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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

23 janvier 2023

Pourquoi les médias audiovisuels linéaires sont-ils de plus en plus vidés de leurs contenus ?


"Tout pour plateformes, les les miettes pour l'antenne". Comme l'ont encore démontré récemment l'
interview de la reine Mathilde sur TVi ou le sort de Jardins et Loisirs sur La Une, les opérateurs audiovisuels semblent avoir renoncé à chouchouter leurs médias traditionnels. Sont-ils en train de préparer le suicide de la télévision linéaire ?

Le grand Netwolf et ses amis amis Amaz, Dis et Cie leur font-ils tellement peur qu'ils en perdent leur raison d'être ? Les opérateurs de médias audiovisuels ont les yeux de Chimène pour tout ce qui est en ligne et relève de la constitution de bibliothèques de contenus dans lesquelles les internautes viennent, quand ça leur chante, consommer ce qui leur chante . Et ils semblent de plus en plus dégoutés par tout ce qui était jusqu'à présent leur core business : la diffusion en temps réel sur des canaux de télévision et de radio  de programmes organisés au sein d'une grille conçue en fonction des habitus socio-démographiques de leur audience.

Ces derniers jours sont apparus de nouveaux cas de ce qu'on pourrait juger comme un dédain vis-à-vis de la diffusion en linéaire au profit d'une mise en boîte sur des services en ligne. Au risque de vider encore un peu plus la diffusion linéaire de son attractivité.

GLISSEMENT DES PLAISIRS

Depuis qu'ils ont perçu que, pour une partie de l'audience, la libre consommation de contenus audiovisuels était devenue bien plus tentante que leur vision (ou leur écoute) sur rendez-vous  à une heure déterminée, les opérateurs audiovisuels traditionnels ont fait le choix de s'immiscer tant que possible dans ce nouveau modèle. Gouverner étant synonyme de prévoir, il leur fallait eux aussi entrer dans une danse à laquelle ils n'étaient pas préparés.

Ils ont donc emboîté le pas à tous les nouveaux acteurs du secteur, en commençant par proposer, sur leurs propres plateformes, les contenus qui avaient été diffusés sur leur antenne. Normal : cela leur donnait une seconde vie. Mais c'était évident faire pauvrement amende honorable aux nouvelles pratiques d'une (petite) partie de l'auditoire. Les opérateurs se sont alors mis à gérer leurs produits de stock de la même manière que les propriétaires de plateformes mondiales qui, eux, ne diffusent pas en linéaire. De petites, puis des grandes séries prévues pour être proposées sur les chaînes tv se sont retrouvées en ligne bien avant d'être proposées à l'antenne. Ensuite, des blockbusters théoriquement destinés à booster l'audience des chaînes ont suivi le même sort.

Certaines chaînes, comme Arte, ont administré le même traitement à des documentaires, voire à certains de leurs magazines, mis en ligne avant l'heure H de leur diffusion sur « l'antenne ». 

Sur les radios généralistes, un procédé identique s'est développé suite à l'explosion de la mode des podcasts. Depuis longtemps, des stations comme Europe 1 préproposent  ainsi en ligne, dès l'aube, des émissions destinées jusque là à être d'abord diffusées par voie hertzienne au cours de la journée.

Mais bon, tout cela ne concernait toujours qu'un même contenu, désormais un peu défraîchi lorsqu'on lui trouvait une place dans une grille de diffusion.

RELÉGATION EN LIGNE

La nouvelle étape de ce processus qu'on pourrait juger un peu suicidaire pour les médias linéaires est en train d'arriver. Elle s'inspire des techniques à l'œuvre depuis quelques années dans les entreprises de presse, où on ne se soucie plus d'accorder une primauté de l'info à l'édition papier (voire même à l'édition de l'info tout court), mais à la livraison de la nouvelle en "mobile first", puis sur les applis et enfin le site web.

Considérant sans doute que les chaînes tv ou radio, avec les grilles et leurs rendez-vous, sont en train de devenir obsolètes, les éditeurs de contenus audiovisuels produisent maintenant d'abord, voire uniquement, pour la mise en ligne.

Début 2023, on a de la sorte appris que la diffusion linéaire du programme de jardinage de la RTBF Jardins et Loisirs (1) passait à la trappe. L'« émission » (si on peut encore parler d'une quelconque émission) n'est plus accessible que sur Auvio. Supposant que bon nombre des spectateurs de ce programme doivent être nés avant les millennials (1980-1990), on imagine l'aisance avec laquelle ils vont switcher de leur grand écran 4K à leur tablette ou leur smartphone pour regarder en couple (ou en famille…) les conseils de Luc Noël.

L'opération relève d'une subtile stratégie : on ne supprime pas le programme, qui répond au cahier des charges de l'opérateur public. Mais on le met dans un placard doré qui lui permet de ne plus occuper l'antenne. Chronique d'une mort annoncée ? Ou une déclinaison du Mystère de la chambre jaune

Depuis septembre dernier, le même sort frappe la tranche matinale de Ouftivi, la chaîne tv pour enfants qui occupe le même créneau linéaire que La Trois. Suite à la volonté de l'opération de diffuser sur La Trois l'émission radio de début de journée Matin Première, les programmes pour enfants ont été privés de diffusion linéaire, les très jeunes spectateurs étant renvoyés sur Auvio. Un bon moyen  pour les dissuader (si besoin était) de regarder une chaîne de télévision 'classique'…

LE MEILLEUR SUR LA PLATEFORME?

Chez RTL Belgium, on a réussi un beau coup en obtenant une interview de la reine Mathilde à l'occasion de ses cinquante ans. Alors qu'une reine, d'ordinaire, cela ne se confie pas aux médias. Une aubaine que cette exclusivité pour un opérateur qui a relégué aux oubliettes l'emblématique programme Place Royale et ceux qui le réalisaient et le produisaient (1). Une sorte de petit camouflet, aussi, pour l'opérateur public, que tous les Belges financent, mais qui n'a pas eu droit à cette royale faveur.

En vertu de tout cela, on imagine que l'interview en question a été choyée, pouponnée, mise en avant autant que faire se peut… Elle a eu de la promo, certes. Mais l'interview,  menée avec sensibilité par la journaliste Alix Battard, n'a pas duré très longtemps lors de sa diffusion sur RTL TVI le 20 janvier. On était même étonné qu'elle soit déjà finie au moment où la reine a reçu de la journaliste des bâtons de marche en cadeau. Mais c'était bien la fin. Car, pour tout voir et tout entendre des confidences royales, on a été renvoyé sur… RTL Play. La reine n'a pas confié tous ses secrets aux amoureux de la monarchie lors de la diffusion linéaire. Ce qui comptait pour l'opérateur audiovisuel était de pousser le spectateur à voir ou revoir l'émission en extended play sur la plateforme de la chaîne. De quoi sûrement tenter les admirateurs de la famille royale, qui n'appartiennent pas tous à la génération Z…

LA FIN DES FRISSONS

En radio, la diffusion linéaire (en FM)  paraît de plus en plus destinée à reproposer des contenus d'abord créés pour être proposés comme des podcasts. Le phénomène touche de plus en plus de programmes de stock, conçus et  ± promotionnés comme tels, et pour lesquels l'inscription dans la grille horaire d'une chaîne donne l'impression de ne plus être que complémentaire. Sur La Première (RTBF), par exemple, certains de ces podcasts mis à l'antenne sont  ainsi diffusés à des heures connues pour ne rassembler qu'un très faible nombre de téléspectateurs. Ils sont même diffusés parfois plusieurs fois, comme si l'on recourait à eux pour simplement "remplir" l'antenne…

À force de banalisation, pareilles pratiques contribuent à vider la diffusion linéaire de l'attrait de programmes renommés, qui justifiaient que l'auditeur prenne rendez-vous avec la chaîne pour les écouter ou les voir. Petit à petit va s'estomper le réflexe de "Ah, il est l'heure de…", déjà effrité en télévision par toutes les opportunités de vision légèrement ou très différée que proposent les opérateurs télécoms comme VOO ou Proximus. 

Radio et télévision sont ainsi en train de perdre ce qui constituait leur âme: le direct. Avec le frisson et le sentiment d'appartenir à une communauté d'audience que ce mode instantané de transmission a permis depuis le début de la diffusion hertzienne.

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/jardins-loisirs-quitte-la-une-et-vous-donne-rendez-vous-en-ligne-11123427
(2) Qui ont tout de même été appelés à la rescousse pour dresser le portrait de la souveraine avant son interview…

 


19 janvier 2023

P.P. à la RTBF : faites ce que je dis, ou ce que je fais ?


Le placement de produit (PP) : une “bonne” ou une “mauvaise” chose sur l'audiovisuel public?
À la RTBF, cela fait semble-t-il débat, entre séquence du JT et pratiques dans les émissions. Mais c'est peut-être plus subtil que cela…

Mardi 17 janvier, une des séquences du JT de 19h30 de La Une (1) était consacrée au placement de produit (PP) dans les séries. Intitulée "Séries/trop de publicités déguisées", elle commençait par l'exemple de Emily in Paris, sur Netflix, où la jeune Américaine est poussée à visiter un fastfood américain dans la Ville Lumière. La séquence évoquait ensuite le passage de James Bond de la consommation du Bourbon Whisky à la bière, recourait à l'avis de plus expert·e·s et se terminait par des images fixes d'extraits de séries où des noms de marques apparaissaient clairement.

Message général de la séquence: vous ne le savez peut-être pas, mais on vous montre des noms de marque dans les fictions que vous regardez. Ce sont des publicités déguisées.

 MONTRER LE DOIGT…

Pas un mot, par contre, sur le placement de produit dans les émissions de la RTBF elle-même. Comme s'il s'agissait-là d'un autre sujet. Ou un sujet tabou. Alors que l'opérateur public ne se cache pas (et ne peut pas se cacher) de pratiquer de la sorte, puisque les lettres PP, en blanc dans un cercle noir, apparaissent clairement au début de certains programmes, parfois même accompagnées des noms des marques qui figureront dans l'émission. Ce qui permet au spectateur de jouer au petit jeu de retrouver où se cachent ces pubs déguisées.

Comme nous l'avons déjà écrit sur ce blog (2), dans un programme récent comme The Dancer, le PP est plus subtil  encore parce qu'on ne voit pas toujours le "produit" évoqué à l'image, sinon parfois furtivement (2), mais le nom de la marque apparaît clairement à certains moments accompagné d'un bref slogan, en bas de l'écran. Du PP new look. Si on parle de publicités déguisées, en voici des exemples, et des bons!

… REGARDER LA LUNE

Mais, dans la séquence du JT, rien de tout cela. Pas d'évocation de la situation en Belgique. Bien sûr, le sujet était limité aux séries, mais tout de même. Celui-ci n'a-t-il pas été élargi par crainte de "dénoncer" de “mauvaises” pratique? En fonction du titre de la séquence, qui parle de "publicités déguisées", cela pourrait s'imaginer. Mais, quand on résume le ton général de la séquence, cette analyse ne paraît pas correcte. 

En effet, la conclusion énoncée à la fin de la séquence n'est pas de l'ordre de la dénonciation, mais de la bienveillance à l'égard du PP : « Le placement de produit, reflet de notre société, et stratégie payante pour les marques, et d'une certaine manière pour les spectateurs aussi. Une chose est sûre: la publicité n'en a certainement pas fini de s'incruster dans la question. »

PASSER  À LA CAISSE

On est loin d'une alerte contre les publicités déguisées. On se demande même, in fine, si le PP a quelque chose à voir avec la publicité, puisqu'il serait une "stratégie payante" pour le téléspectateur. 

Payante, alors que le but de la monstration d'une marque en PP à l'antenne est de pousser le spectateur à acquérir le produit montré, sans devoir l'en convaincre par un spot de 30 secondes, mais en le laissant simplement doucement s'identifier à la personnalité ou l'acteur qui utilise le produit. Et, comme lui, l'inciter à s'approprier la même marque… en l'achetant.

Très schématiquement, on ne dira jamais assez que l'intention finale d'une pub, comme du PP, c'est que le consommateur s'imprègne du produit commercial qu'on lui montre, et ensuite "passe à l'acte", c'est-à-dire achète le produit. Et, pour cela, se déleste d'une partie de ses avoirs monétaires au profit de l'instance propriétaire de la marque (et qui peut en être le producteur).

Bien sûr, lorsque des firmes achètent de l'espace PP dans une fiction ou un programme de télévision (comme dans un film), ils contribuent à son financement. Mais cet argent ne vient pas de la fortune personnelle du patron de la firme. Il existe suite aux recettes que l'entreprise a accumulées par la vente de ce produit-là (ou d'un autre). Et donc parce que des clients (c'est-à-dire des téléspectateurs) l'ont acheté.

C'est bien le téléspectateur qui, indirectement, finance la série, le film, le programme de télévision, voire l'opérateur audiovisuel lorsqu'il "passe à l'acte" après avoir été séduit par le produit dans une émission comprenant du PP, ou dans un spot pub.

PAS DE MAGIE

L'audiovisuel n'est pas par magie gratuit ou, dans les cas des plateformes, légèrement payant. Il ne peut l'être que parce qu'il se finance essentiellement par la promotion de marques et de produits dans ce qu'il diffuse (sauf s'il s'agit d'un opérateur public, financé en partie par l'Acteur Public, ou s'il impose à ses usagers un droit d'entrée, comme un abonnement, pour accéder à ses programmes). 

Il ne faut jamais l'oublier. En finale, celui qui paie est toujours le consommateur. Mais, souvent, il ne le sait pas. C'est sans doute là que la vérité est la plus déguisée.

 Frédéric ANTOINE.

PS: L'intention de ce texte est d'apporter un regard complémentaire sur la question du PP dans l'audiovisuel, et non de porter un avis la séquence diffusée.

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(1) Sur Auvio: de 00.27.09 à 00.30.10
(2) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2023/01/sur-la-une-rtbf-dancer-ou-advertiser.html
(3) Ainsi, une pub pour une banque apparaît furtivement dans un cadre sur le mur gauche du couloir qui mène à la salle de danse où se produisent les candidats.

11 janvier 2023

Sur La Une (RTBF): The Dancer ou The Advertiser?

 

The Dancer,
le nouveau show type  'télé-réalité dansante' de La Une, a bien des atouts pour plaire, et est assurément un beau spectacle. Mais ce programme coûte-t-il si cher qu'il faille le truffer de publicités commerciales d'un nouveau genre? Ici, la pub ne rentre pas seulement par la porte, mais aussi par la fenêtre. Et parfois bien subtilement… Même si ce n'est pas une originalité de La Une (*)
Mais rendons d'abord hommage à la qualité du programme, et à ses originalités.
 
The Dancer version RTBF est, comme le précise son générique final, une superbe franchise du format éponyme créé par Fremantle UK et Sico Entertainment. Et dont la version la plus accessible sur la Toile est celle qu'a diffusée il y a + un an la RTVE, l'opérateur audiovisuel public espagnol. En de nombreux points, celle-ci ressemble à la belge, y compris dans le type de casting flamboyant des membres du jury (et surtout de sa composante féminine).
 
Nous n'avons pas la place pour présenter ici le programme en détail. Mentionnons simplement qu'il est donc composé de prestations de danseurs et danseuses ± amateurs ou ± professionnels. La première étape du programme est destinée, comme dans The Voice, par exemple, à éliminer les plus mauvais et à constituer ensuite autour des membres du jury des équipes dont les membres s'affronteront dans les étapes suivantes. D'ordinaire, dans ce genre de programme, les membres du jury sont seuls à opérer cette sélection, l'étape d'interaction où le public vote pour les candidats n'apparaissant que plus tardivement. Ici, si 75% du public présent en studio vote pour le candidat lors de sa prestation d'une durée de 2 minutes, il est retenu dans un premier temps. Les membres du jury ne feront ensuite leur sélection que parmi les participants sélectionnés.
 
                                                                            (logo version hispanique)
 
UNE RICHE ÉCRITURE
 
On se croit donc un peu à ce stade dans The Voice, à la différence près que, à certains moments (et comme dans toute bonne télé-réalité), la compétition n'apparaît qu'être un prétexte pour créer de l'émotion autour du candidat et de son histoire. On pleure beaucoup sur le plateau, avant et après la prestation, et ces éléments prenants participent sans doute grandement à l'addiction que le spectateur peut avoir le programme, une fois qu'il s'est familiarisé avec lui.
 
Le concept repris par Fremantle Belgique fonctionne bien, et s'avère plus riche, par exemple, que Belgium's got talent (ou son équivalent français). Cette richesse ne se retrouve pas seulement dans les décors très léchés ou l'univers général du programme, mais aussi, sinon surtout, dans sa construction narrative, qui a l'originalité de multiplier les angles si on compare The Dancer aux autres programmes classiques du genre. 
 
Alors que, s'ils en ont, ces productions de télé-réalité comptent en général un présentateur, The Dancer recourt à un couple de deux personnes, qui n'occupent pas vraiment un rôle central, mais sont plutôt chargées de cadrer les émotions (auxquelles elles participent) et, surtout, de borner les phases du récit. Les membres du jury, particulièrement actifs dans l'animation du plateau, apportent un deuxième point de vue sur l'histoire à laquelle ils participent. Leur rôle est central. La "secrétaire" de la production, qui accueille les candidats dans son bureau avant leur prestation, est la porteuse du troisième niveau de récit. Elle remplace un peu les séquences backstage des productions classiques, mais en occupant une place beaucoup plus importante (1). Mais ici, 
 
En pus, il y ici encore d'autres récits, produits par d'autres acteurs. Le quatrième récit est généré par un(e) ami(e) du compétiteur, à la fois via une vidéo présentée avant sa prestation, mais aussi en étant présent(e) dans le studio où se déroule l'émission, et constamment cadrée lors des étapes de la prestation. Enfin, et ce n'est pas la moindre originalité, le programme est parsemé de commentaires "live" (si l'on peut dire) provenant de divers couples de spectateurs faisant partie du public. Le spectateur à domicile s'identifie ainsi à celui qui est dans la salle. La communion est parfaite;

Inutile de dire que cette diversité de récits s'entremêle, contribuant largement à la dynamique du programme.
 
POMMES ET POIRES
 
Une analyse des rôles exacts de chaque producteur de récits serait passionnante à réaliser, ainsi qu'une étude sur les concurrents, subtilement castés et invités à se produire dans un ordre qui participe évidemment à l'écriture du scénario du programme. Tant et si bien qu'on en finit par se dire que, dans cette émission comme dans d'autres du mêmer (type Belgium's got talent),  on compare des pommes et des poires, entre une troupe qui présente une prestation d'ensemble, un quatuor ou un quintet de danseurs dynamiques et un petit couple de pensionnés exécutant une valse viennoise. Deviner qui le public a retenu et éliminé pourrait être fait avant même le début de chaque prestation. 
Mais enfin, est-ce si important? Le plaisir du spectateur est-il là?
 

DÉPLACEMENTS DE PRODUITS

L'originalité de The Dancer se trouve enfin… dans son usage des messages publicitaires. Comme tout bon programme qui se respecte, cette production à laquelle la RTBF est associée est évidemment truffée d'interruptions publicitaires, dont l'emplacement est bien inscrit dans la structure du scénario de l'épisode. Cela, on connaît par coeur. Le panneau "ce programme contient du placement de produit", diffusé avant le début de l'émission (et également dit en voix-off, sans doute pour les enfants en âge préscolaire) fait également référence à des choses maintenant connues, la production ayant même la bienveillance d'énumérer les marques dont les produits seront placés dans le programme. 

Mais, lorsqu'on regarde The Dancer, ce placement de produit (s'il s'agit de lui) prend une tournure assez spéciale, et très peu vue jusqu'ici (en tout cas à notre connaissance sur le service public): ce n'est pas le produit qui apparaît sur l'écran, mais un bandeau publicitaire qui occupe tout à coup le bas de l'image. Le bandeau contient un message, mais ne montre pas un produit. Est-on encore dans le genre "placement de produit"? Cette nouvelle forme de production publicitaire contribue à l'originalité de ce show car elle nécessite un travail subtil de conception du message, qui doit être à la fois concis, accrocheur, et faire référence à une marque sans nécessairement à nommer. Tout un nouveau terrain de jeu pour les créatifs des boîtes de pub…

Mais pour le spectateur, c'est surtout compris comme une nouvelle invasion de son espace visuel par de la pub. Non content d'en avoir avant, après, ainsi que toutes les douze minutes (ou ±) d'un programme, voici maintenant que la pub s'immisce dans le programme lui-même. Non en montrant un produit, mais en ajoutant un message textuel au contenu de l'image et du son que l'on consomme en même temps. Peut-on à la fois suivre ce qui se passe à l'image et assimiler les paroles tenues si, au même moment, on doit déchiffrer un contenu textuel qui occupe une partie de l'écran? La question est ouverte.

Ce système est en tout cas
un superbe moyen de forcer les téléspectateurs à ingurgiter de la pub même quand ils n'en veulent pas, puisqu'elle est insérée dans l'image du programme. Fini les visionnements a posteriori via les services de VOO ou de Pickx où l'on zappe les écrans pub. Ici, on en est prisonnier. On ne peut pas ne pas la voir (2).
 
Amis publiphobes, ce nouveau type de matraquage n'est pas fait pour vous. A la fin de The Dancer, le trop-plein de commercial risque de vous sortir par les narines. Ou de ne pas du tout vous donner envie de danser. Ce qui est sans doute une des missions du service public.

Frédéric ANTOINE.

Ce texte du 11/01 a été complété le 12/01 à 17h55.

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(1) Dans les émissions classiques, une seule et même personne assure parfois la partie backstage et la présentation générale.
(2) Idem sur Auvio, où n'existent pas les écrans pub insérés au sein du programme lors de la diffusion en linéaire.
 
(*) Suite à la publication de ce texte sur ce blog, un lecteur précise: "Vous estimez que ces bandeaux n’ont été tres peu vus à votre connaissance sur les antennes de la RTBF. En réalité, ce principe existe depuis 2014 et la saison 3 de The Voice. . A l’époque, en juin 2013, le renouvellement de The Voice était menacé à cause de la suppression du PP.  La RTBF a alors utilisé ce moyen. Et, en 2015, quand le PP a été illico ré-autorisé, ces bandeaux sont neanmoins restés. Désormais, PP et bandeaux pub cohabitent."


02 janvier 2023

Adieu RTL (Grandes Ondes), on t'aimait bien, tu sais!


Ce premier janvier à 0h00, l'émetteur Ondes Longues de RTL Paris s'est éteint à jamais. Les grandes antennes de Beidweiller, au Grand-Duché, sont orphelines pour toujours. Mais des milliers d'auditeurs des quatre coins d'Europe et du fin fond du désert français éprouvent aussi du mal à sécher leurs larmes.

Depuis 1933, dans un rayon de plusieurs centaines de km autour du Grand-Duché de Luxembourg, il suffisait de se brancher sur la fréquente de 234 kHz pour tomber sur ce qui fut Radio Luxembourg, puis RTL (Paris). Le centre de diffusion de la station privée n'aura donc pas pu célébrer ses 90 ans. RTL était la seule radio généraliste française historique à encore diffuser sur ce qu'on appelait "les ondes longues" (OL) ou "les grandes ondes" (GO). 

Une bande de fréquences où le son, certes, n'était pas top, et très nombreux les grésillements radioélectriques dus notamment à des moteurs ou au passage de trains et de lignes électriques. Mais les OL portaient loin. Si loin que, dans le cas de RTL, on pouvait en écouter les programmes sur l'autoradio de son véhicule jusque haut dans le nord de l'Europe, et pas seulement en France. Quelle chance pour les routiers francophones qui retrouvaient ainsi une présence familière tout au long de leurs trajets. Max Meynier n'a pas pour rien créé Les routiers sont sympas sur une radio OL.

Déçus aussi sont sans doute les auditeurs fidèles de RTL au fin fond des campagnes françaises. Là où la direction actuelle de M6 n'a pas estimé utile d'installer des réémetteurs FM. Et je vous l'assure, ils sont nombreux ces petits coins du désert hexagonal où on ne peut capter que les radios du service public et la station locale de RCF. On comprend alors pourquoi France Culture compte potentiellement autant d'auditeurs…

(https://achdr.over-blog.com/2020/11/16-novembre-1937-radio-luxembourg-emet-toute-la-journee-sans-interruption.html)

AMIS FIDÈLES

Et puis, il y a tous les Belges. Ou en tout cas tous ces Belges francophones qui, de génération en génération depuis 1933, étaient des "amis fidèles" de la station luxembourgeoise, comme le chantait alors son générique: "Allo, allo, Amis fidèles, ici la Villa Louvigny…

Des centaines de milliers d'amateurs de musique légère, de jeux, de variétés, de récits captivants et d'humour… entrelacés de publicités dites au micro par des speakerines. Des auditeurs qui préféraient bien cela au sérieux de la radio publique monopolistique de service public belge, l'INR. Une station plutôt rébarbative, bavarde, officielle, dont la musique provenait bien d'un des meilleurs studios d'Europe (le studio 5 de la place Flagey à Bruxelles), mais était bien plus sérieuse que sur les ondes luxembourgoises. Et, surtout, une radio vachement politisée puisque, croyant ainsi respecter la notion de "service public", le législateur avait décidé que la grille de programmes y serait répartie entre les associations d'auditeurs ayant réuni le plus grand nombre d'adhérents. On rêvait de voir l'antenne partagée entre l'association des pêcheurs à la ligne, celle des joueurs de couyon (1), des amateurs de gueuze lambic ou celle des grands-mère gâteau. Il n'en fut rien. Comme par hasard, ce furent les partis politiques qui créèrent des associations, collectèrent des membres et se répartirent l'essentiel du temps d'antenne, pour le pire plus que pour le meilleur. Heureusement qu'il y avait Radio Luxembourg!


 NÉ EN  ÉCOUTANT RADIO LUXEMBOURG

À cette première génération d'écouteurs d'avant-guerre succéda celle de leurs enfants, qui découvrirent le ton de la station luxembourgeoise après la libération, au moment où ses studios quittèrent le parc de la Villa Louvigny et s'installèrent à Paris, rue Bayard. Avec pour tout lien entre le lieu de production, au cœur de la France, et celui de la diffusion, dans un pays étranger : un petit et frêle câble. C'était l'époque où l'État français avait décrété que seul un opérateur public monopolistique pourrait exister en France. Mais, que si des acteurs privés obtenaient l'autorisation d'émettre vers la France depuis l'étranger, il ne pourrait s'y opposer (2). Même si leurs studios se trouvaient sur le territoire national. C'était le temps des "radios périphériques", dont nous n'avons pas la place de trop parler ici. Radio Luxembourg était l'une d'entre elles. Et le public belge était ravi car, grâce à la station, il vivait radiophoniquement à l'heure de la Ville Lumière. Alors que le monopole belge de l'INR, bien que réformé, ne parvenait pas à être moins rasoir. Sinon du côté de ses émetteurs régionaux, créés après guerre sur les cendres de radios privées locales autorisées jusqu'en 1940. Et plus jamais ensuite…

Bref, c'est dans ce contexte que je suis né, dans une petite maison où trônait un petit poste de radio en bakélite que ma mère avait acheté avec ses premiers salaires d'assistante en pharmacie. Le son parfois un peu nasillard provenant de l'émetteur luxembourgeois a dû être un des premiers que j'ai entendus. Mes parents, nés à la fin des années 1920, avaient en commun d'être de fervents auditeurs de Radio Luxembourg. Ils appréciaient autant les émissions de variétés que l'information ou les fictions radiophoniques. Très tôt j'ai moi-même reconnu les génériques de plusieurs émissions, ou les voix de leurs présentateurs. Mon père lui-même y faisait souvent allusion, chantonnant les airs ou reprenant ce que, à l'époque, on n'appelait pas encore de jingles. Quelques-uns de ces programmes me viennent spontanément à l'esprit au moment où j'écris ces lignes (et je n'ai pas fait de recherche pour les lister ici): Sur le banc, avec Raymond Souplex et Jeanne Sourza,  Ça va bouillir, avec Zappy Max, L'homme des vœux Bartisol, le jeu de mi-journée où des candidats devaient chanter la suite d'un air à la mode dont le début leur était proposé,… etc. Sans parler des éditoriaux de Geneviève Tabouis, dont la voix était reconnaissable entre toutes, ou des reportages radio de quelques grands journalistes de l'époque.

 
UN PREMIER  CHAGRIN 
 
Oui, ma petite enfance a été bercée par tout cela. Aussi, notamment, que par Le passe-temps des dames et des demoiselles, l'émission "pour les femmes" dont le titre seul m'enchantait et voulait tout dire: quand on était une femme, on avait plus que le temps d'écouter la radio pour passer le temps. Avant d'entrer à l'école, c'était aussi mon cas…
Lorsque mes parents ont fait construire une maison et que ma mère y a installé son officine, rien n'a changé dans un premier temps pour le poste de radio familial, sinon son emplacement: sur une étagère dans le living, comme on disait alors. Il faudra attendre les années soixante pour que ce bon vieux récepteur soit remisé dans la cuisine, mon père ayant acheté un modèle Telefunken avec des grosses touches blanches sur lesquelles il fallait appuyer. Chose rare, il captait la bande FM, alors encore bien vide…
Avant l'arrivée du nouveau récepteur, radio Luxembourg était allumé presque toute la journée dans le foyer, tant et si bien que, en jouant dans cette pièce, tous les enfants étaient inconsciemment à son écoute. Y compris le jeudi matin à 11h, lorsque la station diffusait La messe des malades, depuis l'abbaye de Clervaux, au Luxembourg (forcément).

Radio Luxembourg était tellement dans ma vie que j'ai été réellement passionné lorsque, en 1963 (je pense), la station avait imaginé célébrer ses trente ans en installant ses studios dans un train. Celui-ci devait relier les trois lieux symboliques de son existence: le Luxembourg, des villes de Belgique, puis entrer en France et finir, je crois, à Paris. Cette initiative me fascinait: diffuser des émissions de radio depuis un train en marche! Je pense que ce convoi devait s'appeler Le train de l'amitié, ou quelque chose comme ça. Le jour J, je me suis mis à écouter cette étrange émission avec assiduité. Tout avait bien commencé… jusqu'à ce que le train soit immobilisé à une des frontières qu'il devait traverser. Les douaniers avaient interdit son passage. L'Europe n'existait pas encore vraiment, et tout était bloqué. Raté.  À l'antenne, les animateurs étaient désolés. Moi aussi. Cette après-midi-là, j'en ai pleuré dans les bras de ma tante, qui se demandait ce qui m'arrivait. Un chagrin causé par l'échec d'une initiative radiophonique qui m'avait captivé.

Que de souvenirs grâce aux OL! Un peu plus tard, lorsque se vulgariseront les transistors, la mode sera d'emporter son petit récepteur sur la plage. Dans la toute petite station balnéaire de Zeebrugge, sur la mer du Nord, tout le monde écoutait son transistor devant sa cabine de plage. Ma mère, qui avait reçu ce cadeau de mon père, ne se départissait pas de son petit poste en plastique rouge, au haut-parleur recouvert d'un grillage et qu'on pouvait tenir par sa lanière blanche. Chercher les stations s'y opérait en faisant tourner une aiguille autour d'un cadran circulaire. Sur Radio Luxembourg, qui devenait doucement RTL, ma mère ne ratait pas ses rendez-vous favoris.

 

PARIS, COMME SI ON Y ÉTAIT

 

Plus tard, le transistor deviendra par excellence un deces cadeaux de communion que l'on demandait aux membres de la famille invité au banquet. Le premier que j'ai reçu était un rectangulaire un peu matelassé gris. Avec les OL et les OM (ondes moyennes). Que de nuits il a passé sous mon oreiller.   On écoutait alors la radio autant, sinon plus, au fond de son lit qu'au cours de la journée. C'était lorsque l'on était malade que c'était le plus gai. Même avec de la fièvre, on pouvait alors écouter sa radio tout au long de la journée.

Ce transistor m'a permis de ne pas toujours être fidèle à l'RTL familial, et de m'en émanciper. Pour aussi de découvrir  Europe n°1, avec passion. France Inter, avec attention. Et… Alger chaîne 3, avec curiosité. Vivent les OL! (3)

Sur RTL, il me revient en mémoire des flashs d'écoutes, comme les émissions du Président Rosko, celles de Jean Yanne (qu'on écoutait en se cachant). Il y avait aussi les talk-shows de Philippe Bouvard dont, à l'époque, le RTL Non Stop me paraissait trop blablateur, filandreux et parisiens, et bien sûr Max Meynier. Georges Lang me semblait trop spécialisé et américain. Et puis il y avait les émissions matinales de vacances, avec leurs jeux qui n'ont pas changé pendant des décennies, la météo des plages et bien d'autres choses. RTL OL m'a aussi fait participer depuis mon lit aux soirées de Mai 68, à la démission de De Gaulle, ou à la mort de Pompidou et aux événements qui ont suivi.

 

LA TRAHISON DES CLERCS

 

Là je n'étais plus un enfant, et presque plus un ado. J'ai alors doucement abandonné l'écoute de RTL Paris jeunesse oblige de même que l'arrivée sur la FM de stations plus "jeune" et de AFN, la radio du Shape que l'on pouvait capter largement autour de Casteau (4)

J'ai un peu délaissé RTL OL jusqu'à ce que j'aie une voiture avec autoradio, ce qui a  tardé quelques années. Alors que les émetteurs FM des radios belges ne couvrent pas tout le territoire (5), les OL me permettaient, elles, d'écouter RTL tout au long de mes trajets, voire aux Pays-Bas ou en Allemagne. Disposer des OL sur l'autoradio de ma voiture est même devenu pour moi par la suite une condition sine qua non d'achat du véhicule.  

RTL est longtemps resté une des stations que j'écoutais le plus lors de mes déplacements. Jusqu'à ce que je la trouve ringarde, non imaginative, répétitive, usée par les mauvais sketches à répétition de Laura Guerra… Bref, destinée à de vieux un peu cons. Je lui ai alors préféré, et de loin, Europe 1. Mais je l'ai encore programmé sur mon autoradio pour pouvoir y revenir en fin de matinée, ou le soir lorsque On refait le monde redessinait à longueur de polémiques le perpétuel  futur de la France.

Tout cela grâce aux OL…

Merci donc aux décideurs, patrons, propriétaires et actionnaires de la station qui ont mis RTL OL à mort pour des raisons d'économies d'électricité (argument aussi avancé par d'autres opérateurs). Des décideurs qui ne se rendaient pas compte qu'il existait encore des écouteurs en ondes longues. des fantômes n'apparaissaient pas dans leurs sondages, ou si peu. Mais qui étaient bien là. Comme dans le clip du Thriller de Michael Jackson.

Aujourd'hui, le Belge n'a plus le choix. Devant le vide sidéral des OL, il ne peut que se rabattre en FM sur Bel RTL, l'ersatz local de RTL France à qui la station emprunte quelques programmes (6). S'il veit écouter RTL France, la seule issue est de le faire en IP. Mais cela, sur une autoradio, ce n'est pas vraiment au programme.

Qui a dit que les radios n'avaient pas de frontières, que leur propagation était universelle, qu'elles pouvaient bouleverser l'état du monde?  À l'heure du DAB+, ce n'est plus qu'une vaste foutaise. Alors que le monde est en extension, la radio, elle ne cesse de se racrapoter sur un de plus en plus réduit  et de se replier sur ses petits États-nations. Quelle tristesse!


Frédéric ANTOINE.

Lire: 

- Frédéric Antoine : La mobilité, au cœur de l’ontologie radiophonique ? dans la revue du GRER Radiomorphoses

- www.facebook.com/greradio : Sur le site internet du GRER, un début de version  brève du texte écrit ici, rédigée le 14/10/2022 quand est tombée la décision de M6 d'arrêter la diffusion OM de RTL Paris.

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(1) Jeu de cartes typiquement belge.
(2) Sauf en tentant de les contrôler en rachetant leur capital, ce à quoi servira la SOFIRAD.
(3) Je n'oublierai jamais ce dimanche matin de je ne sais plus quelle année où RTL et Europe 1 avaient décidé de réaliser ensemble leur première émission en stéréo, l'une diffusant le canal gauche, l'autre le droit, y compris lors des passages musicaux. Jean Yanne était un des initiateurs de l'opération. 
(4) AFN, American Forces Network, était la radio des militaires américains casernés en Belgique à côté du QG de l'OTAN, installé près de Mons. Cette radio, diffusant en FM, possédait un son inimitable, dus aux compresseurs utilisés par ses anciens émetteurs AM reconvertis à la modulation de fréquence. En l'écoutant, on se croyait aux USA.
(5) En Flandre notamment, écouter les radios belges francophones est quasiment impossible (ce qui n'est pas le cas des radios flamandes en territoire wallon…). 
(6) Un ersatz peu étonnant puisque le fondateur de Bel RTL était, à l'origine, le correspondant en Belgique de RTL Paris… Par un étonnant reversement de situation, lorsque une réforme trop audacieuse de RTL Paris mettra à mal ses résultats d'audience, c'est  à lui que les responsables français feront appel pour remettre de l'ordre dans leur baraque…

 

 

 

 


30 décembre 2022

La yourte (Tipik), ou comment téléréalitéiser l'éducation permanente


Plaider à la télé pour une manière de vivre plus éco-écolo : quoi de plus rasoir et ennuyeux. Mais quand ce sont des people issus d'une émission humoristique qui deviennent les Robinson Crusoé d'une vie alternative, ça change un peu tout. Avec La yourte, le service public tente à nouveau de mixer pédagogie et entertainment. Et, cette fois, ça matche plutôt bien.

Sur Tipik, la chaîne des "jeunes" de la RTBF.be, leur vieille émission fait chaque fois un carton. Ce sont les maîtres de la dérision, n'hésitant pas à s'en prendre à des personnalités politiques, et de surcroît socialistes (1). Dans leur studio, ils sont les rois. Mais peut-on ailleurs exploiter la sympathie que l'audience éprouve à leur égard ? 

Depuis que, en 1984, Yves Montand racontait Vive la Crise aux Français sur Antenne 2 (2), recourir à des people dans les émissions de télé pour faire passer des sujets sérieux est devenu banal. Tout comme, de Rendez-vous en terre inconnue à La ferme des célébrités, les utiliser dans des contextes atypiques pour booster l'audience d'un programme auquel le spectateur adhérera au travers des vedettes qui y prennent part. Fort Boyard n'est-il pas le meilleur exemple, lui qui débuta par faire concourir des anonymes avant de se rendre compte que confronter des people aux mystères du fort était bien plus rentable.

DES ÉPREUVES (PRESQUE) PRÉTEXTES

La yourte mêle un petit peu de tout cela. Trois animateurs du Grand Cactus y sont à peu près isolés du monde, forcés de vivre ensemble pendant une semaine dans une maison de toile de quelques mètres carrés, sans trop d'intimité, à l'instar des apprentis chanteurs de Star Academy. Tout comme dans les plupart des émissions de télé-réalité, des épreuves leur sont imposées. Avec récompense ou punition à la clé. Celles-ci ne vont pas jusqu'à l'élimination, mais menacent de toucher tout le groupe, la yourte pouvant être privée d'eau, de lumière, de gaz ou d'électricité. On n'est pas loin de Koh-Lanta, et on sent que la production devait aussi avoir Naked and Afraid dans sa ligne de tir.

Sauf que, ici, tout n'est pas "gratuit". On ne sort pas pour le plaisir les animateurs de leur petit confort bourgeois (qu'ils ne cachent d'ailleurs pas) mais pour une bonne cause. Ou plutôt "des" bonnes causes. En effet, comme dans tout programme télévisuel qui se respecte où l'on fait concourir des gens connus, il n'est pas question que ceux-ci repartent avec un pactole (dans certains cas, on pressent qu'ils ne sont déjà pas venus pour rien). Les gains iront donc à des associations. On ne devrait pas le dire, tant c'est cousu de fil blanc. Mais c'est ici le cas…

Les trois animateurs concourent donc pour donner de l'argent à une association. Mais, clairement, ce côté "épreuves" relève plus des conventions du genre que des intentions profondes du programme. Ce n'est qu'un prétexte. Derrière cela se cache la vraie raison d'être de l'émission : apprendre aux spectateurs comment "vivre autrement", de manières plus éco et écolo responsable. Des propos que tous les médias ressassent à longueur de pages, d'articles et d'émissions de services. Un discours qui paraît tellement entendu que les oreilles de bon nombre de gens ne les perçoivent même plus.

LE PASSAGE PAR L'INCARNATION

Ici, ces messages passent par les compétiteurs, les situations où on les inscrit, et les efforts qu'on leur demande. Ces informations sont non seulement personnalisées (comme pourrait le faire tout animateur lambda), mes elles sont incarnées, vécues dans la chair de gens de télé plutôt pas très accro à l'écolo et qui, en définitive nous ressemblent tous un peu. Si, au cours du spectacle, le spectateur en vient à se demander "Mais De Warzée, comment va-t-il se débrouiller dans ce cas-là ?", c'est déjà un peu bingo…

Astuce, certaines épreuves amènent les compétiteurs à rencontrer des personnes actives dans le domaine en Wallonie. Dans un reportage classique, on les aurait simplement interrogées, avec des Q/R banals et un montage type Investigations, des plans des coupes à peine hors sujet ( des gros plans sur les yeux ou les mains, par exemple). Ici, le dialogue dépasse les codes de la télé d'information ou d'éducation permanente. This is life! On sent bien que, parfois, les choses sont un peu téléphonées, mais on accepte de se plier au jeu puisque, derrière, ce sont les animateurs du Cactus dont on suit les aventures.

LE RESPECT DES CODES FORMELS 

Eh oui, comme dans toute télé-réalité qui se respecte, on est en effet dans une "aventure", mot-valise devenu indissociable d'une émission où des gens sont mis ensemble dans un lieu ± clos pour vivre en commun et, d'ordinaire, se plier à une compétition concrétisée par des épreuves.

Enfin, à l'instar de toutes les autres télé-réalités, la Yourte est émaillée de propos des compétiteurs recueillis dans un "confessionnal" où les acteurs reconstituent le métarécit des événements passés à partir de la lecture subjective qu'ils en ont eue.

Mettons tout cela dans un blender et faisons tourner… Résultat : le mix entre micro- et méso-récits de l'émission, incarnés dans des personnages "sympathiques", permet au spectateur d'entrer dans l'histoire et d'y rester tout au long du programme. La rythmique des séquences évite les lenteurs et les digressions. Quand celles-ci devraient apporter des éléments de l'ordre de l'informationnel, on se contente de glisser le message en sous-titre. Ainsi, la narration peut continuer sans s'arrêter…

Au final, les trois animateurs ne passent pas vraiment toute une semaine dans la yourte. Et s'ils ont dû voter pour se passer de papier de toilette, cette proposition ne leur a été faite que la veille de leur départ… ce qui leur a permis de n'expérimenter cet art de vivre que quelques heures. La yourte est donc pleine de petits trucs dont on ne sait s'ils sont vrais ou scénarisés (comme dans toutes les télé-réalités), et de raccourcis de montage qui rendent parfois crédibles des moments qui ne l'ont pas été. Mais c'est une convention du genre, comme la durée affichée des épreuves, qui disparaît toujours subtilement de temps à autre afin de permettre une contraction ou une extension du temps montré par rapport au temps réel (3).

ENTERTAINMENT AND/OR EDUCATION?

La yourte est une nouvelle forme d'eductainment. Une manière divertissante de fournir à une audience un contenu à caractère éducatif, et donc par définition rébarbatif. La RTBF a déjà plusieurs fois tenté l'aventure, mais celle-ci est sans doute celle où la forme et le fond affichent le plus clairement leurs intentions dès le début du programme. Un double challenge qui, finalement, se termine de manière plutôt réussie. Le choix des intervenants n'y est pas étranger. Après les deux premiers épisodes, qui constituent un seul récit, diffusés le 29/12 (4), on verra comment le deuxième transforme la formule ou la poursuit. Le risque étant que la répétition use trop rapidement le concept, lui retirant tout effet de surprise, et  le rende potentiellement incapable de se renouveler à l'infini. Pas tant sur la forme que sur le fond.

Frédéric ANTOINE.


(1) Même si, dans le dernier cas de l'ex-président du Parlement wallon, ils ne risquaient pas grand-chose de faire rire d'un homme politique en chute libre…
(1) https://www.youtube.com/watch?v=FbNdCQHWb-E
(3) https://doi.org/10.14428/rec.v3i3.45803 
(4) https://auvio.rtbf.be/media/la-yourte-la-yourte-episode-1-2979658

 

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