Les hebdos ont vécu différemment le confinement et la crise du covid. Certains ont cherché à valoriser leurs contenus en proposant des formules spéciales d'abonnement papier à domicile. Quelques hebdos ont aussi essayé de développer leur lectorat payant en ligne. Mais il est beaucoup trop tôt pour que les chiffres disponibles révèlent une éventuelle inversion de tendance, qui reste totalement scotchée à la consommation papier. Un usage qui s'effrite, pour ne pas dire s'effondre, depuis le début de la décennie.
Les données de diffusion payante dont on dispose pour les hebdos sont de nature identique à celles des quotidiens (1). Les dernières data disponibles s'arrêtant à l'an dernier, et faites sur base des déclarations d'éditeurs, ne sont pas très bonnes du côté des ventes. C'est même un euphémisme. En gros, depuis dix ans, c'est l'effondrement.
Une situation dont le graphique d'ouverture de ce texte ne le laisse peut-être pas percevoir l'ampleur, le cas emblématique de la chute de la diffusion payante de Ciné Télé Revue écrasant la vision que l'on pourrait avoir des autres titres. En 2006, cet hebdomadaire centré sur les programmes de télévision vendait 366.444 exemplaires par semaine. Ce magazine était le champion toutes catégories de la diffusion payante des hebdomadaires belges francophones. Avec ses 143.657 exemplaires hebdomadaires, le deuxième du classement, Télépro, était à la moitié. L'an dernier, l'ancien magazine des stars d'Hollywood dépassait à peine les 150.000 exemplaires vendus chaque semaine. Télépro, pour sa part, se cramponnait toujours aux alentours des 100.000. Des chiffres qui concernent essentiellement les ventes papier. Car, et c'est sans doute cela son talon d'Achille, en Belgique francophone comme ailleurs, la presse des magazines hebdomadaires ne parvient pas à commercialiser sa présence sur le numérique.
Le règne finissant des magazines télé
L'an dernier, comme depuis des années, quatre hedbos dominaient le marché grâce à leurs ventes papier: Ciné Télé Revue, dont la dégringolade est impressionnante depuis 2010. Télépro qui, en comparaison de son concurrent, donne l'impression de presque se maintenir, ou en tout cas de limiter la casse. Femmes d'Aujourd'hui, que les aléas de gestion du groupe Sanoma avant sa reprise par Roularta n'ont pas aidé à conserver toute sa clientèle. Et l'improbable Télé Star, version belge du magazine français éponyme édité par Mondadori France, filiale hexagonale de la grande maison d'édition italienne. Un magazine surtout lu dans le Hainaut par une clientèle au profil plutôt populaire, qui a découvert ce guide de programmes télé à l'époque où RTL-TVI faisait à son sujet un matraquage commercial à peu près permanent envers le public belge.
Chose que les jeunes générations pourraient trouver étonnante, mais qui confirme bien que les moins de 30 ans ne constituent pas l'essentiel de la clientèle des médias, ce sont donc bien toujours trois magazines tournant autour des programmes de télévision qui représentent les meilleures ventes de la presse magazine en Belgique francophone (comme dans de nombreux autres pays occidentaux). Et ce en compagnie d'un hebdo féminin, les femmes ayant, dès les années 1930, constitué une cible de choix pour les éditeurs de presse hebdomadaire qui considéraient que, si celles-ci ne trouvaient pas contenu à leur pied dans la presse quotidienne, un boulevard s'offrait devant eux pour leur en proposer d'autres dans leurs magazines.
L'an dernier, seuls trois de ces magazines dépassaient encore la barre des 60.000 exemplaires vendus par semaine.
Un marché peau de chagrin
En 2019, quatre hebdos édités en Belgique conservaient une diffusion papier moyenne entre 50 et 40.000 exemplaires: Le Soir Mag, Télé Star, Le Vif-L'Express et Moustique. En 2011, Télé Star et Le Vif dépassaient les 80.000 exemplaires vendus par semaine, Le Vif frôlait les 70.000 et Le Soir Mag dépassait les 55.000. Pour plusieurs de ces titres, les baisses sont donc marquées. Les grands hebdos restant édités en Belgique ne dépassent plus les 30.000 ventes par semaine, et certains (Flair, Spirou, Dimanche) sont en dessous des 20.000. Le cas de l'hebdomadaire catholique Dimanche, vendu uniquement par abonnement dans les paroisses, est assez emblématique. En 2011, il comptait encore près de 80.000 abonnés. Ses ventes ont été divisées par 8 en moins d'une décennie. Plusieurs titres ont aussi disparu des radars, soit parce qu'ils ont cessé de paraître, comme les éditions belges de Point de Vue ou de Public, soit parce que le CIM ne comptabilise plus sa diffusion, comme Le sillon belge.
En chiffres absolus, une perte est impressionnante: celle de Ciné Télé Revue, dont les ventes ont fondu de près de 160.000 exemplaires en 9 ans. Moustique est en recul de près de 40.000, Télé Star et Femmes d'Aujourd'hui d'environ 35.000. Paris-Match (édition belge) ne perd 'que' près de 18.000 exemplaires, Le Soir Mag 8.000 et Spirou 5.000.
Mais ce sont évidemment les données des pertes en pourcentages qui sont les plus éloquentes. Pendant ces 9 ans, Flair a vu ses ventes baisser de près de 60%, Ciné Télé Revue, Moustique et Télé Pocket de près de la moitié. La plupart des autres hebdos sont à ± 40% de baisse. Mais Spirou ne perd qu'un quart de sa clientèle, Télépro et Le Soir Mag seulement un cinquième.
Des changements qui sauvent
Dans les deux tableaux ci-dessus, le cas de Dimanche doit être considéré séparément, car cette publication est comptabilisée pour ses ventes par abonnements, qui s'opèrent essentiellement dans les paroisses catholiques, et quasi exclusivement au sein de leurs pratiquants réguliers. L'effondrement à la fois en nombre d'exemplaires et en pourcentage des ventes (-88%) est directement associé à celui de la pratique religieuse dans le monde catholique.
Le Soir Mag et Télépro sont deux autres cas intéressants, car ils sont parmi les titres qui résistent le mieux (ou le moins mal) à ce qui est bien davantage qu'une érosion.
La bonne résistance du Soir Mag n'est pas due à la fidélité de son lectorat, mais à un pari de changement de formule, déjà amorcé avant 2011 avec le passage du Soir Illustré au Soir Magazine, et confirmé fin 2015 lors du basculement en Soir Mag. Le choix rédactionnel de situer la publication comme un "mid-low market popular newsweekly" endigue alors la baisse des ventes, qui ne progresse plus que lentement.
La fidélité d'achat caractérise par contre Télépro, où elle s'explique notamment par son taux très élevé d'abonnés. Mai cette fidélisation est contrée par le fait que ceux-ci (comme pour d'autres magazines télé) appartiennent en général à des catégories d'âge avancées, où les risques naturels de non-renouvellement d'abonnement peuvent être importants. Or, cela n'empêche pas le magazine de continuer à ne pas trop mal se porter. Pour autant, alors que Roularta a récemment racheté à Bayard les 50% qui lui manquaient dans le capital du mensuel Plus Magazine, la même opération n'a pas été menée pour Télépro. Un statuo quo qui peut peut-être s'expliquer par la candidature du groupe à la reprise du pôle magazines des éditions de L'avenir, qui comprend Moustique et Télé Pocket, ce qui entraînerait la présence dans le groupe flamand de trois hebdos francophones peu ou prou liés à la télévision.
Un éventuel rachat dont la finalité peut être questionnée, puisque Télépro a, ces dernières années, beaucoup mieux résisté à la baisse du marché des hebdos que les deux autres titres. En le sortant du créneau de la presse télé pour le positionner dan celui des news magazines midmarket, la reprise de Moustique par Nethys a permis de sauver le magazine du dépérissement dans lequel le laissait son ancien propriétaire, Sanoma. Au cours de ces dernières années, la chute des ventes du titre a été fortement endiguée, et sa stratégie de développement des ventes numériques a été payante. Télé Pocket, lui, n'a rien connu de semblable, et l'état dans lequel l'avait laissé Sanoma n'a pas été revitalisé par son passage dans le giron de L'avenir.
Un espoir de stabilisation, voire de relance, touche aussi Femmes d'Aujourd'hui, dont les ventes en 2019 ont augmenté de quelques centaines d'exemplaires par rapport à l'année précédente. Là aussi, le départ de Sanoma et l'arrivée chez Roularta ont pu être synonymes de relance du projet et d'inscription dans une stratégie industrielle que n'avait pas développée son propriétaire précédent. Dans ce cadre, il sera intéressant notamment de voir les suites de la campagne d'abonnements promotionnels lancée pendant la période de confinement.
On peut, par contre, s'interroger sur les raisons du rachat l'an dernier de Ciné Télé Revue par Rossel, qui s'est ainsi mis sur le dos un mammouth en assez mauvaise santé, alors que le groupe avait plutôt réussi à endiguer le naufrage de son navire-magazine amiral, l'ancien Soir Illustré. Et que l'on voit mal les mêmes remèdes administrés à ce nouveau malade. A moins que…
Le numérique: les abonnés absents
Si une partie de la presse quotidienne a entrepris de sortir de son marasme en parvenant à commercialiser ses services numériques, on ne peut dire qu'il en soit de même des hebdos. En 2011, aucun des magazines analysés ici ne vendait le moindre exemplaire en version digitale. Le Vif L'Express commencera en 2012, année où il vendra 204 exemplaires numériques. Le Soir Magazine et Moustique débuteront en 2014, ce dernier arrêtant déjà en 2015… Les compteurs de tous les autres magazines sont alors toujours à zéro… et y sont toujours, ou presque, en 2019. Il faut regarder à la loupe le graphique ci-dessous pour repérer les titres qui, l'an dernier, pouvaient réellement compter sur l'appui de ventes numériques afin d'endiguer les pertes den papier. Dans leurs déclarations au CIM, certains éditeurs mentionnent ainsi avoir vendu 0, 2, 16, 37 ou 51 exemplaires en digital paid l'an passé. Seuls trois titres frisent ou dépassent le millier: Le Soir Magazine (moins de 900), Le Vif L'Express (mois de 1.400) et Moustique (plus de 3.300). Pour ces trois titres, ces ventes en ligne permettent d'amortir les courbes de déclin papier. Mais elles restent encore anecdotiques: 2% des ventes pour le Soir Magazine, 3% pour le Vif et 7% pour Moustique.
La situation n'est pas propre à la Belgique francophone, mais on y confirme la tendance: de manière générale les hebdos sont aux abonnés absents de la commercialisation de leurs produits en ligne. Pire, souvent, les contenus gratuits proposés en ligne divergent largement de ceux qui figurent dans la version papier. Types de sujets, angles, forme… sont différents, comme si la gestion du numérique était rédactionnellement indépendante de celle du support papier, et supposée non créer une notoriété mais seulement faire du buzz ou du clic. Sans chercher à familiariser l'internaute à l'image de marque du produit afin de l'inciter in fine à passer à l'acte d'achat de la version payante.
On entend, de manière récurrente, que les éditeurs d'hebdos réfléchissent à la question et vont frapper de grands coups. Mais on ne voit pas grand-chose venir. Comme si l'état actuel du marché leur semblait satisfaisant, et le déclin irréversible.
Certes, une bonne partie de la clientèle des hebdos apprécie consommer leurs types de contenus sur un support physique. Mais les diminutions de ventes relevées ici ne démontrent-elles pas que ce goût du papier n'est pas immodéré?
Frédéric ANTOINE.
(1) cf: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/05/presse-quotidienne-belge-la-diffusion.html