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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

21 juin 2020

Top chef, une finale peut-être fade (pour les Belges)

La finale de Top Chef est diffusée ce lundi 22 juin sur RTL-TVI. Elle l'a été mercredi dernier sur M6. On sait donc déjà qui va gagner. Quelle sera l'audience de cet épisode sans concurrent belge?

L'élimination de Mallory s'est déroulée devant un beau public belge, la semaine dernière… alors que les plus curieux savaient déjà que le jeune chef avait fait les frais de choix peu orthodoxes du jury vis-à-vis de sa recette de turbot en vessie. Le public du programme n'est donc vraiment pas avide de savoir qui gagne, mais plutôt de comment il gagne (ou perd).
Lundi dernier, l'audience de cet épisode n'a pas été le meilleur de l'année, ni même des dernières semaines. Paradoxalement, c'est celle de la première demi-finale, où Mallory n'était pas directement en course, qui a attiré la plus forte audience de toute la saison jusqu'ici. Le fait qu'on pouvait ne pas savoir que Mallory n'aurait pas droit à proposer son épreuve ce soir-là a sans doute jouer dans la curiosité du public. Mais pas seulement.
En effet, la place occupée par l'épisode de l'élimination de Mallory' dans les audiences du programme est sans doute plus révélatrice de l'intérêt du public belge pour son concurrent: le soir de son élimination, l'émission a été le plus regardé des programmes de télévision en Belgique francophone, devant les JT.  Ce qui est un phénomène extrêmement rare, surtout pour une production de ce type. Mais, cette année étant assez spéciale, Top Chef avait toutefois déjà atteint le même sommet, quinze jours plus tôt. La place du programme dans le top 3 ou 4 des émissions les plus regardées le lundi en Belgique francophone n'avait fait que se confirmer depuis la mi-mai.
L'épisode d'élimination de Mallory tient aussi un autre presque record: celui de l'épisode le plus court de l'année. Il a duré à peine plus d'une heure, alors que l'émission dure normalement ±125 minutes. Fin avril, un autre épisode avait déjà occupé l'antenne pendant un temps particulièrement bref. De la mi-mai à début juin, le programme avait aussi été raccourci d'environ une demi-heure. Avant l'épisode express qui fut fatal au concurrent belge, la première demi-finale avait déjà revêtu un format écourté.
Cette stratégie permet à RTL-TVI (mais pas à M6) de faire coïncider la fin de cette télé réalité culinaire avec celle de sa saison d'hiver. Elle offre aussi à la chaîne de beaux scores d'audience, rares au mois de juin où ce sont d'ordinaire les compétitions sportives qui attirent les spectateurs en masse vers les chaînes qui les diffusent (et en privent donc la chaîne privée…). Le profil d'audience de prime time que la chaîne affiche en ce mois juin est incontestablement tiré vers le haut par cette émission.

F. A.

13 juin 2020

Godefroy détruit au piolet : la télé y était


« Mesdames messieurs, bonsoir. Un seul titre aujourd’hui dans notre journal : la recrudescence des actions militantes contre Godefroid de Bouillon sur le territoire belge. Comme vous le savez, plusieurs groupements reprochent à ce personnage d’avoir été à la tête de la première croisade contre le monde arabe, et d’être ainsi responsable de la mort de centaines de milliers d’innocents, ainsi que de création d’un sentiment xénophobe à leur égard. Afin de faire disparaître ce « héros national » de la mémoire collective, ces mouvements ont déjà mené plusieurs actions : la stèle qui lui est consacrée dans l’église de Baisy-Thy a ainsi été détruite à la masse avant-hier. Et, au même moment, la statue qui le représentait sur la façade du palais des princes évêques de Liège a subi le même sort.
Dans ce journal, nous sommes fiers de pouvoir vous montrer en exclusivité une autre action d’un de ces groupements. Celle-ci s’est passée en plein milieu de la nuit dernière à Bouillon. Nos équipes y étaient, et en ont rapporté des images d’une violence inouïe. Lors de leur diffusion, nous vous inviterons d’ailleurs à écarter de l’écran les plus jeunes enfants.  Mais, avant cela, Quentin Florquet, vous avez pu assister avec toute votre équipe à la destruction de la statue de Godefroy de Bouillon qui se trouve en contrefort à quelques mètres du château de Bouillon. Expliquez-nous comment vous avez réussi recueillir ces images exclusives. »

« Eh bien, Francis, mon caméraman, mon preneur de son, mon éclairagiste et moi, nous passions alors tout à fait par hasard, dans le cul de sac que constitue à Bouillon la rue de l’hôtel de ville. C’était dans la nuit, à 2h37 du matin. A plusieurs centaines de mètres de nous, notre attention a subitement été attirée par le bruit d’un petit piolet, type « Grivel Monte Blanco Gold », d’environ 65 cm de long. C’était un son tellement caractéristique que cela nous a intrigués, et que nous avons décidé d’aller voir de quoi il s’agissait. Nous avons dû accomplir un parcours très dangereux, dans une nuit noire et sans lune, sans trop savoir où nous allions. Puis nous avons clairement vu, de loin, quelques personnes tapant sur ce qui ressemblait à un amas de pierre. Immédiatement, notre cameraman a sorti son matériel, et n’écoutant que son courage, notre éclairagiste s’est faufilé entre les rochers jusqu’au petit groupe. Sur place, il a allumé ses lampes. Nous pensions avoir affaire à des alpinistes un peu aventureux, ce qui aurait fait un beau sujet de saison pour le JT. Quelle n’a pas été notre surprise en découvrant que ces personnes s’en étaient prises à une statue. A ce moment-là, nous ignorions totalement de qui il s’agissait. J’ai alors tenté d’établir le contact. Autant vous dire que nous avons été farouchement refoulés par un des intervenants, qui nous a invité à rester à distance pour ne pas être blessés par les éclats de pierre. Mais nous nous sommes malgré tout accrochés, nous avons été de l’avant, et c’est ainsi que vous allez pouvoir voir de très gros plans de l’opération, et de la violence avec laquelle le bloc de pierre a été réduit à néant. Bien évidemment, nous sommes ensuite partis sans demander notre reste. »
« Merci Quentin, pour ces explications qui donnent tout son poids à la séquence qui va suivre. Afin d’être complet, j’ajouterai que, en toute fin de cet après-midi, nous avons bien sûr tenté de prendre contact avec le bourgmestre de Bouillon. Hélas, celui-ci était alors indisponible. Nous aurons donc sans doute son avis une prochaine fois. Quentin, comptez-vous encore nous apporter d'autres scoops aussi percutants? »
« Je me rends demain à Innsbruck. Mais cela n'a aucun rapport direct avec ce que nous avons découvert hier, bien sûr. »

F.A.
 (Toute ressemblance avec des faits, événements, ou  personnes existants ou ayant existé est évidemment purement fortuite. Merci à l'auteure du post facebook qui a inspiré ce texte de fiction.)
 

12 juin 2020

IPM vs Rossel : la grenouille et le boeuf? Ou le roseau et le chêne?

Le groupe de presse IPM a choisi ces dernières semaines de jouer dans la cour des grands.
Après s'être porté candidat en mars à la reprise des Editions de l'Avenir, il s'est empressé de se manifester lors de la mise en vente du groupe Paris-Normandie, en avril.
A chaque fois, il rencontre devant lui un fameux adversaire de taille: Rossel.




Le 6 mars dernier, quatre candidats manifestaient leur intérêt pour le rachat à Nethys des Editions de l'Avenir: le fonds d'investissement allemand Fidelium Partners, Rossel, IPM (associé à des partenaires) et Roularta. Le covid ayant aggravé la maladie du groupe de presse wallon, la vente est toujours en suspens, mais IPM semble y croire, puisque le groupe avant déjà fait acte de candidature à l'automne 2019, en partenariat avec quatre investisseurs wallons (Bernard Delvaux, Laurent Levaux, Pierre Rion et Juan de Hemptinne). 

Quelques semaines après la révélation des noms des repreneurs potentiels du média wallon, le 21 avril, le groupe de presse français Paris-Normandie était (re)mis en liquidation judiciaire, les acquéreurs éventuels étant invités à se manifester pour le 22 mai. Pour cet acteur de la PQR (presse quotidienne régionale), ce n'était pas une première. Le groupe avait déjà connu plusieurs procédures judiciaires depuis 2012. La dernière, survenue en 2017, avait vu le groupe Rossel se porter candidat au rachat, avant d'être évincé par le tribunal au profit de l'offre faite par le PDG de l'époque, jugé moins croque-mitaine que l'éditeur belge. Une réputation que le groupe tenait de la manière 'vigoureuse' dont il avait mené la restructuration de La Voix du Nord, qui lui avait déjà valu, en 2014, de rater la reprise de Nice-Matin (ce qui donnera alors des idées à Nethys…)

Je suis ton père

2020 sonne le retour du Jedi. Rossel remet le couvert, étant cette fois porteur d'une réputation moins sulfureuse, et démontrant que la solution précédemment choisie n'était manifestement pas la bonne, puisqu'elle avait connu l'échec, le covid n'étant que le souffle qui avait ravivé les braises.
Le boulevard était grand ouvert pour le groupe bruxellois, où les activités françaises pèsent déjà plus lourd que son imposante place sur le marché belge. Or voilà qu'arrive une deuxième offre… pilotée par IPM. Non contents de s'affronter dans leur propre pays pour voir qui mangera le groupe de presse namurois, voici les deux protagonistes également en lutte sur le plan international.

On l'a dit: pour Rossel, cette candidature au rachat est presque une habitude. Elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie d'une développement qui, depuis longtemps, considère la petite Belgique comme trop étroite pour satisfaire des ambitions de croissance. Une stratégie que Rossel n'est pas seul à avoir adopté dans ce petit royaume: les deux groupes de presse flamands DPG et Mediahuis, eux aussi étouffés par la petitesse du marché national, ont adopté une attitude de même nature. DPG est aujourd'hui le patron d'une bonne partie de la presse hollandaise, et est parti à la conquête de la presse danoise. Mediahuis a mis la main sur une autre partie de la presse batave, a posé ses valises en Irlande et vient de prendre possession de l'essentiel de l'édition de médis écrits au Luxembourg.

Impasse, pair et manque

Pour IPM, on est plutôt dans le registre de la surprise. Longtemps, ce groupe a été vu comme le Petit Poucet du secteur de la presse de Belgique francophone, à la fois par la faiblesse de diffusion de ses titres, les limites de ses capacités financières, et la très faible diversification de ses activités. L'international ne l'a jamais intéressé, ou il n'en a pas eu les moyens. Ses seuls fleurons dans le domaine sont l'édition, pour la Belgique, de versions adaptées de Paris-Match et du Courrier International. Et sa participation dans le titre français Libération est plutôt anecdotique. Les choses ont changé au cours de la décennie 2010, pendant laquelle le groupe a pris l'option de diversifier ses activités, mais en investissant hors du secteur des médias. Soit à l'opposé des choix de son principal 'concurrent' (même s'il n'est pas sûr que les deux compétiteurs jouent dans la même division).
Le choix d'IPM d'investir dans les paris sportifs est économiquement compréhensible. L'est-ce à d'autres titres pour un groupe média éditeur d'un des quotidiens les plus illustres de la presse belge, dont un de ses anciens patrons se plaisait jadis à dire qu'il était illustre, mais pas illustré? La question est ouverte, et peut-être davantage depuis que, en 2018, une partie de Sagevas, la S.A. faîtière de Betfirt, a été cédée par IPM à la société BF Capital Malta, que venait juste de créer au Français Jacques Elalouf, résidant à Londres et spécialisé à l'international dans le secteur des jeux en ligne.
A côté de ce domaine, IPM a aussi investi, entre autres, dans le tourisme de luxe en rachetant, notamment, un spécialiste français des voyages sur mesure.

La manifestation d'intérêt d'IPM pour le groupe L'Avenir n'est pas neuve. Déjà par le passé, l'éditeur de La Libre et de la DH avait tenté de l'acquérir. Mais sans succès. Son insistant intérêt récent s'enracine donc dans une histoire, tout en l'ayant jamais été aussi manifeste. L'implantation de L'Avenir, son importance sur le marché wallon, ses capacités à gérer une information de proximité, sont sans conteste tentantes pour un opérateur plutôt bruxellois qui a, depuis des années, rencontré des difficultés (et un peu renoncé) à gérer une véritable présence régionale. Sa présence dans les candidats à la reprise de Paris-Normandie est plus questionnante dans la mesure où, jusqu'à présent, le groupe n'avait manifesté aucune velléité de croissance de cette nature.

Roulage de mécaniques

Même s'il a grandi, s'est stabilisé et est aujourd'hui plus solide qu'hier, IPM est conscient qu'il n'est sans doute pas assez puissant pour assurer seul la reprise d'une entreprise presse de grande importance. D'où la subtilité d'offres de rachat où le groupe s'associe à d'autres partenaires. Dans le cas de L'Avenir, ceux-ci lui assurent une crédibilité wallonne. Et qu'un d'entre eux joue une rôle dans le repilotage de Nethys n'est sans doute pas innocent. Cela avantagera-t-il l'offre "d'ouverture" du 'petit' groupe belge face à son immense concurrent, dont le rêve reste (aussi) de contrôler une bonne partie de la PQR française?

Pour Paris-Normandie, s'être associé dans le NP Holding à Jean-Louis Louvel, l'ancien propriétaire du groupe, relève de la même stratégie. Mais ne produira peut-être pas les mêmes effets. Cette fois, le personnel du groupe français semble avoir pris le parti de Rossel, et se méfie du retour de l'ancien patron, qui n'avait pas vraiment convaincu. Pourquoi IPM est-il dès lors entré dans cette arène? Pour gagner à ce coup-ci, ou pour fourbir ses armes pour le coup d'après? Ou pour montrer que, face au chêne de la rue royale, l'ancien habitant de la rue Montagne aux herbes potagères n'est plus le frêle roseau d'antan?

Frédéric ANTOINE.



10 juin 2020

Le virtuel, la bonne affaire pour le "Septante et un" de RTL-TVI?

Depuis le 18 mai, le jeu Septante et Un est passé en mode digital: 70 candidats, de chez eux, affrontent le 71ème, qui est sur le plateau. Une manière de poursuive la production de ce divertissement en période de mesures de distanciation sociale. Mais est-ce que cela fonctionne?

Septante et Un, c'est une affaire qui marche. Chaque soir de semaine, le jeu réunit près de 300.000 téléspectateurs devant RTL-TVI entre 18h30 et 19h00. En 2019, son audience moyenne était d'environ 273.000 personnes. Depuis le début 2020, elle a augmenté de plus de 20%, se situant aux environs de 316.000 spectateurs.
Le confinement n'est évidemment pas étranger à cette légère hausse. L'audience moyenne du programme par mois démontre que le nombre moyen de spectateurs  a été très légèrement plus élevé en mars et en avril 2020 qu'en janvier, pilier traditionnel des fortes audiences de la télévision. Cette année, la baisse amorcée en février a été arrêtée par l'arrive du covid, et n'a repris qu'en mai lors des premières étapes du déconfinement. Mais ce qui apparaît surtout en ce début d'année est la relative stabilité de l'auditoire de l'émission. Le programme a ses fidèles, et ceux-ci restent plutôt entre eux.


Le crash du vendredi 13
Jour par jour, mis à part lors des premières semaines de confinement où le jeu compte fréquemment plus de 350.000 "compétiteurs", voire dépasse les 400.000, l'audience de confinement n'affiche pas des scores particulièrement remarquables. On semble être dans l'habitude. Sauf à un moment: le… 13 mars. Ce access-primetime là fut catastrophique. Ce fameux vendredi, dernier jour de "liberté" avant les premières fermetures, le programme n'attirera que 138.000 personnes, soit la moitié de son public d'un jour normal. Ce vendredi-là ne l'était manifestement pas.

En mai, la production décide de ne pas arrêter la diffusion de l'émission, alors que la réserve d'épisodes se tarit. Le jeu choisit de passer en mode distanciel. Les 70 compétiteurs du champion en plateau seront désormais présents de chez eux, alors que jusque là ils animaient le studio.
La mécanique du jeu en a-t-elle modifiée? Pas sur fond. Et sur la forme, dans le rapport de proximité que gère d'ordinaire l'animateur? Le dispositif fait davantage pénétrer le spectateur lambda dans l'intimité de chaque compétiteur, et se rapproche donc un peu de celui des télé-réalités. Mais cela fonctionne-t-il pour autant, voire mieux qu'auparavant, quand tout le monde était sous les sunlights?

Bienvenue à la maison?
La comparaison des résultats d'audience "avant-après" ne sont pas probante. On ne peut évidemment éviter de tenir compte de la tendance à se déconfiner qui marque au fil des semaines le mois de mai, et qui pousse le spectateur à l'infidélité, surtout si le temps est beau (ce qu'il fut).
On ne peut non plus ne oublier cette tendance générale à la baisse qui touche l'audience de toutes les émissions pendant les mois de milieu d'année.
Toutefois, le trend est clair: l'audience du Septante et Un  ne croît pas après le 18 mai (marqué par une barre rouge sur le graphique ci-dessus). Au contraire, elle va connaitre fin mai plusieurs moments particulièrement faibles, avant de revenir à son niveau d'étiage de mi-mai au début du mois de juin. En moyenne, sur la partie du mois de mai 'ancienne formule', Septante et Un a attiré en moyenne 300.000 personnes/jour., ce qui est dans la fourchette haute de ses chiffres d'audience. Du 16 mai à la fin du mois, lorsque survient la formule "distancielle", ce nombre diminue de près de 10% et tombe à 256.000. Ce score est inférieur à la moyenne enregistrée par le programme en mai 2019 (275.000 spectateurs/jour), mais il faut aussi souligner qu'il est plus élevé que la moyenne réalisée par le jeu pendant la deuxième partie du mois de mai 2019 (225.000 personnes). Il restera à voir si la remontée enregistrée depuis le début juin (270.000 spectateurs en moyenne) se confirmera au fil du mois. Si c'est le cas, cela pourra signifier qu'un temps de familiarisation de l'audience des habitués aura été nécessaire afin de retrouver son public traditionnel. Si celle-ci s'effrite encore, il y aura lieu de s'interroger sur la capacité du distanciel de fédérer une audience autant amatrice du climat du jeu que de son contenu.

Frédéric ANTOINE.



07 juin 2020

"Question en Prime" (RTBF), un dopant pour les audiences de soirée de La Une?

L'émission d'information sur le covid de La Une était prévue jusqu'au jeudi 4 juin. Finalement, elle continuera, avec une fréquence moindre. Mais avec un public toujours nombreux.

Le déconfinement est presque complet en Belgique à partir de demain lundi 8 juin. Quasiment quotidienne, l'émission Questions en Prime, qui fait suite au JT du soir de la RTBF, n'aurait à l'origine pas dû se poursuivre la semaine prochaine. Ce ne sera pas le cas: elle reste programmée ces prochaines semaines les lundi et  mardi. L'occasion de clôturer une séquence où ce programme aura été, pendant près de trois mois, pour des centaines de milliers de spectateurs, un rendez-vous à peu près quotidien.

Nous avons déjà évoqué Questions en Prime à deux reprises dans ce blog. L'article d'aujourd'hui entend dresser un regard d'ensemble sur ce programme qui débuta le 16 mars dernier, soit la veille de la réunion décisive du CNS de mettre la Belgique en confinement. La demande d'informations et de clarifications de la part du public, la nécessité de recourir à des experts pour éclairer le sujet, mais aussi le besoin d'expression de tous les groupes concernés par l'événement (…et le clin d'œil de Kroll), feront bénéficier l'émission d'une audience importante, supérieure à bien des programmes ordinaires de début de primetime proposés par le service public.
Comme le montre le graphique ci-dessus, cet  auditoire n'est pas constant: il varie en nombre selon les moments et les événements. Mais ces variations se manifestent plutôt "vers le bas". Le programme dispose en temps normal d'une audience assez stable et fidèle d'environ 600.000 spectateurs. Et, à certains moments, celle-ci se raréfie. Par contre, sur toute la période se clôturant jeudi dernier, un seul pic est à relever: le 24 avril, soir de la fameuse conférence de presse d'annonce du plan de déconfinement du gouvernement.

UN REBOND INATTENDU

Cette stabilité est particulièrement visible si l'audience est mesurée non par jour mais en moyenne par semaine, ce qui écrème les extrêmes. La moyenne quotidienne/semaine d'environ 600.000 spectateurs est patente pendant les sept premières semaines, soit jusqu'à la fin avril. Début mai, celle-ci diminue de 50.000 personnes environ. Le déconfinement étant alors amorcé, on aurait pu croire que la baisse d'audience engagée à mi-mai marquerait toute la suite de la courbe. Or il n'en est rien. On enregistre bien une audience moyenne faible la semaine du 18 au 21 mai, celle-ci remonte ensuite aux environs des 500.000 spectateurs. Les hésitations atermoiements, nuances, modifications de mesures expliquent assurément un besoin de clarté, de précision et de cadrage de la part de l'audience. Celle-ci est alors un peu moins présente qu'au cours du plus fort de la crise, mais son volume explique sans doute pourquoi la RTBF a choisi de maintenir l'émission au-delà du terme prévu.

L'observation de la fréquence de programmation de l'émission démontre aussi que celle-ci n'a pas, jusqu'à présent, été organisée dans une logique de decrescendo progressif. Si la moyenne de diffusions hebdomadaires est de 4 (lundi-jeudi), ce nombre sera dépassé à deux reprises, mais réduit à trois certaines autres semaines. C'est donc bien l'actualité qui détermine la fréquence, et non la pré-programmation. En témoigne le fait, que, au cours de la première semaine de juin, le programme a été proposé à quatre reprises.

IMPACT SUR L'HORLOGISME

Dans les années 1990, le chercheur Dominique Chateau avait constaté que "l'horlogisme télévisuel" était en train de dominer les logiques de programmation, la "dictature" de la grille encourageant la diffusion de programmes "compacts a priori" plutôt que de productions "compactes a posteriori"(1). Questions en prime est un contre-exemple à cette règle qui s'est imposée dans l'organisation de la télévision linéaire. En effet, ce programme est venu bousculer la compacité de la grille de primetime de La Une en y ajoutant une émission qui décalait le moment de début du véritable spectacle de soirée. De plus, même si Questions en prime a une durée moyenne d'environ 22 minutes, celle-ci a été à quatre reprises de moins de 20 minutes, et à cinq reprises de plus de 25 minutes. Ajoutée à la compacité, elle aussi variable, des JT de temps de crise, celle de ce programme rend impossible la fixation d'un horaire permanent de rendez-vous pour le téléspectateur de La Une. Quand commence la soirée? Bien malin qui peut le dire. Se jouant des grilles, le programme ne permet pas à l'audience de planifier aisément son emploi du temps vespéral.


VOLATILES

Mais Questions en prime cannibalise-t-il quelque peu le spectateur qui, ayant suivi l'émission, le contraignant peu contraint à regarder aussi celle qui suit? Questions en prime est-t-il une illustration la technique du lead-in (2)? La moyenne de l'audience de l'émission sur toute sa période est de plus de 567.000 spectateurs. Pour les jours où on peut comparer l'auditoire de Questions en prime et du programme qui suit, la  moyenne/jour de l'audience de l'émission d'informations est de 556.000, le programme qui suit ayant, toujours en moyenne, environ 225.000 spectateurs de moins. Si l'on peut supposer que les personnes concernées étaient identiques (ce que les données dont nous disposons ne nous garantissent pas) cela signifierait que le programme de primetime suivant Questions en prime a, en moyenne, conservé  60% de l'audience antérieure.


Jour par jour comparable, il n'y a qu'une seule fois où le programme qui suit a rassemblé davantage de téléspectateurs que Questions en prime: le mercredi de mars où a été diffusé le reportage "Dans l'ombre du virus". Ce jour-là, Questions en prime est essentiellement une courte séquence de lancement proposé avant le reportage.
A quatorze reprises, l'émission qui a suivi Questions en prime a enregistré une baisse d'audience de plus de 50% par rapport au programme d'information, et la perte d'auditoire a été entre 30 à 49% à vingt-et-une reprises. Les pertes d'audience inférieures à 20% n'ont eu lieu que huit fois. On ne peut donc pas confirmer que Questions en prime a eu un effet déterminant sur le volume du public du programme suivant. Au contraire, celui-ci a fait preuve, à l'issue de l'émission d'information, d'une grande volatilité.

Frédéric ANTOINE.

(1) CHATEAU D., “Horlogisme ou la télévision comme forme”, Médias et information, n°1, 1993.
(2) "A program's "lead-in" is the program that precedes it in the channel's lineup" (NAPOLI Ph. M., Audience Economics: Media Institutions and the Audience Marketplace, Columbia University Press, 2003, p. 188).

03 juin 2020

Coronavirus : Rites et adaptations des conférences de presse du CNS


Le Conseil National de Sécurité (CNS) a tenu ce mercredi 3 juin sa dernière conférence de presse de période de déconfinement. La première de ces communications s'était déroulée il y a près de trois mois, le jeudi 12 mars. Depuis lors, des rites se sont installés. Mais ce cérémonial a aussi subi quelques adaptations.

Une conférence de presse est, en général, une danse en trois temps. Le premier temps de la valse est celui de la prise de parole par l'organisateur. Le deuxième est celui de l'interpellation de l'instance invitante par les journalistes, normalement chargés d'assister à cet événement pour ensuite le rapporter à leurs lecteurs, spectateurs, auditeurs… Le troisième est d'ordinaire informel. On se retrouve, parfois autour d'un verre, pour prolonger les échanges qui ont eu lieu pendant la rencontre.

Les conférences de presse du CNS ne sont pas tout à fait une valse. Leur troisième temps est plutôt incertain, et elles s'adressent autant, sinon davantage à la population qu'aux journalistes eux-mêmes. Pour les journalistes, le rituel qui structure une conférence de presse et les conventions qui y sont associées relèvent des pratiques professionnelles habituelles. Ce cérémonial, et notamment sa durée, est sans doute moins habituel pour le grand public qui apprécie souvent une communication ramassée, allant à l'essentiel. Quand, pour plaire à tout le monde, il faut au cours de pareille séance donner la parole à tous les présidents de gouvernements régionaux et communautaires, par exemple, on ne peut pas dire que cela permet au message d'être concis et percutant. Mais, comme nous avons déjà développé précdemment quelques réflexions à ce propos, nous ne reviendrons donc pas ici sur ces sujets (1).

Chacun à sa place

Si l'on exclut la catastrophique  première conférence de presse sur le déconfinement du 24 avril, l'impression est que, de manière générale, le rituel de la conférence de presse a ici plutôt été respecté à la lettre, que ce soit dans son déroulement ou dans son dispositif.
La scénographie du 'plateau' et la disposition des intervenants autour de la table au cours des différentes conférences de presse le confirment, rassurant tout le monde, y compris sans doute aussi le spectateur. Personne ne change en effet de place (2).
A chaque fois, les présidents d'Exécutifs s'installent avant la Première ministre, celle-ci arrive sans que personne ne la salue, elle prend place à la tribune, se sert parfois un verre d'eau, puis commence son exposé. La structure de celui-ci est toujours à peu près identique. Il se présente sous la forme d'un exposé, d'une conférence et non d'une communication destinée à de suite présenter l'essentiel d'une information. Pour reprendre une vieille formule enseignée aux étudiants en journalisme, la structure de l'exposé utilisée ici est celle d'une présentation en pyramide inversée (on dira aussi 'en entonnoir'), c'est-à-dire que l'intervention débute par des rappels historiques, des mises en contexte, des commentaires globaux. Ce n'est qu'ensuite que l'orateur en vient à ce qui constitue le cœur de son message: présenter les décisions prises par le CNS le jour même, et dont la conférence a comme rôle d'informer les journalistes, afin qu'ils les répercutent à leur public. Devant le contenu ainsi exposé, aux journalistes de trier le bon grain de l'ivraie et de livrer à la population "les nouvelles", ce qui fait l'actualité du message.

Un léger glissement


Le nombre de personnes présentes à la tribune étant pair, la Première ministre n'occupe jamais le centre du plateau, ce qui pose à l'image un petit problème d'équilibre. Il est renforcé par la nature du fond sur lequel s'inscrit l'oratrice, celui-ci étant constitué par le mot "Belgique" dans les trois langues nationales. Comment se placer devant ces intitulés sans les occulter? Faute de solution, il semble que le positionnement de l'oratrice ait légèrement été modifié au fil du temps. L'observation des images prises par les services chargés de la captation montre ainsi que les cadrages prévus ont, à un certain moment, occulté la fin de "België" et à d'autres, celle de "Belgique". La version néerlandaise paraît plus malmenée de mars à mi-avril, et c'est ensuite au tour de la version française.

Plus particulier encore, l'oratrice ne se trouve pas au centre l'image, comme cela se conçoit dans un cadrage télévisuel classique. Le cas de la conférence de presse du 12 mars, qui n'a pas été couverte par les services de l'Etat mais par les chaînes de télévision elles-mêmes, montre que celles-ci avaient choisi de placer l'intervenante au centre de l'image, quitte à conserver à sa gauche et à sa droite les épaules des autres personnes présentes à la tribune. Lorsque la captation de la conférence de presse n'est plus laissée aux chaînes de télévision, l'insertion d'une traduction en langue gestuelle vient envahir la partie droite de l'image, et oblige le décalage de son élément central, créant ainsi un double centre d'attention pour le spectateur.
De petites adaptations

Une comparaison de ces cadrages 'buste' de l'oratrice au fil des conférences de presse permet d'évaluer la gestion de cet encombrement de l'espace par le réalisateur de la captation. Lors de la première conférence de presse officielle (17/03), la part du cadre prise par les interprètes représente près du quart de l'image. Cette superficie sera ensuite légèrement réduite jusqu'à la mi-avril, et reprendra davantage d'importance fin de ce mois-là, avant de se voir ensuite réduite en largeur. Pour une raison simple: le passage de deux à un interprète présents dans l'image. En mai, la traduction gestuelle occupe enfin un espace plus réduit. Elle se déroule aussi depuis fin avril sur un fond neutre (noir) et n'est plus prise, comme à la sauvette, près d'une porte de la salle de conférence de presse, avec des journalistes en arrière plan.

La conférence de presse du 3/6 marque aussi un changement vestimentaire important dans le chef de la Première ministre, qui porte cette fois-là une veste de couleur blanche, sur un chemisier foncé. Jusqu'alors, sa veste était quasi noire, et était à trois reprises portée sur un chemisier lui aussi foncé. Des détails qui marquent tant le spectateur de l'image animée que celui qui contemple une photo prise lors de l'événement. Ce passage au blanc revêt un poids significatif, comme le montre la copie d'écran de la tribune figurant au début de ce texte. Le 3 juin, comme lors de toutes les autres conférences de presse, les hommes portent en effet des costumes foncés. Mais, cette fois, l'oratrice ne se mêle pas à leur masse. On l'en distingue parfaitement.

Serrages de boulons


Sur divers points, le gouvernement fédéral semble commencer à améliorer sa communication. Mais la volonté de contrôler la transmission du message n'y est pas neuve. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le côté hiératique, figé, des captations réalisées pour toutes les chaînes de télévision par les services de l'Etat et la liberté d'action dont bénéficiaient auparavant les opérateurs. La conférence de presse du jeudi 12 mars est très indicatrice à ce propos. Comme évoqué plus haut, ce jour-là, les chaînes pouvaient agir elles-mêmes. Les images prises ce jour-là n'ont donc rien de commun avec celles des captations suivantes. Sur la RTBF, on a même alors droit à des plans de coupe sur les journalistes ou sur l'enfilade des personnalités présentes à la tribune. Plans qui n'auront plus aucune existence dès que la prise d'image deviendra officielle. Tant et si bien que, lorsque les journalistes posent leurs questions lors du "deuxième temps" de cette étrange valse, non seulement on ne les voit désormais plus (question de droit à l'image?) mais, parfois, on ne les entend pas, ou à peine…


Ce resserrage de boulons a empêché que, comme au mois de mars, les écrans soient occupés pendant de longues dizaines de minutes par une image vide, ou par le passage de photographes dans le champ des caméras des chaînes de télé. Il n'aura toutefois pas empêché la surinformation de l'image rencontrée dans la conférence du 24/4. Mais la Première ministre avait promis qu'elle ne se présenterait plus. Ce qui fut fait. Lors d'une conférence de presse, on peut utiliser un Powerpoint. Mais pas dans une émission de télévision en direct…

Frédéric ANTOINE









(1) Voir à ce propos le premier post de ce blog, réalisé en réaction à la conférence de presse du CNS du 24/04/2020.
(2)Sauf bien sûr dans le cas de la conférences de presse du 20/03, hors CNS, destinée à la présentation du plan de protection sociale et économique, et où la Première ministre était entourée de membres des son gouvernement).




02 juin 2020

THE VOICE (TF1) VA-T-IL RETROUVER LA VOIE?


Samedi 6 juin, TF1 annonce le grand retour de The Voice. Cette demi-finale sera la première émission de cette télé-réalité de variétés depuis la fin avril. Une si longue absence, qui n'a pas encouragé le téléspectateur belge à rester le samedi soir sur la chaîne française…

Pour The Voice-TF1 comme pour bon nombre d'autres émissions, le confinement aura été une bonne chose. En Belgique, avant la mi-mars, le nombre de téléspectateurs du programme (Live+vosdal) était plutôt en baisse cette année, même si, après un très mauvais démarrage, les audiences s'affichaient un peu en dents de scie. Une semaine après le début des Battles, l'arrivée du confinement fera remonter l'audience au-dessus des 300.000 spectateurs, chiffre que le programme conservera jusqu'à sa 'dernière' émission du 25 avril, moment où, faute de matière et de direct, place devra être laissée à des rediffusions de soirées de variétés.

AFFICIONADOS

Au total, l'édition de cette année n'aura toutefois pas très largement bénéficié de la crise covid: son audience moyenne était d'environ 302.000 spectateurs jusqu'au confinement. Après la mi-mars, elle sera de 323.000. Depuis début avril, l'auditoire sera même en diminution à peu près constante. Celle-ci est patente après la fin de la diffusion des épisodes de The Voice, mais la tendance existait déjà précédemment. Les programmes de remplacement variant de samedi en samedi, ceux-ci n'auront pas la capacité de fidéliser chaque semaine le même public. Un show de Laurent Gerra, par exemple, n'amènera sur la chaîne que 140.000 spectateurs belges, alors qu'une rediffusion des Enfoirés ou un Grand bêtisier en réuniront plus de 230.000. Sur les quatre semaines disponibles quand ces lignes sont écrites, la moyenne est d'un peu plus de 200.000 personnes, soit une chute de 100.000 spectateurs par rapport à The Voice hors covid. Manifestement, casser ses habitudes ne plaît pas au public.

PARTICULARITÉ BELGE?

Ce comportement est-il le propre du public belge? Une petite comparaison avec l'audience du même programme en France apporte une partie de la réponse.

La taille de l'auditoire français du programme étant environ quinze fois supérieure à celle du public belge, un graphique reprenant les deux publics réduit à peu près à néant les variations d'audience en Belgique. Mais il permet de voir que, hormis lors de la première émission du programme, les tendances sont à peu près équivalentes: courbe décroissante jusqu'au début des Battles, et celles-ci coïncidant à peu près avec l'entrée en confinement, hausse sensible de l'audience les semaines qui suivent, petite perte lors de la première émission des K.O. puis relance et amorce d'une baisse d'audience. En France aussi, celle-ci est donc déjà présente avant la fin des épisodes de The Voice et le début des rediffusions d'autres programmes le samedi soir. Mais avec, dans la toute dernière partie du tableau, une remontée de l'audience (pour la France, nous avons disposé du chiffre d'une semaine de plus que pour la Belgique).

QUESTION DE TENDANCE

Ces deux comportements sont plus aisément visibles sur ce dernier graphique qui compare les évolutions des audiences en France et en Belgique sur une base 100, fixée comme étant le nombre de téléspectateurs de la première émission de la série 2020. The Voice ayant mal réussi son démarrage en Belgique, il est normal que, pendant de nombreuses semaines, l'émission y affiche un indice > 100. La France ayant vécu la situation inverse, il est normal que, pendant de nombreuses semaines, l'émission y affiche un indice < 100. Ce graphique permet surtout de voir que les pentes des courbes sont identiques dans les deux pays, ce que confirment les tracés polynomiaux de tendance qui ont été rajoutés. Ce n'est qu'en fin de période (mais où nous disposons d'une donnée supplémentaire pour la France) que l'audience semble davantage remonter dans ce pays qu'en Belgique francophone.

ET APRÈS ?

Il restera maintenant à voir si le public fidèle à l'émission sera de retour pour les dernières épreuves, où l'interactivité confère un rôle déterminant à l'audience dans la structure narrative du programme et dans le processus de résolution du suspens. La rupture de la feuilletonisation aura-t-elle cassé l'habitude du rendez-vous, voire l'intérêt généré jusque-là? Et quel sera l'effet joué par la saisonnalité? En juin, les courbes d'audience affirment d'ordinaire un fléchissement, que le déconfinement et la soif de liberté qui l'accompagne renforceront assurément cette année. De qui l'émission de télé-réalité sera-t-elle donc encore réellement la voix?

Frédéric ANTOINE.

30 mai 2020

l'Etat belge à la rescousse de TF1?

En période de crise médiatique, un des seuls moyens entre les mains de l' État pour soutenir les médias privés est d'y acheter des espaces et d'y diffuser de la publicité institutionnelle. Le coronavirus n'échappe pas à cette technique. Mais cela doit-il aller jusqu'à aider une multinationale médiatique étrangère?

Crise covid et consommation des médias font bon ménage. Mais confinement ne rime pas aussi aisément avec financement, surtout si celui-ci est de nature publicitaire. La situation de ce marché se redresse un peu ces dernières semaines. En télévision, l'occupation de certains écrans par de la publicité publique y contribue. Le 30 avril dernier, la FWB adoptait ainsi un plan d'aide aux médias où elle s'engageait notamment  "à acheter des espaces publicitaires pour une campagne de communication d’intérêt public dans l’ensemble des médias écrits et audiovisuels nationaux, régionaux et locaux, afin de répondre à la baisse drastique de leurs revenus publicitaires" (1).

Aide locale, acteurs internationaux

Est-ce dans ce cadre que le Forem développe actuellement une campagne de communication à la télévision? On ne le sait pas (2). Mais, que cette action de communication du Forem s'inscrive ou non comme un soutien spécifique aux médias en période de covid, on ne peut contester que cet achat d'espace pour diffuser des messages d'intérêt général à propos de ce service constitue une aide apportée par l'État aux organismes de télévision. En donc à des acteurs privés, dont les liens directs avec une implantation en Belgique francophone ne sont pas toujours avérés.

Faut-il rappeler que l'essentiel du capital de RTL Belgique appartient à un groupe allemand, qu'il relève d'une licence de diffusion en Belgique accordée par le Luxembourg, et que les organigrammes de l'entreprise ne cachent pas divers allers-retours entre la Belgique et le Grand-Duché?
Personne ne contestera toutefois que l'entreprise  produit en Belgique, et pour la Belgique, une part de ses émissions, même si celle-ci n'est pas en croissance. Une argumentation tentant à justifier la diffusion sur les chaînes du groupe RTL Belgique de messages d'intérêt général financés par une autorité publique locale mériterait donc au moins d'être discutée.

Pour TF1, plus directement visée ici, la question est bien davantage ouverte, voire béante. Certes, depuis la rentrée 2018, la chaîne privée française du groupe Bouygues développe sur le territoire belge un décrochage de son programme français qui prétend distinguer les contenus belges de ceux proposés sur l'hexagone. Mais il ne faut toutefois pas un long temps de vision pour conclure que la seule différence entre les deux chaînes se situe au niveau de leurs écrans publicitaires. Hormis cela, le reste du contenu, c'est-à-dire ce qui motive l'intérêt des Belges francophones pour cette chaîne, est strictement identique des deux côtés de la frontière. Le public belge est simplement devenu un marché de plus pour cette chaîne privée, une clientèle que TF1 entend valoriser (sinon exploiter) économiquement.

Soutien sans frontières

C'est dans le cadre de ces écrans publicitaires, et en l'occurrence à tout le moins en primetime, que l'on a pu très récemment voir, sur TF1, un spot publicitaire du Forem.
Quelle a été la régularité de cette diffusion, et à quels moments précis ces messages ont-ils été émis? On demandera ici au lecteur un peu de mansuétude: une observation de ce qui se passe dans la médiasphère belge francophone n'oblige ni ne permet d'assurer une veille permanente et totale de cet univers 24h/jour 7j/7. Et la non-intégration de ces écrans dans le replay en ligne ne permet pas de recouper, a posteriori, ce qu'a révélé la vision live.

A moins que cet espace ne lui ait été généreusement offert (chose ce que le téléspectateur n'aurait aucun moyen de savoir), tout porte à croire que le Forem a acheté ces emplacements sur TF1. Certes, ce géant des médias a, lui aussi, souffert de la crise du covid. Et les dividendes attendus par ses actionnaires seront sans doute moins élevés fin 2020 que fin 2019. Mais est-ce une raison pour les pouvoirs publics de courir au secours de ce groupe? Si la question peut déjà être posée pour l'État français, elle l'est évidemment a fortiori pour l'État belge, dont le Forem est une émanation.

Le monde des médias crie à l'aide en Belgique. Les autorités cherchent, via les moyens à leur disposition et en fonction des faibles marges de manœuvre dont elles disposent, à répondre à ces SOS. Et, au même moment, une des agences relevant du pouvoir public en Wallonie investit de l'argent wallon dans le soutien d'un groupe médiatique international. Groupe dont la seule véritable  ambition est de s'emparer d'une partie du marché publicitaire belge francophone, déjà réduit à une peau de chagrin.

Une brillante analyse réalisée par l'agence Space (3) a récemment démontré comment la reprise en main par IPB de la commercialisation de la pub de TF1 en Belgique avait augmenté, à l'automne 2019, les ventes d'espaces belges sur cette chaîne. Ce qui avait entraîné une hausse des rentrées engrangées par le géant français, hausse qui a essentiellement affecté… RTL-TVI, dont les liens directs et historiques avec IPB sont pourtant évidents.
Partant de là, le Forem a-t-il acheté chez IP un 'package' d'espaces sur les chaînes du groupe RTL et TF1 Belgique? Sa présence sur TF1 ne serait-elle donc qu'une 'conséquence malheureuse' de ce marché? Ce blog est incapable de la dire. Mais, même dans ce cas, et sauf si IP a fait cadeau de cet espace, il semblerait que TF1 a bien été soutenu, pour ne pas dire financé, par un service public dépendant de l'État belge…

Frédéric ANTOINE.


(1) https://linard.cfwb.be/home/presse--actualites/publications/publication-presse--actualites-29.publicationfull.html
(2) La coïncidence de cette campagne avec les décisions politiques récentes pouraitt le laisser supposer. Toutefois, le Forem étant  "le Service public wallon de l'Emploi et de la Formation professionnelle" (https://www.leforem.be/a-propos/le-forem-en-detail.html), il ne dépend pas de la FWB, mais du gouvernement wallon. Par contre, comme ce n'est pas la Wallonie mais la FWB qui exerce les compétence d'aide aux médias, peut-être l'action de l'un des gouvernements est-elle soutenue par l'autre, et vice-versa?
(3) "Gross tv investments South evolution"in: https://www.space.be/seen

29 mai 2020

Les ventes de la presse hebdomadaire: est-ce que cela va le faire?

Les hebdos ont vécu différemment le confinement et la crise du covid. Certains ont cherché à valoriser leurs contenus en proposant des formules spéciales d'abonnement papier à domicile. Quelques hebdos ont aussi essayé de développer leur lectorat payant en ligne. Mais il est beaucoup trop tôt pour que les chiffres disponibles révèlent une éventuelle inversion de tendance, qui reste totalement scotchée à la consommation papier. Un usage qui s'effrite, pour ne pas dire s'effondre, depuis le début de la décennie.

Les données de diffusion payante dont on dispose pour les hebdos sont de nature identique à celles des quotidiens (1). Les dernières data disponibles s'arrêtant à l'an dernier, et faites sur base des déclarations d'éditeurs, ne sont pas très bonnes du côté des ventes. C'est même un euphémisme. En gros, depuis dix ans, c'est l'effondrement.
Une situation dont le graphique d'ouverture de ce texte ne le laisse peut-être pas percevoir l'ampleur, le cas emblématique de la chute de la diffusion payante de Ciné Télé Revue écrasant la vision que l'on pourrait avoir des autres titres. En 2006, cet hebdomadaire centré sur les programmes de télévision vendait 366.444 exemplaires par semaine. Ce magazine était le champion toutes catégories de la diffusion payante des hebdomadaires belges francophones. Avec ses 143.657 exemplaires hebdomadaires, le deuxième du classement, Télépro, était à la moitié. L'an dernier, l'ancien magazine des stars d'Hollywood dépassait à peine les 150.000 exemplaires vendus chaque semaine. Télépro, pour sa part, se cramponnait toujours aux alentours des 100.000.  Des chiffres qui concernent essentiellement les ventes papier. Car, et c'est sans doute cela son talon d'Achille, en Belgique francophone comme ailleurs, la presse des magazines hebdomadaires ne parvient pas à commercialiser sa présence sur le numérique.

Le règne finissant des magazines télé

L'an dernier, comme depuis des années, quatre hedbos dominaient le marché grâce à leurs ventes papier: Ciné Télé Revue, dont la dégringolade est impressionnante depuis 2010. Télépro qui, en comparaison de son concurrent, donne l'impression de presque se maintenir, ou en tout cas de limiter la casse. Femmes d'Aujourd'hui, que les aléas de gestion du groupe Sanoma avant sa reprise par Roularta n'ont pas aidé à conserver toute sa clientèle. Et l'improbable Télé Star, version belge du magazine français éponyme édité par Mondadori France, filiale hexagonale de la grande maison d'édition italienne. Un magazine surtout lu dans le Hainaut par une clientèle au profil plutôt populaire, qui a découvert ce guide de programmes télé à l'époque où RTL-TVI faisait à son sujet un matraquage commercial à peu près permanent envers le public belge.

Chose que les jeunes générations pourraient trouver étonnante, mais qui confirme bien que les moins de 30 ans ne constituent pas l'essentiel de la clientèle des médias, ce sont donc bien toujours trois magazines tournant autour des programmes de télévision qui représentent les meilleures ventes de la presse magazine en Belgique francophone (comme dans de nombreux autres pays occidentaux). Et ce en compagnie d'un hebdo féminin, les femmes ayant, dès les années 1930, constitué une cible de choix pour les éditeurs de presse hebdomadaire qui considéraient que, si celles-ci ne trouvaient pas contenu à leur pied dans la presse quotidienne, un boulevard s'offrait devant eux pour leur en proposer d'autres dans leurs magazines.
L'an dernier, seuls trois de ces magazines dépassaient encore la barre des 60.000 exemplaires vendus par semaine.

Un marché peau de chagrin

En 2019, quatre hebdos édités en Belgique conservaient une diffusion papier moyenne entre 50 et 40.000 exemplaires: Le Soir Mag, Télé Star, Le Vif-L'Express et Moustique. En 2011, Télé Star et Le Vif dépassaient les 80.000 exemplaires vendus par semaine, Le Vif frôlait les 70.000 et Le Soir Mag dépassait les 55.000. Pour plusieurs de ces titres, les baisses sont donc marquées. Les grands hebdos restant édités en Belgique ne dépassent plus les 30.000 ventes par semaine, et certains (Flair, Spirou, Dimanche) sont en dessous des 20.000. Le cas de l'hebdomadaire catholique Dimanche, vendu uniquement par abonnement dans les paroisses, est assez emblématique. En 2011, il comptait encore près de 80.000 abonnés. Ses ventes ont été divisées par 8 en moins d'une décennie. Plusieurs titres ont aussi disparu des radars, soit parce qu'ils ont cessé de paraître, comme les éditions belges de Point de Vue ou de Public, soit parce que le CIM ne comptabilise plus sa diffusion, comme Le sillon belge.

En chiffres absolus, une perte est impressionnante: celle de Ciné Télé Revue, dont les ventes ont fondu de près de 160.000 exemplaires en 9 ans. Moustique est en recul de près de 40.000, Télé Star et Femmes d'Aujourd'hui d'environ 35.000. Paris-Match (édition belge) ne perd 'que' près de 18.000 exemplaires, Le Soir Mag 8.000 et Spirou 5.000.

Mais ce sont évidemment les données des pertes en pourcentages qui sont les plus éloquentes. Pendant ces 9 ans, Flair a vu ses ventes baisser de près de 60%, Ciné Télé Revue, Moustique et Télé Pocket de près de la moitié. La  plupart des autres hebdos sont à ± 40% de baisse. Mais Spirou ne perd qu'un quart de sa clientèle, Télépro et Le Soir Mag seulement un cinquième.

Des changements qui sauvent

Dans les deux tableaux ci-dessus, le cas de Dimanche doit être considéré séparément, car cette publication est comptabilisée pour ses ventes par abonnements, qui s'opèrent essentiellement dans les paroisses catholiques, et quasi exclusivement au sein de leurs pratiquants réguliers. L'effondrement à la fois en nombre d'exemplaires et en pourcentage des ventes (-88%) est directement associé à celui de la pratique religieuse dans le monde catholique.

Le Soir Mag et Télépro sont deux autres cas intéressants, car ils  sont parmi les titres qui résistent le mieux (ou le moins mal) à ce qui est bien davantage qu'une érosion.
La bonne résistance du Soir Mag n'est pas due à la fidélité de son lectorat, mais à un pari de changement de formule, déjà amorcé avant 2011 avec le passage du Soir Illustré au Soir Magazine, et confirmé fin 2015 lors du basculement en Soir Mag. Le choix rédactionnel de situer la publication comme un "mid-low market popular newsweekly" endigue alors la baisse des ventes, qui ne progresse plus que lentement.

La fidélité d'achat caractérise par contre Télépro, où elle s'explique notamment par son taux très élevé d'abonnés. Mai cette fidélisation est contrée par le fait que ceux-ci (comme pour d'autres magazines télé) appartiennent en général à des catégories d'âge avancées, où les risques naturels de non-renouvellement d'abonnement peuvent être importants. Or, cela n'empêche pas le magazine de continuer à ne pas trop mal se porter. Pour autant, alors que Roularta a récemment racheté à Bayard les 50% qui lui manquaient dans le capital du mensuel Plus Magazine, la même opération n'a pas été menée pour Télépro. Un statuo quo qui peut peut-être s'expliquer par la candidature du groupe à la reprise du pôle magazines des éditions de L'avenir, qui comprend Moustique et Télé Pocket, ce qui entraînerait la présence dans le groupe flamand de trois hebdos francophones peu ou prou liés à la télévision.

Un éventuel rachat dont la finalité peut être questionnée, puisque Télépro a, ces dernières années, beaucoup mieux résisté à la baisse du marché des hebdos que les deux autres titres. En le sortant du créneau de la presse télé pour le positionner dan celui des news magazines midmarket, la reprise de Moustique par Nethys a permis de sauver le magazine du dépérissement dans lequel le laissait son ancien propriétaire, Sanoma. Au cours de ces dernières années, la chute des ventes du titre a été fortement endiguée, et sa stratégie de développement des ventes numériques a été payante. Télé Pocket, lui, n'a rien connu de semblable, et l'état dans lequel l'avait laissé Sanoma n'a pas été revitalisé par son passage dans le giron de L'avenir.

Un espoir de stabilisation, voire de relance, touche aussi Femmes d'Aujourd'hui, dont les ventes en 2019 ont augmenté de quelques centaines d'exemplaires par rapport à l'année précédente. Là aussi, le départ de Sanoma et l'arrivée chez Roularta ont pu être synonymes de relance du projet et d'inscription dans une stratégie industrielle que n'avait pas développée son propriétaire précédent. Dans ce cadre, il sera intéressant notamment de voir les suites de la campagne d'abonnements promotionnels lancée pendant la période de confinement.

On peut, par contre, s'interroger sur les raisons du rachat l'an dernier de Ciné Télé Revue par Rossel, qui s'est ainsi mis sur le dos un mammouth en assez mauvaise santé, alors que le groupe avait plutôt réussi à endiguer le naufrage de son navire-magazine amiral, l'ancien Soir Illustré. Et que l'on voit mal les mêmes remèdes administrés à ce nouveau malade. A moins que…

Le numérique: les abonnés absents
Si une partie de la presse quotidienne a entrepris de sortir de son marasme en parvenant à commercialiser ses services numériques, on ne peut dire qu'il en soit de même des hebdos. En 2011, aucun des magazines analysés ici ne vendait le moindre exemplaire en version digitale. Le Vif L'Express commencera en 2012, année où il vendra 204 exemplaires numériques. Le Soir Magazine et Moustique débuteront en 2014, ce dernier arrêtant déjà en 2015… Les compteurs de tous les autres magazines sont alors toujours à zéro… et y sont toujours, ou presque, en 2019. Il faut regarder à la loupe le graphique ci-dessous pour repérer les titres qui, l'an dernier, pouvaient réellement compter sur l'appui de ventes numériques afin d'endiguer les pertes den papier. Dans leurs déclarations au CIM, certains éditeurs mentionnent ainsi avoir vendu 0, 2, 16, 37 ou 51 exemplaires en digital paid l'an passé. Seuls trois titres frisent ou dépassent le millier: Le Soir Magazine (moins de 900), Le Vif L'Express (mois de 1.400) et Moustique (plus de 3.300). Pour ces trois titres, ces ventes en ligne permettent d'amortir les courbes de déclin papier. Mais elles restent encore anecdotiques:  2% des ventes pour le Soir Magazine, 3% pour le Vif et 7% pour Moustique.

La situation n'est pas propre à la Belgique francophone, mais on y confirme la tendance: de manière générale les hebdos sont aux abonnés absents de la commercialisation de leurs produits en ligne. Pire, souvent, les contenus gratuits proposés en ligne divergent largement de ceux qui figurent dans la version papier. Types de sujets, angles, forme… sont différents, comme si la gestion du numérique était rédactionnellement indépendante de celle du support papier, et supposée non créer une notoriété mais seulement faire du buzz ou du clic. Sans chercher à familiariser l'internaute à l'image de marque du produit afin de l'inciter in fine à passer à l'acte d'achat de la version payante.
On entend, de manière récurrente, que les éditeurs d'hebdos réfléchissent à la question et vont frapper de grands coups. Mais on ne voit pas grand-chose venir. Comme si l'état actuel du marché leur semblait satisfaisant, et le déclin irréversible.
Certes, une bonne partie de la clientèle des hebdos apprécie consommer leurs types de contenus sur un support physique. Mais les diminutions de ventes relevées ici ne démontrent-elles pas que ce goût du papier n'est pas immodéré?

Frédéric ANTOINE.













(1) cf:  https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/05/presse-quotidienne-belge-la-diffusion.html

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