Le covid a banalisé cette pratique depuis que,
le 13 mars, les autorités des universités décidaient de faire basculer les
cours du ‘présentiel’ vers des formules d’enseignement à distance. En invitant plus
que fortement leurs titulaires à les assurer en temps réel, en les donnant au moment
à ceux-ci étaient prévus dans l’horaire des étudiants, afin que leurs rythmes
de vie ne soient pas perturbés. Une chaude recommandation qui, selon quelques
échos provenant d’étudiants, n’aurait pas toujours été suivie à 100%…
Il est par contre acquis que, sous diverses
modalités, la pratique de l’enseignement à distance s’est, d’un coup,
généralisée, en transformant subitement en profondeur la configuration pédagogique
connue dans les universités et les institutions d’enseignement supérieur depuis
leur création, pour certaines il y a plusieurs centaines d’années. Et ce pour
le meilleur, mais peut-être pas que.
Seules de longues enquêtes approfondies qu’on
ne manquera pas de mener dans les prochains mois à titre scientifique ou pédagogique
permettront de dresser le bilan de cette petite révolution. La période de cours
de l’année académique 2019-2020 étant arrivée à son terme, les quelques lignes ci-dessous
n’auront comme seule ambition que de consigner l’une ou l’autre remarque issue
d’une expérience personnelle, que rien ne permet bien sûr de généraliser, tant
peuvent diverger d’un cas à l’autre les matières enseignées, les pratiques
enseignantes (surtout pour les plus âgés•e•s…) et les cohortes étudiantes
elles-mêmes.
ENFIN !
Il aura fallu que survienne le confinement
pour que les universités libèrent leurs étudiant•e•s d’un fardeau dont le joug
semblait ne jamais devoir disparaître : celui de l’assistance aux cours en
un endroit déterminé et à un moment précis. Une pratique obsolète pour des
générations chez qui l’essentiel de la consommation de contenus est délinéarisée,
et relève largement d’une appropriation en mode self-service. Le covid a contribué
à supprimer la contrainte de matérialité de l’enseignement universitaire. Reste
toutefois que la recommandation de conserver les cours à leurs jours et heures
habituels entretenait le maintien d’une obligation pour celles et ceux qui
voulaient y assister (tout comme pour les enseignant•e•s qui devaient le
prodiguer) : celle d’être au rendez-vous à l’heure dite.
Mais c’était sans compter sur les services
proposés par la (ou les) plateforme(s) pour gérer ces enseignements à distance.
Comme d’autres, Teams comprend en effet la possibilité d’enregistrer les
‘réunions’ qui y sont tenues et de les archiver ad vitam (chose que, pris dans la
précipitation de devoir bifurquer vers l’enseignement à distance, certains
membres du corps enseignant n’ont peut-être découvert qu’assez tardivement…).
L’enseignant qui pilote la réunion peut lui-même
actionner l’enregistrement. Mais ce choix peut aussi être commandé par les
autres utilisateurs de la réunion. Cette fonctionnalité supprime donc de facto
l’obligation de suivre l’enseignement en temps réel. Dotant d’obsolescence la linéarité
d’usage d’une séance de cours, elle rend les modalités d’apprentissage conformes
aux modes contemporains d’appropriation de contenus par les étudiant•e•s.
Cette opportunité a, semble-t-il, été assez fréquemment
saisie, notamment par des personnes qui, même confinées, n’étaient pas disponibles
au moment d’un cours. Elle a aussi permis à celles et ceux qui voulaient réviser
leurs notes de suivre plusieurs fois les mêmes enseignements. Ce qui est sans
doute davantage envisageable lorsque l’on est contraint à ne pas bouger de chez
soi qu’en période normale, où ces longues périodes de visionnement devraient être
gérées au-delà des cours, dans des agendas souvent déjà chargés.
L’assistance
La diffusion à distance d’un cours a-t-elle eu
un effet sur le volume du public que celui-ci recueillait lorsqu’il était donné
en auditoire ? L’expérience personnelle semble ne pas le confirmer : de
manière générale, l’assistance est restée la même. Lorsque la part de l’auditoire
par rapport aux inscrits était élevée, celle-ci a continué à l’être après le passage
en ligne. Et vice-versa pour les cours moins suivis.
Sur les petites cohortes, comme celles de
séminaires, l’effet a été quasiment inexistant.
Le handicap que peut avoir la présence physique
par rapport à la disponibilité sans déplacement ne paraît s’être fortement
manifesté. Le fait que le basculement soit survenu en milieu de quadrimestre,
et non au début de celui-ci, peut en partie expliquer ce phénomène.
Un élément permettant d’éclairer la question serait
de savoir si la possibilité de visionner un cours en dehors du moment où il a
été professé en a accru l’audience totale. Faute de données, la question reste,
à ce stade, ouverte.
En dialogue ?
La pertinence de maintenir en période post-covid
des enseignements en présentiel ne doit-elle pas être posée ? Quelle plus-value
apporte l’enseignement d’un cours devant un grand auditoire par rapport à la
dispense à distance du même contenu ? En ligne, les PowerPoint peuvent être
mieux vus, la voix de l’enseignant•e peut être plus claire, et, normalement, la
parole du professeur n’a aucune chance d’être couverte par le brouhaha de conversations
entre étudiant•e•s. Pour un cours ex cathedra, l’avantage est donc ténu, sinon
qu’il exige de la part du professeur•e un type d’exercice de communication pas en
tous points comparable à ce qui se passe dans un cours en salle.
Mais l’enseignement n’est-il qu’un discours à
sens unique ? Dans ses principes, même un cours donné sous forme de monologue
peut comprendre une partie dialoguée, soit suite à des invites à poser des questions
exprimées par l’enseignant•e, soit suite à une demande de prise de parole
manifestée par un•e étudiant•e via le lever d’une main. Des modes plus marqués d’interaction
en salle sont par ailleurs davantage suscités lors d’autres pratiques
pédagogiques comme les cours inversés, les séances de séminaires ou les travaux
pratiques.
Pour autant qu’il soit suivi en direct, l’enseignement
à distance n’exclut pas ces moments d’échanges et de prises de parole (cf. ci-après).
Si le cours est visionné à la carte, en dehors du temps de son déroulement, cette
éventualité disparaît par contre complètement. L’étudiant•e ‘suit’ alors l’enseignement.
Il/elle peut seulement y assister, comme à un spectacle. Si interaction il y a,
celle-ci ne pourra être, elle aussi, que différée.
Prises de parole
Les plateformes sur lesquelles les cours ont
été donnés offrent, en temps réel, d’évidentes possibilités d’interaction. À condition
que la machine de chaque participant•e soit équipée de micro et de caméra, tout
le monde est, potentiellement, capable d’intervenir lors de la ‘conférence’, et
non seulement le ou la professeur•e.
Afin de garantir des conditions correctes de
suivi, la plateforme offre aux animateurs de réunion la possibilité de couper
tous les micros de l’assistance. Cette mesure peut être considérée comme une
volonté d’y censurer l’expression. Il y a donc peu de chance qu’elle soit mise
en œuvre. L’absence de brouhaha évoquée ci-dessus peut donc s’avérer relative.
Cette possibilité de prise de parole n’est pas
anonyme. Le nom de chaque intervenant s’affiche sur l’écran. Mais, lorsque l’on
supprime son image, l’expression tout de même s’opère dans un anonymat relatif.
Et, en tout cas, loin du type de rapport de force qui organise la communication
de groupe au sein d’un auditoire physique. Chacun•e étant seul•e chez soi, les
prises de parole deviennent autonomes, et se libèrent. En l’absence d’image et
du regard des autres, on ‘ose’ s’exprimer, alors que l’on aurait hésité à le faire
‘en public’. Cette pénombre communicationnelle fait par exemple jaillir des
questions orales, surgissant au cours de l’exposé magistral. Elle dynamise le cours,
et peut parvenir à générer des échanges qui n’auraient pu voir le jour devant
un grand groupe, où s’exprimer peut provoquer la réprobation des tiers. Mais la
pénombre peut aussi inviter à d’autres types de prises de parole, en libérant
tant les contenus qu’elles véhiculent que leur mode d’expression. Jusqu’à la situation
où l’espace d’un cours se transforme en agora, avec les risques de débordement
que peut entraîner une totale liberté d’expression…
Comme sur les réseaux sociaux
Cette libération de la parole peut non seulement
se réaliser sur les plateformes par voie orale, mais aussi écrite. Les outils d’enseignement
à distance comprennent en effet un volet ‘chat’ (‘conversation’ dans les
versions françaises), sous forme de texte. Lors de ‘conférences’ en grand groupe,
ce passage par l’écriture permet de modérer les interventions. Il laisse le
pilotage à l’animateur de la réunion qui a le loisir de tenir compte ou de
répondre lorsque bon lui semble aux propos ou questions tenus dans le ‘chat’.
L’usage de ce mode d’expression est identique
à celui à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Une intervention d’une personne peut
être suivie de réactions appréciatives de tiers sous forme d’émoticons, qui confèrent
à toute prise d’expression un aspect référendaire. Ces règles du jeu peuvent avoir
de quoi surprendre dans une configuration de communication comme celle d’un cours,
où ni la parole de l’enseignant•e, ni celle d’éventuels autres intervenant•e•s,
n’ont coutume à être ouvertement évaluées et appréciées.
Lorsque certain•e•s participant•e•s à un cours
en viennent à dialoguer entre eux/elles à coup de messages via le ‘conversation’,
le brouhaha parfois rencontré dans certains amphis physiques, peut aussi être
remplacé par celui du ‘chat’…
La révolution amenée dans l’enseignement par
la généralisation de l’enseignement en ligne n’a pas nécessairement été douce.
Elle a, en tout cas, été profondément interpellante. Et, là comme ailleurs,
rien ne sera sans doute demain plus jamais pareil. Et en tout cas pour celles
et ceux qui, dans la ‘vieille’ génération des enseignant•e•s, croyaient jusqu’ici
maîtriser les codes de ce type de communication…
Frédéric ANTOINE