Il y a du changement dans l'air dans la communication de l'Etat fédéral au terme des séances du CNS, le Conseil National de Sécurité. Lors des deux dernières conférences de presse, la Première est montée à la tribune. Cela change tout!
Jusqu'à fin juin, les orateurs des conférences de presse du CNS étaient tous réunis autour d'une même table, la Première ministre se trouvant plus ou moins en son centre. Le nombre impair de chefs de gouvernements des Régions et Communautés, ajouté à la Première ministre, entraînant la présence de six personnes autour de la table, Mme Wilmès ne pouvait en effet se trouver exactement au milieu de la table, comme en témoigne cette capture d'écran de la conférence de presse du 24/06.
En plus de cette position non centrale, lors de ces conférences de presse, la Première a, jusqu'à fin juin, toujours eu coutume de s'exprimer assise. Comme nous l'avons relevé dans un article précédent (1), elle apparaissait de la sorte comme ayant le même statut que les autres personnalités présentes. Même si c'était elle qui prenait le plus la paroles, elle était en quelque sorte "une parmi d'autres", tous positionnés sur pied (ou fauteuil) d'égalité.
De la sorte, l'oratrice se trouvait aussi dans l'axe de la caméra située au fond de la salle de conférence de presse. S'adressant aux journalistes présents, elle parlait aussi fréquemment en même temps aux spectateurs suivant la diffusion de l'événement en direct ou en différé, ou en voyant des extraits lors de séquences des JT. Une confusion entre 'communication gouvernementale' et 'conférence de presse' qui nous avait interpellé dès le premier article de ce blog (2).
C'EST MOI LE CHEF!
Le 15 juillet, puis le 23, tout change. Alors que le gouvernement qu'elle dirige ne dispose plus de pouvoirs spéciaux depuis le 1er juillet, la Première ministre change la donne, du moins dans la partie "allocution" de la conférence de presse.
La disposition de la table n'a pas changé, mais un septième lieu de parole a été ajouté à sa droite. Si elle se trouve assise à la table, la Première y occupe donc désormais la place centrale, et le cadrage de la caméra, prenant la scène dans son ensemble, ne s'y trompe pas, que ce soit le 23/07 (à gauche) ou le 15/07 (à droite). L'esthétique et l'équilibre du plan sont rétablis, et la place du milieu qui lui incombe naturellement, apparaît clairement.
Mais, surtout, lors de son allocution, moment essentiel où sont communiquées les nouvelles mesures et décisions, Mme Wilmès n'est plus une simple oratrice parmi d'autres. Elle occupe désormais la place de primus inter pares en se distinguant du lot des participants.
En l'occurrence, se distinguer, c'est se séparer.
Pour sa prise de parole, qui constitue l'essentiel de la conférence de presse, la Première se rend désormais à une tribune. Certes, elle se trouve ainsi décentrée par rapport à la table, mais ce décentrement attire sur elle tous les regards.
De plus, en étant au pupitre, flanqué du sigle .be, l'oratrice se tient du même coup debout. Et le fond de l'image se voit occupé par les drapeaux belge et européen.
Une mise en scène qu'utilisent fréquemment les chefs d'Etat lors de leurs communications officielles.
NOUVELLE STATURE
Ce changement de positionnement a tout d'un changement de stature. S'exprimer debout alors que l'assistance est assise met clairement l'orateur en évidence, et souligne l'importance de sa communication. Le fait que la tribune ne soit pas directement accolée à la table où se trouvent les chefs de gouvernements régionaux permet à l'oratrice de paraître isolée des autres intervenants. Elle n'est plus au même niveau qu'eux, elle les domine.
Télévisuellement, le dispositif permet à la caméra permet de la saisir seule à l'image. Elle est bien le capitaine du navire, et c'est elle qui commande.
Ce positionnement permet aussi, pour la première fois, que la présence de l'interprète en langue des signes ne vienne pas 'manger' une partie de l'image de l'oratrice, comme cela arrivait par le passé.
Enfin, la posture verticale procure aussi à l'oratrice l'occasion de développer une gestuelle plus large, et plus visible, qu'en position assise. Sa communication peut donc être plus variée et animée, et son discours ponctué d'attitudes plus marquées. Tous ces éléments renforcent l'impression de solennité et d'officialité de la communication, ainsi qu'une image de sérieux. Ce qui est dit ici est important, et celle qui s'exprime le fait au nom de la mission dont elle est investie. Son rôle est d'être le chef. Et elle vous le montre.
POUR LA PRESSE
Adresser un message depuis une tribune située à droite de la scène où se déroule la conférence de presse oblige l'oratrice à se tourner légèrement vers la droite pour s'adresser à son audience prioritaire, c'est-à-dire aux journalistes présents dans la salle. La plupart du temps que dure l'exposé, pour avoir ce regard tourné vers les représentants de la presse, l'oratrice doit positionner son buste de biais. En conséquence, elle n'est pas en situation de pouvoir à la fois s'adresser à la salle et à la caméra. Contrairement à ce qu'avait jadis écrit E. Veron dans son fameux article "Il est là, je le vois, il me parle" (3), il n'y a pas ici d'axe Y-Y entre l'oratrice et le téléspectateur. Ce ne sera que furtivement, presque par hasard (voir exemples ci-dessous), que la Première rencontrera l'œil de la caméra et que l'axe Y-Y deviendra un instant réalité. Précédemment, celui-ci était très fréquemment présent lorsqu'elle s'exprimait assise depuis la table (cf capture d'écran de début d'article).
Grâce à ce nouveau dispositif, la confusion entre 'communication à la presse' et 'communication à l'opinion' semble levée. Il s'agit bien ici de s'exprimer pour les journalistes, et à ceux-ci de gérer ensuite la transmission de cette communication. Les choses sont devenues claires. Sauf que… bon nombre de chaînes de télévision continuent à retransmettre en direct ces conférences de presse. Et que, sur youtube par exemple, cette captation fait office de communication officielle au terme d'un CNS. Tout n'est donc pas aussi clair…
COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE
Nous l'avions suggéré dans notre premier article sur le sujet: en pareil temps de crise, pourquoi le gouvernement ne recourt-il pas, comme par le passé, à des "communications gouvernementales" dans les médias afin de s'adresser à l'opinion? Le discours à la Nation n'est pas l'apanage du roi pour la Noël ou le 21 juillet (voire aussi lors du début de la crise covid). Et, dans d'autres Etats tout aussi démocratiques que la Belgique, c'est bien de cette manière que les messages importants des gouvernants sont transmis aux populations. Pourquoi la Belgique rechigne-t-elle à s'y engager?
La nouvelle marche du podium de la communication que la Première pourrait encore franchir serait de décider de s'adresser directement au peuple belge, via les médias, lors de discours conçus spécialement à cet effet.
Ce mode de communication ne pourrait que rendre plus officielles encore la parole du gouvernement et de la Première ministre.
Et lui conférerait incontestablement une crédibilité et une légitimité bien plus grandes que celle d'une prise de parole en conférence de presse. N'en déplaise aux journalistes… D'autant que l'un et l'autre ne sont pas inconciliables.
Frédéric ANTOINE.
(1) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/06/coronavirus-rites-et-adaptations-des.html
(2) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/05/conference-de-presse-ou-de-stress.html
(3) https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1983_num_38_1_1570