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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

16 mai 2020

Le « doute systématique du journaliste » face au grand incendie : Suite et fin…

(suite du récit du post précédent)

Variante 1.

Vers minuit, les flammes commencèrent à attaquer l’autoroute sud, mais elle peinèrent à traverser la large saignée que le ruban de bitume avait opéré au milieu de la forêt. L’incendie se propageait de voiture en voiture, et seules les explosions de réservoirs permettaient au feu de progresser. Quasiment tous les occupants des véhicules avaient pris la fuite lorsqu’ils avaient vu l’impossible devenir réalité. Seuls quelques-uns n’avaient pu sortir à temps. À l’extérieur, des familles entières s’étaient retrouvées cernées par l’incendie, d’autres n’avaient pas résisté et avait succombé aux fumées et au manque d’air.
À 3h du matin, un orage survint. La pluie fut torrentielle. En quelques minutes, les attaques de feu qui avaient traversé l’autoroute  s’éteignirent. À l’autre bout de la forêt, dans les tours de logements sociaux récemment rénovés qui constituaient la dernière banlieue de la ville, les habitants qui n’avaient pas fui n’avaient pas dormi. La plupart étaient restés sut leur balcon, les yeux rivés vers le sud, comme fascinés. L’orage les sortit de leur hébétement. Ils comprirent en quelques minutes que la catastrophe n’arriverait pas jusqu’à eux.
Les stations de télévision qui avaient placé des caméras sur les toits des immeubles avaient capté, de loin, l’arrêt de la tragédie. En ville aussi, ceux qui n’étaient pas partis ressentirent un immense soulagement. On se mit à sortir dans la rue. « Je savais que cela n’arriverait pas, qu’on n’aurait pas à partir ! », entendait-on souvent. « C’était impossible, ils avaient imaginé cela pour nous faire peur, pour nous forcer à fuir », disaient de leur côté des membres des comités citoyens. 
Au matin, la vie avait repris quasiment normalement. La pluie séchée, les terrasses étaient pleines, les gens faisaient leurs courses dans les magasins. À peine percevait-on au fond de l’air une très  légère odeur un peu âcre.
Au sud de la ville, le gouvernement dépêcha rapidement des forces de sécurité pour évacuer au plus vite les corps carbonisés des familles prises au piège sur ou près de l’autoroute. L’affaire fut rondement menée. La remise en circulation de la large voie rapide prit, elle, beaucoup plus de temps que prévu. Les médias, qui avaient continué à passer au crible de la critique systématique toutes les communications officielles, ne manquèrent pas de le relever. Ils s’interrogeaient sur la non-tenue d’une promesse qui entraînait des encombrements de circulation importants, tout l’accès sud de la capitale devant se reporter sur d’autres axes, ainsi que tout le trafic de transit. Plusieurs journaux mirent en avant l’incurie des pouvoirs publics et dénoncèrent le manque de moyens mis en œuvre par les autorités pour que la ‘normalité’ revienne au plus vite. On se demanda quel intérêt le gouvernement avait à faire traîner les choses.
D’autres médias s’intéressèrent plutôt à la manière dont les victimes décédées auprès et sur l’autoroute avaient été traitées, le gouvernement s’étant dès la fin de l’incendie engagé à prendre tous les frais à sa charge. L’enquête menée par un collectif de journalistes mit au jour que les  juteux contrats des mises en bière et de la fourniture des cercueils, notamment, avaient été passés en urgence, sans appel d’offre international. Et qu’ils avaient été attribués à une société dirigée par le frère de la cousine de la sœur du nouveau compagnon de la ministre de l’Enseignement. L’affaire fit énormément de bruit. Le Premier ministre eût beau déclarer que, cette liaison étant très très récente (on parlait de trois à quatre jours avant l’incendie), personne au gouvernement n’en avait connaissance. Il affirmait qu’il était impossible de faire le rapprochement. Rares furent ceux qui le crurent. La collusion de l’État avec un acteur privé, voire l’intérêt que le gouvernement avait dû avoir à ce que les choses se passent ainsi, était sur toutes les lèvres. Quelques mois plus tard, l’équipe ministérielle le paya cash lorsque se tinrent des élections.

Variante 2.

Pendant le reste de la nuit, la force du vent décupla. Le feu joua à saute-mouton avec les voitures immobilisées sur l’autoroute, et passa sans embûches cette frontière naturelle, l’explosion des réservoirs lui permettant de rebondir rapidement.

Avant l’aube, toute la forêt précédant les premières banlieues avait été mangée. L’incendie se mit à attaquer les immeubles tours de logements sociaux des quartiers sud. Les matériaux bon marché qui avaient servi à leur rénovation n’étaient pas résistants au feu. Des bâtiments s’enflammèrent comme des torches. Très longtemps, les habitants qui étaient restés sur place avaient cru que le brasier ne les atteindrait pas. Même devant sa progression fulgurante, certains restèrent comme hébétés. Les cages d’escaliers des immeubles furent prises d’assaut au dernier moment. Ou s’y bouscula. Les plus vieux furent écartés par les plus jeunes. Des enfants furent perdus. Arrivés à l’extérieur, les occupants devaient encore trouver vers où fuir les flammes qui ne cessaient de progresser. Tout le monde se précipitait dans la même direction. Là aussi, il y eut des morts et des blessés. D’autant que, au fil des minutes, la foule des fuyards était rejointe par les habitants d’autres quartiers, d’autres rues, que les flammes commençaient aussi à attaquer. Les comités citoyens avaient branché leurs tuyaux d’arrosage un peu partout, et faisaient de leur mieux pour ralentir l’avance du feu. Mais la petite section des tuyaux et la faible pression de l’eau sur le réseau rendaient ces efforts surhumains quasiment inutiles…

Pendant tout le début de la matinée, le feu remonta la ville vers le nord. Au milieu de la capitale, le fleuve coupait la cité en deux. Son lit était ici particulièrement large. Seuls quelques ponts le traversaient. Les experts consultés par le gouvernement avaient misé sur cette frontière physique pour arrêter le sinistre. L’information avait été communiquée aux médias, mais ceux-ci étant dans l’incapacité d’en vérifier l’exactitude, elle avait été à peine mentionnée. Une partie de la population étant persuadée que jamais l’incendie n’arriverait en ville, à quoi bon bâtir des scénarios liés à l’hypothèse inverse ?

À midi, le feu était au bord du fleuve. Comme prévu, il ne tenta de la traverser que via les ponts. Sur l’autre rive, les autorités avaient rassemblé toutes les forces de secours disponibles, ainsi que l’ensemble des renforts des casernes de pompiers. Le combat fut rude, mais finit par être remporté. La progression de l’incendie se limita à une rive. L’autre fut sauvée.

Réfugiée dans un bunker ignifugé bâti jadis en cas de conflit nucléaire, la cellule ultime de crise du gouvernement essayait de suivre les événements à distance, via des caméras de surveillance encore en fonction. Celles-ci montraient aussi les foules de gens perdus, rattrapées par l’incendie, les personnes surprises dans les encoignures où elles se pensaient à l’abri, les enfants piétinés lorsque tout le monde se ruait dans la même direction…

Plusieurs entreprises de presse, dont le siège se trouvait sur la mauvaise rive du fleuve, avaient évacué leur personnel en urgence, et leurs bâtiments avaient été attaqués par le feu. Seules les grandes sociétés multimédias, qui avaient bâti de nouvelles infrastructures sur l’autre rive, purent continuer à couvrir une actualité que, de toute manière, plus personne ne pouvait suivre dans les quartiers sinistrés privés d’électricité, de téléphone et de wifi.

Le lendemain de la fin de l’incendie, le gouvernement engagea d’immenses moyens afin d’évacuer les corps des victimes brûlées, écrasées ou asphyxiées dans leur fuite. L’armée fut chargée de l’opération. Des contrats furent passés en urgence avec des entreprises de terrassement pour évacuer les parties d’immeubles effondrés, ainsi que tout ce qui avait brûlé. Des sociétés de démolition détruisirent ce qui menaçait de s’effondrer. Sauf dans les banlieues sud, que le gouvernement décida de ne pas raser mais de laisser plus ou moins en état, sous forme d’un « Parc-mémorial du souvenir ». Les journalistes ressortirent alors les vieux projets qu’ils avaient redécouverts avant l’incendie. Cela suscita un trouble dans les esprits. En effet, au même moment, le gouvernement proposait aussi de remodeler l’allure des quartiers plus centraux du sud la capitale, eux aussi touchés par le sinistre. Un nouveau plan d’aménagement fut commandé à un bureau d’experts. L’un ou l’autre média osa la formule : « Décidément, il n’y a jamais de fumée sans feu… »

Un groupe de journalistes-investigateurs éplucha aussi tous les contrats passés suite à l’incendie. Des irrégularités furent constatées à plusieurs endroits. Notamment suite à l’attribution de certains marchés à une société dirigée par le frère de la cousine de la sœur du nouveau compagnon de la ministre de l’Enseignement. L’affaire fit énormément de bruit. Le Premier ministre eut beau déclarer que, cette liaison étant très très récente (on parlait de trois à quatre jours avant l’incendie), personne au gouvernement n’en avait connaissance. Il affirmait qu’il était impossible de faire le rapprochement. Rares furent ceux qui le crurent. La collusion de l’État avec un acteur privé, voire l’intérêt que le gouvernement avait dû avoir à ce que les choses se passent ainsi, était sur toutes les lèvres. Quelques mois plus tard, l’équipe ministérielle le paya cash lorsque se tinrent des élections.


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