse-perd-connaissance-La-mort-apres-soixante-heures-de-combat-a-triomphe-de-lenfant-courageuse-Paris-Match-n1905-29-novembre-1995
 


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